Printemps 2017
Paris
— Cora, tu arrêtes tes conneries et tu y vas ! C'est l'ouverture de la plus grande expo sur le cinéma ce week-end et tout le monde l'attend dans ce milieu, tu ne te rends pas compte ! Les gens se déplacent depuis l'étranger pour venir et crois-moi que si j'avais le choix entre te filer mon invit' et y aller, cette conversation n'aurait même pas lieu ! s'efforce de me répéter Ella au téléphone, depuis près de dix minutes.
Le téléphone. Voilà ce qui me relie depuis plus d'un an, à tous les gens que j'aime.
Quitter mon pays et ma ville fut surement la meilleure décision de ma vie, mais ce fut certainement aussi la plus difficile. Passer de la vie de jeune fille étudiante londonienne habitant chez ses parents, à la vie de jeune femme active et indépendante à Paris, fut un sacré changement. Un changement radical mais néanmoins nécessaire.
A l'aube de mes vingt-six ans, il était grand temps de penser enfin à moi et à mon avenir, c'est pourquoi je ne pouvais pas refuser cette opportunité professionnelle que m'offrait la ville de Paris, quitte à laisser derrière moi ma vie à Londres, ma famille et mes amis. Mais à aucun moment, je n'avais anticipé cette angoisse profonde que je ressens au plus profond de moi-même, depuis maintenant près d'un an. Et jamais je n'aurais cru que la solitude prendrait une place si importante dans ma vie.
Mais j'ai choisi. J'ai choisi de la vivre pleinement et comme je l'entends, pour ne jamais avoir à le regretter.
— Franchement Ell', j'ai autre chose à faire ce week-end que d'aller à une expo qui ne m'intéresse pas, toute seule en plus... Aller dans ce genre d'endroit en solitaire, c'est juste impossible... lui réponds-je avec une pointe d'amertume dans la voix.
— Justement Cora, ça te changera les idées un peu. Tu vas t'apprêter, te faire belle et je suis sûre que ça va te remonter le moral. T'as pas des amis du boulot qui voudraient t'accompagner... ? me questionne Ella en attendant ma réponse qui ne vient pas. Puis, elle se ravise rapidement pour briser le silence pesant qui s'installe entre nous.
— Depuis que t'es là bas, je ne te reconnais plus. Je sais que t'as du mal à te remettre de ta séparation avec Kyle et que tu penses encore à lui, mais enfin Cora, ça fait plus d'un an ! Il est temps que tu panses tes plaies maintenant, tu ne crois pas ? Si. Tu es triste en ce moment, j'ai même l'angoisse de t'appeler, t'imagines ? Tu n'as plus envie de rien et c'est pas de toi... Dis-moi ce qui se passe à Paris. dit-elle fermement alors que je sais pertinemment qu'elle ne lâchera pas l'affaire.
C'est du « Ella » tout craché. Toujours à s'inquiéter pour moi depuis que nous sommes gamines, même si, maintenant, nous sommes à des centaines de kilomètres l'une de l'autre.
Je sais qu'elle lit en moi comme dans un livre ouvert, et je ne peux lui en vouloir car c'est ce qui fait que notre relation est si unique. J'essaie tant bien que mal de cacher mon mal-être, mais comment lui avouer que je ne m'acclimate toujours pas à la vie en France, et surtout comment lui dire que je suis toujours éperdument amoureuse de mon ex petit-ami. Ça serait alors comme avouer un échec, et donner raison à tous ceux qui ne croyaient pas en mon départ... et je n'y suis pas encore prête. Je veux continuer à me persuader que j'ai fais le bon choix en venant ici.
Oui. Mon choix. Mon erreur.
— Oui ça va, je t'assure... lui dis-je en me voilant la face. C'est vrai Ell', je n'ai pas trop le moral en ce moment mais ça va, rien de dramatique jt'assure... Je me sens juste un peu seule c'est tout. Si seulement. Puis tu sais, c'est pas vraiment mon truc ce genre de regroupement, tu me connais, moi et la foule...
— Pardon ? Toi et la foule ? s'exclame-t-elle alors qu'elle ne semble pas du tout adhérer à mon mensonge. Cora, tu veux vraiment que je te rappelle comment tu étais au BST Festival il y a deux ans à Hyde Park ? Je veux retrouver cette fille là, celle qui dansait sans s'inquiéter du regard des autres et qui chantait à s'en briser la voix... Tu t'en rappelles ou tu étais tellement bourrée que t'as tout oublié de cette soirée ?
— Mais non Ell', je n'ai rien oublié ! C'était toi qui étais trop bourrée pour voir que je m'ennuyais à mourir !
— Tu vas m'obliger à ressortir les dossiers ? Tu es certaine de vouloir voir ça ?
— Oh seigneur, non par pitié. C'est vrai que c'était sympa, je le reconnais. Mais tu étais là Ell', avec Kyle. lui réponds-je en me remémorant finalement, ce qui est devenu un très bon souvenir. Puis il faut vraiment que je continue à bosser sur ma restau' du tableau, le musée l'attend pour le mois prochain et j'arrive pas à avancer dessus. Un tableau de la renaissance italienne d'un artiste anonyme qui ne m'inspire rien du tout. Je n'arrive même pas décrypter le sens du tableau ni la mise en scène.
Parler d'art à Ella, c'est comme parler féminisme à un misogyne. Autant vous dire que ça fait des étincelles. Et d'ailleurs, sa réponse ne se fait pas attendre.
— Ok, Cora ! Je m'en tamponne de ton tableau et de son histoire ! D'autant plus que là, tu t'éloignes carrément de notre sujet de base. Donc je te disais que, de toute façon, tu n'as le choix d'y aller, car c'est LE rendez-vous des parisiens ce week-end...
— Ca tombe bien, je ne suis pas Parisienne, et ne t'avises surtout pas de me traiter de Parisienne d'ailleurs ! lui réponds-je du tac au tac en lui coupant la parole.
— ...En plus, je ne sais pas si tu as vu mais les organisateurs ont annoncé très récemment que Darren MacMillan sera présent pour l'inauguration de l'expo cette année, et ça serait clairement un crime de rater une occasion pareil. Et, je tiens absolument que tu prennes une photo avec lui ! annonce Ella au téléphone avec un tel enthousiasme, que je ne le comprends pas.
— Darren MacMillan ? Ouai... tu vois ton aversion pour mes tableaux ? Bah, j'ai sensiblement la même pour ce type. Sérieusement, tu veux vraiment que je prenne la photo avec ce mec, si imbus de lui-même que sa grosse tête ne passerai pas la porte de mon appartement ? Tu délires ou quoi ? Qu'est-ce que j'en ai à faire de lui ?!
— Roh ça va... On s'en fou de ça, il est tellement sexy. C'est pas faux. Fais-le au moins pour moi, dans ce cas ! Tu le sais Cora, des que je peux, je viens te voir à Paris. Mais en ce moment, c'est compliqué avec le boulot, je ne peux même pas partir un week-end sans que mon boss me harcèle de mails et de coups de téléphone... Dès que ça se calme un peu, je te promets de monter dans le premier avion. me dit-elle avec une réelle sincérité et douceur dans sa voix, comme si elle s'adressait à une petite fille.
Il fallut attendre une bonne quinzaine de minutes pour qu'Ella me dise exactement ce dont j'avais cruellement besoin d'entendre.
J'ai entendu un jour que les mots doivent être manier avec précaution, car ils peuvent à la fois causer des maux terribles et pareillement, guérir les cœurs brisés. Et sans qu'elle le sache, ceux là ont eu un impact incroyable sur mon humeur du jour. Il me tarde vraiment de la voir, plus que quiconque.
Ella, c'est ma meilleure amie. Je n'ai pas eu la chance d'avoir une sœur, cependant je suis presque certaine que mon amour pour elle s'en rapproche, étant donné le lien étroit qui nous unis. Et depuis que je suis partie pour finir mes études à Paris, pour finalement y rester travailler, c'est comme si, malgré la distance, mon départ nous avait encore plus rapprochées. Mais son contact me manque, c'est évident.
Nos escapades à Soho, nos pauses déjeunés à Camden après le boulot, nos fou-rires et sa façon d'envoyer balader les hommes qui osaient nous défier. Tout d'elle me manque.
C'est un peu étrange dit comme ça, mais nous sommes comme des baguettes chinoises avant d'être séparée. Forte, ensemble. Et maintenant que les baguettes sont séparées, alors il est impossible de les recoller. Et elles sont faibles, sans leur moitié.
Oui, étrange mais pas faux pour autant.
On arrive à s'avoir par téléphone presque tous les jours. Elle est mon lien avec ma ville natale, celle où j'ai grandi, celle où j'ai ma vie. Londres.
C'est un petit bout de femme empreint de bonne volonté, et même dans la difficulté, elle redouble d'enthousiasme, et pour ça, elle m'a toujours fasciné. C'est un vrai bout en train, toujours partante pour l'aventure. Disons que, c'est la fille que tout le monde aimerait avoir comme amie.
Et par chance, c'est la mienne... !
Et pourtant, nous sommes toutes les deux aux antipodes. Plus différente que nous, serait compliqué, voire impossible. En gros, elle est le nord et je suis le sud.
Ella, c'est la belle blonde aux cheveux très longs à peine ondulés. Grande, élancée, mince et athlétique. Qui porte les lunettes, qui plus est. Oui, le cliché parfait du fantasme masculin.
Quant à moi, c'est plutôt l'inverse, mais je ne suis pas trop mal non plus. Je me débrouille. Quoique, je ne suis pas vraiment objective. Je suis brune aux cheveux noirs, raides comme des baguettes, et j'ai les yeux verts très clairs, seul héritage physique de ma mère, clairement, la partie de moi que j'aime mettre en valeur. Et je suis petite. Très petite. Mais plutôt très mince, avec tout de même des hanches arrondies et une taille bien marquée.
Je vous l'ai dis, l'exact opposé d'Ella.
Plus drôle encore, nos différences se marquent aussi dans nos caractères respectifs, mais d'après ce qu'on dit, les opposés s'attirent, n'est-ce pas ?
Alors que je me contente d'admirer la beauté de ce monde à travers l'art, la nature, les voyages et les paysages, Ella, quant à elle, est plus terre à terre. Elle a l'œil vif et l'esprit cartésien. C'est pourquoi, elle essaye de comprendre systématiquement tout ce qui l'entoure, en tentant sans cesse donner un sens et une explication aux choses. Mais pourquoi leur donner un sens, lorsqu'on peut se contenter de les admirer ? Je n'ai jamais vraiment compris ses motivations. Mais cela ne nous a pas empêchées de nous aimer et de nous comprendre l'une et l'autre.
Je crois au coup de foudre amical tout comme au coup de foudre amoureux, et c'est exactement comme ça, que j'appellerais ce qui s'est passé avec Ella.
Elle est ce dont j'ai besoin, une vraie belle amitié sincère qui dure depuis maintenant plus de quinze ans. Nous nous sommes connues lorsque nous étions encore enfants, et elle était présente lors de mes premiers pas dans ma vie d'adulte, comme j'étais présente pour les siens.
Nous avons vécu ensembles nos débuts amoureux, nos déceptions, nos joies, nos coups de cœur. Nous sommes devenues femmes ensemble. Nous nous comprenons sans même se parler et, d'ailleurs, depuis mon départ de Londres, c'est ce qui me manque le plus. Le téléphone c'est bien, mais malheureusement il n'est pas capable de pallier à l'absence de l'être aimé, il nous conforte seulement dans l'idée qu'il nous manque énormément.
Quitter ma ville dans laquelle j'ai grandi m'a permis de devenir plus indépendante et plus forte, mais suivre mon bout de chemin ne fut pas sans mal. J'ai quitté ma famille, mes amis, et l'amour de ma vie... Kyle. Et rien que d'y penser, cela me noue encore l'estomac plus d'un an après. C'est à croire que mon cœur n'est absolument pas prêt à cicatriser.
Kyle... Parlons-en.
Il fut est encore mon premier vrai grand amour de ma vie. Pas ma première expérience évidemment, mais c'est de lui dont je suis tombée amoureuse pour la première fois. Et on n'oublie jamais son premier amour, je ne vous apprends rien.
Il était est encore ce dont je rêve. Bon vivant, attentionné, doux et fougueux à la fois, passionné, incroyablement charmant.
Un bel avenir nous tendait les bras. Mais j'ai choisi. Encore.
Kyle est celui avec qui je m'imaginais très bien faire ma vie, mais nos choix de carrière en ont décidés autrement. Et nous l'avons accepté. Nous nous sommes quittés d'un accord commun, sans haine ni déchirure.
Une fin douce mais qui vous laisse pourtant cet arrière gout amère dans la bouche, ainsi que des crises d'angoisses nocturnes plus d'un an après.
Nous nous aimions encore profondément et cela pour de nombreuses années à venir, mais nous sommes tous les deux de jeunes adultes avec la vie devant nous. Nous avons choisi de privilégier notre carrière et notre vie professionnelle, et chacun essaie de tracer son chemin aujourd'hui. Et c'est normal.
Qu'on soit bien clair, jamais je ne regretterai d'avoir fait le choix d'une vie indépendante et d'une vie que j'ai choisi. J'ai la chance de pouvoir le faire, contrairement à d'autres femmes qui sont malheureusement dans l'incapacité de faire ce choix. Mais je n'aurais pas été contre en revanche, d'avoir une épaule sur laquelle m'appuyer en cas de doute, d'incertitudes et de tourments, comme en ce moment de remise en question.
Or, cette épaule n'est plus, et il faut bien faire avec.
Ou plutôt sans.
A Paris, la vie est si différente qu'un peu plus au nord de l'Europe.
Les Français sont étranges, ils ne sont pas aimables, pas serviable, pas souriant. Du moins, les parisiens. Les autres, je ne sais pas. Je ne suis pas vraiment à l'aise dans les rues de la capitale, bousculée par des gens pressés qui ne prennent même pas le temps de s'excuser. Leur dédain et leur manque de chaleur humaine font que je n'ai presque pas d'échanges avec eux plus d'un an après mon arrivée. Leur façon de vivre ne me correspond pas, mais j'y travaille. J'essaie, je vous assure.
— Ell'... je vais y aller, à ton exposition parce que je sens que si je n'y vais pas, tu vas te faire un malin plaisir à me le faire regretter, mais saches que je le fais pour toi. dis-je à Ella avec pour but ultime de la faire culpabiliser.
— Je sais ce que tu essaies de faire et saches que ça ne marche pas avec moi !
J'aurais du m'en douter. Connasse de blonde.
— C'est plus drôle, tu me connais vraiment trop bien maintenant ! Bon, quitte à y aller, autant ne pas y aller pour rien car après tout, je vais peut-être profiter de l'occasion pour essayer de me trouver un petit geek ! lui réponds-je au téléphone, en entendant son rire se mêler au mien.
— Voila c'est ca que je veux entendre ! Là, je retrouve ma Cora ! De toute façon t'es absolument canon donc, je ne me fais aucun souci pour toi de ce côté-là... Suffit juste que tu te mettes en mode « open » et tous les mecs tomberont comme des mouches ! Merde Cora, c'est vrai, t'as vingt-six ans, t'as tout pour toi et t'es dans la ville la plus romantique du monde alors tu te bouges un peu et tu croques la vie à pleine dent ! Et Darren MacMillan par la même occasion...
Heu... non.
— Je te promets d'essayer de passer une bonne journée. Je te téléphone samedi soir sans faute pour le débrief de la journée. Gros bisous Ell'...
— J'ai hâte... bisous la Parisienne !
Grrrr...
— Au fait, tu sais ce qu'on dit ici, à propos des femmes à lunettes ?
Tu me manques.
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