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tome 2, Chapitre 19 « Lys » tome 2, Chapitre 19

— Tu es magnifique, ça ne gâche rien.

Encore un souvenir, remonté à la surface par l’esprit de son maître pendant son sommeil. Lys se revit plus jeune, devant son maître. Maëlan était encore jeune et beau, son incarnation n’était pas encore fatiguée d’être habitée. Dans ses tissus chamarrés et précieux, il n’avait pas l’air à sa place : les geôles dans lesquelles Lysandre - non, Lys - avait été enfermé étaient sombres, humides et puantes. Obéissant à l’empereur, les gardes les avaient laissés seuls.

— Mais je ne t’ai pas choisi pour ça.

Lys lutta pour rester immobile. Son maître lui attrapa les poignets et lui joignit les mains.

— Montre-moi ton air.

Lys se refusa. Il se rappelait ce qu’on avait fait aux siens, dès qu’ils montraient leurs maîtrises.

— Si tu as quelqu’un à qui faire confiance, Lys, c’est moi. Je peux te protéger contre l’armée de mon fils, je peux protéger les tiens. Cathan, Zaya, Liako, Faëki et les autres. Et même Chilam.

Lys ouvrit de grands yeux. Personne ne savait, pour Chilam. C’était son secret le mieux gardé. Il vivait chacune de ses rencontres avec le jeune soldat comme des instants en dehors du temps, fragiles et précieux, et refusait de partager ces bonheurs avec quelqu’un qui risquait de tout gâcher. De lui rappeler qui il était.

— Non, je te promets que je ne leur ferais aucun mal.

— Vous lisez mes pensées ?

— Je peux t’apprendre à faire de même. J’ai besoin de toi, Lys.

La méfiance de Lys s’effrita et, après de longues minutes de silence, il convoqua son air, sans aucun geste : un courant d’air s’engouffra dans les longs cheveux blonds de Maëlan. Celui-ci esquissa un large sourire.

— Fascinant !! Et les autres ? Tu parviens à les maîtriser aussi bien ?

— Je… J’ai un peu de mal avec l’eau…

— Nous allons trouver quelqu’un pour t’apprendre, pas de souci. Après, nous nous occuperons de ta maîtrise astrale.

— Et pourquoi ?

Maëlan caressa la ligne de sa mâchoire, attrapa son menton et releva le visage de Lys. Dans ses yeux brillait une flamme d’espoir, chaude et envoûtante.

— Tu es le seul que j’ai pu trouver avec les quatre maîtrises. Tu es le seul qui puisse me permettre de vous libérer, tous.

Malgré leur impatience, ils restèrent immobiles pendant qu’une servante paraît leur chevelure d’un mince filet d’or. Elle réajusta du bout des doigts la perle blanche à son front, contrastant avec la teinte de leur peau, et admira son travail dans le miroir.

— Votre nouvelle incarnation est de toute beauté, Sire.

Lys sentit son visage sourire alors qu’il avait juste envie de grimacer. Avant que son dieu ne prenne possession de son corps, sa beauté était davantage objet de méfiance que de fierté.

Elle a raison, tu sais. Même sans moi, tu émettais un magnétisme envoûtant.

Ce n’est pas pour cette raison que vous m’avez choisi, mais c’est ce qu’ils pensent tous.

Ils ne sont pas aussi pragmatiques que nous.

Lys s’était attendu à mourir, tout simplement, happé par la conscience de son maître et se fondant en lui, mais depuis maintenant plusieurs semaines, il restait là, dans le fond de son être, à voir et entendre. Le dieu lui parlait aussi souvent qu’avant et lui demandait son conseil, comme s’ils étaient encore deux corps séparés. Souvent ils n’avaient pas besoin de s’exprimer pour se faire comprendre. C’était étrange, mais Lys en était devenu coutumier.

Avant que la servante n’atteigne la porte, ils la retinrent :

— Veuillez demander au soldat en poste devant l’entrée de nous rejoindre, s’il vous plaît.

Le dieu avait cette habitude de toujours formuler ses ordres comme s’ils étaient des prières, emballés dans une politesse dont il aurait pu se dispenser grâce à son rang. Cela faisait partie de lui, et avec la voix de miel de Lys pour les formuler, cela en devenait plus efficace. Une main de fer dans un gant de velours.

Chilam Fenrir passa la porte avec une déférence presque timide, se courbant aussitôt en évitant le regard de son maître. L’amour qu’éprouvait encore Lys pour lui secoua le cœur qu’il partageait avec la divinité.

Cela fait longtemps que je n’avais pas ressenti tout cela.

C’était aussi pour cette raison que Lys avait été choisi.

— Approche.

Le soldat s’exécuta. Ils se levèrent de leur fauteuil en velours bleu pour être à sa hauteur et caressèrent la mâchoire de Chilam qui ferma les yeux en frissonnant.

— Il semble que mon hôte te voue encore une affection si profonde que j’en viens à la partager.

Ils l’embrassèrent. C’était différent des baisers que Lys avait échangés avec son maître : loin de ce besoin d’acquérir de l’énergie, la divinité embrassait Chilam pour le simple plaisir d’avoir ses lèvres contre les leurs. Si le soldat ne réagit pas les premières secondes, il lui répondit bientôt avec une passion pressante.

Profites-en.

Et d’un seul coup, Lys fut aux commandes de son corps : c’était ses mains à lui qui accrochaient les épaules de Chilam, son cœur qui s’emballait, ses reins qui s’embrasaient quand Chilam y passa ses bras pour le serrer contre lui, sa gorge qui émit un soupir satisfait. L’énergie d’Orgoï enflammée de Chilam lui brûla la gorge. Il se donna à corps perdu.

Quand le baiser cessa, ils se regardèrent de longues secondes. Il sembla à Lys que Chilam le reconnut, avant de presser son front contre le sien. Puis, petit à petit, la divinité reprit le contrôle de leur corps. Chilam dut s’en rendre compte, car il se détacha de lui comme s’il s’était brûlé. Loin de s’en formaliser, la divinité demanda :

— As-tu des nouvelles à me rapporter ?

Chilam Fenrir n’était pas uniquement soldat de l’armée impériale, il avait aussi beaucoup de connexions avec l’armée de Waal, chargée par leur dieu de chasser les mêlés. C’était pour cela que Lys l’avait choisi : il était l’ennemi par excellence de La Famille.

— Votre fils Lan est mort la nuit dernière. Il n’a pas pu se réincarner.

Le dieu était au courant : une douleur l’avait assailli, comme pour la mort de chacune de ses filles. La connexion qu’il y avait entre les divinités s’était rompue, signe qu’elles n’étaient plus sur le même plan terrestre.

— Sa mort a entraîné la destruction d’Halioès, la Ville-Falaise.

— Il fallait s’y attendre, c’est sa magie qui maintenait la ville en place.

— Les tremblements de terre se sont propagés bien avant la chute du dieu.

Danaël, pensa Lys. Il avait joué de sa maîtrise de la terre. Parfait.

— Et le responsable ?

Ils connaissaient la réponse mais ils avaient besoin de l’entendre :

— Les fugitifs n’ont pas été retrouvés, sire. Mais il semblerait qu’on ait aperçu un Orgoï correspondant à la description à Halioès, avant que la ville ne s’effondre.

Ils froncèrent des sourcils à la nouvelle. Qu’aurait fait Peon à Halioès ? Il était censé être à Logowa depuis plusieurs jours.

— Tu peux disposer.

Chilam se courba et sortit. Ils soupirèrent.

Il faut appeler Cathan, suggéra Lys.

Ils se levèrent pour tourner la clef dans la serrure afin de ne pas être dérangés, puis s’installèrent dans le fauteuil de velours bleu qu’affectionnait l’empereur, et fermèrent les paupières. Ils se coupèrent du monde physique.

Cathan mit un moment à répondre à leur appel. Une fois de plus, son maître laissa Lys aux commandes : la cheffe des rebelles plaçait en son ami d’enfance beaucoup plus de confiance qu’en quiconque, fusse-t-il une divinité. Il resta dans leur corps, tandis que Lys cherchait Cathan.

Que veux-tu, jolie fleur ? Je suis occupée.

J’ai cru comprendre que Peon avait été aperçu à Halioès.

Il sentit la colère de Cathan exploser.

Je sais ! Cet idiot a foutu nos plans en l’air ! J’ai eu l’information trop tard pour faire quelque chose, et maintenant, je ne sais pas où il est ! Si ça se trouve, il est mort avec l’autre, et maintenant…

Lys se rappela de l’attitude de Danaël, chaque fois que le prénom de Peon était évoqué. Comment il avait pu passer à côté ? Adolescent, il avait eu les mêmes réactions face à Chilam.

Non, il n’est pas mort,. Il était là-bas pour l’aider. Si tu trouves Danaël, tu trouveras Peon. Il faut qu’il aille jusqu’au bout, alors force-le de quelque manière que ce soit.

Facile à dire. Le réseau d’Halioès a disparu avec la ville, les Terres du Désert sont en pleine révolte et mes membres sont plus occupés à guerroyer contre les nobles mushadins qu’à me tenir au courant, et celui d’Adeyabo est maintenant contrôlé par Mala…

Mala ?

Il sentit Cathan ricaner.

Oui, Mala. Elle a défait la déesse et a convaincu les membres que nous avions placés là-bas de bâtir une nouvelle civilisation.

De quoi te plains-tu ? Elle sert nos desseins.

Elle devait mourir. Pas devenir reine. Nous avons fait tout ce chemin pour nous débarrasser de nos maîtres, pas pour en forger de nouveaux.

Laisse-la tranquille pour l’instant, Peon est notre priorité. Préviens toute la Famille. Nous devons achever ce que nous avons commencé.

Dis à ton maître de nous donner les moyens pour ça, nos forces sont trop éparpillées.

Il te donnera ce que tu veux si tu continues de te battre.

Cathan émit un grognement avant de couper la connexion et l’âme de Lys fut brusquement replongée dans son corps, où celle de son dieu l’attendait.

Alors ? lui demanda-t-il.

Lys partagea ses souvenirs avec lui et, sitôt que le dieu eut pris connaissance de tout, ils se levèrent, déverrouillèrent la porte et firent sursauter Chilam en passant à côté de lui à grands pas pressés.


Texte publié par Codan, 3 novembre 2023 à 10h44
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