Mère n’avait guère apprécié que nos gens me retrouvassent un beau matin, affalé dans le divan du petit salon. Après nos retrouvailles, Salix avait insisté pour que je rentrasse me reposer, toutefois je n’avais pas trouvé la force de gravir les degrés menant à l’étage. En vérité, l’euphorie de mon retour passée, la maladie s’était chargée de me rappeler à quelle extrémité m’avait contraint Père. Mère comme mes médecins s’étaient lamentés de me trouver en pareil état et tous avaient décrété qu’il valait mieux m’installer au rez-de-chaussée pour me permettre de profiter de la vie du domaine sans m’épuiser dans les escaliers. Je n’allais pas me plaindre : étant interdit d’extérieurs jusqu’à ma guérison totale, je devais attendre la nuit pour retrouver Salix et il était ô combien plus discret de me glisser par la fenêtre du petit salon que de traverser étage et hall.
Je me remettais doucement. Pas assez vite toutefois pour Salix qui me gourmandait soir après soir du risque que je prenais à venir la voir. Si son absence m’avait paru insupportable durant mon séjour en ville, ignorer sa présence alors qu’elle était si proche m’était inconcevable. Salix avait souffert de mon départ et je ne pouvais imaginer lui infliger à nouveau l’inquiétude de l’ignorance. À ses côtés, je surmonterais tous les maux, il n’y avait là aucun doute à avoir.
Il me fallut deux semaines pour guérir, trois aux dires de mes proches, mais enfin je pus retrouver le cours normal de mon existence, comme si Père n’était jamais intervenu. C’était faux, bien entendu. Le caillou jeté dans l’étang qu’il représentait avait bouleversé à sa manière mon petit monde. Les journées passées sur la souche à griffonner esquisses comme vers étaient toujours les mêmes, mais avec une saveur bien différente. Monsieur Lambert n’ayant pas été rappelé à mon retour, j’étais libre du matin au soir, exceptions faites des visites des médecins ou de quelques connaissances de Mère. Salix demeurait égale à elle-même, pourtant ses remarques et familiarités ne me dérangeaient plus, bien au contraire. Et si elle s’amusait toujours à me voir bondir ou rougir à ses soupirs contre mon oreille ou ses baisers volés dans le cou, je n’éprouvais plus de gêne, si ce n’était celle du désir qu’elle éveillait en moi et que je m’appliquais à cacher. La seule honte qui parvenait à me faire virer aussi écarlate que le plus vif de mes gilets était le souvenir de ma déclaration enflammée. La fièvre couplée au bonheur de nos retrouvailles m’avait fait perdre toute mesure de pudeur et je me sentais comme un parfait imbécile quand je repensais à mes mots. Je ne les regrettais pas, loin de là, néanmoins leur maladresse aurait donné de nombreux points de moqueries à Salix si elle l’avait voulu. Une chance pour moi, elle n’en fit rien et nous reprîmes notre quotidien sans plus en parler, mais plus proches que jamais.
J’aimais écrire et croquer Salix plus que tout au monde et, pendant un temps, cela suffit à faire taire les mirages nocturnes nés en ville. Or, s’ils avaient éclos dans son absence, la présence de ma muse à mes côtés les rendaient ô combien plus réels, plus tangibles. Dans la solitude de mes draps, la simple évocation d’un baiser léger dérobé en journée ou un regard aux détails de mes esquisses suffisaient à ranimer ces appétits étranges qui s’animaient en moi. Je haletais son nom sous mes couvertures, elle hantait mes songes à l’inspiration débridée, et tout le jour je m’évertuais à converser avec elle en priant pour ne rien laisser paraître. Que penserait-elle de moi si elle avait vent des secrets de mon lit ? M’aimerait-elle toujours ou désapprouverait-elle ma perversion ? Je tremblais à l’idée qu’elle le découvrit un jour et veillais à toujours cacher chacun de mes textes ou croquis trop osés. Il fut une nuit, cependant, qui changea totalement ma vision de ces envoûtants démons.
Mère et moi avions été conviés à l’un de ces déjeuners interminables qui muaient au fil des heures en thés puis bals d’été tout sauf improvisés. Pour mon plus grand malheur, j’étais ce qu’on qualifiait, dans notre petit monde d’étiquettes et de paraître, « le meilleur parti de la région » et chaque invitation dans la moindre demeure hébergeant une jeune fille à marier se transformait presque en séquestration dans l’espoir, totalement incongru certes, mais je ne voyais point d’autre explication, de nous voir subitement tomber follement amoureux. Qu’importait l’indifférence que j’y mettais, Mère n’acceptait de prendre congé de nos hôtes qu’après avoir eu l’assurance que j’avais laissé une chance à la prétendante d’éveiller mon intérêt. Souvent, je leur racontais que j’étais amoureux d’une jeune femme rencontrée en ville et cela suffisait à en décourager la plupart qui ne devaient, par ailleurs, pas être beaucoup plus volontaires que moi. J’espérais ainsi que la rumeur se répandrait vite et que ces petits jeux cesseraient par là même.
Quoi qu’il en soit, je me retrouvai donc cette nuit-là dans ma chambre, tout juste rentré d’une de ces soirées sans fin. J’avais pensé à Salix toute la journée sans pouvoir la voir et la simple idée de me plonger dans mes croquis pour assouvir mon appétit d’elle me rendit plus affamé encore. J’avais passé des heures interminables au milieu de faux sourires, d’esprits domestiqués par la bienséance, de corps étriqués dans leur millefeuille d’étoffes, de sens noyés sous les parfums artificiels, la musique incessante, les saveurs trop riches, les couleurs trop vives... Quelques fades croquis ne remplaceraient pas la fragrance unique de Salix, la douceur rugueuse de sa peau, la simplicité de sa présence. Le corps déjà échauffé et tendu par le souvenir de ses courbes soulignées au clair de lune, l’esprit grisé par ma soirée, je n’hésitai qu’une poignée de secondes.
La fraîcheur bienvenue de cette nuit d’été parvint à m’éclaircir quelque peu les pensées, mais pas assez toutefois pour en chasser l’image de Salix et ma soif de la contempler. J’avançai avec précaution à travers le domaine, ne tenant pas à expliquer à la belle la raison première de ma présence si d’aventure elle me surprenait. Je voulais la voir, seulement la voir, quoi qu’en pensât la pression dans mon pantalon.
Je retins mon souffle quand, surgissant entre les troncs éparses du bosquet, apparut la silhouette cambrée de Salix, révélée dans ses moindres détails par la lune. Cette vision accentua la tension dans mon bas-ventre et j’avançai à pas de loup jusqu’à un arbre plus proche. Au fur et à mesure de ma progression, je trouvais quelque chose d’étrange, de nouveau dans la position de ma muse. Elle d’habitude si lascive contre son tronc était là toute tendue, seins dressés vers le ciel étoilé et gorge offerte par sa tête basculée en arrière. Souffle bloqué dans ma gorge de crainte de troubler ce tableau, j’observais sans comprendre les mouvements de ses mains-branches sur son corps, répandant autour de nous des échos craquants qui, pourtant discrets, me paraissaient assourdissants tant j’étais absorbé par le spectacle. Quand un soupir plus profond s’échappa d’entre les lèvres entrouvertes de Salix et que tout son corps ondula en réponse pour s’offrir davantage encore à ma vue, je saisis quelle scène se jouait devant moi. Respiration coupée, j’étais partagé entre gêne d’assister à ce moment intime et excitation décuplée. Moi qui avais si honte de m’adonner en secret à ces plaisirs solitaires, je n’aurais jamais imaginé qu’il en fût de même pour Salix. Et tandis que je l’observais, fasciné, se donner du plaisir sous mes yeux, je réalisai que je faisais de même lorsque un nouveau soupir plus fort porta mon nom jusqu’à ma cachette, dressant plus fermement encore mon intimité au creux de ma main fébrile.
Le temps se suspendit entre surprise, grâce et sensualité jusqu’à ce que le gémissement de plaisir assouvi de Salix ne me figeât dans l’extase de la délivrance. Haletant, encore sonné de ce qui venait de se produire, je regardai le corps de ma belle se détendre peu à peu pour revenir à sa position habituelle, un sourire satisfait sur ses douces lèvres. Mon propre désir enfin comblé, je baissai le regard sur ma main collante ; je me sentis virer au cramoisi en observant le résultat de ma jouissance couler mollement le long du tronc qui me dissimulait ou briller dans l’herbe à mes pieds. Je m’empressai de me rhabiller avant de me hâter à rejoindre ma chambre, soudain dévoré par la honte.
Aujourd’hui pourtant, l’évocation de cette nuit reste l’un de mes plus chers souvenirs coupables.
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