Il ne décolérait pas. Les paroles du frère d'Ashleen ne cessaient de le tourmenter depuis des heures.
Le gamin avait attendu que sa sœur ne soit plus vraiment là pour passer à l'attaque. Il aurait dû s'attendre à ce qu'un druide capte les liens qu'il avait senti se forger entre elle et lui. Des liens qui avaient toujours été plus ou moins là, attendant patiemment qu'il se jette sur elle sans qu'elle ne puisse se défendre. Des liens qu'il avait choisi d'ignorer, de renier, car il n'était pas fait pour ce qu'ils signifiaient.
Frappant le sac de sable, il repensa à chaque instant où il était parvenu à fuir.
Ce premier jour, lorsqu'il l'avait croisé dans l'ascenseur. Elle portait un jean bas sur les hanches, une pizza chaude posée sur ses bras, un débardeur gris lâche dévoilant un bout de dentelle noire de ses sous-vêtement.
Il avait dû serrer les dents tout le temps de la montée, les cheveux relevés de la sorcière dévoilait sa gorge dont le parfum lui avait paru irrésistible.
Elle avait rougi, les yeux baissés sur le carton de livraison, ses pieds nus croisés, son corps recroquevillé dans un coin de la cabine. Il l'avait foudroyé du regard, furieux qu'une femme l'impacte autant. Lorsqu'elle était sortie à son étage, il avait cru à une énième conquête de Flamme. Avant qu'elle ne bifurque vers l'appartement voisin. À la fois soulagé de ne pas avoir à regarder son ami jouer avec ce petit fantasme ambulant et torturé par la tentation d'aller assouvir sa faim de cette inconnue aux grands yeux innocent, il avait fini par claquer la porte avec violence, tirant un petit couinement de surprise de la jeune femme.
La deuxième fois, c'était sur la terrasse. Il l'observait depuis son canapé, quand elle venait admirer la ville, se pensant seule, les cheveux virevoltant aux vents. Il avait reproduit cette séquence des dizaines et des dizaines de fois, un petit plaisir coupable qu'il n'avait avoué à personne.
Il l'avait admiré de longue minute à chaque fois. Avait désiré que ce doux sourire lui soit adressé.
A chaque rencontre, chaque regard, fascination et colère se mêlaient. Il avait beau sauter un nombre astronomique de femmes, il n'arrivait pas à chasser les doux yeux blessés de sa voisine à qui il ne parvenait pas à parler autrement qu'avec sécheresse et méchanceté.
Mais elle lui avait paru si fragile, si délicate, qu'elle ne lui avait pas semblé capable de supporter la violence du désir qu'il ressentait pour elle.
Jusqu'à cette fois, toute récente, où elle avait dévoilé sa hargne face à un Flamme désespérément blessé par un appel de son père. Son ami avait été si loin qu'il avait demandé à Ayden un moyen de se faire pardonner.
Le mage psi avait écouté toute l'histoire, avant de les traiter d'imbéciles.
« Elle me disait que vivre à côté de vous était difficile, avait-il prononcé avec une pointe de colère dans la voix. Mais vous êtes passés à deux doigts de connaître une fin définitive. Ashleen est une Danéïde de haut rang, que vous soyez toujours vivant après tant d'insultes résulte du miracle. Le meilleur moyen de te faire pardonner ? Rampe, rampe mon ami, avant que tu n'ailles trop loin et que tu ne te retrouves à ramper de force, ses griffes autour de tes tripes alors que ta vie s'échappera de toi dans un dernier râle désolé. »
Il s'était levé brutalement pour traîner un homme qui lui faisait de l'oeil dans l'une des chambres d'amis de la colocation, le regard hanté.
Ayden n'était pas comme eux, mais il n'avait pas peur de grand chose. Qu'avait-elle pu faire pour éveiller à la fois l'adoration de ce monstre politique et une terreur si puissante qu'il ne parvenait pas à la rationaliser ?
Raphael avait désormais la réponse.
Elle était si puissante qu'il avait senti la force terrible de son pouvoir alors qu'il la poussait à bout dans le plaisir. À aucun moment, contrairement à lui, elle n'avait perdu le contrôle sur ses pouvoirs, sans pour autant les contraindre à rester enfermés sous sa peau. Il avait cru qu'elle ne ressortirait pas indemne d'une étreinte avec lui ? C'était plutôt pour son intégrité à lui qu'il devait s'inquiéter.
Transpirant, il regarda le sac malmené.
Et elle était pourtant si douce et si pleine d'espoir, rêvant de justice et de paix... alors qu'elle avait pratiqué le métier le plus vil qui soit. Il n'en revenait toujours pas.
Chasseuse de prime. La Nightmare.
Allant prendre sa bouteille d'eau, il jeta un coup d'oeil sur un vieux dossier classé sans suite.
Dès qu'il était revenu, il avait voulu en savoir plus. Il devait se convaincre que le druide avait tort, qu'il ne pouvait rien ressentir pour Ashleen, pas plus qu'une attirance irrésistible et une appréciation amicale. Et les multiples dossiers qu'on leur avait confié avant que ce nom n'apparaisse et qui avait été classé par le Conseil lui-même, ne semblaient pas faire leur office.
Agacé par ce schéma à l'époque, il était allé exiger une explication auprès de son père.
Pour la première fois de sa vie, il avait vu de la terreur pure dans le regard de ce géniteur impitoyable.
« La Nightmare n'est pas un gibier que tu peux poursuivre, mon fils. Elle est le cauchemar personnifié. Rien ne peut la tuer, l'atteindre, l'affaiblir. (Il l'avait pris par le bras.) Si un jour tu as l'horrible chance de la rencontrer, ne t'attarde pas. »
C'était tout. Tout ce qu'il avait sur la réputation de cette voisine qui cuisinait des tartes à trois heures du matin parce qu'ils avaient poussé le vice jusqu'à faire une fête tous les deux soirs.
Point de retour sanglant, point de menace. Il avait du mal à croire que cette amante passionnée, douce, réceptive, riante soit le monstre qui avait commis tant de meurtre de haut niveau qu'elle faisait même trembler les membres du Conseil.
Oh, après l'épisode de l'Ecole, il ne doutait plus que la colère de la sorcière puisse être terrible.
« Et comment t'y prendrais-tu ? »
La question revint en force dans son esprit, de même que le regard hésitant de la jeune femme. Il pouvait sentir son désir et sa peur d'être blessée encore maintenant.
Plusieurs réponses s'étaient offertes à lui.
Comment s'y prendre pour capturer un Cauchemar si semblable à un doux rêve ?
L'épouser avait paru être la réponse la plus sûre. L'asservir sexuellement avait été la première à laquelle il avait pensé.
Il jeta sa bouteille d'eau, attrapant le dossier. Les corps pris en photo ne comportaient que peu de blessures, en dehors de celles qui les avaient tuée. Un travail propre, sans cruauté, exécuté avec respect. Il avait connu des chasseurs de prime qui tuaient pour le plaisir, des sadiques qui utilisaient leur métier pour assouvir leur soif de sang.
Ashleen avait admis aimer tuer les gens qui le méritaient. Les monstres.
Estimait-elle qu'elle en était un ?
Non. Car dès qu'une autre option s'était ouvert à elle, elle l'avait prise. Sa soif de justice, de rendre ce monde plus sûr pour les innocents supplantait toute envie de sang.
Elle avait une bonne âme, son regard était franc. Bien qu'elle dissimulait beaucoup de secret, elle ne le faisait que pour se protéger.
Comment s'y prendrait-il pour la capturer, maintenant qu'il la connaissait bien mieux ?
Il lui dirait ce qu'il avait compris il y a bien longtemps et qu'il avait refusé qu'elle ne découvre : qu'il était l'âme sœur dont elle attendait la venue. Il avait beau chercher à contredire cette vérité, à se mentir, les paroles de Kellen le lui avait confirmé.
Mais le doux rêve de la sorcière ne pourrait pas se réaliser avec lui.
Il n'était pas de ceux qui vivait tranquillement, qui se contentait d'une femme aimante, d'une famille qu'ils auraient fondé, d'un calme apparent.
Il avait trop de sang sur les mains, trop d'ennemis, trop de noirceur en lui.
Mais pouvait-il lutter ? Plus il la voyait, plus il la touchait, plus il la voulait.
S'éloigner ? La laisser à un autre ?
Ses ténèbres jaillirent à cette idée, sa rage tendirent ses muscles, ses mains froissèrent le dossier.
Jamais.
« Raphael ? Tout va bien ? »
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