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Le matin rayonnait déjà quand le professeur enfila son veston. Il tira la petite montre à gousset de sa poche et en parcouru le contour de ses doigts ridés par le temps. Ses vieilles habitudes d’instituteur étaient tenaces et chaque jour de la semaine, il ne pouvait s’empêcher de se livrer au même rituel. Tout d’abord une douche rapide à l’eau froide dans le petit habitacle qu’il avait aménagé au rez-de-chaussée de la maison, puis après avoir enfiler ses habits, il buvait un thé dont l’eau bouillante avait préalablement été mise à chauffer dès sa levée. La suite de la journée était ponctuée de la visite rare et toujours impromptue du messager du village apportant des nouvelles d’une lointaine cousine demeurant au château, puis il rejoignait son jardin.

Il aimait s’y rendre tôt le matin, trouvant que les travaux d’horticulture étaient beaucoup plus agréables au soleil levant. Son ami et collègue le professeur Adrine, encore aujourd’hui responsable des sublimes plantations des jardins de la royauté lui avait même confié que les plantes étaient des êtres sensibles et qui avaient besoin de soin dès le début de la journée.

Mandragores et racines de citrouilles géantes côtoyaient ainsi les rosiers rouges et blancs que le professeur aimait tant, donnant à son jardin des allures de carnaval. Mais toutes ces plantes étaient disposées en un parfait arc de cercle, entourant un petit massif couvert d’écorce de pin bleu importée des royaumes amicaux du sud et qui donnait à l’odeur de la vanille rouge en floraison un parfum épicé. Il s’agissait là de sa plantation la plus précieuse et qu’il chérissait plus que tout depuis que la peste noire avait contraint son cœur à demeurer seul dans la maisonnée.

Du temps de madame, jamais il n’avait osé poser les mains sur ces herbacées et ces fleurs vigoureuses qu’elle entretenait avec soin, mais il s’était pris d’un amour inconditionnel pour elles depuis son départ. Selon l’usage et les coutumes de la région, ses dernières volontés avaient été respectées et la vieille dame avait trouvé le repos auprès de ses fleurs de vanilles rouges.

« N’aies pas peur, je vivrais en quelques sortes pour toujours mon bien aimé, car en chaque fleur éclatante, se trouvera une petite partie de moi. »

Et c’était vrai. L’odeur délicate et exotique de vanille lui rappelait sa tendre épouse pour que jamais de sa mémoire embrumée par les années son visage ne s’efface.

Mais ce matin-là, il devait se dérouler une chose à laquelle le professeur ne s’attendait pas. Finissant sa tasse amère quotidienne il actionna le mécanisme de la pompe à eau dont il était le fautif et qui avait, il y a de ça quelques dizaines d’années maintenant, apporter une petite révolution dans la vie des habitants les plus aisés du royaume. L’eau jaillit enfin et vint débarrasser la petite tasse de porcelaine blanche des résidus de feuilles infusées, puis d’un geste rapide et précis il essuya les gouttelettes avant de reposer l’objet sur le buffet sombre du salon.

Le bois craquait sous ses pas lents mais assurés et les talons de ses chaussures frappait les planches avec force. Enfin il se coiffa de l’éternel chapeau gris sombre qu’il traînait depuis de nombreuses années, s’apprêtant à s’affairer dans le jardin. Le veston correctement accolé à une chemise blanche il vérifia la bonne position des boucles de ses chausses et, constatant qu’elles étaient correctement serrées, il ouvrit la porte, prêt à accueillir les senteurs matinales que la rosée rehaussait.

Mais quelque chose ne tournait pas rond. Il en était persuadé. Le vieil homme avait subitement vu les années le rattraper quand il chercha du regard un défaut ou un élément étranger dans ce décor d’ordinaire si réglé, mais rien n’y faisait. Fort de cette prise de conscience, il prit son courage à deux mains et se décida à faire le tour du jardin et comme il vit que tout était exactement pareil du côté droit, il revint sur ses pas et fit de même du côté gauche.

« Ciel, le soleil est déjà bien haut. » intériorisa-t-il en constatant l’altitude exagérée de la boule incandescente au travers des feuillages denses des pieds de mandragore encore endormis. Il revint de nouveau vers l’entrée de la maisonnée, intrigué par la clarté du jour et se planta devant l’allée centrale ou les rosiers touffus paraissaient s’orienter vers l’autel de vanille désormais baigné par la lumière éclatante. Le professeur toussa trois fois avant d’entamer une marche lente et quelque peu pénible dans l’allée centrale du jardin, puis s’approcha de la pierre gravée qui trônait au pied de l’arbuste et siégeait au milieu de l’écorce bleutée.

Confus et effrayé il hésita à franchir le dernier pas qui le séparait des douces fleurs rouges de vanille. La lumière observée depuis tout à l’heure n’était pourtant pas celle qu’il avait imaginée, non. Endormie au centre d’une fleur plus imposante que les autres, une silhouette féminine aux ailes délicates et à la peau olivine dégageait une poussière lumineuse à chaque respiration.

Le vieil homme resta ébahit un long moment devant la découverte qu’il venait de faire puis figea son regard sur le visage familier de la petite chose. Le parfum avait balayé le dernier de ses doutes et il s’employa à ne pas tenter de saisir la créature somnolente.

Et tandis que le véritable soleil commençait à poindre au-delà des montagnes s’étendant à l’horizon, la minuscule créature ouvrit les yeux dans un papillonnement outrancier.

« Ma bien aimée, c’était donc vrai ! » s’écria le vieil homme, heureux d’avoir fait la plus belle des découvertes.


Texte publié par Théâs, 22 novembre 2013 à 09h54
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