Aomi mâchait avec lenteur son morceau de brioche cuite à la vapeur en balayant la pièce d’un œil las. Comme elle, ses concurrentes avaient dû laisser de côté leurs beaux habits d’apparat pour endosser le costume plus simple qu’on leur avait imposé.
— Il y en a une à qui cet immonde accoutrement va comme un gant, lança l’une d’entre elles en lui lançant un regard chargé de mépris.
Aomi rétorqua : ·
— Si tu comptes sur une tenue pour te mettre en valeur, c’est que ta maîtrise ne suffit pas.
Sa concurrente accueillit la remarque avec une expression vexée. Le sourire d’Aomi s’étira dans une moue moqueuse. Aucune de ses voisines ne lui adressa plus un regard, et c'était tant mieux.
La délicatesse de leurs gestes, ancrée en elles par une éducation rigide et guindée, contrastait avec l'humilité de ces tenues aux couleurs de l'Empire. Ces filles étaient ridicules. Aomi était différente et s’en fichait. Son éducation, elle avait dû en perdre les morceaux les plus futiles dans les quartiers balayés par le vent du désert de Zahiara, là où le sable s’immisçait dans les gorges et piquait les yeux. Quand les matriarches, ayant découvert le secret de sa mère, l’avaient sortie de la prison dorée qui la cachait au monde pour la forcer à payer son existence dans la basse Zahiara. Sois heureuse, d’habitude, on exécute les bâtards. Tu as de la chance que ta mère s’appelle Kaoko Za’i.
Chanceuse de travailler dans la poussière, le sable, le vent, comme un forçat, au milieu des repris de justice. Chanceuse d’être réduite à un numéro. Chanceuse de devoir se battre avec tout ce qui lui tombait sous la main pour se protéger, car personne ne la protégera plus. Alors que ces autres filles avaient grandi au milieu de ces jardins luxuriants, protégés du sable par une végétation abondante qui faisait rempart au vent, auprès de bassins à l’eau si claire et si pure que leur reflet ne pouvait en être qu’embelli. L’adolescence d’Aomi lui avait laissé une sécheresse dans la gorge et dans le cœur que rien n’avait pu adoucir. Pendant qu’elle apprenait à se battre avec ses poings pour qu’on lui fiche la paix, ses compatriotes apprenaient à calligraphier et à manier le sabre. Elles avaient des enseignants pour parfaire leur maîtrise de l’eau : Aomi était une parfaite autodidacte et ne devait sa maîtrise à personne.
Elle chercha la bouilloire pour se servir un thé aux épices, mais sa main toucha celle d’une autre zhatgai. Celle-ci croisa à peine son regard avant de se retirer aussitôt, comme si elle s'était brûlée. Aomi termina son geste et se saisit de la hanse, retenant un soupir. Heureusement qu’elles avaient des chambres individuelles.
Les filles de Laosha discutaient avec mesure, sans passion. Parmi les informations qu’elles échangeaient et qu’Aomi triait mentalement, il n’y en avait pas beaucoup qui captaient son attention. La seule chose qui la faisait vibrer, c’était de voir des représentants des autres nations. Les autres, ceux qui vivaient derrière les montagnes, qui ne connaissaient pas le goût du sable, et qui peuplaient les contes de son enfance racontés par une servante pour adoucir sa captivité, au milieu du palais de sa mère. Lorsqu’Aomi était encore préservée dans cette prison dorée pour la protéger du sort qui l’attendait si on connaissait son existence. Arrivée la veille au soir, assez tard, Aomi n’avait pas pu se faire une image claire des concurrents étrangers. Durant la procession pompeuse de Laosha autour de l’Amphithéâtre des combats, elle avait juste aperçu les jeunes Orgoïs, Alayis et Thaelins choisis par les trois autres divinités attroupés aux fenêtres et aux portes de leurs tours. Les mythes dont son imagination d’enfant les avait nimbés étaient revenus à la surface de sa mémoire. Elle allait enfin assister à une démonstration de leurs maîtrises.
Elle siffla sa tasse de thé, la claqua presque sur la table puis poussa sa chaise qui racla le sol dans un bruit crissant. Elle s’attira les regards courroucés de ses comparses. Aomi laissa un sourire moqueur s’étendre sur son visage.
— En vous souhaitant un bon déjeuner, zhatgai !
Elle épousseta les miettes de sa tunique avant de sortir de la salle commune et de rejoindre l’arène. En face de celle-ci se trouvait le porche pour se rendre dans la rue. Des soldats habillés du blanc de l’empereur surveillaient les deux issues. Ils se décalèrent pour lui permettre de pousser les portes, dont les gonds grincèrent. Elle dut traverser un couloir sombre, juste en-dessous des tribunes, pour pouvoir fouler le sable de l’arène.
C’était là qu’ils allaient se battre. Dans le silence de ce grand vide, elle avança de quelques pas. Il n’y avait encore personne dans les gradins de pierre. Dans ses veines, son sang chantait d’impatience. Elle leva les yeux vers le trou du dôme de verre : le soleil était obscurci par de gros nuages gris. Pourquoi la pluie ne s’était pas encore abattue sur le sol d’Urbaïs ? Dans le ciel de Zahiara, les rares nuages comme ceux-là ne perdaient jamais leur temps pour se déchaîner.
Elle avait l’impression que chacun de ses souffles s’entendait depuis la tribune d’honneur qui surplombait les gradins. Pour bien la signaler, un dais d’un précieux tissu mushadin décoré aux couleurs de l’empire avait été tendu. Ses clôtures en bois, séparant les dieux des mortels, étaient gravées de scènes mythologiques rehaussées de peintures colorées. Cela rendait le tout encore plus vivant, comme si la reproduction de Laosha allait s’arracher pour venir combattre sur le sable. Les séparations entre les gradins et l’arène étaient elles aussi peintes, immortalisant cette fois la venue de la Divinité Supérieure et la réconciliation de ses enfants. Au fond, cet épisode avait-il réellement existé ? Trop de rivalités persistaient entre les peuples, trop de méfiance, comme si chacun attendait que les autres commettent une erreur avant de s’abattre sur eux pour les dominer.
Elle chercha où s’installer dans les gradins, s’attendant à trouver des places précises qui leur étaient assignées, mais hormis les petites barrières censées diviser public et concurrents, rien. Le symbole de l’eau, un triangle pointé vers le bas surmonté de vaguelettes, était absent. Pas de statues des quatre près desquelles s’installer. Perdue, elle sélectionna au hasard un banc parmi les plus bas, consacré aux candidats, à quelques dizaines de mètres de la tribune d’honneur, et surveilla le ciel du coin de l’œil.
Elle avait une vue parfaite sur l’arène, et ne pourrait rien louper de ce qui se passait sur le sable. Son regard habitué calcula rapidement un diamètre d’à peu près quatre-vingt-dix mètres, pour un accueil de plusieurs milliers de personnes. Les nuages alourdissaient l’atmosphère d’une humidité favorable aux Filles de Laosha. Comment les autres allaient-ils pouvoir composer avec cela ?
Aomi resta seule pendant un petit quart d’heure avant que d’autres concurrents du Grand Choix s’installent à leur tour, sur les bas protégés par les petites barrières. Elle reconnut les Orgoïs à leur peau mate, leur démarche aussi fière que dans les contes et la longue tresse qui pendait dans leur dos. Les Alayis avaient cette peau d’ébène si fascinante, si différente, cette allure tranquille de puissance naturelle et sans artifice. Quant aux Thaelins, uniquement des hommes, il y avait une beauté dérangeante sur leurs traits fins, une aura de mesure et de calme trompeuse, une intelligence calculatrice dans leur regard clair. Les gradins se remplirent peu à peu, dans un silence parsemé de murmures. Tous les regards convergeaient vers les Filles de Laosha. Aomi devina que les trois autres peuples avaient eu tout le loisir de s’observer avant leur arrivée. Elle-même notait tout ce qu’elle voyait, tout ce qui bouleversait l’image qu’elle s’était forgée d’eux et tout ce qui la confirmait. Certains Orgoïs étaient plus petits que dans son imagination, les Alayis étaient habillés là où on les lui avait peints nus, et les Thaelins ne semblaient pas être ces êtres secs sans émotion que sa servante lui avait décrits.
Petit à petit, les gradins se remplirent du public d’Urbaïs et le brouhaha s’amplifia. Lui aussi lançait des œillades appuyées aux Filles de Laosha. Aomi serra les mâchoires. Si elle n’aimait pas l’attention qu’on leur portrait, ce n’était pas le cas de certaines de ses comparses, qui se rengorgeaient et dont la posture, droite et rigide, était impeccable.
Dans la tribune d’honneur, une femme, certainement l’héraldesse de l’empereur, bomba le torse. La structure de l’amphithéâtre amplifia sa voix quand elle annonça :
— Enfants des dieux, les seigneurs des éléments et des saisons !
Une chape de plomb alourdit l’ambiance et tous se tournèrent vers elle.
— Waal, maître du feu et de l’hiver !
Un homme - non, un dieu - immense apparut dans l’espalier derrière la tribune. Il balaya l’assemblée d’un regard et s’attarda à l’endroit où ses Enfants s’étaient rassemblés. Il eut pour eux un simple hochement de tête. Il repoussa sa longue tresse pour s’asseoir sur le trône qui lui était réservé.
— Gaïa, maîtresse de la terre et du printemps !
Une belle femme à la peau noire, ses longs cheveux coiffés en nattes collées à son crâne, pénétra à son tour dans l’habitacle pour s’installer à côté de son frère. Ils contrastaient : alors que Waal gardait une expression fermée et féroce, Gaïa semblait détendue et envoyait des signes de la main aux candidats et au public. Son autre main reposait sur son large ventre de femme enceinte.
— Lan, maître du vent et de l’été !
Rayonnant de beauté, le dieu des Thaelins suivit son frère et sa sœur. Il adressa un sourire solaire aux deux-cents jeunes gens groupés dans les gradins ainsi qu’aux milliers de spectateurs alors qu’il rejoignit son trône. D’un geste nonchalant, il envoya ses longs cheveux blonds derrière son épaule. Il se pencha légèrement pour lancer à Waal une œillade pleine de défi. Aomi ne vit pas la ·réponse de Waal, mais comprit à la tension de son corps qu’elle ne devait pas être des plus polies.
— Laosha, maîtresse de l’eau et de l’automne !
La dernière du quatuor divin n’eut de regard pour personne et, pleine de cette fierté glaciale qu’Aomi lui avait toujours connue, s’installa sur le dernier trône. Comme d’habitude, il émanait d’elle une rigueur austère. Elle replaça les manches de son long kimono et pencha la tête vers l’héraldesse. Il était difficile pour Aomi de bien distinguer les traits de son visage, mais elle vit le léger signe de tête qu’elle donna en direction de l’héraldesse pour l’inciter à poursuivre.
— Leurs Donneurs, Leti Ioreik, Zalin fils de Haïfa, Axiliam Hugwin et Zaora Za’i.
Une jeune femme brune, la peau tannée et la démarche volontaire, vint s’installer derrière Waal. Leti Ioreik. Zalin, un jeune homme à la peau noire, d’une démarche gracieuse et d’une chevelure divisée en d’épaisses nattes, la suivit pour poser sur l’épaule de Gaïa une main douce. Axiliam Hugwin, la silhouette haute et longiligne, ses cheveux blonds ramassés en un épais chignon, se posta derrière Lan. Enfin Zaora prit sa place derrière Laosha, la main sur le sabre à la garde gravée d’un dragon qui ne quittait jamais sa hanche.
La voix de l’héraldesse résonna à nouveau dans l’amphithéâtre :
— Vous avez été choisis pour représenter vos peuples dans le Grand Choix. Le plus méritant d’entre vous aura l'honneur de devenir la prochaine réincarnation de la Divinité Supérieure.
Les candidats se jaugèrent du regard. Aomi retint un ricanement. Elle ne s’était jamais faite d’illusions, contrairement à beaucoup d’autres : elle savait très bien que ses ennemis étaient aussi issus de son propre peuple.
— Quatre séries d’épreuves vous seront imposées. Celles de Waal mettent en avant votre force physique, celles de Gaïa votre force mentale, celles de Lan votre ingéniosité, et celles de Laosha votre maîtrise de vous.
L’héraldesse s’interrompit. Malgré l’assurance qu’elle parvenait à maintenir dans son ton, Aomi perçut, de là où elle était, des changements infimes dans son langage corporel. La nervosité qui lui faisait se gratter le haut de la cuisse dans un geste qu’elle espérait discret. Les œillades qu’elle jetait aux divinités, derrière elle. D’ailleurs, leurs visages s’étaient renfermés. Laosha semblait si tendue qu’Aomi n’aurait pas aimé être à proximité de son aura meurtrière.
— Une nouvelle règle a été imposée.
L’attention sur l’héraldesse s’était accrue, et la jeune femme prit une inspiration qui gonfla sa poitrine.
— Des groupes mixtes vont être créés.
Aomi fronça les sourcils. Autour d’elles, l’incompréhension était palpable à travers les regards et les murmures échangés.
— Pour réaliser ces quatre épreuves, vous serez en groupe composé de quatre personnes issue chacune des quatre peuples. Orgoï, dit l’héraldesse en désignant Waal,
— Alayi…
Sa main se déplaca vers Gaïa, puis l’autre se hissa pour pointer Lan :
— Thaelin…
Pour enfin terminer par Laosha.
— Et mushadin. Cette règle a pour objectif de valoriser l’union et la solidarité entre les peuples.
Il y eut quelques secondes de silence, avant qu’un vrombissement de colère et d’indignation ne s’élève. Aomi resta interdite, ne baissant pas le masque d’indifférence qu’elle arborait. Elle renâcla. Union et solidarité ? Ces belles valeurs seraient-elles toujours d'actualité lorsqu'il faudrait décider qui, au sein de l'équipe victorieuse, devrait se sacrifier ? Finalement, les intentions de la Divinité Supérieure, loin d’être aussi louables qu’elle le prétendait, ne valaient pas mieux que celles de ses enfants.
Depuis leur tribune, les dieux levèrent les yeux au ciel. La pauvre messagère ne savait pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide.
— Ma décision n’est pas sujette à discussion.
Depuis l’escalier de la tribune apparut un vieil homme fatigué. Ses longs cheveux blancs étaient coiffés en une fine tresse et malgré ses gestes lents et précautionneux une aura de majesté l’entourait. La jeune femme lui prêta aussitôt son bras pour l’aider à monter les dernières marches, et le souverain, car ça ne pouvait être que lui, s’y accrocha.
La Divinité Supérieure, le Sans-Nom, dans sa dernière incarnation. Sa magie était si puissante et son âme si ancienne qu’elle avait dû puiser dans toutes les ressources énergétiques de son dernier corps, Maëlan. Le silence s’empara des gradins en quelques secondes. Tous les regards étaient tournés vers l’empereur des Quatre Terres, le Maître des Cieux et le Créateur de toute chose. Pour la première fois depuis une éternité, Aomi se sentit ridiculement petite. Il exhalait de lui une puissance et une noblesse telles qu’il éclipsait les personnes autour de lui, y compris ses enfants. Son corps était diminué, mais son âme dégageait une telle force qu’Aomi osait à peine respirer.
L’héraldesse aida son maître à s’installer sur un trône, derrière celui de ses enfants et légèrement surélevé. De là, il reprit son souffle, et d’une voix trop puissante pour être humaine, il s’adressa à tout l’Amphithéâtre :
— Vous êtes ici pour commémorer le commencement des ges de Paix, et le pacte d’union scellé entre vos peuples il y a cinq siècles. L’individu qui se sera démarqué devra me céder son corps et se plier à mes règles.
Une volonté qui n’était pas la sienne s’imposa à Aomi, et elle devina qu’il en était de même pour tous les jeunes gens autour d’elle : le Sans-Nom venait d’exercer son pouvoir sur toutes les personnes de l’assemblée. Jamais Aomi n’avait été le témoin d’une magie aussi puissante.
L’empereur esquissa un léger signe de tête vers l’héraldesse qui, sa légitimité retrouvée, poursuivit avec force :
— Comme le veut la tradition, chaque peuple exécutera une danse rituelle où sa maîtrise sera à l’honneur !
Aomi ne put retenir un sourire. Zaora les avait prévenues le jour où elles avaient quitté Zahiara. Elle leur avait aussi dit que Laosha refusait qu’elles s’entraînent sur place, contrairement aux trois autres peuples : elle était orgueilleuse et voulait montrer que ses Filles étaient les plus dignes. Elle voulait également garder l’effet de surprise. Aomi et ses comparses avaient donc répété sur le chemin.
— J’appelle les Enfants de Waal sur l’arène !
Depuis son siège, le dieu du feu et de l’hiver se rengorgea. Ses enfants se levèrent dans une cacophonie de cris de guerre pour dévaler les gradins. Les Mushadines eurent un mouvement de recul face à la sauvagerie des Orgoïs, et même Aomi, habituée aux manières des tavernes, haussa un sourcil surpris. Fiers et pleins de vie, les Enfants de Waal se retrouvèrent en moins d’une minute sur le sable, dans une formation en losange. Un tambour se mit à retentir d’un rythme lent.
Le garçon tout au milieu, sans doute le plus jeune d’entre eux, frappa ses paumes l’une contre l’autre dans un claquement sec et leva la main droite. La flammèche qui naquit au bout de son index envahit les autres doigts, puis la main toute entière. Il projeta une énorme boule de feu en l’air. Ses voisins l’imitèrent et petit à petit, en partant du centre, tous les Orgoïs allumèrent un immense feu. Aomi s’avoua impressionnée : ce spectacle devait être majestueux au cours d’une nuit d’hiver.
Le tambour s’accéléra et s’accompagna de flûtes dont les notes s’enchaînaient à une cadence rapide. Les Orgoïs eurent un cri ventral à l’unisson et leurs gestes s’amplifièrent. Ils étaient rapides et puissants, et les flammes qu’ils faisaient apparaître de leurs mains donnaient l’impression d’exploser. Ils revinrent à la même formation qu’au début, crachant du feu jusqu’à une hauteur vertigineuse, et s’arrêtèrent en même temps que le tambour.
Waal se releva depuis son trône pour applaudir à grand bruit. Son frère et ses sœurs furent plus mesurés. Aomi finit par suivre le mouvement et applaudit à son tour, impressionnée par un tel débordement de magie.
— J’appelle à présent les Enfants de Gaïa.
Les Alayis se levèrent comme un seul corps. Aomi observa avec curiosité la façon qu’ils avaient d’évoluer en prenant soin de ne pas se bousculer, comme s’ils avaient une conscience aiguë des autres.
Le tambour reprit sur un rythme à trois tons. Les flûtes furent plus mélodieuses, plus mesurées. Aomi nota qu’ils étaient alignés de façon à ce qu’une fille soit entourée de deux garçons. Un premier coup de tambour et les hommes commencèrent à se mettre en mouvement. Les positions étaient basses, enracinées dans le sol. Bientôt, les femmes les rejoignirent. Chacune rejoignit ses paumes avec celle de son voisin de gauche et de ce contact naquit à leurs pieds une multitude de petites fleurs et lianes. D’un seul mouvement, ils s’accroupirent pour poser leurs mains sur le sol. Contre toute logique, un tapis végétal recouvrit le sable. Lorsqu’ils remontèrent les bras, des blocs de terre s’affranchirent du sable et des végétaux pour venir s’encastrer dans leurs paumes. Ils crispèrent leurs doigts : la terre s’éparpilla pour révéler une roche bien dure, semblable à du granit. Aomi plissa les yeux pour mieux voir, mais aussitôt les Alayis les réduisirent en poussière.
En à peine une minute, ils venaient de montrer que leur maîtrise leur permettait de manier plusieurs matières et que malgré leurs apparente douceur, ils étaient des concurrents à prendre au sérieux. Aomi observa la suite de leur démonstration avec un intérêt redoublé : postures basses, gestes lents et puissants, ils ne cherchaient pas à impressionner comme les Orgoïs mais le résultat était le même. Elle remarqua les nombreuses interactions qu’ils avaient en couple, composé d’un homme et d’une femme. Les deux genres étaient-ils sur un pied d’égalité dans cette culture, contrairement à la sienne ? Ils semblaient complémentaires, leurs mouvements se liant avec un équilibre gracieux.
Ils posèrent à nouveau les mains au sol et les multiples plantes colorées qu’ils avaient fait pousser au cours de leur danse fanèrent d’un coup pour se désagréger. C’était un geste fort : ils pouvaient donner la vie comme la retirer. Ils se levèrent et s’inclinèrent vers la tribune. Leur déesse leva les mains et agita les poignets où ses nombreux bracelets en perles de bois, de verre, et plumes s’entrechoquèrent. L’empereur l’imita et au lieu d’applaudir, l’assemblée répéta le geste.
— J’appelle maintenant les Fils de Lan !
Gracieux, les jeunes Thaelins rejoignirent à leur tour la piste. Ils se placèrent en un énorme cercle, le visage tourné vers l’extérieur. Leurs gestes étaient fluides, insaisissables, et presque joueurs. D’amples mouvements de bras, ils assemblaient l’air en une boule tourbillonnant au creux de leur main, de plus en plus grosse. C’était étrange de voir ces garçons à l’air si sérieux avoir une maîtrise aussi taquine, aussi légère et aussi inconsistante.
D’un seul coup, ils s’abaissèrent au sol, dans un mouvement étiré et souple. Ils projetèrent l’air en avant et reculèrent sans toucher le sol de quelques pas. Un jeu de passe-passe s’engagea : ils s’échangèrent leurs boules d’air, semblables à de petites tempêtes, alors qu’ils enchaînaient leurs mouvements, comme des jongleurs en pleine démonstration d’agilité. Puis, aussi brusques qu’un orage d’été, ils envoyèrent leur air par terre et se propulsèrent vers le haut. Aomi les observa avec étonnement évoluer sur des marches invisibles pour rejoindre le sable de l’arène. En même temps, ils arquèrent leur dos vers l’arrière, concentrèrent une énorme masse d’air entre leurs mains qu’ils envoyèrent en même temps dans le ciel. La grosse sphère d’air explosa en soulevant le sable de l’arène. Aomi se protégea les yeux juste à temps.
Le dieu du vent et de l’été fut aussitôt debout pour applaudir de tout son saoul et hurler ses félicitations. Ses Fils saluèrent avant de regagner à leur tour les gradins.
— Pour terminer, j’appelle les Filles de Laosha !
Aomi eut un sourire féroce et se leva, prête à en découdre.
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