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Assis devant la coiffeuse en acajou aux décors plaqués or de sa chambre luxueuse, son dieu regarda une fois de plus le reflet qu’ils partageaient. Lys ressentit cette extrême satisfaction comme si c’était la sienne. Après plusieurs années à se voir vieillir, son maître aimait son corps jeune et puissant qui lui permettait des prouesses.

J’aurais aimé t’avoir plus longtemps, mon petit Lys.

Soudain, une terrible douleur leur perça la poitrine et vrilla leurs tympans. Ce fut comme si quelque chose leur était arraché. Une quatrième fois. Ils hurlèrent et se recroquevillèrent. Des serviteurs pénétrèrent dans la chambre et le médecin fut appelé, des ordres furent criés, et l’ambiance s’alourdit de petites gens bourdonnant autour de leur maître.

— Assez.

La divinité éloigna d’un simple geste de la main les personnes insistantes qui le laissèrent reprendre une puissante inspiration.

— Annoncez au peuple que je prendrai la parole ce soir.

C’est le moment.

Oui, mon petit.

L’empereur n’avait plus fait d’intervention publique depuis très longtemps, et même la possession de son nouvel hôte n’avait pas été annoncée officiellement. Trop de choses à régler, trop de choses à penser, trop de choses à mettre en place pour ces futilités. Alors quand la nouvelle se répandit dans Urbaïs, beaucoup se réunirent sous le balcon du palais, de curiosité ou d'inquiétude. Aux heures vespérales, la foule bourdonnait et s’impatientait.

Pour l’occasion, ils avaient passé une longue tunique blanche, retenue par une ceinture dorée. Leurs cheveux étaient lâchés et tombaient jusqu’à leurs épaules en de belles boucles bien dessinées. Aucun maquillage. Selon son maître, le visage de Lys n’en avait aucunement besoin. Avec pour toute parure la beauté de la jeunesse, ils se levèrent de leur coiffeuse et tendirent la main pour accrocher l’épée de l’empereur à leur ceinture. Une épée lourde, loin de n’être qu’un instrument de cérémonie, dont la richesse n’avait d’égal que la dangerosité. Au fil des siècles, le dieu n’avait jamais voulu céder sur ce point : l’épée devait toujours être en parfait état.

Ils refusèrent la fourrure présentée par un serviteur. Le chambellan, un homme fidèle et observateur, les fixa d’un œil suspicieux.

— Pourquoi cette prise de parole ?

Ils ne répondirent rien, et le chambellan abandonna avant de s’incliner. D’un claquement de doigts, il appela l’héraldesse et lui ordonna d’annoncer l’empereur.

— Je vous prie de bien vouloir accueillir comme il se doit l’empereur Lys Ier.

Les applaudissements retentirent. Ils prirent une grande inspiration et d’un pas décidé, la lourde épée pendant à leur hanche, la tête haute ceinte du diadème d’or le plus simple qu’il soit, ils passèrent à leur tour la double-porte et posèrent le pied sur la pierre du balcon.

Les applaudissements cessèrent pour laisser place à des souffles estomaqués et des silences surpris : Lys était frappant de beauté.

Ils prirent leur temps pour regarder la foule amassée à leur pieds, Ils s’étendaient sur la place jusqu’à rendre invisible le moindre carré de pavé blanc. Derrière lui, le garde Chilam Fenrir prendre position. Le silence emplit leur profonde respiration.

— Peuple d’Urbaïs !

Sa voix profonde et chantante se répercuta contre les hauts bâtiments blancs.

— Bientôt, les nouvelles des quatre terres vous parviendront. Bientôt, vous saurez ce que j’ai appris dans mes chairs depuis maintenant quelques heures, mais je veux être le premier à vous le dire.

Les chuchotis se répandirent, mais ne parvinrent pas à couvrir le son des tourterelles qui volèrent en roucoulant au-dessus de la foule.

— Mes enfants ne foulent plus de leurs pieds le sol de cette terre.

Des souffles d’effroi furent poussés, et la rumeur enfla. Derrière eux, depuis la chambre, ils entendirent les mêmes réactions de la part du chambellan et des autres officiers impériaux. Un coup d’œil sur leur droite leur informa que Chilam s’était à son tour tendu.

— Le pacte que vos peuples ont passé avec eux n’ont donc plus lieu d’être. Bientôt, vos maîtrises, que vous soyez Orgoï…

Ils levèrent leur main droite dans laquelle une flamme brûla.

— Alayi...

La main gauche laissa une liane s’étendre.

— … Thaelin…

La flamme fut soufflée par une bourrasque violente.

— Ou Mushadin…

L’eau jaillit de leur paume.

— … vont disparaître.

L’incompréhension fut palpable dans les intonations, autant à leurs pieds que dans leur dos. Ils s’armèrent de leur épée et la pointèrent vers le soleil.

— Notre présence sur cette terre a trop duré. Mon dernier acte en tant qu’empereur de ces terres est de demander la clémence pour toutes celles et ceux qui ont travaillé dans l’ombre, pour moi, afin de construire un monde sans dieu. Un monde dans lequel vous aurez ce que j’ai toujours voulu pour vous : la liberté.

D’un coup, ils s’enfoncèrent la belle épée de cérémonie dans le ventre. Ils vomirent du sang sur les joyaux incrustés dans la garde de l’arme et tombèrent à genoux. Tout se brouilla. Des cris éclatèrent. Lys hurla. Son maître tenta de l’apaiser en s’accaparant la douleur, en le projetant au fond de leur conscience, mais Lys lutta pour rester.

Chilam venait de le rattraper De ses mains tremblantes, il tentait de retenir le sang qui s’échappait de la plaie. Lys posa la tête sur l’épaule du soldat.

— Pardon…, murmura Lys.

Alors qu’on aboyait des ordres à tout va, alors qu’on s’amassait autour d’eux, alors que des serviteurs empêchaient la foule d’en voir davantage, ils se sentirent partir.

Chilam le supplia de rester, de se battre. Lys savait que c’était inutile.

Un corps met longtemps à mourir, tu sais, mon petit Lys.

Lys ne répondit pas, n’ayant plus la force.

Si je te quitte maintenant, tout ira plus vite.

Ne me laissez pas. Pas maintenant.

On lui ordonna de rester tranquille, mais déjà son souffle s’apaisa dès qu’il croisa le regard de Chilam.

Ça y est, c’est bon.

Alors il sentit son maître partir et tout s’éteignit.