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tome 1, Chapitre 7 « En scène ! » tome 1, Chapitre 7

J'avais un frère. Un petit frère.

La rage faisait bouillir mon sang.

Ma grand-maman adorée ne m'en avait rien dit. Je me sentais trahie par ces fourbes.

Me cacher une information aussi importante, ces seize dernières années ! Impardonnable. J'allais ravager le manoir car TOUTES étaient au courant, forcément.

Sauf moi.

Moi, la première qui aurait dû savoir.

Et j'allais écarteler mes parents. Pour ne m'avoir rien dit. Et pour... pour quoi ? M'avoir privé de connaître celui qui partageait mon sang, ma chair ?

J'étais complètement sonnée. Au point où je m'étais laissée conduire par Ayden jusqu'à l'école, sourde à tout ce qui s'était dit par la suite. Sourde à la dispute entre Ayden et Raphael, ce dernier semblant particulièrement contrarié.

Au point où j'en avais oublié les jeunes humains.

Au point où je ne ressentais que la rage, la trahison, la tristesse. Être empathe n'aidait pas forcément à gérer ses propres émotions.

Mais point de jalousie vis-à-vis de ce Kellen. Ce frère que je ne connaissais pas et que j'allais rencontrer dans le cadre de mon enquête. C'était horrible comme première rencontre, surtout en sachant ce que j'allais dévoiler.

Il devait ressembler à notre père pour avoir eu la chance d'être accepté par ce dernier.

Je m'en voulais un peu aussi de ne pas avoir prêté l'oreille aux chuchotements dans le Ministère quand je venais rendre mes rapports. J'aurais pu alors le savoir. Mais merde !

« Ashleen ? »

J'avais un frère et il était peut-être l'un des auteurs du massacre sur lequel j'enquêtais.

Non.

Ma mère avait beau être une garce, elle restait une Danéïde. Son histoire démontrait qu'elle était tout aussi consciente de l'importance de chaque espèce que le reste du clan, et surtout, je savais que malgré tous leurs défauts, mes parents étaient incorruptibles. Je n'avais jamais pu les traiter de pourris, leur cruauté s'arrêtant à ceux qui pouvaient la supporter.

Sauf pour moi.

Me cacher l'existence de mon frère...

La tristesse m'étreignit soudain, supplantant tout le reste. Chez les immortels, avoir des frères et des sœurs était rare, au vu de notre faible fertilité. Surtout avec moins d'un siècle d'écart. Bon, pas dans ma famille, notre capacité à nous reproduire dépendant des liens d'âme sœur rendant déjà difficile la procréation. Mais tout de même.

Un frère que j'aurais adoré voir grandir.

Choyer.

J'étais un peu coupable, il fallait l'avouer. Si je n'avais pas été aussi entêtée, peut-être aurais-je été mise au courant.

« Ash, ma belle ? »

Je clignai des yeux, me tournant vers un Ayden inquiet.

« Tout va bien ? »

J'acquiesçai. Mon auto-apitoiement avait assez duré. J'inspirai profondément, enfermant mes émotions avec minutie. C'était un exercice que j'avais effectué plus de fois que je ne saurais le compter. Un exercice essentiel : émotions brutes ne faisaient pas bon ménage avec pouvoirs destructeurs.

« Tu es sûre ? »

Je soupirai. Montrez une goutte de votre faiblesse et voilà que l'instinct protecteur des mâles, macho ou non, vous harcelait jusqu'à ce que votre colère pointe le bout de son nez.

« Je te dis que ça va. »

Je sortis de la voiture, manquant de percuter Raphael qui se tenait tout près. Il baissa ses yeux intenses vers moi, n'exprimant rien si ce n'est de la froide analyse. J'affrontai son regard, m'obligeant à me détendre malgré sa proximité. Il sentait bon, le con. Finalement, il hocha la tête et se détourna. Il ne parlait pas pour rien dire, celui-là.

Je lui emboîtai le pas, le reste du groupe m'entourant. La configuration m'était étrange, comme s'ils me soutenaient et me protégeaient. Les immortels mâles avaient des tendances misogynes, j'en avais été consciente très jeune, mais là... j'étais petite et d'apparence douce, mais j'étais presque sûre d'être l'une des créatures les plus dangereuses à des kilomètres à la ronde. Quoique, Raphael semblait plus dangereux encore.

Quelque chose en lui continuait de m'intimider malgré le pont que j'avais franchi. Il titillait un truc en moi que je ne connaissais pas, m'inspirant même un peu de peur.

J'étais une téméraire rebelle, avoir peur n'était pas dans mes habitudes. Mon incapacité temporaire à parler à ces gars étant plus une conséquence de mon empathie que d'une réelle timidité.

Je m'approchai un peu plus de Raphael, jusqu'à frôler la chaleur étouffante de son aura. Oui, elle avait un goût différent, proprement addictive.

« Evite d'être agressive dès les premières minutes, me conseilla Ayden. Cela n'aurait aucun résultat, n'oublie pas, ces jeunes sont envahis d'hormones avec l'impression d'être les maîtres du monde. Être agressive satisferait leur besoin de reconnaissance et leur impression d'être remarquable. »

Je haussai une épaule.

« Mec, j'ai quitté l'adolescence depuis moins longtemps que toi, et mon clan est plutôt puéril, au final. »

Flamme se pencha dans mon dos, sa voix s'approcha de mon oreille dans un souffle.

« Cybèle ne semble pas puérile. »

Je clignai des yeux avant de soupirer avec tristesse.

« Ma génitrice est une actrice hors pair. N'oublie jamais ça. »

On entra enfin dans le monument imposant qu'était l'Ecole. Le qualifier de château serait plus juste. J'étais soufflée par la richesse qu'il exposait et sa prestance avait de quoi impressionner. Si j'avais été plus sensible à ce genre d'art, et surtout si je n'étais pas venue à des fins professionnelles, j'aurais pris le temps d'admirer la qualité des statues, des ornements, des objets d'art disposés çà et là.

Mais j'étais plus sensible à la nature sauvage, heureusement pour moi.

En revanche, la pierre gardait la magie et les émotions des gens qui avaient vécus ici. Une puissante et ancienne magie hantait les murs, oppressant mon cœur tout en l'exaltant. C'était une sensation étrange, comme si elle avait une vie propre. Neutre, ni bonne ni mauvaise, la magie ancienne circulait sur ma peau, déterminant si elle m'acceptait ou non. Quand je la sentis diminuer la pression, se faisant caressante, je relâchai un souffle tremblant. La magie m'aimait, quel que soit son origine. Si celle-ci m'avait repoussée, j'en aurais été ébranlée. Surtout après l'effondrement émotionnel que je venais de vivre et que je maitrisais encore à grand peine.

Il y avait peu de lieu possédant sa propre entité, et ils étaient souvent disposés sur des nœuds de rivières magiques. La Tour dans laquelle j'habitais était relativement récente, avec une entité encore jeune, folle et fragile, nourrie par ses habitants, disposée sur un nœud moins puissant que celui de la vieille bâtisse dans laquelle je me trouvais.

Je sentais cette entité-là se nourrir des artefacts, des jeunes esprits qui déambulait sur ses dalles. Mais je m'y sentais étonnamment bien.

Ma propre aura s'adapta, devenant plus lascive, moins repliée sur elle. Du bout des doigts, je caressai le bois d'une œuvre à proximité de l'entrée, ignorante de la discussion que tenaient mes compagnons jusqu'à ce que la voix de Raphael s'élève.

« … avais dit que les parents n'étaient pas sensés se trouver dans l'amphithéâtre. »

Je clignai des yeux, revenant dans le présent.

Mon voisin-connard (il n'avait pas encore perdu ce titre) était tendu, sa colère vrillant dans son aura au point où des volutes noires s'enroulaient autour de lui.

Ces volutes n'étaient visibles que parce que j'avais moi-même un peu perdu le contrôle, la magie essayant de m'attirer à elle.

Je cillai une nouvelle fois et les volutes disparurent.

Ce n'était pas le moment de se faire envahir par les émotions des autres.

« Je sais, Sire, répondit l'homme qui, mal à l'aise, se tortillait sous le regard dur de Raphael. Mais le directeur a donné son accord et...

- Bane est aussi présent ? »

Le petit mage déglutit face à la froideur rageuse contenue dans ces quelques mots. J'intervins avant qu'il ne fonde en larmes de stress.

« C'est pas grave, marmonnai-je avec une fausse désinvolture. Je m'y attendais.

- J'avais demandé le corps enseignant et les élèves de niveau quatre minimum, m'ignora Raphael. Bane n'avait pas à désobéir à mes ordres.

- Monsieur Le Directeur soutient qu'il est le seul donneur d'ordre ici. »

Oh la petite fouine. Finalement le petit mage n'était pas à plaindre. Il distillait du poison sous une fausse impression d'intimidation, jetant de l'huile sur le feu qu'était Raphael.

Remettre en question l'autorité de mon voisin si dominateur était une mauvaise idée, mais je sentais que sa rage venait d'ailleurs. Je compris en quelques secondes en me rappelant où j'étais et à qui j'avais à faire. Ce directeur, ces parents, changeaient le plan. Ils savaient pourquoi nous étions venus. L'affaire avait rapidement envahi les réseaux sociaux et les médias numériques ces derniers jours, donc rien d'étonnant, mais cela me confirma que la pourriture n'avait pas épargné cet endroit. L'Ecole créait des monstres en ayant conscience de ses actes. Une émotion brute d'injustice me vrilla l'estomac, avivant ma colère latente, ma soif de sang mais surtout, réveillant le prédateur que j'avais mis sous contrôle en débarquant en ville. Etre une Danéïde n'était pas qu'un mode de vie et posséder des pouvoirs destructeurs. C'était lutter contre un Instinct si puissant qu'il pouvait vous rendre terriblement meurtrier. Mais si je laissais tomber le masque avant de pouvoir relâcher toute ma colère, jamais on ne me laisserait rentrer dans cet amphithéâtre.

Alors je gloussai.

« Laisse, Raphael, je vais lui faire regretter son arrogance, tu peux compter sur moi. »

Les iris d'argent du mage me clouèrent sur place. Ils brillaient d'une magie sombre, puissante, ancienne et destructrice. Je n'avais jamais eu le souffle coupé par un regard, mais celui-ci était ténébreux et lumineux à la fois, un effet que je n'avais jamais pu voir auparavant. Si je n'avais pas été habitué ces dernières heures à son aura, elle m'aurait submergée.

Je touchai courageusement son bras, tout en lui laissant entrevoir ma propre monstruosité. Comme pour lui signifier

« Regarde, regarde, petit monstre. Je suis pareille. Fais moi confiance. »

« Ne te laisse pas piéger, lui murmurai-je. Si moi je suis capable de détecter de la manigance politique, qu'en est-il de toi ?

- Bane a toujours tendance à titiller Raph, soupira Flamme.

- Et il parvient une fois sur deux à ses fins, grimaça Gael. »

Je serrai le bras du mage, sorcier, ou que sais-je comment on pouvait appeler un être comme lui, figé devant moi, m'approchant un peu.

« Sauf que sur moi, il n'a aucun pouvoir. »

Il cligna lentement des paupières. Je ne vis plus des ténèbres terrifiantes. J'expirai, soulagée, me plaçant à ses côtés en retirant ma main. Je souris au petit mage.

« Conduisez nous à l'amphithéâtre, je vous prie.

- Mademoiselle, euh... »

Il jeta un regard aux hommes qui m'accompagnaient. Mon sourire s'élargit, devenant froid. Il voulait jouer ? Parfait. Je revêtis mon masque de sorcière méprisante et impitoyable.

« C'est moi qui vous parle, vermine, grondai-je. Si vous ne voulez pas devenir un tas de cendre pathétique, je vous conseille de cesser votre petit jeu perfide et de me conduire là où je vous le demande. »

Il cligna des yeux. Je fis briller les miens. Il blêmit, soudain écrasé par mon aura qui s'imposa à lui comme un gros prédateur affamé et grondant. Je m'avançai d'un pas, annihilant toute sa volonté par ma propre dominance.

« Vous avez peur de ce Bane, hum ? Il vous a demandé de nous déstabiliser ? C'est une tache bien dangereuse. Surtout que si je me fie à ce que je sens, vous n'avez pas l'envergure nécessaire pour nous faire face. Alors vous allez être un gentil petit chien et nous guider avant que je ne décide que vous ne servez à rien et que je trouve le chemin par moi-même. Et ce qui ne sert à rien n'a pas lieu d'exister, c'est bien ainsi que nous, Immortels, voyons les choses, n'est-il pas ?

- Le directeur serait mécontent ! Glapit-il, un rien désespéré. »

Il tremblait, à présent. Mon sourire cruel se transforma en ricanement sec.

« J'en ai strictement rien à foutre. »

Et ma sincérité le percuta, le faisant reculer de quelques pas. Il tenta de parler mais la peur le rendait muet. Je diminuai un peu mon aura, lui permettant d'émettre un couinement pathétique.

« S-si vous voulez bien me suivre... »

J'acquiesçai royalement en fixant sa nuque pour le maintenir dans un état de malaise qui le garderait sous contrôle.

Ayden gloussa doucement avant de murmurer pour moi-seule.

« Tu devrais vraiment faire ça plus souvent, ma belle. Tu étais parfaite. »

Je haussai les épaules, faisant claquer mes talons dans notre marche déterminée. Il n'était vraiment pas prêt pour ce que je m'apprêtais à faire, si un simple grognement le rendait béa d'admiration.

L'Amphithéâtre était immense et peuplé. Il y avait la progéniture de toute la Haute société magique, les parents d'élève qui étaient parvenus à venir ainsi que tout le corps enseignant.

Je reconnus le Directeur sans l'avoir jamais vu.

La surprise me fit jeter un coup d'oeil à Raphael qui serra les dents.

« Mon frère. »

Le salut était froid, bref, étonnant.

Frère ? Woah. Apparemment, je n'étais pas la seule à avoir des soucis avec ma famille.

Bane avait la même haute stature, les mêmes cheveux noirs que Raphael, mais il était sensiblement moins beau, moins charismatique, moins terrifiant, moins musclé... en bref ? Moins Tout. Ses yeux étaient d'un gris sans rien de particulier. Sa magie était moins puissante aussi, même si elle était quand même conséquente. Il avait juste eu la malchance d'avoir un frère qui explosait les records. Et pourtant, il tentait de compenser en arborant l'arrogance comme une cape, en s'habillant richement, avec une coiffure impeccable qui faisait trop lisse à côté de la coupe nonchalante et si sexy de son frère.

Des jumeaux, évidemment, même si je n'avais jamais vu autant de différences entre deux êtres qui auraient dû être des copies conformes.

Je comprenais mieux la lutte de pouvoir et l'influence que menait l'homme contre l'impassible et l'inatteignable Raphael. Mais cela n'excusait pas la noirceur que je lisais dans ses yeux, le pli de cruauté de ses lèvres, la haine qui marquait ses traits dès lors qu'il posait son regard sur ce qui aurait dû être l'autre moitié de lui-même.

Sachant qu'il était du menu fretin face aux mâles de notre groupe, les connaissant sûrement depuis des siècles, Bane s'en prit à la seule créature inconnue qui lui faisait face et me dédia un coup d'oeil méprisant.

« Raphael. Je vois que tu as des relations de plus en plus... »

Il ne termina sa phrase que d'une grimace de dégoût. Raphael se tendit comme s'il était celui que l'on tentait de rabaisser.

Je souris si largement que le frère de ma Némésis eu un mouvement de recul. C'était marrant. Mais ça allait le devenir plus encore. Car l'avoir rencontré, même quelques secondes, avait achevé de réveiller le prédateur en moi. Je laissai cette part de mon être s'étirer lentement, envahir mes membres, étirer ma peau, réchauffer mes muscles.

Toujours souriante, je montai sur l'estrade sans attendre. Le Directeur hoqueta en faisant un geste pour me retenir.

Je l'ignorai. En fait, j'ignorai tout ce qui pouvait interférer avec ma quête de vengeance pour ces pauvres âmes arrachés bien trop tôt à la vie. J'avais dit que je n'avais pas l'âme d'une vengeresse à Ayden. Ce n'était pas faux, mais il y avait certaines fois où l'on ne pouvait ignorer l'appel des victimes et d'en devenir le serviteur. C'était l'une de ces fois-là.

Mon regard dépourvu de la moindre lueur d'humanité désormais parcourut les visages de mes suspects. J'avais déjà repéré les quatre auras que je cherchais au premier regard dans la salle, mais jouer un peu me semblait nécessaire. Nécessaire pour les mémoires, pour briser l'assurance du Directeur, pour calmer ma soif de sang.

Je tapotai le pupitre du bout de mes ongles, affichant un calme désabusé que j'avais appris à revêtir durant mon année chez mes parents et que j'avais peaufiné au fil des décennies.

Je repérai ces derniers à droite. Cybèle se tendit dès lors qu'elle me vit. Elle se crispa un peu plus lorsque je l'effleurai de mon aura, comprenant que je n'étais pas là pour un simple avertissement, et posa sa main sur l'épaule d'un jeune homme élancé blond comme les blés, qui me ressemblait étrangement.

Mon frère.

Son aura ne comptait pas dans celle de mes futures victimes. J'en étais soulagée.

Je le dévisageai brièvement. Il avait la beauté de mon clan, et la dureté de notre père. Moins insouciant que ses camarades, il se tenait droit, les mains croisés sur le bureau, un brin intrigué.

Son sang devait me reconnaître. Peut-être savait-il qu'il avait une sœur.

Je chassai cette idée de ma tête, revenant au présent.

« Bonjour à tous. »

Le brouhaha s'éteignit en entendant ma joie hypocrite. Je souris aimablement. Je vis quelques uns de ces arrogants frissonner, la perplexité peignant leurs traits. Ils devaient se demander pourquoi les griffes glacées de la terreur leur frôlait l'échine.

« Mon nom est Ashleen. Cela ne vous parle pas, car je n'ai pas vécu ici, et je n'ai aucun lien avec vos hautes sphères. Je ne me suis pas correctement présentée aux institutions, vu que cela ne m'intéressait pas autrefois, mais je vais le faire aujourd'hui, la nécessité faisant loi. »

Je saisis le pupitre à deux mains, détendue.

« Je suis une Danéïde, et c'est une information que je ne cherche pas à cacher. Si vos cours sont corrects, vous reconnaissez ce nom de clan, vous savez ce que cela signifie et surtout pourquoi votre Instinct vous dicte de courir loin d'ici, et vite. Mais par précaution, je vais vous faire un rapide rappel. Les Danéïdes appartiennent à un clan ancien, puissant, un peu terrifiant. Je peux vous assurer que toutes les rumeurs à notre sujet sont... bien en deçà de la vérité. Tout est pire, pire que vos cauchemars les plus fous, pour peu que vos esprits noyés dans ce semblant de toute-puissance en aient. »

Les gens s'agitèrent. Je gloussai cruellement.

« Mon clan fut autrefois un clan servant la justice avant qu'un semblant d'ordre ne fasse apparition. Mais cet instinct ne nous a jamais quitté. Chez moi, il est bien plus développé, bien, bien plus, que chez nos Ancêtres. C'est pour cela que j'ai décidé de m'investir et d'intégrer le Ministère. »

Je me détachai du pupitre pour me placer au bord de l'estrade, nonchalante.

« Voyez-vous, j'ai, depuis mon plus jeune âge, une extrême sensibilité. Cette sensibilité m'a obligé à voir les dérives de ce monde. Certaines sont acceptables, d'autre non. (Je balayai la salle du regard.) La dernière en date est le massacre d'adolescents humains. »

Je secouai la tête dans un soupir déçu.

« Oh, pour vous, ce n'est rien. Des mortels morts aussi jeunes ? Ne meurent-ils pas tous si rapidement ? Sauf qu'un problème se pose : moi. Moi, je suis votre problème. »

Je plissai les yeux.

« Quatre de vos camarades sont des meurtriers. Ils ont interrompu des vies avec cruauté et peu de respect pour les dons de la Déesse. Ils se sont glissés dans une fête pour y massacrer des innocents. Ils ont agi par égoïsme. Si jeune... mais je vois que cela ne vous atteint pas plus que ça. »

Je leur offris mon sourire le plus large, le plus fou, le plus terrifiant de mon répertoire.

« Laissez-moi vous expliquer en quoi cela est condamnable, vous qui vivez sans peur : vous vous pensez prédateur. Vous n'êtes que des proies. Des proies délectables, avec un pouvoir jeune. Vous dévorer ne me coûterait rien. Je pourrais vous affliger à tous un sortilège qui vous pousserez à vous massacrer les uns les autres, tout en vous laissant conscient que la jeune mage que vous étripez était votre amour. Je pourrais vous faire démembrer vos parents. Parce que vous êtes, selon votre propre échelle de valeur, mes proies. Inférieurs. Méprisables. »

Au fur et à mesure de mon discours, j'avais déverrouillé mon aura. Elle avait envahi la pièce, se gonflant à chaque mot prononcé. J'en étais qu'à la moitié de mes capacités. Je désignai mes compagnons.

« Les hommes qui m'accompagnent pourraient, demain, décider que cette situation les ennuie et tuer vos chers parents, ceux qui vous apprennent que vous êtes au-dessus des lois. Les Clans Oubliés pourraient se rappeler de l'Ancien temps et venir se repaître de vos chairs, comme lors de la Guerre de l'Age d'Or, ou encore lorsque l'ignoble Hydra est parvenue à prendre la tête de ces Clans. Hydra pensait comme vous, vous savez, que tout ce qui lui était inférieur n'était bon qu'à l'amuser ou à disparaître. Mais savez-vous ce qu'Hydra n'a jamais fait ? Massacrer des humains pour son amusement. Elle massacrait des mages, des bébés immortels, à tour de bras, mais ne touchait pas aux humains. Pourquoi ? Parce que malgré leur faiblesses, leurs fragilités, les humains sont innocents et sont la création de la Déesse. Pour la plupart, j'entends, il y a de la noirceur dans leurs rangs. Mais leur innocence fait que même la plus meurtrière des sorcières ne les a pas touché. »

Je soupirai, théâtrale.

« S'en prendre à l'innocence, c'est être pire que le Mal. Si vous n'intégrez pas cela, alors vous n'êtes que des parasites, des êtres sans buts, sans valeurs. Pire qu'Hydra et tous ceux qui ont marqué notre Histoire au point que nos Ancêtres ont rédigé les Lois. »

Tranquillement, je m'assis sur l'estrade.

« Si vous vous laissez à enfreindre les Lois, les Cauchemars ne verront plus de raison de s'y contraindre. Vous n'êtes pas les plus puissants. Vous n'êtes pas les prédateurs suprêmes. Vous n'êtes que des gamins, des petites choses encore fragiles... »

Mon pouvoir s'activa. Personne n'avait fait attention. Puis soudain, plus personne, pas même les adultes ne pouvaient bouger. Ma peau s'illumina. Mes cheveux volaient autour de moi, mus par un vent invisible.

Mon sortilège de Marionnette à moi était infiniment plus puissant que celui qu'ils connaissaient. L'entité magique qui imprégnait l'école répondait avidement à ma demande, décuplant mon pouvoir de façon exponentielle.

Je descendis de l'estrade, se faisant lever les quatre meurtriers. Une fille, trois garçons. La fille était l'instigatrice de la scène de la ruelle.

Je les fis s'approcher sans un mot.

« Vos quatre camarades ont attiré mon attention. Ce lieu a attisé ma soif de justice et de sang... »

Je les fis s'aligner devant moi. Je les regardai attentivement.

« Quel effet cela fait-il de ne pas être maître de soi ? D'être faible ? »

Je caressai la joue de la jeune fille, ses iris se tintant de terreur pure au touché de ma magie.

« Tu sens ton impuissance ? »

Les adultes commençaient à lutter contre mon sort. Je raffermis ma prise d'un grincement de dent. Sans l'entité de l'école, je n'aurais pas été capable d'un tel exploit. Mais cette dernière était tout aussi furieuse que moi.

« Tu sens que je pourrais t'obliger à tuer tes amis ? Oh, je pourrais même te faire arracher le cœur de ta propre mère. Je pourrais te guider à travers le monde et t'obliger à massacrer chaque membre de ta lignée, te garder ainsi pour toujours, sous mon emprise, hurlant dans ta tête, sans possibilité de lutter. Je pourrais souffler ta vie d'une simple pensée, lasse de te voir gémir de peur silencieusement. Je pourrais t'obliger à te faire dévorer par des démons, en te gardant éveillée, en vie, pour que tu sentes leurs crocs déchiqueter ta chair, morceau par morceau. »

Je m'approchai jusqu'à ce qu'elle sente mon souffle sur son visage.

« Je pourrais. S'il n'y avait pas les Lois. »

Je reculai, remontant sur l'estrade.

Ayden, épargné par mon sort, enchaîna les quatre jeunes avec des liens de mythril, le visage sérieux. Mes compagnons gardaient une neutralité exemplaire, s'étant adaptés aux changements de plans.

Je souris à l'assistance.

« Merci de vous être réuni aujourd'hui pour rétablir la justice. Merci d'avoir été aussi coopératif... (Je gloussai.) Enfin, je suppose que je devrais me remercier moi pour cela. »

D'un mouvement de la main, je relâchai le sort.

Certains tombèrent à genou, d'autre haletaient. J'en vis même deux ou trois qui vomissaient.

Je descendis de l'estrade, rejoignant Raphael. Je jetai un coup d'oeil à Bane.

« J'espère que le message est passé, lui fis-je avec nonchalance. Surtout pour vous. Je détesterais devoir revenir pour une nouvelle conférence... »

Il recula d'un pas, sa terreur imprégnant sa peau.

C'était la peur qui empêchait les immortels présent de m'attaquer. Le doute était né dans leurs esprits. Ils sentaient qu'ils ne survivraient pas. Ils n'étaient pas en haut de la chaine alimentaire. Alors que moi, si.

On sortit de l'Ecole, poursuivit par des murmures terrifiés.

Ayden confia les quatre suspects aux agents du Ministère qui avaient patienté devant le château, évitant de croiser mon regard. Je le vis hésiter, mais je sentais qu'il était ébranlé, plus encore que le jour où il m'avait vu le corps parcourut de foudre dans une démonstration de mes dons de type Valkyrie-en-furie.

Un peu blessée, je me retirais de la foule pour observer la forêt qui bordait l'Ecole. D'un côté, la ville, de l'autre la nature sauvage. C'était beau, inhabituel...

J'inspirai l'air frais, m'obligeant finalement à enfermer mon pouvoir erratique. Cela me prit du temps et des efforts, la menace n'ayant pas encore totalement disparue.

Un quart d'heure plus tard, je me remis en mouvement, lissant, encore, ma jupe, reprenant peu à peu pied dans la réalité.

J'agissais avec une nonchalance feinte. L'espace d'un instant, la véracité de mes propos m'avait ébranlée. J'aurais pu, j'avais envie, de passer à l'acte. Ma magie m'avait appelée, et j'avais été à deux doigts de répondre à cet appel.

Raphael vint poser une main sur ma nuque, me sortant des mes pensées. Je tournai le visage vers lui, réclamant un peu plus de contact. Qu'il me l'offre n'était pas étonnant en soi, nous étions vraiment un peuple tactile et mon visage exprimait sans doute mon besoin criant de me raccrocher à quelque chose. Je me sentais encore groggy par cette dépense magique, ce goût de puissance incommensurable et ressentir des émotions qui n'étaient pas les miennes, même étouffées, était salvateur. Tout connard qu'il soit, il faisait temporairement parti des personnes de mon entourage et apaiser ses alliés étaient un devoir que chacun se plaisait à exécuter. Au bout d'un instant, dès lors qu'il sentit que je revenais parmi eux, il me guida gentiment vers sa voiture dont il m'ouvrit la portière sans un mot.

Ayden devait se rendre au Ministère pour poursuivre l'affaire, mais je sentais qu'il saisissait cette opportunité pour me fuir. Je n'avais pas besoin de faire face au Conseil. De toute façon, mon acte n'était pas condamnable. Les Enfants de Mortels qui siégeaient à la tête du pays auraient bien trop peur que je ne vienne croiser leur regard. Après tout, je venais de mettre une branlée à toute une flopée d'immortels, de bousculer les plus puissants de leur représentant, sans m'essouffler. J'avais crié haut et fort mon appartenance aux clans des Anciens, rappelé que nous veillons toujours au grain. La loi du plus fort était la plus antique, la plus respectée. Par mon acte, je passais d'invisible à... à quoi, d'ailleurs ?

Mais je ne regrettais pas. Si personne n'avait pu agir du fait des chaînes politiques, ces scrupules ne s'appliquaient pas à moi. Et tant pis si l'on déclarait la guerre aux Danéïdes : mon clan serait plus que ravi de rappeler à qui de droit leur supériorité si longtemps oubliée.

C'était ainsi qu'était le monde dans lequel je vivais.

« Ashleen ! »

Je me raidis sous la paume de Raphael dont je sentis les muscles se tendre, tant il était proche physiquement.

Néanmoins, ayant reconnu la voix, je me tournai pour en voir la personne qui avait osé interrompre mes pensées sombres.

Cybèle descendait tranquillement les marches, son mari et son fils la suivant avec le même calme de façade, sous les yeux ébahis de nos spectateurs. Quel était l'élément qui les perturbait ? Qu'elle me hèle sans pression ou qu'elle se tenait devant son mari avec l'arrogance et l'assurance d'une Danéïde à la place de l'habituelle femme soumise à son époux ? Un peu des deux, je suppose. Je croisai les bras par dessus la portière, Raphael dans mon dos, si proche que je sentais la chaleur qui se dégageait de sa peau.

Ma mère s'approcha de moi. Je ressentis son sortilège de silence s'enclencher, un sort de niveau expert, bien plus difficile à dissiper que celui que j'avais utilisé la veille.

Elle regarda Raphael brièvement avant de se concentrer sur moi.

« Cela faisait longtemps, ma fille. »

Je clignai des yeux. Elle en avait du culot de rappeler ce que le temps loin d'elle m'avait pris. J'oscillai entre plusieurs émotions : colère, tristesse, surprise... Je déglutis en me redressant.

Je dis alors la seule chose positive qui me vint à l'esprit.

« Merci de ne pas avoir lutté contre le sort. »

Elle balaya l'air de la main.

« Je ne voyais pas de raison de le faire. La leçon était essentielle. »

Flamme se pencha par dessus sa propre portière, intrigué. J'espérais qu'aucun des hommes ne fassent de remarque. Ma mère n'était pas connue pour sa patience, surtout qu'elle semblait ne plus se contenter d'être l'ombre d'Arthur à cet instant.

La voir approuver mon acte était pour le moins perturbant.

Ma mère replaça une mèche de ses cheveux teintés d'un blond très clair dans son chignon parfait, signe de sa nervosité face à mon silence et les regards méfiants de mes compagnons. Finalement, ses yeux d'un bleu très pâle dont j'avais en partie hérité, se plantèrent dans les miens avec toute la force que pouvait avoir une mère, non pas que ce regard eusse jamais eu un impact sur moi.

« Ton père et moi aimerions que tu viennes dîner. »

Je regardai mon géniteur qui affichait un air d'ennui qui contrastait avec la curiosité dévorante de son fils.

Kellen ne semblait pas surpris, il était donc au courant de mon existence.

Je clignai des yeux pour en chasser toutes pensées parasites.

« Après la scène que je viens de provoquer, cela ne provoquera pas de catastrophe politique ? »

Une ombre passa dans le regard de ma génitrice. Ce fut Arthur qui répondit.

« Affirmer que tu es notre enfant renforcerait la puissance de notre famille. »

Un goût acide envahit ma bouche.

Alors Raphael s'approcha plus encore, et me prit par les épaules, comme s'il répondait au besoin criant de mon âme d'être protégée.

Je le regardai, me tordant un peu la nuque dans l'opération. Son soutien spontané m'étonnait bien plus que la chaleur de son étreinte et mon absence de réaction de rejet. Mon empathie rendait mon contact difficile lorsque j'étais atteinte d'autant d'émotions fortes, mais le mâle ne semblait pas être atteint par ces perturbations.

Ma mère soupira.

« Ce que veut dire ton père, c'est qu'il n'y a nulle honte et déshonneur à convier son enfant à dîner après qu'elle ait brillamment démontré à ces aristocrates arrogants qu'il fallait cesser de se prendre pour des dieux. »

Le regard d'Arthur brilla brièvement.

Ses iris, lorsqu'il utilisait la magie, prenait une teinte violette. Mon violet, celui que mon œil droit affichait en continu. Le remarquer seulement maintenant me rendit muette.

J'observai ce père qui ne m'avait jamais témoigné d'affection. Sa mise impeccable, ses cheveux blonds, son éternelle jeunesse. J'observais sa canne, un appui essentiel depuis qu'une vilaine blessure le faisait boiter. Une blessure qu'il avait récolté en se battant pour ma mère. Ma mamie me l'avait raconté tant de fois, pour calmer ma peine. Mon père était un druide, un guerrier, qui avait abandonné une partie de ses capacités avec l'utilisation de sa jambe, tout ça par amour pour ma mère.

Il n'était pas très prolixe, plutôt froid, et les seules discussions que nous ayons jamais eu avaient dégénéré en dispute.

Mais il me fixait sans peur.

Je sentis l'étreinte de Raphael se raffermir. Je répondis spontanément à l'invitation.

« D'accord, mais mes amis m'accompagnent. »

Mes amis ? Arg.

Je faisais pitié.

Arthur haussa un sourcil en toisant Raphael l'Impassible.

« Le Duc d'Obsidienne consentirait à venir dîner à nouveau à ma table ? »

Un grondement inaudible vibra dans le torse de mon voisin. Mais sa voix n'en portait pas de trace lorsqu'il répondit.

« Où va Ash, je la suis. »

Waouh.

Ça, c'était nouveau.

Ma mère offrit un sourire froid à notre groupe.

« Je ne vous savais pas friand des toutes jeunes filles.

- Votre fille est une femme, qui va faire ses soixante années. Je crains que votre absence vous ait fait oublier qu'elle n'était plus l'enfant que vous avez abandonné. »

Une ombre traversa le regard de Cybèle. Mais elle maintint son sourire.

« Le dîner risque d'être intéressant. 21H, ne sois pas en retard. »

Elle se détourna, son sort se levant dans un « pop » audible par tous. Je la regardai prendre son fils par le bras et lever la tête pour lui chuchoter quelques secrets.

Kellen me jeta un dernier regard, toujours curieux, pas le moins du monde négatif.

Je regardai ce qui aurait dû être ma famille s'éloigner.


Texte publié par ManueM, 11 septembre 2019 à 17h46
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