L’excitation de notre première rencontre m’avait plongé dans un état tel que l’on m’interdit de quitter mon lit jusqu’au lendemain, me contraignant à briser la promesse faite à Salix. Je pleurai beaucoup cette nuit-là, convaincu que j’étais que cette étrange fillette disparaîtrait à l’aube, comme les songes et autres monstres dans les armoires sont chassés par l’éclat matinal de la réalité.
Aussitôt mon petit-déjeuner avalé, je faussai compagnie à Nounou Marthe et filai à travers le domaine. Je devais savoir. Le cœur serré par l’appréhension, je voulais constater de mes propres yeux ce qu’il en était vraiment. Attristée de ne pas me voir revenir, émerveillée par mon retour, Salix paraissait m’avoir attendu depuis la veille. Elle existait bien ! Elle était toujours là ! Mère et Nounou avait tort, Salix était bien réelle et ses petites mains végétales exploraient mes vêtements ou mes cheveux quand elles ne jouaient pas avec mon avion. Pour ma part, je ne me lassais jamais d’effleurer d’un doigt curieux son étrange peau ou de manipuler le bouquet de branches qui lui tenait lieu de chevelure.
Je passai dès lors le plus clair de mon temps à jouer avec cette amie dont je ne connaissais pas encore le nom. Je parlais beaucoup, seul, de tout et surtout de rien. Salix était bon public, elle riait, applaudissait à nombre de mes discours. Parfois, elle se joignait au chant de la brise ou d’un oiseau et je plongeai alors dans un mutisme admiratif. Salix ne pouvait quitter sa souche, alors j’amenais le monde à elle. Les jolis cailloux que je trouvais, les branches aux formes amusantes, les insectes que je parvenais à attraper, un pauvre têtard qui se retrouva vite à sec au creux de mes mains... Tout était prétexte à la rejoindre et chacune de nos séparations était un terrible moment. Je n’aimais pas laisser Salix seule dehors toute la nuit, ou sous la pluie qui m’interdisait de la retrouver. Pour apaiser un peu la peine de mon amie, je lui confiais chaque jour un jouet différent, divertissement en mon absence et gage de mon retour prochain. Cependant, mon faible corps me contraignait à garder souvent le lit pendant de longues heures, parfois des jours durant. Salix s’attristait beaucoup de ces disparitions prolongées, malheureusement elle dut bien vite s’y accoutumer car elles feraient partie de notre vie à jamais et sa peine se mua alors en inquiétude à mon égard.
Au cours de mon premier hiver au domaine de Saulaie, je fus souvent malade, bien plus qu’en ville en réalité. La neige me poussait à passer de longues heures à l’extérieur, les vêtements détrempés, pour faire de terribles batailles de boules de neige avec Salix, ou modeler toute une famille de bonhommes sur la large souche qui nous tenait lieu de table de travail. C’était la première fois de ma vie que je m’amusais autant, toutefois les fortes fièvres et les consignes des médecins me tenaient cloîtré au manoir de longues semaines. Je craignis même que les inquiétudes alliées à la lassitude maternelle ne nous renvoient tous auprès de Père, abandonnant par là même Salix à son bosquet. Cette idée m’était insupportable aussi passais-je toujours d’interminables heures à pleurer, implorant Mère de me pardonner, jurant être plus prudent à l’avenir, pour oublier mes promesses aussitôt le nez dehors...
Le temps ne s’écoulait pas de la même manière entre les murs de notre demeure ou aux côtés de Salix. Chaque seconde m’apparaissait interminable lorsque j’étais enfermé alors qu’auprès de mon amie des journées entières disparaissaient en un battement de cils. Je voulais déjà passer ma vie entière dans ce bosquet et nous apprenions seulement encore à nous connaître...
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