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tome 2, Chapitre 25 « Peon » tome 2, Chapitre 25

Ils coururent à en perdre haleine. Danaël se prit les pieds dans ses racines et s’écrasa à terre. L’énorme patte d’un loup géant s’écrasa sur sa poitrine.

— NON !

Peon lança une boule de feu dans la direction de l’animal mais celui-ci, habitué à l’entraînement de ses maîtres, broncha à peine. Son grondement s’accentua, profond et terrifiant. Danaël ferma les yeux, le visage entier crispé par la peur. Effrayé et en colère, Peon hurla, sortit un couteau et enflamma la lame, avant de le lancer dans la direction de la bête. Un carreau d’arbalète arrêta la course de l’arme.

— Ce loup vaut plus que ta vie.

De l’Orgoï. Peon serra la mâchoire alors que les femmes et les hommes en rouge les rejoignaient. Peon décompta rapidement le nombre de loups qui les accompagnaient : un pour chaque soldat. Pris de panique, il arma ses mains : deux belles flammes crépitèrent entre ses doigts.

— Un geste de ta part et j’ordonne à Kalon d’arracher la jolie tête de ton ami.

Le loup géant émit un nouveau grognement guttural. Danaël avait rouvert les yeux et cherchait ceux de Peon, sa respiration rendue difficile par le poids du loup appuyé sur sa cage thoracique. Un sentiment d’impuissance saisit Peon. Après une inspiration pour se calmer, le feu disparut de ses paumes.

— J’avais raison, : tu es si lâche que tu ne viens même pas affronter le jugement de notre maître de toi-même.

Cette voix…. Sèche de ne pas être usitée souvent, rocailleuse à force d’hurler des ordres… La voix de sa conscience lorsqu’elle lui martelait qu’il ne serait jamais assez bien. La silhouette qui se détacha des autres était celle qui hantait ses cauchemars de petit garçon. Haute et toute en muscles, Peon avait toujours marché dans son ombre.

Madder Krasny posa sur son petit-fils un regard chargé de dégoût.

— Et tu t’es lié avec un étranger ?

Peon leva le menton dans une attitude bravache. Pour Danaël, il devait chasser sa terreur par la colère, comme il l’avait toujours fait. La terreur le pétrifiait, la colère le forçait à agir.

— Comme ta fille. Tes gènes ne doivent pas être aussi bons que tu le crois s’ils nous poussent à aller voir ailleurs.

Il vit la veine palpiter au front de son grand-père, et une satisfaction malsaine embrasa sa fureur.

— Notre maître te punira.

La tête de Madder se tourna vers Danaël.

— Toi… et ton ami.

Le sang de Peon se glaça, et il serra les dents. Madder lança des ordres aux siens, et fir revenir son loup près de lui. Kalon libéra Danaël, mais aussitôt, il fut relevé par deux femmes, des cousines de Peon. Les yeux écarquillés, il respirait fort et Peon, le cœur brisé, tendit la main pour le toucher : il en fut empêché aussitôt. De colère, il donna un coup de coude à celui qui l’entravait, qui le punit aussitôt.

— Arrêtez ! hurla Danaël, la voix tremblante. Qu’est-ce qui se passe ?

— Toi venir avec nous, répondit Madder avec un accent à couper au couteau. Logowa.

Danaël lança à Peon un regard complètement horrifié.

Les mains menottées dans le dos, ils étaient impuissants. Pour ajouter au calvaire de Peon, Danaël fut écarté de lui.

— Ça vous dérange tant que ça que je sois près de lui ? Vous avez peur de quoi, qu’on réussisse à vous berner et à s’enfuir ? Vous êtes aussi peu doués que ça ?

La gifle de Madder s’écrasa contre sa joue et il fallut la poigne de ses deux gardiens pour qu’il ne valdingue pas. Danaël tenta de regarder par dessus son épaule, empêché par les deux femmes qui l’encadraient.

— Tu gaspilles toujours autant ton énergie. Tu es mon pire échec.

— Et ta fille ? Ah, j’oubliais : elle est morte quand tu as ordonné de ne pas la soigner, à ma naissance. Tu as expié tes fautes, c’est ça ?

Madder lui lança un regard froid et plein de ire.

— J’aurais dû te laisser mourir, toi aussi.

Avant que Peon ne puisse répondre, on le força à avancer en le bousculant. Ils traversèrent le bourg, sous les yeux ébahis des passants. Peon renâcla : du sang coulait de sa narine et de ses lèvres pour tacher le col en fourrure de son manteau. Le visage sale, les cheveux emmêlés, les yeux furieux, il devina sans peine le tableau qu’il inspirait.

Dès qu’ils s’approchèrent de la petite gare, Madder requisitionna le train qui allait partir. Tous s’empressèrent de lui obéir, et les wagons furent vidés. Danaël fut hissé sans ménagement, une grimace de douleur sur le visage. Son genou, devina Peon. Il aurait aimé avoir la capacité de Mala à projeter son esprit dans celui des autres, juste pour pouvoir dire à Danaël que tout irait bien. À son tour soulevé pour rejoindre le wagon, on le força à s’asseoir sur la banquette rouge et poussiéreuse. En diagonale, à l’extrême opposé de lui, Danaël lui envoya un regard affolé. Peon tenta un sourire pour le rassurer, mais sa bouche lui fit mal.

Gardé par deux Krasny, une grande femme au visage fermé et un petit homme trapu, il ne pouvait pas faire grand chose d’autre. Le loup géant couché entre les deux banquettes empêchait toute circulation.

Danaël remua pour soulager sa jambe douloureuse : aussitôt, le loup grogna.

— Si ton loup continue son manège avec mon ami, j’en ferai un manteau.

Madder Krasny, assis sur la banquette en face, haussa un sourcil broussailleux.

— Beaucoup de mots et peu d’actions.

— Détache-moi et tu verras si je ne tiens pas parole.

Son grand-père se pencha.

— Le maître t’as réclamé vivant. Estime-toi heureux que ce soit le cas, ou tu serais déjà mort.

— Des mots, répéta Peon.

Madder fit un geste de la main : l’un des gardiens de Danaël braqua sur la gorge du Thaelin un couteau de chasse. Le souffle du jeune homme devint erratique et ses yeux s’arrondirent de peur.

— Par contre, il n’a rien dit concernant ton ami.

Le cœur de Peon s’arrêta. Le feu grondait au creux de son ventre sans pouvoir en sortir. Il baissa la tête, et d’une voix faible, il s’entendit supplier :

— Laisse-le. S’il te plaît, laisse-le.

Madder s’adossa à la banquette, un sourire satisfait sous sa moustache épaisse.

— À la prochaine insolence, je l’égorge et je le brûle. Est-ce que c’est compris ?

Les mâchoires serrées, Peon acquiesça.

Au bout de quelques heures, le train arriva en gare de Logowa. Engoncé par l'immobilité, les poignets douloureux, Peon se remit debout difficilement. Le froid piqua ses joues. Danaël fut bousculé en dehors du train et tomba dans la neige. Peon se mordit les lèvres pour rattraper le flot d’insultes qui lui brûlaient la gorge. Avec sa jambe douloureuse et ses bras emprisonnés, les tentatives de Danaël pour se relever furent vaines. Le rire gras de la femme fusa, aussitôt immité par les autres. Des larmes d’impuissance et de rage piquèrent les yeux de Peon, et dans sa bouche se répandit un goût de sang.

— On n’est pas là pour jouer.

Madder redressa le Thaelin comme s’il ne pesait rien. Profitant de leur proximité, Peon frotta son épaule contre celle de son compagnon, provoquant chez lui un sourire qui lui fit chaud au cœur. Un coup s’abattit dans son dos, et la douleur le fit crier.

— Éloigne-toi.

Il obéit, les dents serrées. Les yeux écarquillés de peur, Danaël regardait tout autour d’eux, semblant chercher un moyen de les tirer ici.

Ça n’aurait pas dû se passer comme ça.

Peon avait plus d’une fois imaginé emmener Danaël sur les terres de son enfance, et lui montrer chaque recoin gravé dans ses souvenirs, comme le Thaelin l’avait fait avec lui à Halioès. Au lieu de ça, il revenait comme un paria, fatigué par la route et les nuits blanches, enchaîné par les siens, sali par l’habit qu’il avait rêvé de porter Ce fameux manteau écarlate qui faisait la fierté de son clan.

La gare n’était pas à Logowa même, non pas à cause des conditions climatiques ou des montagnes, mais parce que les clans n’en voulaient pas. Les Orgoïs estimaient qu’il fallait être digne pour se rendre dans la ville de leur dieu : il fallait donc parcourir les derniers kilomètres à pied. Alors que la neige se soulevait sous l’effet d’une tempête naissante, un jeune homme, pas plus vieux que Peon, s’approcha de Madder pour lui demander :

— Une tempête se prépare, est-ce que c’est bien judicieux de…

Madder l’interrompit.

— Le maître le veut au plus vite.

Si Peon n’avait pas peur pour Danaël, il aurait nargué son grand-père en disant : “C’est un maître du vent, il pourrait t’aider.” Il se contenta de le penser très fort, et de maudire son grand-père dans toutes les langues qu’il connaissait. Danaël lui avait appris beaucoup de jurons thaelins.

Ça aurait été utile qu’il m’apprenne autre chose. J’aurais pu lui demander comment il va et comprendre sa réponse.

— Dis-leur que c’est dangereux.

Évidemment, Danaël n’avait pas pu s’en empêcher.

— Ils le savent, mais mon grand-père est têtu.

— Ton grand-père ?

— Fermez-la. Toi, va chercher les mushers. On ira plus vite et on évitera le climax.

Le jeune homme se précipita vers la cahute qui longeait la voie de chemin de fer. À l’entrée, deux traîneaux et leurs chiens étaient attachés, disponibles pour tous ceux ayant les moyens de payer la traversée.

Deux mushers sortirent de la cabane, Olek Fenrir et Vidal Ioreik. Ils s’arrêtèrent net quand ils reconnurent Peon. Pour la première fois depuis que Peon connaissait Vidal, celui-ci resta silencieux. Mais c’était Olek qui accaparait toute son attention : les yeux écarquillés, il fixait Peon avec l’air de celui qui revoit ses ancêtres depuis longtemps inhumés. À leur dernier échange, ils s’étaient enlacés avec la certitude de ne plus se revoir. Il ne se souvenait même plus de la dernière lettre qu’il lui avait envoyée. Depuis, beaucoup trop de choses avaient changé.

— Toi, tu prends l’étranger, ordonna Madder à Vidal. Et toi, le traître à son sang.

Cela sortit Olek de sa stupeur. Peon baissa les yeux quand il approcha, et le laissa le mener à son attelage. Son ancien ami chuchota :

— Qu’est-ce que tu fiches ici ? Je croyais que tu étais mort !

— J’aurais préféré.

Olek fit remonter les peaux de bêtes sur les jambes de son passager et lui attacha le haut du corps au dos du traîneau. Les chiens piaffaient d’impatience.

— Et lui, qui c’est ?

— Danaël Hugwin. Il…

— Je sais. J’ai vu. Au moins, vous allez mourir ensemble.

Cette dernière phrase glaça Peon. Son ancien compagnon se plaça derrière son traîneau et, à l’ordre de Madder juché sur son loup géant, lança ses chiens.

Ils traversèrent des plaines recouvertes de neige et fouettées par des vents de plus en plus violents. Une bourrasque faillit renverser le traîneau de Vidal mais par miracle certainement appelé Danaël, il fut rééquilibré. Un jappement retentit dans le tumulte des éléments, et l’attelage d’Olek se stoppa violemment. Incapable de se rattraper, Peon fut projeté dans la neige avec le traîneau. Aussitôt, Vidal s’arrêta, confia la surveillance de ses chiens au Krasny le plus proche et seconda Olek pour remonter leur ancien ami. Peon reprit sa respiration, l’air glacé lui broyant la gorge.

— Sérieux, Krasny, t’aurais mieux fait de crever à Halioès, lui glissa Vidal. T’es pas prêt pour ce qui t’attend.

Peon eut un rire jaune.

— C’est pas toi qui disais que j’étais pire que de la mauvaise herbe ?

Un sourire faillit s’étendre sur les lèvres de Vidal, tout de suite éteint à l’approche de Madder.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il.

— Un des chiens d’Olek s’est blessé, répondit Vidal.

— Je pensais que les Fenrir étaient les meilleurs mushers des Terres de l’Ouest.

— C’est à ce titre que l’on nous écoute généralement lorsque nous disons que les conditions sont mauvaises, avança Olek avec un calme que Peon lui enviait.

Madder haussa les sourcils, mais avant qu’il n’ouvre la bouche, Vidal intervint :

— Il va nous falloir quelques minutes pour régler le problème.

— Faîtes vite, le maître nous attend.

Avec stupeur, Peon regarda la silhouette rouge de son grand-père s’éloigner. Malgré l’intensité des éléments, les loups géants des Krasny restaient fiers et droits, portant leur cavalier comme s’ils ne pesaient rien. Vidal se pencha vers Olek pour tenir son chien alors qu’il lui bandait la patte. Peon parvint à entendre leur conversation.

Pukra, si on se fait griller maintenant, je te jure que…

— Pardon, lâcha Olek. J’ai jamais pu le supporter.

— On a besoin de toi, et pas question que tu te fasses arrêter par Madder Krasny pour insolence, alors maîtrise-toi.

Vidal lui frappa l’épaule d’une grande claque et rejoignit son attelage. Olek revint à sa place, derrière Peon, et ils lancèrent de nouveaux leurs chiens. Peon pencha la tête pour pouvoir mieux voir son ancien ami.

— Tu…

— Tais-toi. Pour ta sécurité comme pour la mienne, tais-toi.

— Je vais mourir, de toute façon.

— Ton compagnon est toujours là, que je sache.

La main d’Olek se pressa quelques secondes sur son épaule, avant de reprendre les rênes. Peon ferma les yeux, et se mit à espérer.

Les traîneaux glissèrent sur les derniers mètres de neige avant la grande palissade marquant l’entrée de Logowa. Les gardes ouvrirent les portes à l’approche de Madder Krasny.

Il pressa Vidal et Olek de relever les prisonniers, et les attrapa chacun par le bras. Peon retint un grognement de douleur entre ses dents : la poigne de son grand-père n’avait pas faibli. Il lança une œillade vers Danaël : son compagnon boîtait. Peon dut se mordre à nouveau pour s’empêcher d’insulter Madder.

Ils traversèrent Logowales badauds s’attroupaient, défiant ainsi ce qu’on interdisait à tout Orgoï en âge de marcher : sortir dehors en pleine tempête. Peon regardait encore tout autour de lui : les gens et leur constitution solide, le teint brun et les cheveux foncés, les maisons de bois colorées, certaines de plein pied et d’autres accrochées aux arbres, la neige, partout, tombant sur la terre battue, sur les toits, dans le vent, dans les branches, sur les aiguilles des conifères. C’était chez lui, sans plus vraiment l’être. Il garda les yeux fixés devant lui, refusant de croiser le regard de quiconque, se montrant fier pour ne pas dégueuler sa peur.

Car elle était là, battant dans ses tempes, vrillant ses nerfs, abondant ses veines et tordant son ventre. Il crevait de peur parce qu’à présent, il avait quelque chose à perdre.

Peon savait où son grand-père les amenait : le rocher de Heimfal, là où il rendait justice. Là où il avait posé le pied sur terre la première fois, s’incarnant dans un jeune chasseur de loups. Un Krasny. Madder n’avait aucun mal à se faire un chemin : sa simple présence aurait déplacé les montagnes même. Là, sur ce foutu rocher devant lequel Peon avait assisté à tant d’exécutions, s’avançait Waal. Grand et robuste, terrifiant de magnificence et les traits tirés par un mélange de dégoût et de haine, il brisa le cercle de curieux pour s’approcher d’eux de sa démarche virile et solide. Le vent n’avait pas d’emprise sur lui. Peon affronta son regard. Il fronça les sourcils et inclina légèrement la tête.

Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que je vois ?

Là, au fond des yeux du dieu, Peon reconnut la peur, une peur aussi viscérale que la sienne, horriblement humaine.

Il sait ce qu’on a fait aux autres. Il m’a recherché parce qu’il veut avoir le contrôle et maîtriser sa peur.

Un sourire insolent et provocateur fleurit sur les lèvres de Peon. Il vit le torse de Waal se lever et se rabattre avec lenteur, sous ses fourrures, tandis que sa bouche se crispa en une grimace.

— Merci, Madder.

Sa voix avait quelque chose de plus profond et caverneux que dans le souvenir de Peon, comme si elle avait mille ans. Le chef des Krasny salua son maître et recula de deux pas.

— Voici le traître à son sang et l’étranger qui l’accompagnait.

Waal s’avança vers Danaël, sous le regard de Peon qui ne put empêcher un grognement de colère de s’échapper de sa gorge.

— Pas n’importe quel étranger, susurra le dieu dans la langue commune, mais le mêlé qui a tué mon frère.

Sa main énorme et puissante s’empara de la gorge du Thaelin, qui suffoca. Peon hurla et se rua vers eux :

— Lâchez-le !

Tout en continuant d’étrangler Danaël, Waal se tourna vers Peon qui, de coups d’épaule maladroits et impuissants, essayait de faire lâcher prise au dieu.

— Pour qui te prends-tu à me donner des ordres ?

— Pour quelqu’un qui n’a pas peur, contrairement à vous, mentit-il. Pourquoi nous garder menottés ?

Waal lâcha Danaël pour envoyer à Peon une gifle magistrale qui le fit s’écrouler à terre. Les acclamations de la foule battirent leur plein. Peon cracha un glaviot de sang qui empourpra la neige.

— Vous voyez ? C’est simple, de mettre à terre un ennemi entravé alors qu’on ne l’est pas.

Waal l’attrapa par le col et le souleva du sol avec bestialité.

— Insinuerais-tu que je suis un lâche ?

Les lèvres rouges et brillantes de Peon s’étirèrent en un sourire sanglant.

— Une action vaut mille mots, mon seigneur.

Waal le jeta à terre une nouvelle fois, le froid de la neige trempa et glaça Peon. Le garçon sentit la main chaude et brute de Waal lui arracher les menottes. Jusqu’alors ignorée, la douleur et la raideur des bras de Peon se manifestèrent avec violence. Il se détendit les épaules et se massa les poignets. Waal attrapa Danaël par le coude et le propulsa vers Madder.

— Entre toi et moi, gamin.

Peon revela le menton. La neige sembla se calmer, et les vents furent moins rigoureux l’espace d’un instant. Waal leva les bras et un cercle de feu les entoura.

Tu dois être seul avec lui, il faut que personne ne se trouve dans un rayon de dix mètres autour de lui.

Peon calcula rapidement le rayon du cercle de feu : la première condition était remplie. Il expira.

C’est le seul moyen. Tu dois le faire.

Waal claqua des doigts : une flamme naquit sur la neige, la fit fondre et courut vers Peon, qui l’évita de justesse. Derrière lui, un cratère se forma.

— Je t’offre une mort rapide.

— Je n’en veux pas.

Peon attira les flocons de neige qui tombaient encore autour d’eux, plus épars, pour amoindrir la flamme qui gagnait en puissance autour d’eux. Waal éclata de rire.

— Tu n’as jamais eu la franchise nécessaire pour manier le feu correctement. Tu n’es pas un vrai Orgoï.

Quelques mois plus tôt, ces mots l’auraient mis à terre. Plus maintenant. Il solidifia la neige autour de leurs pieds.

— Je suis bien plus qu’un Orgoï. Et c’est ce qui vous fait peur.

— Tu ne me fais pas peur, gamin.

Waal fit fondre la neige de leur cercle. L’eau se mélangea avec la terre battue du sol pour former une espèce de boue informe.

— Viens te battre !

Peon leva à temps le bras pour éviter un jet de flamme. Ils se mirent à tourner l’un autour de l’autre.

— Si vous n’avez pas peur, pourquoi voulez-vous me tuer aussi vite ? Je représente un danger… Vous l’admettez. Vous ne voulez pas faire la même erreur que vos frère et sœurs.

Peon avait lancé cette dernière pique comme un pari.

— Mais vous êtes trop fier pour ordonner ma mort : vous devez me la donner vous-même.

La voix de Danaël, dans un coin de sa mémoire, se manifesta.

On devra faire gaffe, ils ont un lien, tous les quatre, qui leur permet de sentir l’existence des autres. Une fois qu’on commencera à les abattre, ils sentiront qu’il y a un problème. Le dernier devra être plus vigilant.

Le visage de Waal se crispa. Peon sourit. Le dieu lui envoya une autre boule de feu et avança vers lui.

— Tu as tort de penser que tu peux réussir !

Peon assécha la boue en rassemblant l’eau nécessaire à lever un bouclier de glace.

Le feu s’éteignit contre l’épaisse paroi. Lorsque Waal fut assez proche, la glace qu’il explosa en de minuscules morceaux tranchants. Déstabilisé, Waal recula, mais fut touché. Le sang perla de par les multiples coupures dont il fut victime. Il rit.

— Tu crois que c’est un tour de passe-passe pareil qui va te faire gagner ?

Peon ne répondit rien et se contenta de sourire. La glace aux pieds du dieu s’était de nouveau solidifiée et l’empêcha de se mouvoir. Waal grogna, convoqua son feu pour la faire fondre, mais d’un seul coup Peon la brisa en une énorme vague. Déséquilibré, Waal tomba. L’eau le charria jusqu’au cratère profond de quelques mètres qu’il avait lui-même creusé plus tôt. Avant qu’il ne puisse se relever, Peon glaça de nouveau l’eau et Waal fut prisonnier. Il dut lutter pour garder la consistance de la glace pour résister au feu du dieu. Le cercle de feu finit par s’atténuer jusqu’à s’éteindre. Éreinté, Peon s’écroula dans un mélange de boue et de cendres, la neige fondant contre sa peau brûlante.

Il entendit son prénom, hurlé dans un cri.

Danaël. Danaël.

Il se releva, sous les yeux éberlués de la foule, sous le regard estomaqué de son grand-père.

— Qu’as-tu fait ? éructa Madder

Peon ne répondit pas. Il s’avança vers lui, leva le bras, convoqua une boule d’eau, la transforma en glace, et l’envoya dans la gorge de son grand-père. L’effroi s’empara de la foule, qui s’écarta en hurlant. La tempête mugit de nouveau, puissante, enragée, les giflant de flocons et de grêle. Peon en amassa dans sa main, créant une épaisse et menaçante congère au creux de sa paume.

— J’ai tué le dieu. J’ai tué Madder Krasny. Et si vous ne nous laissez pas partir, vous serez les prochains.

— Peon…

— Ça va. Je te détache, et on part.

— Dans la tempête ?

— Tu es maître du vent, non ?

De sa main libre, Peon retira les menottes de Danaël. Son compagnon se frotta les poignets à son tour. Autour d’eux, un large espace était laissé vide, comme lorsqu’on observait un animal sauvage. La congère de Peon grossit, de même que sa colère.

— Rentrez chez vous ! hurla-t-il en orgoï.

La foule ne se dispersa que lorsque Danaël leva le bras pour concentrer les vents autour d’eux. Peon joignit sa paume à la sienne, des éclats de glace furent projetés tout autour d’eux. Des cris d’effroi et d’horreur résonnèrent dans la tempête. Ce fut le dernier souvenir que Peon garda de Logowa avant de s’évanouir.


Texte publié par Codan, 4 novembre 2023 à 11h31
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