Le meilleur ami de l'Homme
© Rose P. Katell (tous droits réservés)
© Delphine Laurent (tous droits réservés)
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Dès qu’un bruit de pas retentit dans la cage d’escalier de l’immeuble, la queue du bouvier bernois allongé sur la carpette du studio frétilla. Ses oreilles se dressèrent de quelques centimètres, puis sa gueule s’ouvrit sur une langue pendante. Le chuintement de semelles perçu était propre à son maître, aucun doute sur la question n’était possible ; il l’aurait reconnu entre mille !
Il se releva sur ses pattes sans s’étirer comme il aimait pourtant le faire et se dirigea vers la porte d’entrée d’une démarche joyeuse. Le son produit par les chaussures de Matthew atteignit leur étage et se propagea dans le couloir. Excité, il ne résista pas à l’envie d’aboyer.
Le cliquetis d’un trousseau de clefs tinta de l’autre côté du battant. Incapable de s’en empêcher, l’animal effectua cinq ou six sauts et ne s’arrêta qu’une fois l’huis entrebâillé.
Matthew entra, et son euphorie décupla. Il tourna autour de ses jambes, le poussa du museau, tira sur le bord de son pantalon… Ses démonstrations d’affection n’obtinrent pas la moindre réaction, néanmoins, il ne s’en préoccupa pas. Le plus important était que Matthew ait terminé sa journée de travail.
Il retroussa un instant ses babines et dévoila le bas de ses crocs. Le boulot de graphiste en entreprise qu’effectuait Matthew le rebutait. Pire, il lui provoquait un profond dégoût, voire de la haine. D’abord parce qu’il éloignait l’homme de leur logis, ensuite parce qu’il aspirait toute la bonne humeur de celui-ci, qui n’en revenait jamais heureux.
Matthew laissa tomber son porte-documents sur la table et lâcha un bruyant soupir. Ses épaules s’affaissèrent, il se pinça l’arête du nez. D’un mouvement las, il ôta sa veste élimée et la lança sur le dos d’une chaise avec dépit. La fatigue alourdissait aussi bien ses gestes que ses traits.
Sensible à sa détresse, le chien rentra sa tête dans son cou. Son air penaud disparut cependant sitôt que Matthew s’avança vers leur coin cuisine ; sa joie recouvrée, il s’empressa de le suivre et se figea à côté de sa gamelle, vide depuis un long moment. Le frigo fut à peine ouvert qu’un jappement lui échappa. Toutefois, Matthew n’en sortit qu’une carafe emplie d’eau fraîche, qu’il versa dans un verre. Le bouvier bernois l’observa l’engloutir d’une traite, puis sursauta lorsqu’il commença à se cogner le front contre un placard.
— Je hais ce job. Je hais ce job. Je hais ce job.
Il s’approcha de lui, gratta sa jambe. Sa tentative de diversion ne récolta pas même une œillade : Matthew soupira et s’éloigna vers le canapé. Il passa devant lui, galopa dans la pièce, se roula sur le dos, mais rien ne l’arracha à sa morosité, il s’écroula avec lourdeur dans le divan et apposa son occiput sur le haut du dossier en fermant les yeux.
L’animal pencha le crâne et le contempla avec hébétude. Il prit une petite impulsion sur ses pattes arrière et le rejoignit avant de s’asseoir à ses côtés, haletant. Durant de longues minutes, Matthew ne bougea pas, inerte. Puis enfin, il papillonna des paupières et chassa les larmes qui s’étaient accumulées sous elles… Son chagrin le percuta tant que le canidé en gémit.
D’une main souple, son compagnon extirpa un téléphone portable de sa poche et le déverrouilla. Son fond d’écran s’afficha : une vieille photo d’eux deux, prise lors d’une balade sur des sentiers de campagne. Immobile, Matthew le fixa plusieurs secondes.
— Toi au moins, tu savais me rendre le sourire, souffla-t-il d’une voix faible.
Le chien s’allongea et posa aussitôt sa gueule sur ses genoux. Peu à peu, sans que Matthew en ait conscience, il le sentit se détendre sous lui.
Satisfait, il s’autorisa à se relaxer à son tour.
Un jour ou l’autre, son maître finirait par comprendre qu’il n’avait pas cessé de veiller sur lui.
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