Le manoir de mes parents étaient toujours aussi angoissant. Froid.
Je déglutis en lissant ma robe. C'était vraiment une sale manie, il faudrait que je l'élimine un jour.
Raphael baissa ses yeux vers moi.
« Ton tic nerveux est évident. »
Je stoppais mon geste. Bon, apparemment, je n'étais pas la seule à l'avoir remarqué.
Nous n'étions plus que tout les deux, Flamme et Gael ayant finalement décidé que leurs nerfs avaient été trop mis à l'épreuve. Mais Raphael ne m'avait pas abandonné, venant me chercher dans mon appartement sans un mot. Nous avions même pris sa voiture.
Depuis quand j'étais aussi docile avec un mâle autre qu'un membre de ma famille ? De mémoire, ça n'était jamais arrivé.
Je voulus passer une main dans mes cheveux mais il m'arrêta en me saisissant presque délicatement le poignet. Je dis presque car son geste avait été si rapide que je ne l'avais pas vu l'amorcer.
« Ta coiffure est parfaite. Tu es parfaite. Cesse de stresser, ça ne me met pas dans les bonnes conditions pour converser avec ton crétin de père. »
Je le regardai, cillant, la bouche bée.
« On dirait un couple, ricanais-je finalement, un peu mal à l'aise. »
Il me dévisagea avec une telle intensité que je dus détourner le regard. Il entrelaça nos doigts, avec une lueur de défi dans le regard.
« Allons-y. »
Merde. Merde, merde, merde. Sa main était chaude. Pourquoi...
« Ah ! »
Kellen avait ouvert la porte avant même que l'on ne toque. Un sourire illumina son visage encore juvénile. Il portait un jean et un tee-shirt, rendant ma tenue, encore dissimulée par un large manteau, un peu trop pompeuse. Ses cheveux étaient coupés plutôt court pour la mode, désordonnés et ils captaient la lumière du manoir en quelques reflets métalliques.
Il était plutôt grand pour un jeune homme, il me dépassait d'une vingtaine de centimètre. Ses épaules avaient commencé à s'élargir et je devinais assez aisément que sa musculature était entrain de se développer. Ma mère devait l'entraîner...
Il ouvrit la porte en grand.
« Je... crois que je suis sensé vous inviter à rentrer. Nous avons donné congé à nos domestiques, maman disait que cela te mettait mal à l'aise. »
Je lui souris.
« Bonsoir. »
Il pouffa.
« Ouais, c'est vrai. Bonsoir. Vous entrez ? »
Il regarda Raphael avec crainte puis capta nos mains entrelacées. Sa surprise fut brève. Plus brève que la mienne qui me retournait encore l'estomac et faisait s'affoler mon pouls. Le contact lorsque l'on voulait consoler quelqu'un et ce contact là n'avait rien à voir. Il me tenait fermement, sans réconfort, plus avec une possession qu'il n'était pas en droit de réclamer.
Je passai devant mon voisin-presque-moins-connard pour entrer dans le manoir. L'odeur de Kellen était un mélange de soleil et de forêt. Un parfait mélange de nos géniteurs.
« Kellen ! S'écria la voix de Cybèle. Je t'ai demandé de l'aneth, pas de déambuler dans le hall !
- Ils sont arrivés, m'man ! »
Même d'ici, je l'entendis grogner.
« A l'avance. Comme d'habitude. »
C'était de Raphael qu'elle parlait. Moi, j'avais tendance à être en retard. Sans réfléchir, je me dirigeai droit vers la cuisine, lâchant avec soulagement la main du sombre seigneur qui m'accompagnait.
Je m'arrêtai à l'entrée, observant Cybèle au dessus des casseroles et autres ustensiles. Elle me jeta un bref regard de ses yeux bleu glacé.
« Puisque tu es là, tu vas pouvoir m'aider à finir. Ça fait longtemps que je n'avais pas été en cuisine, j'ai pris un peu de retard. »
Tu m'étonnes.
Je retirai mon manteau, dévoilant ma robe noire classique mais à la coupe près du corps, dessinant gracieusement ma silhouette, avant d'attraper un tablier qui rompit tout effet d'élégance dans ma mise et de m'approcher d'elle. Je remarquai les légumes à demi coupé. Je saisis un couteau et repris leur taille.
Elle me regarda faire.
Elle avait attaché ses cheveux en couette haute, renforçant notre ressemblance. Nous faisions la même taille, même si j'étais un peu plus charnue, et nous portions toutes les deux des talons. Du même modèle.
Je sentis Raphael et Kellen enfin arriver dans la pièce. Mon frère discutait.
« ... et je crois que le directeur participe à ces cours de niveau supérieur. »
Je jetai un coup d'oeil à mon voisin.
« Tu interroges mon frère, toi ? »
Il me dévisagea, son regard balayant le tablier avec une brève lueur amusée et... intéressée.
« Il s'est mis à parler tout seul, répondit-il en haussant un sourcil de défi. »
Je montrai les dents dans une grimace faussement menaçante.
« Et cela bien sûr sans que tu ne demandes rien.
- Oh, il m'a demandé comment se passait les cours ces derniers temps, intervint Kellen en tendant de l'aneth à notre mère. J'ai pensé qu'il voulait savoir si j'avais moi aussi appris des trucs dangereux. »
Je regardai ma mère qui se tendit. Elle me jeta un bref coup d'oeil.
« Rien qui ne soit pas de son âge et de son niveau. C'est un mâle, mais il possède quelques dons de notre clan. »
Oh. Je souris.
« La potion de vérité ?
- Il l'a maitrisé vers treize ans.
- Les jumelles en sont encore un peu loin. Grand-mère désespère d'impatience.
- Tu l'as mal habituée. »
Je haussai les épaules en chassant le compliment qu'elle avait fait automatiquement.
« Tu peux parler. »
Kellen s'appuya sur le plan de travail à côté de moi.
« J'ai beaucoup entendu parler de toi. Il paraît que tu es ma sœur. »
Arthur arriva sur ce dernier mot, avant même que je n'amorce une réponse.
« Elle est ta sœur. »
Je le dévisageai.
Il regarda le couteau dans mes mains, mon tablier. Puis leva la main pour serrer celle de Raphael.
« Duc d'Obsidienne.
- Arthur. Pas la peine d'utiliser mon titre. »
Il prit la main sans frémir puis s'installa sur une chaise avec nonchalance.
Mon père nous regarda.
« Juste vous deux ?
- Flamme et Gael avaient d'autres obligations qu'ils n'ont pas pu annuler, mentit Raphael avec aplomb. »
Ma mère grogna.
« Pourquoi l'odeur n'est pas la bonne ?
- Laisse-moi voir, fis-je en me penchant. Tu n'aurais pas oublié le jus ? »
Elle recula, les mains levées. Je pris naturellement possession de la cuisine tandis qu'elle alla embrasser son mari.
« Elle a toujours été meilleure que moi en cuisine.
- La pratique, marmonnai-je. Je n'ai pas de domestique. Cuisiner me détend.
- Elle fait des gâteaux la nuit, fit Raphael sur le ton de la conversation. »
Je fusillai Raphael du regard. Il haussa les épaules.
« On voit ta cuisine depuis le bout d'une de nos terrasses.
- Quand votre musique est trop forte pour que je puisse dormir, j'avoue, je cuisine.
- J'ai bien aimé ta tarte au noix. »
Je rougis.
« J'en referais. »
Ma mère toussota.
« Depuis quand êtes vous ensemble ? Angela n'en a pas parlé. »
Je me raidis. Raphael soupira après quelques secondes de mon silence buté.
« Nous sommes voisins. Et amis depuis peu. C'est tout. »
Oui, voilà à quoi se résumait notre relation. Rien de plus.
Arthur s'approcha de moi.
Il regarda par dessus mon épaule. Même avec lui, je détestais ça.
« Pas de viande ?
- Ashleen est végétarienne, expliqua ma mère. Une déformation de tes dons druidiques avec la liaison de mes dons d'empathe. Je te l'ai déjà expliqué. »
Je me tendis en sentant la déception arriver dans mon ventre. Arthur soupira.
« Oui. Je ne m'en rappelais pas. Je pensais que votre métabolisme réclamait des nutriments riches.
- C'est le cas, marmonnai-je. Je mangeais toutes les quatre heures quand j'étais gamine. Mais depuis un certain temps, ma magie se nourrit autrement. Qui plus est, avec la nouvelle mode culinaire des insectes, je peux compenser.
- Des insectes ?
- Ils n'ont pas de pensées ou d'émotion.
- Je ne peux qu'être d'accord. Ils n'entrent pas en compte dans mes pouvoirs. »
Il prit une cuillère pour goûter au plat.
« C'est meilleur. »
Il recula, enfin.
Kellen grogna, me prenant par surprise.
« Papa, tu devrais vraiment faire un effort de mémoire. J'ai dû te répéter vingt fois mes résultats du dernier semestre la dernière fois. »
Je cillai en observant mon frère. Il me sourit.
« Il est toujours préoccupé. Pour un druide, c'est un comble, hein ? Les seules choses qu'il arrive à enregistrer sont en rapport avec la politique et la finance. Oh, et les plantes. Je crois qu'il a toute une encyclopédie dans sa tête sur les plantes. Je suis moins bon, mais j'ai encore quelques siècles pour arriver à son niveau.
- Tu... tu es un druide ?
- A peu près, répondit-il en haussant les épaules. J'ai moins besoin de runes qu'un druide habituel. C'est peut-être pour cela que je suis moins investi dans leur apprentissage. »
Je souris en détournant les yeux.
« Les runes sont importantes. Elles permettent d'ancrer un sort.
- Tu en utilises ?
- Oui, ça m'arrive.
- Et les sorts de paroles ?
- Oh oui, ça impressionne toujours.
- Et sinon ? »
Je touchai ma tempe.
« L'esprit. C'est de là que nous jetons des sorts dans le clan. Le reste n'est qu'accessoire et variations. Même si dans l'action, les sorts complexes sont mieux maîtrisés avec une rune ou une formule.
- Le sort de Marionnette est très complexe, fit-il, rappelant mon intervention de l'après-midi. »
Il m'apprit par sa phrase qu'il connaissait l'existence d'un tel sort. Je le dévisageai. Ma mère répondit à ma place, confirmant qu'il n'en connaissait pas vraiment toutes les nuances.
« Ce n'était pas vraiment un sort de Marionnette. Une variante, plutôt. Un sort de soumission plus puissant et de plus grande envergure. Seule les Danéïdes de haut niveau le maîtrise. Le contre-sort est simple mais il faut être profondément liés aux éléments pour parvenir à le jeter. »
Je jetai un coup d'oeil à Raphael qui se leva.
Il se positionna presque derrière moi, une main sur le plan de travail. Il ne se pencha pas par dessus mon épaule, se décalant légèrement. Soit il avait remarqué ma tension lorsque Arthur avait effectué ce geste soit... je ne voulais pas penser à l'autre raison de la délicatesse de son attention.
« De l'aide ? »
Je lui montrai un plat, décidant d'agir avec le même flegme. Comme si nous étions suffisamment proches pour avoir déjà effectué des gestes aussi simple ensemble.
« Tu peux le remuer, s'il te plait ? »
Il s'exécuta.
Cybèle soupira.
« Faire cuisiner les invités. Je n'aurais pas dû renvoyer les employés pour la soirée. »
Kellen gloussa.
« Allez, un moment qu'en famille ne peut pas faire de mal. »
En famille.
Raphael se raidit à ma place. Surprise, je le regardai.
« Si Ashleen n'avait pas boudé pendant vingt ans, nous aurions pu le faire bien avant, contra notre mère. »
Je vis Raphael se tourner vers elle, spectatrice de la scène, envoûtée par l'aura de protection acharnée qu'il avait fait jaillir autour de moi.
« Si vous n'aviez pas été aussi cons peut-être n'aurait-elle pas eu envie de se détourner de parents qui l'ont abandonné. »
La tension grimpa de façon exponentielle dans la pièce. Je ne savais quoi dire. Je ne pouvais qu'observer le combat de regard qu'échangeait ma mère et mon voisin. Ce fut Kellen qui interrompit le silence tendu en ricanant.
« Et bim, je vous l'avais dit. »
Il prit le couteau pour terminer les légumes encore crus.
« Vous êtes les parents, et nous, vos enfants. Si un truc comme ça se passe, c'est à vous de faire le premier pas. »
Le sifflement menaçant de ma mère me rappela celui de ma grand-mère lorsqu'elle était contrariée.
« Si Ashleen est une adulte, elle aurait dû s'excuser pour ses paroles.
Et vous comptiez vous excuser pour ne pas lui avoir dit qu'elle avait un frère ? Gronda Raphael qui s'était totalement tourné vers elle, s'étant auto-déclaré comme mon protecteur. »
Le silence qui suivit semblait posséder une vie propre tellement il était lourd. Arthur soupira.
« Angela nous a confié qu'Ashleen était dans une passe assez sombre, lorsque nous avons appris que Cyb était enceinte. Et après... nous avons craint une grande colère. »
Sérieux ? C'était ça leur excuse ?
Je posai les ustensiles.
« On s'en va. »
Je retirai le tablier sans un regard vers mes parents.
« Oh, déjà ? »
Kellen semblait attristé. Raphael me prit par les épaules. Je le laissai faire, ayant besoin d'un contact amical dans la tourmente émotionnelle qui menaçait de me submerger. C'était une très mauvaise idée, ce repas, surtout dans mon état de fatigue actuel. Mais j'avais eu peur que refuser ne coupe court à toute tentative de rapprochement avec ce frère que je n'avais jamais eu la chance de connaître.
« Enfile un blouson, petit, tu viens dîner avec nous. »
Mon frère s'illumina à nouveau alors que je levai le nez vers mon voisin, surprise qu'il me comprenne aussi bien.
« Cool ! »
Raphael avait pris les choses en main. Il s'adressa ensuite à mes parents.
« Je le ramènerai quand il le décidera. C'est le weekend, il n'a donc pas de cours, et du temps à rattraper avec sa sœur. Je pense que vous n'avez aucune objection. »
Je détournai les yeux de ce visage impassible pour voir l'air choqué de ma mère. Étrangement, ce fut Arthur qui répondit.
« Bien sûr que non. »
Il attrapa mon manteau pour me le tendre.
Son regard se posa sur mon visage. Un léger, très léger sourire, effleura ses lèvres.
« Ta robe te va bien. »
J'attrapais mon manteau avec prudence.
« Merci. »
Il hocha la tête.
« Nous sommes des étrangers. Par notre faute. Je comprends que tu ne veuilles pas nous supporter. (Ses yeux brillèrent légèrement.) Mais regarde, tu n'aurais pas pu être ce que tu es si tu avais vécu avec nous. »
Je grinçai des dents.
« Sauf que j'avais besoin de mes parents, quand j'étais une enfant. Vous m'avez abandonné. Pour votre propre intérêt, pas le mien. »
Il pencha la tête.
« C'est ce que tu penses ? »
Je plissai les yeux, lui faisant comprendre que je n'aurais jamais pu parvenir à une autre conclusion. Il haussa les épaules.
« Tu sais, au début, les trois premiers mois, tu étais avec nous. Puis tu as piqué une colère. Cette colère a failli détruire la maison. Nous n'étions pas souvent avec toi, et Cyb savait que tu avais hérité de son empathie. Tu avais besoin de notre présence. Sauf que nous ne pouvions pas te la donner. »
Il plongea ses yeux dans les miens.
« Alors nous t'avons laissé à ta grand-mère. Je ne pouvais pas abandonner la politique, aller m'isoler dans la campagne alors que je venais d'obtenir un poste important. J'ai travaillé toute ma vie pour atteindre un but. »
J'écoutai, essayant de préserver un visage calme.
« Alors, oui, cela peut te sembler égoïste, mais nous avons préféré te laisser aux bons soins de ton clan. Te cacher. Pour des bénéfices politiques.
Et aujourd'hui, tu sièges à la Grande Chambre, gronda Raphael, désapprouvant clairement la décision de mes parents. »
Mon père leva les yeux vers mon voisin. Il eut un petit sourire.
« Je vise le Conseil.
- Pourquoi ? »
La question de Raphael semblait sortir tout droit de mon esprit.
« Le Conseil est corrompu, je le vois depuis longtemps, bien trop longtemps, répondit Arthur. La parole n'est pas donné aux gens du peuple. Ils se roulent dans la richesse et l'arrogance. Je suis riche et arrogant mais j'ai grandi en forêt. Je suis tombé amoureux d'une Danéïde. J'ai côtoyé des clans Anciens. Mon grand-père en est un. Je veux changer les choses. Pour qu'une jeune sorcière n'ait pas à provoquer la terreur dans un amphithéâtre rempli de gosses désabusés. Et pour que d'autres gosses ne voient pas leur vie s'arrêter prématurément. »
Nos regards s'accrochèrent.
Je déglutis.
« J'étais un obstacle.
- Tu avais des besoins que nous ne pouvions combler sans sacrifier tout ça.
- D'autres auraient privilégié leurs enfants.
- Tu sais que j'ai fait le bon choix. J'ai entendu ton discours. Tu partages mes idées. »
Je clignai des yeux.
« Oui. Mais cela ne veut pas dire que je te pardonne. J'ai bien trop souffert, alors que tu aurais pu m'expliquer tout cela. Tu aurais dû le faire. »
J'enfilai mon manteau d'un mouvement sec.
Raphael me prit la main comme si nous l'avions toujours fait, me tirant vers la sortie. Kellen nous suivit en sifflotant.
Ce n'est qu'une fois dans la voiture qu'il s'esclaffa.
« J'ai jamais vu maman aussi blême. Vous lui faites vraiment peur, Raphael. »
Ce dernier haussa une épaule.
Kellen continua à parler.
« Elle parle souvent de toi, tu sais, Ashleen. Dès que tu fais un truc un peu ouf, elle en parle au dîner. Quand elle a su que tu venais en ville, elle a longtemps hésité pour t'inviter. Elle est très maladroite avec tout ces trucs. La plupart du temps on se dispute parce qu'elle n'arrive pas à se mettre à la place des autres.
- Elle est pourtant empathe, contra Raphael, peu décidé à éprouver une quelconque compassion pour mes parents. »
Ce fut moi qui lui expliquait en quoi l'empathie de Cybèle ne lui permettait pas de contrer sa sociopathie danéïde, contrairement à moi.
« Ma mère a un autre type d'empathie.
- Il y en a plusieurs ? »
Je souris, un peu amusée.
« Oui. Je suis une empathe qui absorbe. Je reconnais les émotions. Ma mère les lit seulement, mais elle ne reconnaît pas ce qu'elle lit. Elle sait comment manipuler, utiliser ces données, mais ça ne l'atteint pas. »
Je croisai les bras.
« C'est un peu compliqué à expliquer. »
Kellen intervint.
« Je crois que ça vient de la capacité du clan à se couper de ses émotions. Maman l'a tellement fait qu'elle a atrophié son empathie. »
Je me tournai vers lui.
« Tu dois avoir raison.
- Pourquoi toi ça n'a pas eu ce résultat ?
- Je contrôle mes émotions mais je suis incapable de les éteindre. Une déformation due au sang de druide qui sont hyper connectés aux vivants.
- Sauf Arthur, ricana Raphael. »
Kellen gloussa.
« Papa comprend plus les animaux que les humains. »
Je le dévisageai.
« Tu n'as pas été blessé par deux êtres aussi émotionnellement incompétents ? »
Il secoua la tête.
« J'ai grandi en comprenant que je n'aurais pas de câlin, de mots d'amour et autres trucs basiques. Je sais qu'ils ne forcent pas. Alors quand ils me demandent comment s'est passé ma journée, je sais qu'ils se préoccupent de moi. Quand maman se met en colère, je sais que c'est parce qu'elle m'aime. Avec toi, c'est pareil. Ils ne savent pas comment se comporter. Ils ne comprennent pas que tu aies pu souffrir puisque tu as grandi entourée de l'amour de ton clan. »
Il haussa les épaules.
« Ils pensent vraiment avoir fait le meilleur choix, tu sais. J'ai eu beau tenter de leur expliqué quand j'ai compris à quel point ça avait été stupide, ils n'ont jamais compris. »
Raphael lui jeta un regard par le rétroviseur.
« Tu es plutôt mature pour ton âge. »
Kellen sourit de toutes ses dents.
« Je suis un Druide, nous évoluons différemment. En plus, l'Ecole nous forge. Pour moi, elle m'a appris à observer et rester à l'écart. »
Mon humeur s'assombrit.
« T'a-t-on déjà cherché des ennuis ?
Tous les jours, au début. Les druides sont réputés pour être solitaire et relativement pacifiste, même si ce dernier point est plus que faux, comme tu le sais. Les jeux de pouvoirs commencent tôt. On ne peut rien y faire, c'est même encouragé. Mais je n'ai pas eu les réactions attendues, je suis resté relativement calme, sans pour autant me laisser faire. Aujourd'hui, on me considère comme faisant parti des meubles. »
Il repoussa ses cheveux en arrière, les hérissant sur son crâne.
« Même si ta venue va quelque peu changer cela.
- Désolée.
- Oh, ne le sois pas ! Je ne crains rien. On va juste se demander pourquoi nous sommes venus te parler. Quel lien nous unis.
- Tu pourras dire que je suis juste une amie de la famille.
- Hors de question ! S'insurgea-t-il. Je dirai que tu es ma sœur. Que tu as grandi dans le clan parce que tu étais trop puissante pour la ville. Et que si je n'ai pas parlé de toi avant c'était parce que tu ne voulais pas que je sois dans ton ombre. »
Il sourit.
« Je m'amuse déjà à les voir m'esquiver ou me faire des ronds de jambes.
- Si ça t'amuse...
- C'est ainsi qu'est régi notre monde, tempera-t-il. Ça me fera gagner un cran dans l'Ecole, cela ne desservira pas les projets de notre père et atténuera même un peu la peur que tu inspires. Trop de peur peut générer des réactions violentes. Raphael ici présent la dose à bon escient. On le respecte, on le craint, mais personne ne cherche à le tuer parce qu'il a l'image d'un mec qui sait se tenir si on ne le cherche pas. Pour l'instant, les gens sont juste terrifiés par toi. (Il vit mon froncement de sourcil et sourit.) Je m'occupe de ta réputation, si tu veux, j'ai l'impression que tu as vécu dans des contrées trop sauvages pour t'en charger toi-même. »
Je clignai des yeux.
« C'est... gentil. Mais inutile.
- Non, c'est normal, et j'insiste. Tu es ma sœur après tout, j'aimerais pouvoir te connaître sans être interrompu par quelques tentatives de meurtre. »
Raphael grogna, me jetant un regard amusé.
« Vraiment futé.
- Merci, s'égailla mon frère. »
Je regardai Raphael, analysant chacun de ses gestes.
« C'est ce que tu essaies de faire en restant avec moi ? »
Il me jeta un bref regard.
« Tu es une catastrophe politique ambulante, commenta-t-il sans confirmer ma supposition.
- Ok...
- Mais ce n'est pas un mal. »
Il se retourna vers la route. Avec lui, je n'aurais donc jamais de réponse claire ?
Kellen se pencha.
« Tant que tu as des amis, ce n'est pas dramatique. Des amis et un frère super intelligent. »
Je souris, amusée.
« Je ne suis pas tant catastrophique que cela. Si jamais on tente de m'assassiner, j'ai tout un clan qui débarque en ville en faisant craquer le bitume. Le Conseil le sait. Il empêchera le désastre. »
Ils restèrent silencieux.
« Oh, finit par dire Kellen. C'est très juste.
- Qui plus est, ma démonstration visait aussi les adultes. Certains ont lutté. Ils ne sont pas parvenu à se libérer. J'ai fait attention à exercer la juste pression pour qu'ils doutent sur leurs capacités. J'ai fait dans le spectacle. Contrairement à ce que vous pensez, j'ai dosé. »
Je ricanai.
« Ils avaient beau avoir la rage, la peur était palpable. À l'instant même, ils doivent faire des recherches sur moi. »
Je sortis mon portable de la poche de ma veste.
« J'ai vérifié sur internet en attendant que Raphael vienne me chercher : ma réputation est impeccablement retranscrite. J'ai eu un chercheur qui m'a suivi pendant trois ans. Il faisait des recherches sur les Danéïdes, et j'ai été la seule à accepter qu'il me suive partout. Il est reparti un peu vert. Je dois avoir quelques tomes dans les bibliothèques qui porte le nom de « La destruction élémentaire, étude des Danéïdes » un truc comme ça.
Il y a tes faiblesses notifiées ? »
Je pouffai.
« Je n'en ai pas, magiquement parlant.
- Mythril ?
- Mes boucles d'oreilles sont en mythril. C'est le seul métal que mon organisme accepte sans que j'ai besoin de le contrôler.
- Aconit ?
- Tu me prends pour une métamorphe ?
- Pierre de lune ? »
Je soupirai en lui jetant un regard blasé.
« C'est plutôt joli.
- Rien n'affaiblit tes pouvoirs ?
- Rien. Mes seules faiblesses sont émotionnelles. Et, disons le, mon entraînement est tel que c'est anecdotique. »
Kellen siffla.
« Waouh. Ma sœur est superman sans cryptonite. »
S'il savait. La seule véritable faiblesse que je possédai conduisait à quelques centimètres de moi, la souplesse de ses gestes et son assurance me rendant toute chose. Sans la haine que j'avais cultivée à son encontre, il était de plus en plus difficile de lutter contre l'attraction qu'il exerçait sur moi. Sans la présence de mon frère, je ne savais pas ce que j'aurais fait une fois dans l'habitacle relativement intime de la voiture.
Raphael eut un léger sourire. Je crus qu'il avait capté certaines de mes pensées, mais ses paroles me rassurèrent.
« Antagonistes, hein ?
- Les mêmes, aux extrémités, acquiesçai-je, soulagée. »
Kellen se pencha plus encore.
« Toi non plus tes pouvoirs n'ont pas de faiblesses ?
- Non. »
Je le sentis nous regarder tour à tour avant de se rasseoir correctement.
« Je vous envie pas. Le poids doit être dur à porter. »
Raphael lui jeta un nouveau coup d'oeil.
« Vraiment intelligent, approuva le Destructeur de Monde. »
Mon téléphone sonna. Je regardai l'interlocuteur.
« C'est Ayden.
- Étonnant, commenta Raphael. J'aurais pensé qu'il mettrait un peu plus de temps à se remettre.
- Pas vraiment. Il est plus costaud que ce que tu ne crois. (Je décrochai.) Oui, chef.
- Ash, on a un problème, fit le mage psi d'un ton préoccupé.
- Euh... ok ?
- Les gamins étaient leadés. (Waouh.) Sauf qu'un sort protège leurs pensées. (Arg.) Je n'arrive pas à les atteindre. »
En grimaçant, je jetai un coup d'oeil à Raphael.
« Tu veux dire à les atteindre sans briser l'esprit des gosses ? Demandai-je.
- Je sais qu'ils ont tué des innocents, mais justement, si on les a manipulé... s'expliqua Ayden.
- Ils y ont pris du plaisir, Chef. Mais tu as raison, ce n'est pas une raison pour briser un esprit. (Je serrai le téléphone.) Qu'attends-tu de moi ?
- Ta potion de vérité, est-ce qu'elle marcherait ?
- Non. Elle n'est pas faite pour lutter contre des sorts psi...
- Merde. »
Je fermai les yeux, réfléchissant à toute vitesse.
« J'ai quelque chose qui peut marcher dans le genre potion.
- Ah ?
- Une potion dangereuse, Ayden.
- Ta réputation est déjà faite.
- Ouais mais là, c'est un niveau au-dessus.
- Explique.
- Cela annihilerait chaque parcelle de magie chez les gosses. La moindre goutte. »
Même dans la voiture, le silence était pesant.
« Combien de temps ?
- Cela varie. Sur des adultes, c'est environ 72h. Mais les gosses sont à peine formés, il faudrait que je détermine leur niveau exact, sans quoi, je pourrais les priver de magie durant des années entières.
- Des ann... ok, ok. »
J'insistai.
« Ayden, ce genre de potion ne s'utilise que sur des adultes vieux de plusieurs siècles. Je ne connais pas les effets sur des ado.
- C'est tout ce que tu as ? »
Je réfléchi.
« Il y a la manière traditionnelle.
- la... quoi ?
- Bah tu sais, mener l'enquête, tout ça. Si on sait qu'ils ont été manipulé, on cherche.
- Trop long. Trop imparfait. Dans cette affaire, nous devons être sûr. Surtout après ta démonstration. (Point de reproche, juste l'énonciation d'une variable à prendre en compte.) Tu peux retrouver le type avec l'odeur du sort ?
- Pas vraiment. Le sortilège est mêlé à la magie des gosses, non ? Pour s'auto-alimenter.
- Oui...
- Mais en observant le sort...
- C'est un sortilège ancien, toute personne suffisamment rigoureuse peut le lancer.
- Comment l'as-tu appris, toi ?
- À la bibliothèque.
- A la... C'est dingue, plus j'en apprends sur les citadins, plus je me rends compte ô combien vous êtes inconscients, grondai-je.
- Oh, ça va, râla-t-il. »
Je pouvais partir dans un laïus sur le sérieux de tout acte magique. Mais Ayden n'était pas un inconscient. Faire ma demoiselle-je-sais-tout ne ferait que le braquer. Je finis par soupirer.
« Tout sort possède un contre-sort. Celui-ci ne doit pas faire exception. C'est plus compliqué qu'une potion, mais nettement moins dangereux.
- Je crois t'avoir dit qu'il était ancien... la partie contre-sort a été oublié.
- Et vous laissez ça a porté de tout un chacun ?! »
J'avais envie de frapper quelque chose.
« Putain, la magie, c'est pas un jouet ! Quelle société de merde !
- Le sort exige que la victime soit consentante, énonça-t-il en ignorant mon éclat de colère.
- Mon cul, oui ! C'est facile de jouer avec les loyautés et les émotions ! Avec les infos qu'il faut, n'importe qui peut consentir à n'importe quoi ! Le Conseil vit dans le pays des bisounours ou quoi ? »
Je grommelai.
« Foutue orgueil. »
Je me pinçai l'arrête du nez.
« Envoie moi un dessin de la rune.
- Comment sais-tu que c'est une rune ?
- C'est ancien, ça se nourrit, ça se trouve dans un livre et il faut juste être consciencieux. Ça peut être quoi d'autre ? Une banane ? »
Il grogna.
« Me fais pas passer pour un con, je reste ton supérieur. »
Je me forçai à me détendre.
« Désolée, la journée a été rude. Je viens de quitter la maison de mes parents, mon frère et Raphael sont dans la voiture. Je crois que je suis un peu surmenée. »
Il resta silencieux quelques secondes.
« J'oublie toujours que malgré ta puissance, tu restes sujette à des émotions fortes. Désolé. (Il froissa quelque chose.) En quoi le dessin de la rune va-t-il t'aider ? »
Je levai les yeux aux ciels.
« Je vais trouver le contre-sort.
- Il a disparu.
- Comme les licornes. Et pourtant, j'en ai déjà vu une. Soit-dit en passant, ce sont de vraies connasses. »
Il grogna.
« Merci de briser mes rêves.
- Hey ! Tu es un mage psi surpuissant et adulte depuis de nombreux siècles. Il serait peut-être temps que tu commences à croire au Père Noël.
- Ouais ouais, je t'envoie ça. »
Il raccrocha. J'avais vexé mon chef.
Je me tournai vers Raphael.
« Désolée, on va devoir reporter ce dîner...
- Non. Tu as besoin de manger. Et tu peux faire les recherches en même temps. Ce sera formateur pour Kellen et je n'ai rien d'autres à faire. »
Je regardai son profil impassible. Pourquoi lutter ?
« Ok. »
Il me jeta un rapide regard.
« Ouais, vaut mieux. »
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