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tome 1, Chapitre 2 « La Tempête - Partie 1 » tome 1, Chapitre 2

Objet : bateau

Émotion : anxiété

Couleur : gris

A quatre pattes sur le pont, Fripon lessivait. Il n’aimait pas ça du tout. L’odeur du savon noir l’irritait ; des échardes longues comme des couteaux s’enfonçaient sous ses ongles ; ses genoux écorchés le brûlaient ; des étincelles de douleur explosaient dans ses bras au moindre geste. Cela faisait des heures qu’il briquait sans s’arrêter, effaçant consciencieusement les fientes de mouettes, les déjections de goéland et les excréments de cette saleté de chat. Tout ça pour se faire hurler dessus par le premier gabier trop idiot pour regarder où il mettait les pieds. Cela dit, voir Sylvio le Borgne se vautrer les quatre fers en l’air après avoir glissé sur une flaque valait son pesant d’or.

Cela avait allégé l’humeur de tout l’équipage.

A ce souvenir, Fripon fut pris d’un regain d’énergie. Il termina son carré en moins de deux, avant de se redresser sur ses jambes malingres. Son dos craqua. Il s’épongea le front et regarda autour de lui. Le pont était rutilant. Casse-Bois serait content.

Les cuisses douloureuses, le mousse empoigna son seau d’eau sale et se dirigea en crabe vers le plat-bord. Avec un râle muet, le jeune garçon bascula le contenu du récipient par-dessus bord. Il l’observa disparaître sous les nuages.

L’Aquilon avançait à une allure paresseuse, ses voiles mollement gonflées par la brise. Le capitaine avait fait déployer toute la voilure dans l’espoir de gagner un peu de vitesse. En vain. Le bateau poursuivait sa course sans heurt et sans hâte, glissant avec légèreté à travers l’air vif. Les marins vaquaient à leur occupation sans se presser, dans un silence inhabituel. Une tension sourde infusait l’air. Tout le monde la sentait. Personne n’en parlait.

La raison en était toute simple. Ils arrivaient à cours de jus.

Bientôt, l’ultime batterie alimentant les impulseurs anti-gravitationnels atteindrait son seuil critique. Il faudrait alors amorcer la descente vers les flots verts de l’océan, au risque qu’une panne en plein vol ne les y fît définitivement sombrer.

Pour un équipage de leur espèce, il n'y avait rien de pire que de se retrouver coincé sur l'étendue découverte de la mer. Les frégates des escadrons volants de l'Empire azurien ou des royaumes du Levant ne répugnaient jamais à courser un navire de pirates. Si l'Aquilon devait se retrouver dans cette situation, il serait à la merci de toutes les menaces du ciel et de l'océan confondus. Ce n'était pas une perspective réjouissante.

Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que les marins ruminassent leur anxiété, sans oser la verbaliser de peur de donner quelque mauvaise idée au destin.

Ce qu'il leur fallait, c'était un bon gros orage.

Mais pour l'heure, le ciel persistait à être uniformément serein. Pas la moindre trace de l’odeur métallique qui annonçait la tempête. Les nuages se contentaient de moutonner bêtement. Le soleil dardait ses rayons avec bonne humeur, dansant avec les souffles enjoués du vent qui faisait claquer les voiles et s'engouffrait dans la vieille chemise dont le capitaine avait voulu faire leur pavillon un soir de beuverie.

« Hé, Fripon ! Tu dors ? »

Le mousse se retourna et croisa le regard rieur de Pernotti. Assis sur un coffre de bord, le pirate recousait une voile avec des gestes aussi précieux que ceux d'une dentellière. D'un signe de tête qui secoua les longues boucles dorées de ses cheveux, il désigna l'espace du pont qui se trouvait de l'autre côté du grand mât.

« Il va falloir récurer plus sérieusement. Casse-Bois ne va pas être content », ajouta-t-il.

Fripon suivit son regard. Il vit rouge. Au milieu du pont parfaitement briqué encore humide d'eau savonneuse, une grappe d'excréments noirs et luisants. Furieux, le mousse chercha du regard le responsable. Il n'eut guère de mal à le trouver. Étalé sur le bastingage, Foudre le toisait de ses yeux jaunes, narquois.

Avec un cri de rage muet, le jeune garçon se rua sur lui de toute la vitesse de ses jambes frêles. Sous les rires clairs de Pernotti, il le pourchassa à travers tout le pont supérieur. Le félin était rapide, vif et fourbe. Il se glissait partout, hors de portée des doigts agiles de Fripon, et semblait se jouer de lui à la moindre occasion. Ça ne faisait que décupler la colère du petit mousse. Les dents serrées, il lui courut après jusque sur le gaillard arrière où le capitaine Tabarre était à la manœuvre.

« Allez jouer ailleurs, les salopiots ! » gronda-t-il, avec un regard peu amène.

Foudre feula d'un air goguenard en bondissant sur le bastingage. Il se mit à s'y pavaner, comme pour défier le garçon de venir l'y rejoindre. Ce dernier avança de deux pas, les bras dressés.

Il allait bondir quand quelque chose de beaucoup plus intéressant attira soudain son attention.

Fripon observa le phénomène, les yeux écarquillés. Puis, il se précipita vers le capitaine et se mit à le secouer par la manche.

« Mais sacredieu, fous-moi la paix ! Tu ne vois pas que je suis occupé ? » maugréa Tabarre.

Il agita le bras comme pour se débarrasser d'une sangsue. Le mousse s'accrocha. Des sons rauques s'échappaient de sa gorge atrophiée, incompréhensibles mais pressants. Le capitaine darda un regard furieux sur le garçon. Fripon en profita pour désigner du doigt la ligne d'horizon sur leur flanc bâbord, en direction du Meridion.

Tabarre cessa aussitôt de vouloir le décrocher de sa manche.

Une épaisse ligne brumeuse d'un gris plombé noircissait le lointain. Des éclats de lumière fugitifs traversaient par instant la masse nuageuse.

Un orage.

Le capitaine sourit au jeune mousse, dévoilant brièvement un chicot noir. Il gratifia la garçon d'une tape rude sur l'épaule qui manqua de peu l'étaler sur le sol.

« Bien vu, mon Fripon ! »

Tabarre tourna la barre, faisant aussitôt virer le navire par bâbord. Les voiles accrochèrent une bourrasque. Avec une légère secousse, le bateau prit de la vitesse.

Les marins s'amassèrent près du bastingage, fixant un regard soulagé sur le lointain.

Ils filaient droit vers la tempête.


Texte publié par Pixie, 8 octobre 2019 à 12h15
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