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De l’horizon mordoré de la station le vieil omme ne distinguait plus qu’une légère ligne singulière et lumineuse transmise par les capteurs apposés sur ses yeux. La retransmission des images était une technologie complexe et c’était sans doute pour cette raison qu’il lui était nécessaire de s’éveiller en douceur. De son corps de naissance il ne restait plus rien.

Après tout il avait travaillé toute sa vie au service de la compagnie planétaire pour pouvoir s’offrir la seconde. La dernière opération qui avait consisté à remplacer son cœur par une sorte de sac plastique auto-contractant était réussie et plus rien ne pouvait se mettre entre lui et sa nouvelle vie de bicentenaire aggloméré. Le vieux tourne-disque distribua dans ses récepteurs synthétiques une musique qui lui rappelait son enfance.

Toxic chantait la voix dont il avait depuis bien longtemps oublié la propriétaire.

Ses membres antérieurs sonnèrent, signe que l’éveil de son corps était total et la vitre du caisson de repos s’ouvrit dans un zip léger. L’homme si il existait encore dans ce corps artificiel était prêt à commencer sa journée. En ces temps il n’était d’ailleurs plus nécessaire de se reposer mais il était de coutume pour ceux qui avaient un minimum de respect pour leurs voisins restés eux, des êtres organiques de poursuivre les cycles de sommeil.

Mars était une planète aride, sans atmosphère et sans air, alors l’homme y avait battis des cités gigantesques dans le seul but de jouer à Dieu, de prouver qu’à cœur obstiné rien n’était impossible. C’était chose faite.

Il descendit les quelques marches qui séparait le coin nuit du reste de la maison et découvrit la pièce ouvrant sur son jardin, une magnifique roseraie argentée surplombant la vallée urbaine qui se perdait dans l’horizon. Les soleils se levaient (dont la lune qu’une vaine expérience avait en une masse de lave en fusion) et irradiaient les plateaux découverts au-delà des frontières de verre de la bulle protectrice d’ondes gamma mortelles.

Le vieil homme synthétique apposa sa main de silicone sur le marbre froid et la vitre qui le séparait de l’atmosphère contrôlée de la ville se volatilisa dans une pixellisation exagérée. Le jardin était de taille très réduite et les plantes découpaient l’espace en un demi-cercle parfait, faisant de son centre une fontaine de verre étincelante. Comme chaque jour depuis cent-vingt-trois ans, il quitta l’habitat irréprochable de son intérieur pour aller s’asseoir au bord de la fontaine d’eau.

Le contact froid de la surface n’eut aucun effet sur lui et il se contenta de sourire intérieurement. Extérieurement la bouche restait figée, après tout elle n’avait pas pour fonction de transmettre des émotions, elle servait avant tout à rassurer les organiques et leur sale manie de rejeter tout ce qui ne leur ressemble pas.

Il se souvint de Liliane, la femme synthétique et artificielle qui l’avait accompagnée pendant la première partie de sa vie. Il n’avait jamais eu à se plaindre d’elle, ça non. Et pour cause, elle le servait sans rien dire, mais sans doute car telle était sa seule fonction, une machine servant un homme. Puis elle cessa de fonctionner quand le vieil homme devint machine. Après tout qu’est-il de plus ridicule sur mars qu’une machine servant une autre machine ?

Cependant ces souvenirs stockés dans la mémoire centrale de son cerveau synthétique parvenaient à lui arracher un maigre sentiment de nostalgie qui se terminait inévitablement par un brouillage émotionnel. C’était ainsi que fonctionnait la Compagnie. Elle offrait la possibilité aux hommes de vivre au-delà des limites de leurs corps, mais leur ôtait toute humanité en échange. Un deal sous-entendu et entré la conscience collective depuis l’avènement de la technologie bio-synthétique.

La fleur argentée dégageait une luminescence que seul son regard affuté pouvait capter, les nano-robots s’écoulant dans le liquide grandissaient la plante synthétique de façon continue. Mais ce n’est pas ce qui captiva son attention. Une horreur se produisait sous ses yeux ébahis, une chose absolument grotesque et qui sur l’omni-réseau faisait office de curiosité fantasmée par quelques crétins. La chose répandait une matière gluante et qui, s’il en avait été capable, aurait provoqué chez le vieil homme, une montée nauséeuse.

La créature informe était affublée d’une carapace enroulée sur elle-même, donnant à la spirale un relief qui la rendait si imparfaite… Puis il se souvint.

« Toute vie organique représente une menace. Signalez-nous toute forme de vie ou créature. C’est votre devoir de citoyen. »

Il lui sembla que cette idéologie n’était que le fruit de sa propre réflexion, mais autre chose vint perturber ses idées. L’homme-machine éprouva quelque chose qu’il ne n’avait connu depuis longtemps. Bien sur la chose lui faisait ressentir un dégout intérieur qu’il ne pouvait contrôler, mais il savait qu’en avertissant les autorités compétentes par une simple pensée via l’omni-réseau, la petite chose finirait par disparaître.

Cela faisait tellement longtemps qu’il n’était pas sorti de chez lui, de ce jardin…

Il lui vint une idée.

« Et si la vie organique venait à disparaître … Qu’adviendrait-il de notre humanité ? » s’interrogea l’homme depuis toujours habitué à la réflexion.

« Comment conserver notre intégrité quand notre propre corps est devenu machine. Sommes-nous alors autre chose qu’un tas de composants affublé d’une conscience formatée, d’un esprit magnétisé et dont les idées n’ont autre origine qu’un programme ? »

Chemin faisant, le ciel s’assombrissait et l’astre solaire s’apprêtait à rejoindre l’horizon.

Une sonnerie, puis une deuxième.

L’heure de retourner au caisson était venue et l’homme machine décida de ne pas avertir l’omni-réseau.

Il verrouilla la capsule de verre d’une pensée, et une à une ses fonctions se coupèrent.

La porte d’entrée s’ouvrit et une femme à l’allure étrange entra dans l’appartement, déposa ses clés sur la petite table basse et lança sa veste sur le canapé. Elle apposa sa main chaude sur le verre de la table et un tableau de fonctions apparu.

« Bonjour madame. » retenti une voix mécanique derrière elle.

« Bonjour Archie, prépare nous un repas pour trois ce soir, nous recevons des invités pour huit heures. »

« Bien, madame » répondit finalement l’homme-machine dont la conscience était endormie. Il pouvait ainsi mener à bien sa mission de machine et servir l’employée de la compagnie planétaire qui lui avait été confiée…


Texte publié par Théâs, 22 novembre 2013 à 09h57
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