Une fois sortis de la ville, ils maintenirent l’énorme flamme bleue, avant de courir. Des ordres en orgoï furent lancés derrière eux, Peon jura, le poussa à accélérer. Ils rejoignirent un petit bois, à l’intérieur duquel Peon trouva un arbre, bien haut, et incita Danaël à grimper. Danaël obéit avec difficulté, mû par l’adrénaline, aidé par son compagnon. Il le rejoignit juste à temps : les hommes en cape rouge débarquaient sous leurs pieds. Ils étaient assez hauts pour que les branches des sapins les couvrent, et Peon savait que le respect que les siens avaient pour la forêt les empêcherait de viser un arbre au hasard.
Ils finirent par s’éloigner en s’échangeant des paroles que Danaël ne comprit pas. Il leva les yeux vers Peon, qui lui fit signe d’attendre. Quand leurs voix furent plus lointaines, Peon lui traduisit :
— Ils vont faire une battue.
— Quoi ?
— Tourne-toi, je dois choper un truc dans le sac…
Danaël pivota juste assez pour que Peon puisse farfouiller dans son sac à dos. Il en sortit un baume exhalant une forte odeur de mousse.
— Badigeonne-toi le cou et le front avec, ça devrait faire l’affaire.
— Comment je fais ? Je me casse la figure ?
Peon roula des yeux et, avec une agilité dont il n’avait encore jamais fait preuve, détacha ses deux mains du tronc pour rester en équilibre avec ses jambes, enroulées autour de sa branche. Au contraire de Danaël, qui s’accrochait à l’arbre avec la force du désespoir, et qui n’osait plus bouger. Les doigts de Peon s’engouffrèrent sous son épaisse écharpe et y étalèrent la pâte froide et odorante.
— Au cas où ils appellent les loups, lui dit-il. Ça devrait perturber leur odorat.
Des loups ?
— C’est pas une blague, chuchota Danaël, vous…
Peon lui fit signe de se taire, mais le Thaelin ne put s’empêcher d’ajouter :
— Et nos vêtements ? On vient de suer dedans.
— J’ai pas dit que c’était une solution infaillible.
La nuit fut longue, mais au final, leurs poursuivants n’avaient pas de loup. Danaël n’osait plus respirer normalement, Peon, lui, se tendait à chaque bruit. Petit à petit, les Krasny balayaient le bois en s’éloignant de leur arbre, mais cela ne rassurait pas les garçons. Ils étaient immobiles, sur le qui-vive depuis des heures. Danaël ne sentait plus ses muscles. Il ne sentait plus que la peur parcourir chaque veine et imprégner chaque cellule.
Au premières lueurs de l’aube, Peon s’adossa au tronc. Ils n’avaient pas entendu de présence depuis des heures.
— On fait quoi, maintenant ? chuchota Danaël en scrutant les alentours.
— J’en ai aucune idée…
Danaël exposa ses réflexions.
— Waal est au courant. C’est le dernier encore en vie, et il n’est pas du genre à se laisser faire…
Peon acquiesça. Il ferma les yeux.
— C’était bien des gens de ton clan, non ?
Peon acquiesça.
— Ils n’auraient pas dû être aussi proches, d’après mes calculs…
— Il y a des Krasny partout. Le rôle de mon clan est d’assurer le maintien de l’ordre sur toutes les Terres de l’Ouest, alors des capes rouges, t’en trouveras à chaque coin de rue orgoïe.
— Alors on ne pourra plus faire un pas sans se faire arrêter ?
— Ouais. Et attends, t’as pas vu la cavalerie lourde. La branche principale du clan. C’est de eux, dont on parlait, c’est eux que Waal nous a envoyé aux fesses. Maintenant qu’ils ont l’info qu’on est dans le coin, ils vont se pointer fissa.
Danaël se rendit compte que sous les paupières fermées de Peon, derrière la barrière de ses longs cils noirs, des larmes coulaient. Avec précaution, il s’approcha de lui, attrapa sa main et l’embrassa.
— Je suis là, chuchota-t-il.
— Ils ne nous lâcheront pas, souffla Peon.
— Moi non plus, je ne te lâcherai pas.
Danaël retrouva les pages où sa carte des Quatre Terres était dessinée, Peon le regarda avec un mélange d’admiration et de fatigue.
— On en aurait eu besoin, quand je te traînais dans tous les territoires de l’Est pour…
— Je sais, coupa Danaël, pardon.
Il l’avait recopié quand il faisait ses recherches, au Haut Monastère, et comme plein de choses dans son carnet, il ne s’en était jamais resservi. Peon tapota son dos, puis analysa la carte.
— C’est à l’échelle, en plus ?
— Bien sûr.
— Pukra, jura Peon. T’es…
— Pendant que tu grimpes aux arbres, moi je fais ça, on a tous nos passe-temps.
— Te vexe pas, je trouve ça cool. Si j’avais su que t’avais ça sur toi, j’aurais moins galéré.
Danaël sourit.
— Tu t’es bien débrouillé.
— Mon sens de l’improvisation et ta capacité à engranger des informations sont complémentaires, je me serais grave mieux débrouillé avec ton carnet. Je parie aussi que t’as listé des trucs improbables, du genre les conditions climatiques de tel endroit où t’as jamais mis les pieds. Ou des recettes de bouffe alors que t’as jamais vu les ingrédients de ta vie.
Danaël ne dit rien, mais il avait en effet des tonnes de choses dans ce genre dans ce carnet.
— J’ai perdu ma boussole quand on courrait…
Peon haussa les sourcils.
— Je suis un Orgoï, je n’ai pas besoin de ces trucs.
— Alors, faut qu’on aille vers le Nord-Est. On ne pourra pas s’arrêter sur les villages, vu que y’a des Krasny partout, mais on pourra au moins s’éloigner d’ici…
— Attends, les Krasny pensent qu’on va vers Logowa, non ? Si on partait dans l’autre sens ?
Danaël fronça les sourcils et mordilla l’ongle de son pouce.
— Peut-être, mais si on nous reconnaît, ils vont rappliquer.
Peon attrapa le carnet.
— Y’a pas un endroit où on peut se planquer un moment, le temps que ça se tasse ?
Danaël indiqua un endroit du doigt : pas très loin d’Urbaïs, à côté d’un village de campagne où coulait un affluent du fleuve Thanaïs.
— Climat plutôt tempéré, de l’eau en abondance, des fermes éparpillées donc plus de possibilité pour qu’on chaparde un peu de nourriture sans qu’ils ne s’en rendent compte. Peut-être qu’on pourra squatter une étable pendant les nuits trop froides. Et là, un petit bois, donc on pourra se cacher.
— Avec chance, y’a un peu de gibier…
Peon lui rendit le carnet, regarda le soleil et mesura avec ses mains la distance qui le séparait du sol. Il pointa une direction.
— C’est par-là. Si tu veux toujours me suivre. Si tu veux retourner à Adeyabo, c’est…
— Dis pas d’absurdité. Allez, on y va.
Peon n’avait aucune difficulté à les guider dans la bonne direction. Danaël comprit que se repérer en pleine nature était la base de l’éducation orgoïe, de même que la piste, la chasse, et toutes les techniques pour survivre dans des conditions hostiles. Pour Danaël qui n’avait jamais mis un pied en-dehors du Haut Monastère, ces capacités étaient impressionnantes.
Vers le milieu de la journée, il réclama une pause. Peon, lui, ne semblait pas fatigué. Le Thaelin s’assit à même le sol, et but quelques gorgées de la précieuse potion que Mala lui avait préparée, stockée dans une gourde accrochée à sa ceinture. Peon resta debout, aux aguets.
— Comment tu fais ? lui demanda Danaël en massant sa jambe douloureuse.
L’Orgoï observa son geste, fronça des sourcils et s’accroupit à ses côtés. Danaël retint sa respiration quand la main de son compagnon se glissa jusqu’à sa nuque, le pouce caressant le derrière de son oreille.
— De quoi ?
Son souffle tiède réchauffa les lèvres froides de Danaël.
— Pour ne pas être crevé.
— J’ai appris. Toi, t’as bien appris à dessiner des cartes à l’échelle et à te retrouver dans un bordel sans nom de papiers.
Il s’avança vers Danaël, qui ferma les yeux et accueillit le contact. À mesure que leurs lèvres dansaient les unes contre les autres, Danaël ressentit le feu de Peon se répandre dans ses veines, chaud, rassurant et vivifiant. Ça agaçait Danaël d’avoir besoin de ces échanges d’énergies : il avait l’impression d’être une charge pour son compagnon. Cette fois, quand Peon se retira, il papillonna des yeux.
— Ça va ? s'inquiéta Danaël, une pointe de culpabilité dans la voix.
Peon acquiesça.
— Un petit mal de crâne.
Danaël lui attrapa le menton.
— Dose, il t’en faut aussi pour toi, idiot.
Il l’embrassa à nouveau, lâchant sa propre énergie comme on s’abandonne à la brise. Il sentit Peon soupirer avant de dévier ses baisers dans son cou et d’enfouir son nez dans le col épais de son manteau.
— Ça va mieux ?
— Merci, souffla Peon.
— Tu devrais me le dire, quand ça va pas.
Le ricanement de Peon fut étouffé par la fourrure qui doublait le col de Danaël.
— C’est pas vraiment dans mes habitudes.
— Parce que crapahuter dans la nature à me geler les fesses à cause de votre hiver orgoï pourri, tu crois que c’est dans mes habitudes ?
Peon s’éloigna juste assez pour pouvoir le regarder. Danaël trouva dans ses yeux une tendresse qui adoucissait ses traits et le rendait d’autant plus attirant.
— T’as changé, depuis qu’on se connaît.
— Je ne suis pas le seul, rétorqua Danaël.
Puis, alors que Peon pressait son front contre le sien, Danaël chuchota :
— Je sais que tu fais des cauchemars, mais tu ne me dis rien.
— Je ne veux pas ajouter mes soucis aux tiens.
— On partage notre énergie et plus encore… alors c’est pas ça qui va me déranger.
Peon émit un petit rire, de ceux que Danaël parvenait de plus en plus à arracher et qui faisaient sa fierté.
— On reprend la route, et si tu veux, je te raconte.
Ils se remirent en marche tout en grignotant quelques provisions données par les Alayis — des sortes de pains de maïs fourré de haricots, de courges et de tomates. Peon racontait ce qui l’agitait, mais son récit était parsemés de nombreux silences durant lesquels il évitait de regarder Danaël. Danaël l’écouta mettre des mots sur des images qui le hantaient, il prêta attention à chacune de ses inspirations, de ses hésitations.
La majorité de ses rêves concernaient Waal, ce qui pourrait lui arriver si le dieu croisait son chemin. Les décors se mélangeaient entre le palais du maître de l’hiver, à Urbaïs, Logowa, les événements d’Halioès, et même la forêt d’Adeyabo qui prenait feu comme le palais de Laosha. L’inconscient de Peon prenait tout ce qui arrivait à son esprit pour créer les pires pièces dans le théâtre de ses nuits.
— Et puis maintenant, y’a toi. Depuis que je t’ai retrouvé, c’est pire. Tu finis toujours par mourir, et je peux rien y faire.
Danaël attrapa sa main et la serra.
— Je ne me laisserai pas faire, tu sais. J’ai… j’ai abattu un dieu.
— Waal n’a rien à voir avec Lan. Lan te sous-estimait et ne faisait pas attention. Waal est un combattant, et vu ce qui est arrivé à sa fratrie, il est méfiant. Il ne commettra pas cette erreur.
— On va se débrouil…
Des éclats de voix les firent pivoter. Les yeux de Danaël s'écartèrent alors qu'il prenait conscience de ce qui arrivait vers eux.
— Cours ! hurla Peon.
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