— Votre Majesté, la femme que vous avez fait appeler…
Ils ouvrirent les paupières et sourirent avec douceur à leur chambellan. L’homme ne montra rien, mais Lys et son maître perçurent la méfiance qui mouchetait son regard.
— Installez-la dans le petit salon, au rez-de-chaussée. Merci beaucoup.
Le chambellan courba le cou et referma la porte. Ils réorganisèrent leurs notes éparses. Des rapports qu’ils avaient demandés, et dans lesquels ils se plongeaient pour chercher une trace. Lys, ayant été au cœur de l’action pendant des années, supportait mal de ne pas prendre une part active aux recherches. Son maître, inquiet de la tournure des événements, devait s’occuper pour ne pas tourner en rond.
Nous avons été trop vite. Nous aurions dû le prévoir. Nous n’avons pas assez travaillé avec Peon.
Il n’avait pas été à Logowa. Pendant plusieurs jours, ils avaient perdu sa trace, pour la retrouver peu après la chute d’Halioès. Et voilà quelques jours que la Famille d’Adeyabo les informait que Peon était en route pour Logowa. Avec Danaël.
Allait-il remplir sa mission, ou…?
Waal. Il ne manque plus que Waal. Et tout sera terminé .
Ils se levèrent avec grâce pour se rendre dans le petit salon. Sur leur passage, on les salua avec révérence, un sourire charmé aux lèvres. Le chambellan et les servants autour de lui s’effacèrent lorsqu’il entra dans la pièce où l’attendait son invitée.
Assise en tailleur sur un coussin de sol mushadin, les mains ridées et cassés par l’arthrite autour d’une tasse thaeline et les coudes installés sur une table basse alayie, la femme qu’ils avaient appelée était là, dans son attirail de tissus chamarrés et de bijoux tintinnabulant à chacun de ses mouvements. Elle leva la tête et posa sur eux un regard blanc aveugle.
— Bonjour, mon petit Lys, dit-elle de sa voix enrayée par les années. Bonjour, Majesté.
Bien sûr qu’elle savait qu’il était encore là. Son esprit percevait le sien, même dissimulé par celui de son maître. Elle l’avait élevé, et saurait le reconnaître sous tous les déguisements.
— Bonjour, Zaya. Nous sommes ravis de te revoir.
— Tu veux des nouvelles ? Pourquoi ne demandes-tu pas directement à Cathan, mon petit ? Pourquoi me faire venir ici ? Les gens ont cru que je me faisais arrêter…
Ils s’installèrent en face d’elle et posèrent leurs mains avec précaution sur les siennes. Avec délicatesse, la Divinité supérieure lui laissa la place sur l’avant-scène.
—Tu me manquais, dit Lys. Et je ne peux plus venir te voir.
Zaya sourit.
— Il fallait y penser avant de donner ton corps au parent des dieux, railla Zaya.
Il rit avec elle. Elle posa la tasse un peu plus loin puis caressa les mains de Lys, avec cette douceur maternelle qu’elle avait toujours eue.
— Peon a été retrouvé, tu le sais ? lui dit-elle.
— Oui, il est en route pour Logowa.
— Pour Logowa, je ne sais pas, mais hier soir, il a été aperçu avec Danaël à Karnat, à la frontière avec les Terres de Sylve. Ils ont failli se faire arrêter par les Krasny, mais ils s’en sont tirés et ont disparu.
Lys arrêta de respirer avant d'articuler difficilement sa question.
— Comment ?
— Les gens de là-bas ont vu la plus haute et énorme flamme bleue de leur vie. Je n’ai plus de nouvelle. Personne de la Famille n’en a.
Ils sont encore partis, glissa son maître.
— Ils vont peut-être reparaître dans un village voisin...
— Qu’ils aillent vers Logowa ou ailleurs, les Krasny sont sur leurs traces maintenant.
Cela fait des semaines que Waal le cherche, bien sûr qu’il a lancé sa meilleure milice après lui !
— Il faut qu’on le retrouve avant eux. Il faut qu’on le protège pour qu’il accomplisse sa mission dans les meilleures conditions.
Zaya soupira.
— Comme Aomi ? Comme Danaël ? Ou comme Mala ?
— La liberté implique des sacrifices, Zaya.
La vieille dame ne répondit rien. Elle tapota les mains de Lys, la douleur l’empêchant de les serrer avec la force de l’amour qu’elle éprouvait pour lui.
— Je le sais depuis longtemps.
Elle amena les mains de Lys à sa bouche et les embrassa.
— Je me rappelle encore le temps où tu étais assez petit pour venir te cacher dans ma roulotte.
— Tu te rappelles de tout, Zaya.
Elle ne répondit rien. Un sourire triste et nostalgique étendit ses lèvres ridées. Alors, parce qu’il en avait autant besoin qu’elle, il oralisa tous les souvenirs qui coloraient sa mémoire, les rires qui parsemaient son passé, les histoires qui l’avaient forgé. Ensemble, ils firent revivre les fantômes depuis longtemps disparus, et pour lesquels, pourtant, ils s’étaient battus toutes leurs vies. Et pendant quelques instants, ils oublièrent l’avenir pour se plonger dans le réconfort du passé.
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