Je n’ai jamais su si mon indifférence couplée aux rumeurs que j’avais moi-même initiées avaient finalement porté leurs fruits ou si Mère s’était tout simplement lassée de cette valse des prétendantes qu’elle orchestrait, mais le fait est que, les mois passant, je retrouvai peu à peu ma tranquillité et mes journée auprès de Salix. Mes absences plus rares lui rendirent sa joie de vivre et cette moue mutine qui enflammait tout mon être à chacune de ses provocations. Quand je n’étais pas occupé à esquisser ou louer les poses toujours langoureuses de mon modèle, ses lèvres s’amusaient à effleurer le lobe de mes oreilles ou à goûter la peau de mon cou, me faisant sans cesse rougir. Pour ma part, je ne me lassais pas d’observer son corps se tendre dans un souffle retenu et un chuchotis de feuillage lorsque mon ongle nonchalant grattait de l’ombre d’un sein au pli de l’aine. Pas une journée ne s’achevait sans avoir assisté à un baiser avide de ce désir que nous retenions tous deux et mes nuits étaient très souvent hantées par l’image de Salix se pliant aux fantasmes inavouables qui peuplaient mon esprit échauffé. Parfois, quand ces derniers se montraient trop pressants, je me glissais en silence dans le bosquet et m’abreuvais du spectacle enchanteur du plaisir de ma muse. Vint pourtant une nuit où rien de tout cela ne me satisfit.
Salix s’était montrée bien plus entreprenante qu’à l’accoutumée et j’avais eu toutes les difficultés du monde à lui cacher mon excitation. À peine l’avais-je quittée pour le dîner que déjà mon imagination prenait le relai, me poussant à écourter mon repas afin de regagner mes appartements, déjà assuré que je ressortirais et trépignant jusqu’à l’assoupissement du manoir pour enfin assouvir cet appétit. Impatient, je sortis plus tôt qu’à l’accoutumée, ignorant la crainte d’être surpris par un domestique encore à l’ouvrage, mon esprit accaparé par ses chimères et la promesse de ce qui m’attendait au clair de lune. Pourtant, une fois en place, je compris qu’il m’en faudrait bien plus. Les gestes davantage pressants de Salix trahissaient une soif accrue d’assouvissement qui accentua d’autant plus celle qui me consumait déjà. Et au lieu de me satisfaire de notre plaisir solitaire coutumier, je me retrouvai au pied de ma bien-aimée sans avoir rien prémédité. Bien plus que de mes propres caresses, j’avais envie de Salix, de ses lèvres contre les miennes, de la pression de son corps sur mes chairs, de la douceur de sa mousse sous mes doigts. Absorbée par son plaisir, la belle ne m’avait pas même remarqué et sa proximité si sensuelle en devint insupportable. Enivré de désir, je cueillis entre mes lèvres un nœud d’écorce, qui tenait lieu de téton, tendu vers moi et griffai avec une vigueur toute passionnelle le ventre exposé de Salix dont le hoquet surpris se mua bien vite en gémissement. Enhardi par sa réaction et les ondulations de ce corps qui s’offrait à moi, j’explorai de mes doigts chaque courbe, grattant l’écorce, caressant la mousse, pendant que ma langue goûtait la saveur particulière de ses seins.
Tremblante de plaisir, Salix glissa une main-branche le long de ma nuque, s’assurant ainsi que ma bouche n’abandonnerait pas sa dégustation, tandis que de l’autre elle encourageait mes mains à poursuivre plus bas leur jeu. Toute retenue et bienséance oubliées, je lui obéis et glissai d’abord timidement, puis plus franchement, ma paume sur le nid de mousse qui lui couvrait l’aine. L’exploration curieuse de ce doux lichen perlé de rosée révéla un renfoncement tapissé à l’entrée duquel j’aventurai deux doigts. Les gémissements accrus de Salix me convainquirent de poursuivre ces caresses plus en profondeur et le spectacle de ce plaisir toujours plus fort rendait presque douloureuse la tension de mon bas-ventre. Je ne réalisai que j’avais fermement empoigné de ma main libre ma virilité à travers l’étoffe de mon pyjama que lorsque Salix m’interrompit pour m’attirer à elle, ses mains-branches rivées à mon séant afin de presser mon bassin contre le sien. Je sentais sa mousse sur mon intimité avide et la barrière du tissu imbibé de rosée me parut soudain intolérable. À gestes précipités et maladroits, je me libérai de son entrave puis je laissai ma muse m’attirer à nouveau à elle. Mon sexe glissant sur la mousse sema un frisson exquis à travers mes chairs et le corps cambré devant moi offrait sans équivoque le renfoncement découvert plus tôt. Je compris alors ce que nous attendions tous deux, aussi guidai-je d’une main tremblante mon intimité pour m’enfoncer lentement au cœur du nid de mousse. Tout entier en Salix, un soupir de contentement nous échappa et plus rien d’autre ne compta alors plus que de recommencer. Mains ancrées aux hanches d’écorce, je me retirai presque pour mieux replonger, encore, et encore. D’abord lents, mes mouvements gagnèrent en vigueur au fil des encouragements gémissants de Salix et de la montée de mon propre plaisir. Même les griffures sur mon dos semées par l’étreinte passionnée de ma mie décuplaient ma soif d’en ressentir toujours plus, d’alimenter ce désir qui m’apparaissait infini. Plus unis que nous ne l’avions jamais été, nous n’étions qu’un seul être de chair et d’écorce en quête avide de jouissance.
Lorsqu’enfin elle vint, je me figeai dans un hoquet étranglé, déversant ma délivrance au plus profond d’une Salix qui chantait son extase, faisant de la brise et des oiseaux les témoins de notre folle union. Haletants, nous demeurâmes entrelacés une éternité. Me retirant enfin, le tableau de ces courbes éclairées par la lune, le sourire mutin de ma belle et le souvenir encore frai de ce que nous venions de partager réveilla nos appétits et nous prolongeâmes notre folie d’une seconde union.
La morale hurlant notre indécence, la souche incarnant la sentence de Père s’il venait à avoir vent de nos agissements, les pics de fièvre en réponse à mes sorties nocturnes, jusqu’aux fausses remontrances de Salix qui ne pouvait nier ni son désir ni son plaisir, rien ne pourrait jamais plus se dresser entre nous. Car chaque nuit nous appartenait désormais et nous les consommions toutes avec le même appétit.
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