Décembre 1881.
— Nous devrions fêter Noël ! s’exclama Alice.
— Mais pourquoi ? La célébration de la Nouvelle Année est plus importante ! pesta Isaure.
Elle se demandait pourquoi sa jumelle s’intéressait subitement à cet événement. La mythologie millasianne ne mentionnait pas de Saint-Nicolas ou d’autres stupidités. De plus, elle passait assez de temps à se creuser la tête pour offrir un cadeau à ses proches à leurs anniversaires ; inutile donc de se rajouter du travail supplémentaire !
— Tu n’es pas drôle, grommela Alice. Allez Isis, juste toi et moi ! Ce serait amusant, non ?
Isaure leva les yeux au ciel et retourna dans sa chambre. Si elle continuait à débattre avec sa sœur, elle finirait par lui céder et par Gabriel, elle détestait donner raison à cette petite peste ! Elle s’assit sur le rebord de son lit en cherchant désespérément quoi faire. Il neigeait dehors et maman leur avait interdit d’aller jouer dehors. Bien sûr, Adam avait minaudé et fini par obtenir le droit de sortir avec Topaze. Elle trouvait cela injuste, mais maman refusait de changer d’avis pour Alice et elle.
— Tu es si mignonne quand tu boudes, la taquina quelqu’un.
Isaure découvrit Adam sur le seuil de la porte, emmitouflé dans un gros manteau noir. Son écharpe dissimulait l’essentiel de son visage et elle distingua seulement ses yeux noisette qui la sondaient.
— Sors d’ici. Je suis occupée, répliqua-t-elle.
— Occupée à grogner contre Alice, oui !
Il retira son écharpe et vint s’asseoir à côté d’elle.
— Hé ! Tu vas tremper mon lit !
Elle tenta de s’éloigner de lui, mais il l’attira contre lui pour la couvrir de neige. Isaure attrapa les petits morceaux blancs accrochés sur son vêtement afin de les coller sur le visage de son aîné. Il éclata de rire et commença à la chatouiller. Ils s’amusèrent ainsi plusieurs minutes, même si elle songeait déjà à la réaction de maman ou de Marthe, la gouvernante, quand elles trouveraient la pièce salie.
Adam remporta la partie et l’immobilisa doucement. Il déposa ensuite une bise sur sa joue et son parfum de Cologne, offert par leur parent à son précédent anniversaire, la troubla. Mal à l’aise, elle se détourna de lui, mais il la gratifia d’un second baiser.
— Si tu m’accompagnais en ville ? proposa-t-il. J’ai reçu de l’argent de la part de papa… Nous pourrions acheter un cadeau à Alice, ainsi qu’à toi.
— Je ne veux pas de cadeau ! Et si je lui donne quelque chose, elle fanfaronnera pendant des jours.
— Allez, laisse-moi faire plaisir à ma sœur préférée ! Et si tu viens avec moi, je te révélerai un secret !
— Pffft, vas-tu proposer la même chose à Alice si je refuse ?
— Non, c’est promis, Isis. Tu es la seule à qui je le demanderai.
Isaure soupira. Elle récolterait une sacrée punition à désobéir aux ordres de maman, mais la perspective d’une promenade en ville lui plaisait bien. De toute manière, inutile de compter sur Alice pour tuer le temps. Sa jumelle resterait cloîtrée dans la bibliothèque jusqu’au crépuscule. Autant se dégourdir les jambes et profiter d’Adam ! Quant au cadeau, elle pourrait toujours la faire languir pendant plusieurs jours avant de lui confier le présent tant désiré.
Même si Millasia ne célébrait pas Noël, le village des Violettes accueillait un marché dédié à l’hiver. On y trouvait des bibelots, des livres, des bougies, des confiseries…
Isaure contemplait chaque stand, accroché au bras de son aîné. Topaze souhaitait se joindre à eux, mais il avait dû renoncer à la dernière minute. Cela ne la dérangeait pas outre-mesure : rares étaient les moments où elle avait Adam à son entière disposition. Peu importe la sanction à leur retour, ces quelques heures en valaient la peine !
— Alors, qu’offre-t-on à Alice ? lui demanda-t-il.
— Du charbon, comme le père Fouettard !
Selon la légende, celui-ci offrait des coups de trique ou du charbon aux enfants qui n’avaient pas été sages.
— Alice est sage comme une image à côté de toi ! s’amusa son frère.
— Dans ce cas, achetons-lui des friandises !
Ils s’arrêtèrent devant un marchand qui proposait du pain d’épice. Isaure fouilla sa petite bourse afin d’en prendre un peu pour Alice et Adam. Alors qu’elle remerciait le vendeur, Adam s’éloigna d’elle pour contempler l’étal voisin. Il contenait divers bijoux et babioles sans intérêt, même si l’attention de la jeune fille se porta aussitôt sur un petit bracelet émeraude.
— Il te plaît, devina son frère.
— Les pierres recèlent de nombreuses propriétés, mais le plus important est de sélectionner celle qui nous attire, commenta le vendeur.
— Combien coûte-t-il ?
— Cinq couronnes. Excellent choix, jeune fille. L’émeraude apaise les tempéraments agités.
Sans hésiter, Adam confia la somme et lui ordonna de tendre son poignet. Isaure rougit, gênée qu’il dépense autant d’argent pour elle. Avec cinq couronnes, il avait de quoi régler un aller-retour au village portuaire à quelques kilomètres de là !
— Il te va à merveille, la complimenta-t-il.
— Mais c’est de la folie ! Je ne t’ai acheté que des confiseries…
— Cesseras-tu de vouloir toujours me rendre la pareille ? Si tu me remerciais, plutôt ?
Elle balbutia un merci et l’embrassa. Adam enroula un bras autour de son épaule, mais avant de repartir, Isaure racla le fond de sa bourse dans l’espoir d’y trouver l’équivalent de cinq couronnes. Elle désigna ensuite un second bracelet de couleur bleue.
— Pour Alice, déclara-t-elle.
Il s’agissait de sa couleur favorite. Même si le vendeur prétendait que c’était un choix personnel, elle connaissait sa jumelle mieux que quiconque. Elle sélectionnerait un cadeau digne de ce nom à Adam plus tard. Malgré tout ce qu’elle racontait, elle adorait autant embêter Alice que lui prouver son affection.
— Non, ce n’est pas ça.
Alice lâcha un soupir de frustration. Isaure esquissa un sourire, surexcitée à l’idée que sa jumelle devine enfin la nature du présent. Son départ secret avait bien sûr été découvert. Elle avait subi un sermon d’une demi-heure sur la nécessité d’obéir aux adultes et avait dû aider la gouvernante à nettoyer la bibliothèque. Cela n’était rien en comparaison du superbe après-midi passé avec son frère et de la joie de voir sa jumelle s’impatienter.
— Un livre ?
— Non.
— Des biscuits ?
— Pas seulement. Allez, creuse-toi les méninges !
— Une orange ?
— Tu sous-estimes ma créativité !
Voyant qu’elle peinait à trouver la solution, Isaure affirma d’un ton énigmatique :
— Un indice se cache sous ton nez.
Alice balaya la pièce du regard en fronçant ses sourcils clairs. Isaure se dandina légèrement face à elle en mettant bien son bracelet émeraude en évidence. Après plusieurs secondes interminables de réflexion, sa jumelle s’écria :
— Le bracelet !
Isaure l’applaudit pour la féliciter, puis lui donna le bijou couleur saphir. Les yeux d’Alice pétillèrent d’émerveillement.
— Alors, il te plaît ?
Sa jumelle acquiesça et la serra dans ses bras. Rares étaient ses démonstrations d’affection et Isaure sut qu’un tel geste valait mieux que n’importe quel mot.
— Je croyais que tu trouvais mon idée stupide.
— J’aime bien dire que tu fais des choses idiotes, admit Isaure, mais Adam m’a corrompue.
L’évocation de son frère aîné fit jaillir une douce chaleur dans le creux de son ventre, mais elle réussit à n’en rien montrer. Elle ne devait pas lui révéler ce qu’il s’était passé cet après-midi-là, lorsqu’Adam lui avait raconté son « secret ». Il s’agissait d’une histoire qui n’appartenait qu’à eux, même si elle redoutait au fond de perdre l’estime de sa sœur.
— J’ai un cadeau pour toi aussi, dit celle-ci. Et ne proteste pas !
Elle sortit un magnifique grimoire aux ornements digne d’un conte oriental. Isaure caressa les arabesques dorés qui faisaient office de couverture et ouvrit le livre d’un air soupçonneux. Elle détestait la lecture sous toutes ses formes. Aucune activité au monde ne l’ennuyait plus ! Pourtant, quand elle examina le titre à l’intérieur, elle fut aussitôt intriguée.
Les contes enneigés.
Le soir, lorsqu’elles n’arrivaient pas à s’endormir, elles allaient dans la chambre de l’autre et se racontaient diverses légendes. Isaure raffolait des contes se déroulant en hiver et narrant des romances. C’était l’unique moyen de la plonger dans une histoire.
— Je compte sur toi pour choisir ton conte préféré, lança Alice d’un ton malicieux. Je n’ai pas l’intention de dormir tôt ce soir.
Isaure hocha la tête et consulta la première légende, intitulée La divine damnation. Elle se laissa aussitôt emporter par le récit, qui narrait la relation tourmentée entre une jeune femme maudite et un roi réputé tyrannique.
Elle sourit, charmée. Elle finirait par se mettre définitivement à la lecture, un de ces jours.
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