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tome 1, Chapitre 1 « Saleté de gueule de bois » tome 1, Chapitre 1

Objet : chaudron

Émotion : indifférence

Couleur : abricot

Le capitaine Tabarre roula sur le dos, des marmonnements indistincts aux lèvres. Une chose poilue et vivante s'agitait sur son front. Tabarre grogna. Pour chasser la chose, il effectua un grand mouvement de bras qui lui parut lourd... lourd... lourd. Sa main heurta un objet qui s'écrasa au sol dans une cacophonie de verre brisé. Le bruit le fit sursauter. Il ouvrit les yeux, se redressa. Une puissante odeur d'alcool boisé s'élevait, entêtante.

Le capitaine se laissa retomber en arrière. Il avait l'impression qu'une poutre lui était tombé dessus. La migraine lui vrillait les tempes. Les émanations d'alcool n'arrangeaient rien. A mesure qu'il reprenait contact avec la réalité, il se rendit compte que ce n'était pas la seule odeur dérangeante dans la pièce. Des relents âcres de sueur et de vomis lui collaient à la peau. Tabarre grimaça.

Il était dans un sale état. Le Grand Vent savait que ça ne lui était pas arrivé souvent.

Les souvenirs de la veille étaient brouillés dans sa mémoire. Il avait bu, c'était certain, mais pourquoi ? Un abordage réussi ? Un trésor subtilisé ?

Il ouvrit les yeux à contrecœur. Le peu de lumière lui brûla les yeux. Il reconnut malgré tout les contours familiers de sa cabine : la table rivée au plancher au milieu de la pièce, trois coffres bardés de fer, des bouteilles vides semées dans tous les coins, un chat aux yeux jaunes le toisant avec une froide indifférence depuis le pied du lit, le tout souligné par le rayon de soleil qui entrait par le hublot sale, face à lui.

« Fiche le camp, toi ! » maugréa-t-il à l’adresse du chat.

Il agita son pied botté, obligeant le félin à détaler pour trouver refuge sur le couvercle d’un coffre.

L’homme fronça les sourcils. Par toutes les néphélées, pourquoi était-il torse nu ? Où était passée sa chemise ?

Son mal de tête ne semblait pas vouloir se calmer. Il avait l’impression d’avoir un orage dans le crâne, c’était insupportable. Il porta la main à son front. Ce faisant, il remarqua qu’un bandage sommaire entourait sa paume. Un morceau de tissu fin couleur d’abricot bien mûr. Il défit le nœud qui le retenait. Une méchante entaille apparut, encore rouge et boursouflée. Le morceau de tissu, quant à lui, était un carré orné dans l’un de ses coins d’un charmant petit triangle de broderie ajourée. Une création personnelle de Mylord Pernotti, sans aucun doute. Il brodait ses mouchoirs lui-même.

Avec un grognement rauque, le capitaine se redressa sur son séant, bascula ses jambes dans le vide à côté de sa couchette et tenta de se redresser. Ses genoux n’étaient pas bien solides, mais ils tenaient bon. Tabarre tituba tant bien que mal jusqu’à la porte de sa cabine. De sa main valide, il ouvrit le battant.

Il tangua le long de la coursive, monta presque à quatre pattes l’escalier de planches, râlant après le soleil et le vent qui accentuaient les tambourinements dans sa tête. En arrivant sur le pont, il fut un instant aveuglé par la luminosité infernale du ciel.

« Bonjour, capitaine ! »

L’interpellation lui fit l’effet d’un hurlement de corne de brume lâché juste contre son oreille.

« Bon sang, Casse-bois, moins fort ! Pas besoin de beugler ! 

— Ça a du mal à passer, hein ? »

Tout en marmonnant une réponse indistincte, Tabarre se dirigea vers l’escalier qui menait au pont supérieur. Le reste de l’équipage s’agitait autour de lui en évitant soigneusement de croiser son regard. Son second se trouvait à la barre, la chemise déboutonnée jusqu’au nombril sur son torse musculeux. Il tenait la roue d’une main ferme, l’œil fixé droit devant lui. Quelques nuages s’étiolaient autour d’eux. L’Aquilon filait à belle allure, les voiles gonflées par les bourrasques de vent arrière. On entendait à peine le ronronnement familier des propulseurs anti-gravitationnels.

« Qu’est-ce qui s’est passé hier ? demanda le capitaine à Casse-Bois. On avait un truc à fêter ? »

Le regard amusé de son second ne lui plut pas du tout.

« Oh, capitaine, vous avez oublié ? Vous avez parié avec Pernotti qu’il serait ivre mort avant vous. »

Les yeux de Tabarre s’écarquillèrent alors qu’un brusque retour de mémoire le heurtait de plein fouet. Il se vit attablé au milieu du pont, avalant timbale de rhum après timbale de rhum, le regard de plus en plus vitreux.

« Vous avez perdu », ajouta Casse-Bois.

Le capitaine se pinça l’arête du nez. Il ne manquait plus que ça.

« D’ailleurs, reprit son second d’un air guilleret, Auguste m’a dit de vous transmettre que si vous vous avisiez de reparaître devant lui, il vous ferait vous-même nettoyer le chaudron dans lequel vous avez vomi, capitaine ou pas. »

Tabarre soupira. Ç’allait être une journée for-mi-dable.

« Au lieu de te gausser, est-ce que tu pourrais me dire où est passée ma chemise ? » éructa-t-il.

Casse-Bois se pinça les lèvres pour réprimer un sourire. Il pointa du doigt le mât de misaine. Une grande pièce de tissu d’un blanc jaunâtre dansait dans le vent. Mais c’était une forme curieuse, pour un pavillon.

« Ma chemise… »

Tabarre se tourna vers son second.

« Qui…

— Vous-même, capitaine, répondit Casse-Bois. A un moment donné, vous avez décidé que notre pavillon n’était pas assez bien, alors vous l’avez remplacé.

— Par ma chemise ?

— Vous n’aviez rien d’autre sous la main. »

Une irritation croissante gonflait dans la poitrine du capitaine, mêlant ses palpitations furieuses à qui faisaient rage dans sa tête.

« Pourquoi personne ne l’a décrochée ? Vous êtes tous complètement idiots ou quoi ?

— Vous nous avez fait jurer de ne pas le faire », protesta Casse-Bois.

Le second montra sa paume bandée. Une zébrure rouge sombre tachait le tissu.

« On a fait un serment du sang, capitaine. C’est définitif. Évidemment, on savait tous que vous alliez le regretter, mais... »

Casse-Bois haussa les épaules, fataliste.

Tabarre leva un regard dépité vers sa chemise, flottant fièrement au milieu de la voilure.

C’était sa meilleure chemise.


Texte publié par Pixie, 1er octobre 2019 à 13h53
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