Eh bien voilà, encore une journée qui se termine. Longue, fatigante. Inutile.
Les missions s’enchaînent et de plus en plus, elles m’apparaissent vides d’intérêt. De sens. En dépit de nos efforts, l’Anathème ne fait qu’avancer. Elle grignote les villes, elle grignote les gens, elle grignote le monde. Nos interventions n’y changent rien. Est-ce qu’au moins nous servons à quelque chose ? Est-ce que le Knight peut vraiment devenir le salut de l’humanité ? Eh, je commence à en douter.
Aujourd’hui, j’ai quitté les profondeurs sous-marines pour retrouver ma chambre inondée. Plutôt cocasse, non ?
Ma chambre, c’est un peu tout ce que j’ai. J’y ai toute ma vie, tous mes souvenirs, mes seules possessions. C’est un petit carré de bêton armé rien qu’à moi, avec ses vagues airs de prison. J’y suis habituée. Depuis mon enfance, je passe d’une cellule à une autre. Seule la décoration a changé. La taille des barreaux, aussi.
Parfois, il m’arrive de me demander pourquoi on m’a libérée. C’est une femme, je crois, qui en est à l’origine. Je l’ai vaguement vue avant de rejoindre les rangs des chevaliers du Knight, puis elle a disparu aussi soudainement qu’elle est arrivée. J’imagine que je dois la remercier. Grâce à elle, je vis une vie décente, une bombe logée dans la nuque. Ha ha…
J’ai de la chance de compter sur des amis, je crois. Des amis ? À mesure que le temps passe, j’ai l’impression que notre soi-disant unité se brise. Mais c’est peut-être moi, moi qui m’éloigne chaque instant. Nan… J’ai toujours été le canard noir de cette coterie. Eux, ce sont de vrais chevaliers qui ont rejoint le Knight en connaissance de cause. Ils ont chacun un objectif qui leur tient à cœur. Franchement, je les comprends : qui aurait envie de se coltiner le chevalier de second niveau, le chevalier de « deuxième chance » ? Je ne suis que de la poudre à canon risquant de s’enflammer à tout moment. Ils ont dû en prendre conscience à force de me côtoyer. Non, c’est sûr, ils en ont conscience : je suis la machine qui crée et qui détruit. Ils ne le disent pas de cette façon, mais c’est tout comme.
Le semblant de lien que j’avais tissé avec Galahad s’est dénoué à vitesse grand V. Il faut dire qu’il apprécie la bonne compagnie, et celle de Reynad l’est manifestement. John et Ambra ? Je n’ai jamais vraiment été très proches d’eux et réciproquement, ils n’ont pas l’air d’avoir vraiment envie de mieux me connaître.
Au final, seul Franck fait des efforts. Je ne sais pas si c’est par pitié ou parce qu’il m’apprécie sincèrement, mais sans lui… Je ne sais pas. J’aurais peut-être déserté ? Non, je suis assez maligne pour comprendre que quitter le Knight, c’est signer mon arrêt de mort. Alors peut-être que je ne suis qu’une couarde, dans le fond. Ou peut-être que je veux vivre. En voilà, une excellente question.
Le couvre-feu dont je fais l’objet a exceptionnellement été levé puisque je ne peux pas dormir dans ma chambre.
Je ne peux pas dormir tout court.
Pour la première fois depuis longtemps, je retrouve la familiarité des rues. C’est amusant de voir à quel point leur aspect change lorsque les chats dorment. Le jour et la nuit, littéralement. La populace n’est pas la même, les activités bien différentes. Le flux d’individus, aussi. De Séville à Londres, d’année en année, rien n’a changé. La milice et le Knight auront beau faire tout ce qu’ils veulent pour endiguer les pratiques illégales, ils ne parviendront jamais à arrêter tous les malfrats qui sévissent la nuit. Ce n’est pas moi qui vais le faire. J’ai été l’un d’eux.
Je suis toujours l’un d’eux.
Si j’ai bien appris une chose dans la rue, c’est qu’il ne faut jamais lever les yeux. Oh, on serait vite tenté de jeter un petit coup d’œil, ne serait-ce qu’en sentant des regards insistants sur soi mais ça n’en vaut pas la peine. Lève le nez seulement quand tu as une bonne raison de le faire.
Et toi Marko, est-ce que tu as suivi ces conseils ? Tu as intérêt, tête de mule. C’est pour toi que je garde la tête hors de l’eau.
Un sifflement veut m’interpeller mais je fais mine de ne pas être concernée. Je fais profil bas, mais je ne me sens pas menacée. Ce ne sont pas des rookies des rues qui vont me faire courber l’échine.
Le sifflement recommence. Accompagné de ses potes, le mec doit se dire qu’il ne risque rien contre une nana telle que moi. Je l’ignore une fois de plus.
Puisque je ne viens pas à eux, c’est eux qui décident de venir à moi. Instinctivement, je remonte la lanière de mon sac sur mon épaule et porte ma main à l’armure foldée que je garde toujours près de moi. Non… Je n’ai pas envie d’être un membre du Knight, ce soir. La Blackbug restera bien au chaud.
Avant que la main ne m’atteigne, la mâchoire du siffleur fait la rencontre de mon poing. À la façon dont le métal de mon bras vibre, je devine que ce pauvre gars va devoir ramasser ses dents à la pelle. Et quel vol plané ! Une courbe parfaite pour une chute parfaite. Je jette un regard dissuasif aux deux gars restés pantois. Le regard veut dire beaucoup dans la rue. Il établit la hiérarchie. Ça y est, ils ont enfin compris à quel niveau de l'échelle ils se situaient.
Tu me manques, Liberté. C’est la seule chose qui me vient à l’esprit lorsque, tournant les talons, je ressens un mélange de nostalgie et de puissance poindre en moi. Ce simple coup de poing a été plus bénéfique que je ne l’imaginais. Un instant, il me vient l’envie de faire demi-tour et de me lancer corps et âme dans une bagarre futile.
L’image de Sagramor vient me tourmenter. Il ne voudrait pas que l’un de ses joujoux revienne en mauvais état.
J’étouffe un grondement frustré.
La nuit promet d’être longue. Et aguicheuse qu’elle est, je ne sais pas si je pourrais longuement y résister. Mais pourquoi lui résisterais-je ? Ça n’a pas de sens. Dans quelques jours, quelques mois, quelques années, nous serons tous morts en vain, à lutter contre quelque chose qui nous dépasse.
Une faible lumière attire mon regard. Je l’imagine ? Je perds la tête ? Sans doute. J’y vois Marko me tendre la main. Il n’a pas grandi, pas changé d’un pouce. Il arbore toujours ce sourire innocent qui m’a fait un jour me sentir à ma place. Je lui souris en retour. Je crois que c’est un sourire.
J’ai compris le message, Marko. Encore un peu. Je lutterai encore un peu, pour toi.
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