Ses virages étaient quasiment à angle droit. Autant dire qu’être passager dans sa voiture était un vrai calvaire. D’une certaine manière Lucy était immunisée contre cet aspect de son comportement. En supposant qu’il en existait d’autres.
Si bien qu’elle continua à le guider. Le fait qu’une nouvelle venue dans cette ville lui montre le chemin aurait dû le vexer. En fait Gino paraissait juste irrité. Une autre étrangeté de sa part était son allure lente.
Habituellement il fonçait se moquant des règlements et des obstacles vivants ou non. A se demander comment il avait évité les accidents jusqu’ici.
« Stop ! » Dit brusquement Lucy avant de marquer une pause.
Elle venait de s’exprimer comme lui de façon réduite et brusque. S’en était effrayant. Face au mutisme soudain de sa passagère, Gino regarda autour de lui, et remarqua une quincaillerie.
« C’est là ? »
Lucy répliqua par un hochement de tête, comme si sa propre réponse la gênait. En tous cas elle suffit à son compagnon.
S’en suivit un phénomène assez curieux. Gino que la grâce et l’adresse semblaient avoir définitivement oubliées, exécuta parfaitement une série de d’actions précises formant un tout cohérent.
D’abord il s’assura de l’absence de passants dans la rue, ordonna à sa passagère d’attendre sans bouger, dissimula le bas de son visage à l’aide d’un foulard, et enfin brandit son cher fusil.
Les préparatifs venaient de s’achever. Il restait plus qu’à suivre la ligne droite menant à la boutique et tout serait réglé.
Par tout il fallait comprendre bien évidemment l’argent. Certains détails indiquaient qu’il commençait à manquer. Au fond de l’armoire les « outils de travail » de Gino prenaient la poussière. Les affaires se calmaient à East Harlem. A moins que l’employeur de Gino ne soit plus satisfait de ses services.
Dans un cas comme dans l’autre il y avait un manque à gagner. Le rythme des raclées encaissées par Lucy le prouvait.
Alors elle agit. Personne ne pouvait le faire à sa place de toute façon. Gino était un porte-flingue au sens strict. Son essence même se résumait à un doigt pressant une gâchette. Par conséquent il ne fallait espérer aucune initiative de sa part.
Demeurant toujours une novice elle opta pour quelque chose de simple. Un braquage ça devait être dans les cordes de Gino. Il suffisait de lui dénicher une cible potentielle. L’important était d’éviter les magasins d’alimentation. Le gang utilisant Gino s’était spécialisé dans le racket des légumes.
Le fait que ce projet provienne tout au plus d’un accessoire déplaisait à Gino. D’un autre coté l’argent lui manquait ainsi que l’action. A force de défoncer des mâchoires et trouer des corps il y avait prit goût . Ça lui donnait l’impression d’être un prédateur, celui qui domine.
Alors il fracassa la porte d’un coup de pied prêt à tuer un malheureux commerçant contre une liasse de billets. Au même instant Lucy se mit au volant et démarra. Contrairement aux apparences elle ne le fuyait pas. On n’avait rien à craindre d’un mort.
Cette insolence qui la poussait à ouvrir les yeux pendant les bénédicités, tant de violences avaient nécessaire à son enfouissement. Et il suffit de si peu pour la ranimer.
Parmi les boutiques qu’elle avait inspecté, se trouvaient des mauvais choix dont un tout particulièrement. Cette petite quincaillerie servait de lieu de réunion à des vétérans de la grande guerre. D’ailleurs elle était tenue par l’un d’entre eux. Ces véritables combattants formés et expérimentés n’étaient en aucun cas comparable à un gangster mal dégrossit ayant acquis sur le tas un peu de pratique et quelques coups bas.
Lucy ne jeta même pas un coup d’oeil en arrière. Si tout ce qu’il lui avait fait subir la marquerait à jamais, en revanche Gino demeurait une petite brute insignifiante. Sa fin était donc sans importance.
La porte s’ouvrit révélant l’un des soit-disant meilleurs restaurants de la ville. La décoration était soignée avec ses boisures et ses tableaux représentants la campagne italienne. Sa fréquentation était plus que correcte. Lucy sentait tout de même que ça pourrait être mieux.
Quelques regards furtifs accueillirent son entrée. Alors qu’elle approchait de sa quinzième année à défaut d’être belle, Lucy était agréable à regarder. Ses cheveux attachés dévoilaient enfin son visage dénué à présent de cet air morne. Elle portait une longue robe verte pâle soulignant la finesse de sa silhouette. La gamine subsistant au fond d’elle était à l’origine de ce petit caprice.
Car il s’agissait bel et bien d’un caprice idiot. Peu après la mort de Gino, Cerveau était venu lui apporter quelques billets de la part de la bande, une sorte de prime de veuvage. Ce geste de solidarité n’était pas complètement désintéressé. Quelques conseils ou plutôt consignes l’accompagnaient.
Suite au braquage de la quincaillerie, la police allait certainement venir fouiller le logis du défunt. Or il y restait quelques petites choses embarrassantes, comme une bouteille d’alcool frelatée, un pistolet certainement déjà utilisé, et une fille mineure.
Ainsi après avoir effectué un dernier ménage Lucy se retrouva à quelques pâtés de maison de là dans une petite chambre avec une somme d’argent tout juste raisonnable. C’était donc plutôt le moment de faire d’économie.
Les quelques yeux masculins dans le restaurant la mirent mal à l’aise malgré leur agressivité toute relative. Lucy se rendit compte également que c’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans ce genre d’établissement.
Soudain l’ambiance somme toute paisible de l’endroit fut piétiner par de gros sabots.
« Benvenuto ! »
L’auteur de ces paroles s’approcha de Lucy les bras et le sourire tous tirés à leur maximum. Ce trentenaire aux oreilles décollées souffrait en plus d’un œil droit plus gros que son voisin et atteint d’un léger strabisme.
Lucy lui trouva immédiatement un surnom : Gargouille.
« Ça me fait plaisir que tu sois venu. » Enchaina-t-il en lui baisant la main. « Je me présente Ciro Terranova. Tu peux m’appeler Ciro. »
Elle avait vécu suffisamment à East Harlem pour savoir que son accent était aussi appuyé que ses manières. Ainsi c’était lui le boss entre autre de Cerveau et Gino, et surtout le maitre de East Harlem.
Son autre titre de gloire était de détenir le sobriquet le plus pourri de la pègre new-yorkaise voir américaine : le roi des artichauts. Il s’était parait-il enrichi dans un premier temps en imposant par la force la vente de ce légume à bon nombre de commerçants de la ville.
Le voir se comporter aussi lourdement cassait quelque peu le mythe. Il rappelait à Lucy ce petit vendeur itinérant, qui était venu frapper à la porte de la ferme familiale autrefois. Leurs numéros respectifs étaient du même niveau.
Elle sut cacher son ressentiment sans trop de difficulté. Après tout elle avait déjà connu une déception de ce genre avec Gino. L’espèce de monstre à visage humain qui la traquerait jusqu’au bout du monde, avait fini par céder la place à une vulgaire brute. Dont d’ailleurs elle s’était débarrassée facilement au bout du compte.
Gargouille la guida jusqu’à leur table dans un coin retiré. Une surprise les y attendait. Une fois encore Lucy sut feindre l’indifférence. Elle se doutait bien que cette invitation cachait quelque chose.
En fait la surprise avait la forme d’un autre homme. Petit, brun, mate de peau, et l’air teigneux il était l’archétype du sicilien. Il salua poliment Lucy. Toutefois son « Bonjour » était comme achuré. Juste après il jeta un petit regard un coin à Gargouille dont Lucy ne comprit pas la nature.
Gargouille passa rapidement la commande, puis s’engagea dans un petit monologue sur Gino. Comme quoi il lui préparait un enterrement. Il aurait pu y penser avant. Ensuite Ciro enchaina par un hommage du défunt.
Cette description dura plusieurs minutes. Lucy fut sincèrement impressionnée par un tel meublage. Le quotidien de cet homme en dehors de ses violences sur commande et conjugales, se résumait à manger, boire, dormir, et un peu de poker.
A vrai dire la seule touche personnelle que Lucy avait décelé en lui, c’était des recueils de dessins coquins sous le matelas. C’est dire à quel point cet homme était creux.
Ce discourt factice finit tout de même par lasser Lucy, qui préféra se concentrer sur le sicilien. Sa présence l’intriguait tout autant que cette invitation. D’ailleurs les deux étaient sûrement liées. Le sicilien paraissait s’ennuyer plus qu’elle. A la différence qu’il le cachait à peine. Gargouille le présenta sous le prénom de Salvatore.
Gargouille décida enfin de les épargner à l’arrivée des plats. Le repas fut bon. Ca suffit à bouleverser Lucy. Elle se rendit compte qu’elle n’avait jamais mangé jusque là de la nourriture de cette qualité. Catville ne disposait pas d’un vrai restaurant. Et il ne fallait pas compter sur Gino pour une sortie.
Quelle vie pourrie elle avait vécu jusqu’à présent. Même un petit plaisir comme celui-ci lui avait été toujours refusé.
Gargouille ponctua le déjeuner de quelques banalités sur la cuisine italienne. Lucy suivit un peu à la fois par réflexe et politesse. Salvatore lui ne prononça pas un mot. Au bout d’un certain temps il posa son verre bruyamment sur la table.
Ce geste fut comme une sorte de réveil à l’égard de Gargouille.
« Au fait ma petite Gina, comment tu t’en sors ? » Dit-il en feignant moyennement bien la compassion. « C’était Gino qui rapportait l’argent du ménage, non ? »
Lucy enivrée par sa liberté nouvelle, ne s’était pas vraiment questionnée à ce propos.
« Je vais chercher du travail. »
Gargouille lui adressa un air attendrit avant de répliquer.
« Tu n’es pas une fille de la ville. Ça se voit. Crois-moi tu vas avoir du mal à t’en sortir. J’en ai vu des comme toi tomber très bas. »
Lucy percevait une sorte de sous-entendu dans ces mots plus précisément une menace. Peut-être se faisait-elle des idées ? Même sans cette impression les arguments touchaient juste. Ses compétences se limitaient aux travaux de ferme. Pas vraiment le genre de choses utiles à New York.
« Alors ? » Dit-elle simplement en tentant de mettre de la détermination derrière ce mot.
L’illusion ne tint pas une seconde. Gargouille n’était peut-être pas un maitre en matière de baratin mais il savait en sentir un. Cette pauvre gamine était désorientée comme il l’espérait.
« Alors ce qu’il te faut c’est un autre homme pour veiller sur toi, . »
Tout était clair désormais. Lucy regarda Salvatore. Son prétendant ne l’observait pas de la même manière que Gino. A vrai dire il ne lui accordait pas tellement d’intérêt. C’est plutôt Gargouille, qui avait droit à son attention. Comme s’il attendait quelque chose de lui.
Une nouvelle évidence prit forme dans l’esprit de l’adolescence. Il ne comprenait pas l’anglais ! Non seulement on lui imposait de nouveau un homme. Mais en plus elle ne pourait même pas lui parler.
Juste quelques jours de liberté était-ce tout ce qu’elle était en droit d’espérer ?
La croyant toujours réticente Gargouille continua de vendre son produit.
« Vois ça comme une sorte d’arrangement. De toute façon Salvatore a déjà une famille au pays. Simplement il lui faut une épouse américaine pour rester ici. Et si t'en as besoin je peux te faire gagner un an ou deux ans sur tes papiers. »
« Je dois réfléchir. » Balança vivement Lucy.
« Ne tardes pas trop. Bon attaquons-nous au dessert. »
Dans la tête de Gargouille l’affaire était déjà réglée. Lucy faisait juste sa difficile. En fait elle cachait bien plus que ça. La mention des papiers, lui avait rappelé qu’elle n’en disposait plus. Lors de son enlèvement Lucy n’avait évidemment pas pu les emmener.
Tout en mâchant sa tarte elle chercha une solution, et aboutit très vite à une impasse. Depuis le carnage de la ferme, elle était certainement classée parmi les personnes disparues par les autorités. Si elle réclamait de nouveaux papiers la police poserait des questions. Gargouille n’apprécierait sans doute pas.
Elle examina de nouveau cet homme dont son existence entière dépendait. Il parlait en italien avec Salvatore. L’attitude de ce dernier se révéla instructive. Sans être véritablement agressif il ne se comportait pas comme un subordonné. Ainsi le roi des artichauts n’était peut-être au bout du compte qu’un petit seigneur parmi tant d’autres.
Lucy reprit alors espoir juste le temps de se rappeler d’un élément important : l’argent. De quoi allait-elle vivre ? Avoir provoqué la mort d’un homme n’était pas suffisant. Elle devait encore se battre juste pour exister.
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