Aucune fête de Noël n’est tout à fait complète sans un magnifique sapin décoré. Plus l’arbre est beau et bien orné, plus il inspire en nous un sentiment de plénitude et d’émerveillement. Aussi, chaque année, les bûcherons se livraient-ils une amère compétition pour trouver le plus beau, le plus grand, le plus harmonieux de tous les sapins de Noël.
Parmi cette communauté robuste et aventureuse, on pouvait rencontrer Jorim, un homme qu’on disait aussi haut qu’un peuplier, aussi large qu’un chêne et aussi sombre qu’un châtaignier. Il était prêt à tout pour ramener les meilleurs arbres. Il ne craignait pas de risquer sa vie en s’enfonçant loin à l’intérieur des vastes et profondes forêts qui couvraient la région.
Les autres bûcherons ne l’appréciaient pas beaucoup, sans doute parce qu’il ne s’embarrassait pas de scrupules. Même si personne n’avait trouvé de preuves, on le soupçonnait de couper des troncs déjà marqués par d’autres, au mépris des règles du métier. Personne n’osait le confronter, car en plus d’être un solitaire forcené, il manifestait le caractère le plus désagréable de tout le pays. Seul son cheval Kodan, qui l’aidait à traîner les fûts jusqu’à sa grange, semblait capable de le supporter.
Un hiver, le seigneur des environs déclara qu’il récompenserait grassement celui qui lui apporterait le plus beau sapin. Le roi de la contrée, lors de sa tournée de Noël, viendrait pour la première fois séjourner en ses terres. L’arbre idéal devrait posséder une forme parfaite et bien équilibrée, avec une base large et un sommet effilé, de longues branches aux épines drues, d’une couleur riche et bleutée. Aussitôt, tous les bûcherons de la région se mirent à arpenter la forêt, les montages alentours et les profondes vallées, à la recherche de l’objet rare.
Tous répétaient qu’il ne fallait surtout pas s’attaquer aux arbres qui poussaient au nord d’un grand escarpement marquant la frontière vers une autre partie de la forêt, interdite aux humains. En ce lieu, les sapins devenaient plus hauts, plus sombres, plus majestueux. On parlait d’étranges créatures qui hantaient l’endroit, toutes plus effrayantes les unes que les autres. Ni les bûcherons ni les chasseurs ne s’y rendaient : ils savaient qu’ils n’y étaient pas bienvenus. Certains, parmi les plus vieux, murmuraient qu’il existait un accord immémorial entre les hommes et les puissances qui y régnaient.
Dans leur ensemble, les gens des environs respectaient les anciennes traditions ; l’équilibre de leur univers reposait sur ces règles qui pouvaient passer pour désuètes aux yeux de certains, mais qui avaient régi leur vie depuis leur prime enfance.
Pas un d’entre eux ne songeait même à violer ces principes séculaires. Pas un… sauf Jorim ! Il connaissait assez bien le pays pour savoir qu’il ne trouverait pas un arbre capable d’éclipser ceux de ses concurrents dans cette partie de la forêt. Aussi décida-t-il de braver l’interdit, de franchir l’escarpement et de ramener un sapin digne d’un roi. Enveloppé de vêtements de fourrures, dont dépassaient juste son nez et sa barbe hirsute, il guida sur le sentier Kodan et son travois, sans répondre aux questions de tous ceux qu’il croisait. S’il l’avait fait, sans doute les autres bûcherons l’auraient-ils arrêté dans sa folle équipée, mais il garda pour lui ce monstrueux projet.
Au fur et à mesure de sa progression, le chemin devenait de plus en plus étroit et envahi d’une végétation dense, qu’il devait parfois trancher de sa hachette pour continuer sa route. En cette période hivernale, une partie des arbres avaient perdu leur feuillage pour laisser derrière eux des squelettes noirâtres aux branches griffues. Seuls les sapins et autres conifères conservaient toute leur majesté, magnifiée par la neige qui les coiffait de couronnes scintillantes. Certains semblaient atteindre le ciel, tant ils s’élevaient haut, mais Jorim savait qu’il aurait trop de peine à les ramener : mieux valait trouver un arbre moins grand mais plus harmonieux !
Plus il marchait, plus l’ambiance se faisait lourde, bien qu’il fît jour ; il pouvait entendre des bruits furtifs et des craquements inquiétants. Kodan regardait autour de lui avec méfiance, mais suivait loyalement son maître. Malgré tout, il ne vit rien de nature à l’effrayer. Enfin, il arriva dans une clairière lumineuse, dans laquelle il aperçut une poignée d’arbres splendides, jeunes encore mais déjà élancés et bien fournis, dont les épines paraissaient ciselées dans des turquoises. Jubilant, il tira sa hache et s’attaqua au plus proche.
Quand la lame frappa le tronc, un son qui ressemblait étrangement à un gémissement s’éleva. Le bûcheron s’arrêta un instant, perplexe ; sur le fer, une sève épaisse, visqueuse et verdâtre s’écoulait lentement. Après un temps de surprise, il décida de s’y remettre et termina promptement la tâche, attacha le jeune arbre sur le travois et se hâta pour rentrer au village avant la nuit.
Quand il se présenta au château avec son butin, le seigneur s’extasia aussitôt sur ce magnifique sapin. Il le fit dresser dans sa grande salle et décorer avec des bougies, des rubans rouges, des guirlandes dorées et une étoile scintillante. Pour sa peine, Jorim reçu une bourse pleine à craquer et la permission de participer au banquet servi en l’honneur du roi, certes à la place la plus éloignée de table noble, mais pour un simple bûcheron, il s’agissait d’un immense honneur !
À son arrivée, le souverain lui-même admira l’arbre ; il s’installa avec sa suite, seigneurs et dames vêtus de leurs plus beaux atours. Bientôt, des mets succulents apparurent, du gibier rôti, des pâtisseries, des pichets emplis à ras bord de vin capiteux… Les troubadours, les jongleurs et autres baladins égayaient la soirée.
Alors que les convives devenaient un peu gris, un bruit étrange leur parvint du dehors. Quelque chose frappait la paroi du château, à coups redoublés. Peu à peu, les invités cessèrent de manger. Soudain, des pierres se détachèrent des murs, puis le plafond commença à s’effondrer. Les invités se levèrent en hurlant et se ruèrent vers la sortie, pour voir une dizaine de créatures se découper sur le ciel étoilé : trois fois plus hautes que les plus grands sapins, avec un épiderme aussi rugueux que l’écorce, des membres longs et maigres et des articulations noueuses, elles émettaient à chaque mouvement un grincement sinistre. Leurs yeux se réduisaient à des creux au fond desquels brillait une inquiétante lueur verdâtre.
Les monstres continuèrent à détruire le bâtiment, jusqu’à ce qu’ils pussent avoir accès au jeune arbre coupé, qu’ils recueillirent entre leurs larges mains griffues. En le trouvant ainsi mutilé, ils poussèrent un cri silencieux ; pris de rage, ils abattirent ce qui restait du château et écrasèrent tous les humains qu’ils purent atteindre. Le roi, cette nuit-là, s’échappa de justesse avec une partie de sa cour, mais Jorim périt, broyé par des blocs de pierre, et ne put jamais profiter de son pécule si convoité.
Quant au souverain, il déclara que désormais, tout sujet qui passerait l’escarpement mourrait la tête tranchée. Ce qui fut sans doute bien plus effectif que des mises en gardes séculaires…
On raconte que dans cette contrée, depuis le désastre, plus personne ne dresse de sapin de Noël.
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