On fait quoi, on fait quoi... apparemment squatter mon appartement avait été une évidence pour eux.
Les bras croisés, j'observai les envahisseurs, une moue têtue et boudeuse sur les lèvres.
« Pourquoi est-ce que je dois me changer ? Râlai-je de mauvaise foi. »
Flamme me dévisageait en costume haute couture, affalé sur mon canapé. Son regard parcourut mes palladium, mon jean, mon débardeur gris avec une poupée vaudoo souriante avant qu'il ne soupire, déjà lassé par mon caprice. Oui, même moi, j'avouai que je tapai du pied comme une gamine.
Mes cheveux mal attachées furent les dernières victimes de son regard critique.
« Même si pour ma part, je trouve que tu es sexy et intéressante quoi que tu mettes, ce n'est pas le cas pour tout le monde. »
Raphael, depuis son observation de ma bibliothèque, grogna.
« L'image est importante. »
Ayden lissa sa chemise blanche du plat de la main, assis sur un fauteuil comme s'il posait pour une photo. Il ne fit aucun commentaire, mais son regard qui me fuyait m'apprit qu'il donnait raison à ses amis.
Il était 15h, je n'avais pas dormi, je me sentais sale, de mauvaise humeur. Et nous avions rendez-vous à dix-huit heure à l'école où un rassemblement d'élève était prévu à l'improviste pour nous permettre d'interpeller les meurtriers. Officiellement, nous ne venions seulement que pour alerter qu'une enquête avait ouvert concernant un massacre où des jeunes immortels étaient mis en cause.
Je rêvai d'une sieste, d'un bain, de vêtements confortables et surtout de solitude. En fait, de finir cette journée au plus vite.
Je savais qu'ils avaient raison, mais je me faisais un devoir de râler. Depuis qu'ils étaient arrivés ce matin dans ma cuisine, je n'avais pas eu une seule seconde de solitude et leurs présences, sans être totalement désagréable, je devais bien l'admettre, me hérissait toujours autant.
Gael s'avança vers moi, calme, pour tenter de me dissimuler au regard critique d'un Flamme particulièrement bavard.
« A moins que tu n'aies rien d'élégant ? Je pourrais contacter une amie pour qu'elle te prête quelque chose. Elle fait à peu près la même taille que toi. Quelques formes en moins. »
Je le fusillai du regard malgré la gentillesse inattendue de sa proposition.
« J'ai acheté un appartement à un million. Comptant. J'ai de l'argent, ne vous en déplaise. »
Il haussa un sourcil en regardant mon tee-shirt, toute délicatesse disparaissant de son regard.
« Les priorités des femmes ne vont pas à leur garde-robe ?
- La mienne compte plus d'épées que de robes. Tu veux que je te fasse un défilé ? »
Son regard se fit intéressé.
« Ne lui parle pas d'épée, gémit Flamme. Il bande rien que d'y penser. »
Depuis que nous avions quitté la maison de l'horreur, laissant les humains s'occuper des victimes avec une chape de tristesse et d'horreur qui ne semblait pas vouloir quitter ma peau, les joutes verbales n'avaient pas cessées. Ils s'étaient relayés pour aller se changer, vidant mon frigo avec minutie, discutant de l'affaire, éliminant chaque hypothèse pour s'assurer que mon instinct ne me trompait pas, tout en s'envoyant des piques, des petites réflexions taquines, qui trahissaient leur grande amitié.
C'était... nouveau, pour moi. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils aient des esprits aussi vifs, critiques, et même, je devais l'avouer, qu'ils parviennent à m'amuser. Je m'en voulais un peu de les avoir traités d'insensibles pourris jusqu'à la moelle. Et d'avoir plusieurs fois envisagé de les tuer en secret au fil des derniers mois. Surtout que je ne m'attendais pas à m'entendre aussi bien avec eux... quand ils ne jouaient pas aux cons. Ils ressemblaient un peu aux sorcières de mon clan, finalement : agaçants, puissants, mais avec un côté attendrissant et un humour décapant.
J'avais appris dans l'une des multiples discussions de l'après-midi qu'ils étaient d'un tout autre niveau que moi dans le Ministère, mettant leur relation et leur pouvoir au service de la justice... entre surnaturels. J'avais entendu parlé de cette caste un peu en dehors des sentiers battus : les Exécuteurs, les appelait-on. Sale réputation, beaucoup de cauchemars nés de leurs interventions...
Qu'ils soient bien réels et aussi frivoles n'avait de cesse de m'étonner. Moi qui me targuais de ne jamais me laisser berner par des préjugés, ils avaient fait les frais de mon envie brutale de les détester avec pour raison initiale l'anormalité de mes réactions en leur présence.
« Vous n'avez pas une affaire de vol d'artefact à résoudre ? Marmonnai-je.
Rien d'aussi intéressant qu'un massacre magique de masse, malheureusement, soupira Flamme avec ironie. »
Je le fusillai du regard. Par contre leur flegme continuait de m'agacer.
Raphael se tourna, perdant patience. Je le vis à sa mâchoire tendue et aux bouillonnements liquides de ses iris dont j'avais découvert qu'ils ne cessaient jamais d'être alimentés par la magie.
« Si, au lieu de taper du pied, tu allais prendre une douche et te changer, nous gagnerons suffisamment de temps pour t'expliquer les règles officieuses des interrogatoires entre surnaturels. »
Ayden gloussa.
« Si seulement elle a envie de les apprendre. (Je montrai les dents à son adresse.) J'ai vu un sérum de vérité dans un compartiment de ton frigo, très chère. Un bijou, d'après la couleur. Inodore et indétectable, je suppose ? »
Je lui souris sournoisement.
« Je ne sais pas, tu te sens comment, depuis que tu l'as reniflée alors que je t'ai prévenu au moins mille fois de ne pas fouiner dans les affaires d'une sorcière ? »
Il cligna des yeux avant qu'un sourire lascif n'effleure ses lèvres.
« Légèrement débridé. »
Je secouai la tête.
« Non, ça, c'est le pot d'herbe de pensée déjà à moitié préparé que tu as ouvert en cherchant de l'herbe à fumer.
Et tu n'es jamais groggy avec toutes ces plantes dangereuses que tu manipules ? Gloussa-t-il en se caressant la gorge.»
Je haussai un sourcil légèrement méprisant.
« Je suis en partie immunisée. Ma grand-mère s'amusait à me faire subir toute sorte de potion jusqu'à ce que je sache en éliminer les effets par la volonté. »
Il toucha ses lèvres, ses yeux se réchauffant.
« Etrangement, ton côté prédateur suprême me rend tout chose. »
Gael le regarda, surpris.
« Tu aimes les femmes, maintenant ?
- Pour la petite sorcière, je ferais une entorse à la règle. »
Je ris doucement.
« Tout doux l'étalon. »
Le prenant en pitié, j'allai prendre une bouteille dans mon frigo et la lui tendis.
« Bois ça.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Une boisson énergisante, héritage familial, encore une fois. »
Il en but une gorgée. Ses yeux se firent rapidement plus clairs. Il regarda la bouteille, émerveillé.
« Tu as pensée à la commercialiser ? »
Je m'assis sur le fauteuil à côté de lui.
« Me faire du fric sur une recette de famille ? Ma grand-maman me pulvériserait. Ou entreprendrait une rééducation musclée. Je ne sais pas lequel des deux me fait le plus peur. Surtout que ça n'agit que sur les sortilèges de faible intensité, les drogues humaines et la fatigue. Autant dire que le bénéfice ne vaut pas le risque. »
Il tendit la bouteille aux autres. Gael s'en saisit pour en tester l'effet, le regard légèrement soupçonneux.
Flamme croisa les mains sur son ventre plat, ses yeux fixés sur moi d'un air plus calme.
« Ashleen, petite voisine, fais nous plaisir et accède à notre humble requête, s'il te plait. »
Ainsi formulé...
« Enfin un peu de politesse. C'est avec plaisir que je vais me changer.
- La flatterie fonctionne donc sur ton esprit inflexible ?
- Non, mais si je te laisse continuer, tu pleurnicherais et je n'aimerais pas voir ça. »
Je me levai sous son rire, sifflotant jusqu'à ma salle de bain.
Une heure plus tard, j'observai mon reflet dans mon miroir.
J'avais opté pour une jupe haute, droite et moulante, fendue à l'arrière, arrivant au dessus du genou, une chemise rentrée, blanche au contour gris, attirant le regard sur mon décolleté, cintrée.
Des collants noir transparents, des Louboutins classiques à talon de dix centimètres qui rendaient mes jambes interminables complétaient ma tenue.
J'avais relevé mes cheveux en une couette faussement négligée dont on ne voyait pas l'attache, leur blancheur striée de bleu, de violet, d'or et d'argent, ajoutant un côté sauvage à ma tenue de femme fatale, tout comme mes oreilles percées de clou et de boucle en argent.
J'avais même consenti avec moi-même à me maquiller, renforçant l'effet étrange de mes iris strictement bicolore. Ainsi, le bleu semblait encore plus clair et le violet plus vif.
J'étais née ainsi, avec ces couleurs frappantes et étranges. La particularité de mon clan était notre aspect inhabituel, bien que je sois la seule à avoir jamais eu des yeux vairons.
Je regardai cette version de moi que je révélais très peu. Nous tentions toujours de paraître frivole dans le clan, c'était important de se rappeler que tous nos pouvoirs ne nous empêchaient pas de croquer la vie à pleine dent.
Être aussi sérieusement apprêtée, si séduisante, me rappelait en revanche que je faisais parti de la caste des puissants, quoique je puisse faire, quoique je puisse dire.
Je revins dans le salon alors que les hommes discutaient des dernières magouilles politiques dont j'avais vaguement entendu parler lors de mes passages au Ministère.
Ce fut Ayden qui me vit en premier.
Il se figea, les yeux grands ouverts. Ce qui attisa la curiosité des autres.
Le silence me gêna.
Je détournai les yeux, trouvant soudain le paysage urbain, que l'on pouvait admirer grâce à mon immense baie vitrée, particulièrement intéressant.
« Bordel de merde. »
C'était Flamme, comme attendu.
Il se leva, un peu moins grande gueule qu'à son habitude.
« Putain. »
Je souris en me concentrant sur lui.
« Je t'ai connu mieux pourvu en vocabulaire, pas plus tard que tout à l'heure. »
Il cligna des yeux avant de commencer à me tourner autour.
« Mais merde. Pourquoi ? »
Il tendit la main avant de se reprendre, un peu intimidé.
Je commençais à sentir les plus délicates variations de leurs humeurs car j'avais, ces dernières heures, baignée dans leurs auras. Au fur et à mesure, chaque frémissement prenait le goût d'une sensation exprimée, d'une pensée, et ce, malgré le fait qu'ils verrouillent leurs émotions. La raison première à mon dégoût pour le contact. Mon extrême sensibilité magique s'était matérialisée par un don d'empathe, inédit dans mon clan. Et j'étais puissante, avec ça. Suffisamment pour ressentir des émotions dont même l'émetteur n'avait pas conscience.
Un petit secret que je prenais bien soin de ne pas éventer.
Je le regardai avec humour, sa gêne balayant la mienne.
« Pour éviter que tu ne te déshydrates à force de baver de concupiscence. Recule, cette jupe m'a coûté une blinde. »
Il secoua la tête.
« Tu pourrais avoir toutes les portes qui s'ouvrent au moindre regard. Pourquoi portes-tu donc des fringues sans élégance ? »
Il me dévisageait avidement.
« Tu tiendrais nombres d'homme entre tes mains, tu les rendrais fous. La sauvagerie contenue, à dompter. Un fantasme ambulant. »
Je soupirai.
« Sauf que...
- Tu n'aimes pas l'attention. »
Raphael s'était rapproché à son tour, maître de lui.
« Flamme, cesse donc ton manège. »
Le flamboyant sorcier haussa un sourcil.
« Tu vas me dire que ça ne te fait rien à toi ?
- Si quelques vêtements rendent une femme plus désirable à tes yeux, c'est que tu es aussi superficiel que tu ne laisses paraître. »
Je fronçai les sourcils. Jusqu'ici, je ne les avais jamais vu s'affronter. Se taquiner, se calmer, oui, mais là... c'était différent. J'allais lui demander quelle mouche l'avait piqué quand Ayden applaudit.
« Belles paroles, Raphael, s'amusa-t-il. Pour tout te dire, une Ashleen nue est la plus belle création qu'il te serait donné de voir, je suis bien d'accord avec l'inutilité de vêtement classieux pour rehausser sa beauté naturelle. »
Je grognai en roulant des yeux, même si je devinais aisément qu'il effectuait une tentative pour calmer le jeu entre les deux amis.
« Je t'avais dit de ne plus prononcer mon prénom et l'adjectif nu dans la même phrase.
- Mon cœur, cette sortie de douche restera à jamais dans ma mémoire comme la fois où j'ai désiré une femme au delà de toute raison.
- Heureusement alors que j'ai un crochet du droit redoutable. »
Il sourit en se massant la mâchoire.
- « Mémorable, oui. Mais tu ne fermes jamais ta porte...
- Si, Ayden. Toujours. Tu ignores juste la serrure.
- Tout le monde ferme magiquement sa porte. Faire autrement indique que la visite n'est pas dérangeante. »
Il se leva pour venir replacer une de mes mèches de cheveux dans ma coiffure, un geste si facile pour lui. Mais loin d'être anodin. Sa voix mentale pénétra mon esprit.
*Ils ne te font pas confiance, Ash. Tu perturbes leur vision du monde. Ils te voient comme une sorcière affriolante, bien inférieure à eux. Mais qui peut causer des problèmes.
« Je ne connais personne qui a suffisamment confiance en ses réflexes pour se passer de ce genre de verrou-là, souligna-t-il d'un ton pensif. »
*Et que dois-je faire ? Répondis-je par le même moyen, en atténuant les effets de ma voix mentale.
*Donne leur un os à ronger, ouvre-toi un peu pour qu'ils soient moins intrigués. Et profites-en pour leur faire comprendre que tu es plus puissante qu'ils ne le pensent.
« Justement, continuai-je à voix haute. J'ai appris un jour que mes réflexes sont bien meilleurs sans verrou magique... (Je gloussai.) En fait, c'est drôle comme histoire, souris-je. Quand j'ai fait cette découverte, je devais avoir quinze ans, je crois, et je dormais chez mon grand-père. Il ferme toujours la porte magiquement, tout paranoïaque qu'il est.
- Tu as un homme dans ta famille ? S'étonna-t-il.»
Je secouais la tête. Son jeu d'acteur était bon. Il connaissait déjà cette anecdote.
« Tu veux vraiment que je te fasse un cours d’éducation sexuelle ? Les sorcières ne naissent pas dans les choux.
- Si y'a des démo, moi, je veux bien ! S'esclaffa Flamme. »
Je me dirigeai vers un fauteuil, m'asseyant en ignorant sa remarque, faisant attention à ce que ma jupe ne remonte pas trop, pour préserver à la fois ma pudeur et l'attention pas encore tout à fait sexuelle du sorcier aux cheveux rubis.
Ayden se posa en face de moi sur le canapé, satisfait, Gael restant à sa place, mais éteignant la télé où défilait des images de mortels en colère. Même Raphael prit le deuxième fauteuil tandis que Flamme se jetait sur le canapé comme si c'était le sien.
Mon chef se pencha.
« J'adore quand tu te mets en mode souvenirs. C'est toujours exaltant, sourit-il, le regard intelligent dirigé vers mes voisins.
- Si cela vous intéresse tant... J'avais donc quinze ans, commençai-je avec une voix de conteuse. Et j'étais allée en Russie chez la famille de mon grand-père. Sa mère est la Baba Yaga.
- Ce monstre ?! »
Flamme s'était redressé avec l'horreur peinte sur le visage. Je ricanai.
« Ouais. La dévoreuse de chair. Mais elle n'a que faire de la chair humaine et innocente, elle bouffe ses ennemis pour aspirer leur pouvoir. »
Je souris devant leurs regards sceptiques.
« Elle est plutôt drôle quand elle vous aime bien. Une fois, elle a préparé une sauce spécialement pour moi, si je venais à lui taper sur le système lors de l'une de mes visites. J'étais plutôt rebelle à l'époque, et je n'avais peur de rien.
- Pourquoi aller visiter... Baba ? »
C'était Gael qui avait posé la question d'un ton hésitant. Je dodelinai de la tête, amusée.
« Croyez-le ou non, mais Baba Yaga est une potionneuse exceptionnelle. Personne n'atteint son niveau de connaissance, de maîtrise, de... tout en fait. Ma grand-mère est excellente, mais je me suis vite révélée meilleure qu'elle. Et il fallait donc quelqu'un d'encore plus doué pour explorer mes capacités.
- Je ne connais qu'une poignée de personne capable de révéler ce que cherche à dissimuler une potion de mortalité, commenta Raphael. Et personne d'aussi jeune que toi. »
Je haussai les épaules, sans commentaire. Je n'allais pas lui révéler que j'étais unique en mon genre, surdouée dans plusieurs domaines, voire instinctive dans des branches réputées pour la complexité de leur apprentissage. Même si je ne les haïssais plus vraiment depuis qu'ils avaient décidé de m'aider dans mon enquête, et surtout en arrêtant d'interpréter ces rôles absurdes d'Immortels Blasés, je restais méfiante vis-à-vis de leurs véritables intentions. On ne pouvait pas aussi bien jouer les connards sans l'être au moins un peu.
« Enfin, bref. Le fils adoré de Baba est bien entendu moins puissant que son illustre maman, même si Viktor est un puissant fils de pute, et ce sont les paroles de sa femme, pas les miennes. Certains croient depuis des lustres qu'ils peuvent se venger de Baba Yaga à travers le fiston, et ils en étaient particulièrement certains ce jour où il a ramené une jeune et innocente petite adolescente avec lui. Une faiblesse, selon eux. Comme je vous l'ai déjà dit, mon grand-père verrouille toujours ses entrées à l'aide de puissants sortilèges, ce jour-là ne faisant pas exception, et il est connu pour ses protections très créatives, là bas.
- Puissant comment ? M'interrompit Flamme. »
Je réfléchis.
« Une fois, une personne essayant de pénétrer au manoir a fini changé en pierre. Il orne aujourd'hui le jardin. Impossible de lever le sort, et on a essayé, crois-moi.
- Ah oui, quand même.
- Oui. Bref. Donc, les gars, bien préparés, au lieu d'utiliser un contre-sort, ont foncé avec un semi remorque dans un mur. »
Ayden siffla.
« Ils voulaient vraiment entrer. »
J'acquiesçai.
« Les sorts de verrou ont besoin d'un ancrage. Détruisez l'ancrage et vous annihilez le sort. Et le problème avec les portes scellées, c'est la fausse impression de sécurité. Être réveillée aussi brutalement, soulevée par la puissance d'un camion, ça vous secoue pas mal.
- Que s'est-il passé ensuite ? »
Ensuite, j'étais rentrée en mode destruction totale et la seule chose qui ne m'a pas fait détruire la ville entière fut le chant de tout un clan de sorciers et sorcières gouverné par la Baba Yaga qui appelait mon âme dans les tréfonds de mon être devenu une arme magique indestructible.
- « Ils n'ont pas fait long feu, éludai-je. La surprise nous a rendu plus agressifs et prompt à tuer. »
Raphael se pencha, attirant mon regard.
« Nous ? Demanda-t-il, son regard essayant de percer à travers mon masque nonchalant.
- Je ne suis pas une gentille sorcière, lui soufflai-je. Je suis la descente de puissantes lignées, après tout. »
Ayden gloussa.
« C'est vrai. Baba Yaga, de ton grand-père, Walkyrie et Danéïde par ta Grand-mère et de ton père... tu m'as parlé de lui, une fois, mais sans entrer dans les détails. »
Je grimaçai.
« Je n'aime pas trop parler de mes parents. En fait, eux non plus, n'aiment pas parler de moi... (J'hésitai à poursuivre. Mais, après tout, ils l'apprendraient un jour, vu que c'était sur mon livret de famille et que ce dernier était plutôt accessible depuis que je m'étais engagée auprès du Ministère.) Je pense que vous devez les connaître, vu qu'ils vivent en ville... Les légendes Arthurienne, ça vous parle ?
- Hum, oui... réfléchit Gael en fronçant les sourcils.
- Viviane. Merlin. Mon père est le petit-fils de ces deux-là. C'est un arrogant que ma mère adore au point d'avoir quitté le manoir du clan. »
Je haussai les épaules.
« Je ne le connais pas beaucoup. Ma mère m'a laissé bébé devant le manoir. Ils viennent de temps en temps voir le clan, mais je suis comme un caillou dans le bonheur parfait de mes parents. Je l'ai compris la fois où j'ai essayé de vivre avec eux. »
Ils restèrent silencieux, un peu tendu. On n'abandonnait pas nos bébés chez les Immortels. On les choyait, les surprotégeait même. Je souris.
« Hé ! Ne faite pas ces têtes. Je ne sais même pas pourquoi je vous parle de ça.
- Pourquoi t'ont-ils rejeté ? Demanda Gael, son regard attentif.
- Je ne sais pas vraiment. Mes cheveux ? Le fait que je sois une fille au lieu du traditionnel garçon que doit produire la lignée de mon père ? Ce dernier point prouve que le sang de mon père est moins puissant que celui du clan. Il ne supporte peut-être pas de me voir car je suis la preuve qu'il est inférieur à ma mère et sa famille de bien des manières. Mais plus probablement à des fins politiques. Enfin, c'est ce que j'en ai conclu. »
Je lissai ma jupe. Le sujet était source d'angoisse pour moi.
« Et ma mère s'est toujours sentie différente, continuai-je. Elle n'aimait pas la vie recluse de notre clan. Elle est superficielle au point d'être heureuse de se tenir au bras d'un homme influent, beau, et adulé. Enfin, je suis un peu médisante, mon géniteur est son âme sœur, donc il compte plus que tout pour elle. Même s'il devenait pauvre et invisible, elle l'aimerait quand même...
- Attends... m'interrompit Raphael. Je ne connais qu'un seul descendant de Merlin en ville... Ton père, ce n'est pas... Arthur, si ? »
Je gloussai nerveusement. Bien sûr qu'ils le connaissaient.
« Surpris ? »
Flamme regarda son ami.
« Arthur, celui qui se trimballe dans le Ministère comme s'il lui appartenait ? Le richissime Arthur ? Sa femme est une décoration silencieuse, hautaine et sans intérêt. »
Je levai les bras, faussement joyeuse.
« Tadaaa, voici leur progéniture ! »
Ayden cligna des yeux.
« J'avais complètement oublié. Mais genre, complètement. C'est de eux que tu tiens ta version de la Haute ? »
Je secouai calmement la tête, un sourire désabusé aux lèvres, tapotant les accoudoir de mes fauteuils. Enfin un sujet facile, suffisamment personnel et pouvant être vérifié. Si avec ça, je ne gagnais pas un point de confiance...
« Oui et non. A vingt ans, j'ai voulu passer du temps avec mes parents, malgré les avertissements de ma grand-mère. J'avais encore la naïveté de croire que mon père vivait une vie dangereuse, qu'ils n'auraient pas pu éduquer correctement une sorcière comme moi en ville. Ce qui est vrai, en soi, mais je n'avais pas réfléchis qu'ils auraient pu simplement s'installer en campagne le temps que je grandisse. Donc j'ai pris mes affaires pour m'installer en ville. J'ai dû me teindre les cheveux en noirs, pour que l'on évite de me reconnaître, et surtout pour moins ressembler à ma mère, histoire d'être très discrète. J'ai même dû les couper, ajoutai-je avec des restes de dégoût dans la voix. Il faut savoir que les cheveux des Danéïdes sont l'un de leurs plus vaniteux trésors pour comprendre l'importance du geste. J'ai finalement été présentée comme une jeune cousine en soif de paillette et de gloire. »
Je souris sournoisement.
« C'était amusant au début. J'ai fait mon premier million cette année-là. Les tables de jeux de mon père étaient... intéressantes.
- Tu volais ? S'étonna Flamme.
- Je plumais les arrogants aux cartes, contredis-je en ricanant. Sans triche. Franchement, ce fut la seule fois que mon paternel a ressenti un peu de fierté pour moi. Mais ensuite, j'ai vu qu'ils ne s'intéressaient pas à moi, pas vraiment, je me suis lassée de ces jeux et je suis rentrée. J'ai eu encore quelques crises identitaires dans mon existence, mais dans l'ensemble, j'ai toujours été un peu rebelle. Et ça ne collait pas à l'image qu'ils voulaient renvoyer. C'est pour cela que je ne les vois jamais. »
Flamme tapa un coussin de sa main, le regard illuminé par une prise de conscience.
« C'est là-bas que je t'ai vu ! Dans la maison d'Arthur ! C'est pour cela que tu me semblais si familière ! Finalement, je ne t'ai pas baisé et tu ne m'as pas snobé ! »
Hein, que, quoi ?! Alors qu'il se levait et faisant les cents pas, je me répétais ses dernières paroles. Par la Déesse, c'était ça, la raison de son entêtement à me désirer de façon malsaine ? Il pensait m'avoir sauté dans un lointain passé et se sentait insulté que je fasse comme si je ne l'avais jamais vu avant ? Ce n'était plus un ego à ce niveau-là. Ce type était juste à côté de ses pompes.
Son agacement presque tangible me sortit de ma stupeur.
« Il a été à l'école avec nous... un petit con. Mais nos familles étant puissantes, il nous invitait... Enfin, jusqu'au jour où Raphael a brutalisé un de ces pompeux copains d'affaire, il y a quelques années... Mais, bon sang, rappelez-vous, s'agaça-t-il devant les froncements de sourcils de ses compagnons. La soirée vénitienne ! »
Ah ! Cette grande soirée, mémorable, la veille de mon départ. Je rougis.
« Oh. »
Flamme pointa son doigt sur moi.
« Tu es la jeune fille qui a créé un scandale en cassant le bras d'un jeune idiot. »
Je lissai ma jupe avec nervosité.
« Hum...
- Ensuite, je me rappelle du rire démoniaque et de la disparition en flash. Suivi d'un bordel sans nom. C'était quoi déjà, la blague ? »
Je marmonnai.
« J'ai versé une potion de vérité dans le punch. De faible intensité. L'hypocrisie me filait de l'urticaire. »
Alors une chose étonnante se passa.
Raphael sourit. Il dévoila ses dents dans un large sourire parfaitement amusé, ses yeux pétillants, même.
« C'est le jour où la grande Rose a avoué avoir couché avec le frère de son mari, que Dorian a juré aux grands dieux qu'il n'avait jamais voulu voler ces fleurs sur cette tombe pour les offrir à sa future femme, que c'était une petite voix qui lui avait dit de le faire. Des petits secrets jetés ça et là par de grandes familles, qui ont foutu une merde pas possible. »
Gael posa sur moi un regard admiratif.
« Je me suis toujours demandé qui avait pu ensorceler tous ces grands de la magie. »
Ayden applaudit en riant.
« Un grand spectacle.
- C'est aussi la nuit où tu as avoué aimer les hommes, soupira, désolé, Flamme. »
Le mage psi sourit. Moi, je contrôlais mon expression pour ne pas dévoiler mes pensées. Je savais qu'Ayden ne buvait pas d'alcool en dehors d'un cercle d'invité très restreint. Ses pouvoirs l'en empêchaient. Un verre et il avait les pensées de la foule qui envahissait son esprit, au point que cela pouvait le rendre malade. Je l'avais découvert très vite, étant moi même peu apte à boire, je lui avais posé la question sur son apparente ivresse après une nuit de débauche où il m'avait rejoint sur une scène de crime. J'avais insisté sur son haleine qui ne sentait absolument pas l'alcool.
Cette nuit fut la première où nous nous confîmes véritablement à quelqu'un. M'avouer sa « fausse » sexualité fut naturel. En même temps, il devait se douter que je le découvrirais bien assez tôt grâce à mon dos.
Ayden ne broncha pas, acteur dans l'âme.
« Mes parents en sont encore tout retournés. Au bout de quarante ans, il faudrait bien qu'ils s'y fassent.
- Quarante-huit, le repris-je.
- Autant ? »
J'acquiesçai. Il soupira.
« Ah, ma petite, comment ai-je fait pour vivre sans toi dans ma vie ? Tu as une tendance à l'améliorer sans même le vouloir. Je devrais t'appeler mon petit trèfle à quatre feuilles.
- C'est trop long, le contrais-je, mais ravie du changement de sujet. Même pour toi dont la verve n'a d'égale que la longueur de sa... »
Je jetais un regard éloquent à son entre-jambe, déclenchant son fou-rire. En venir à ce sujet me semblait être bien moins dangereux pour mes secrets. Me livrer, d'accord, mais il ne fallait pas non plus abuser : si mes voisins n'avaient pas confiance en moi, la réciproque était aussi vraie.
Gael haussa un sourcil. Ayden s'expliqua.
« L'épisode de la douche. Son poing n'est rentré en contact avec ma joue que lorsque j'eus la bonne idée d'égaliser les scores, tout innocent de la pudibonderie de la demoiselle. »
Je me cachai le visage de mes mains.
« Malaise. »
Rires et commentaires virils suivirent cet aveu.
Je regardai ma montre en les laissant poursuivre sur ce sujet.
Le sérieux s'empara de moi comme un étau.
« C'est l'heure. »
Raphael se redressa.
« Si tes parents sont Arthur et... Je ne connais même pas le nom de sa femme. »
Je m'assombris plus encore.
« Cybèle. »
Je frissonnai.
Ma mère était puissante, très puissante. Qu'elle consente à être oubliée, surtout avec un prénom comme le sien, me rendait à la fois agacée et triste. J'avais lu des tas d'histoire sur sa jeunesse, écrite par Arielle, notre historienne, sur ses amants, ses victoires, son intelligence... j'avais l'impression quand je la voyais que ces récits parlaient d'une autre personne.
« Et Cybèle, conclut Raphael. Nous risquons de les croiser à l'école. »
Je fronçai les sourcils.
« Pardon ? Mais pour quelle raison ? »
Ayden grimaça.
« Cela fait combien de temps que tu ne les as pas vu ? s'inquiéta-t-il.
- Vingt ans. Mon clan ne me parle même plus d'eux depuis notre dernière dispute, marmonnai-je.
- Ah ?
- Mon père voulait me marier de force pour un accord politique. »
Flamme se frotta le front en échangeant un regard avec Raphael qui m'observait intensément. Quoiqu'il semblait faire toujours tout de façon intense. Mais c'était perturbant d'être l'objet de tant d'attention sans savoir ce qu'il attendait de découvrir en moi.
« Ok... grogna Flamme. Lui qui a fuit un mariage de convenance voulait te... bref.
- Le sujet n'est pas celui-là, grogna Raphael. Mais ton récit me dit qu'ils ont une influence émotionnelle et tu perdrais en efficacité. Après nous avoir prouvé que tu devais venir, il serait dommage que tu sois rendu inefficace par...
- Tu es sûr que nous les croiserons ? L'interrompit Ayden, soucieux. Ce n'est peut-être pas à nous de le dire. »
Raphael me dévisagea froidement.
« Ces dernières heures, Ashleen m'a prouvé qu'elle méritait mon respect et ma franchise. Qu'elle était une alliée. »
Je haussai un sourcil étonné.
« En vous rabrouant et en racontant deux-trois histoires ?
- En retenant tes larmes face aux jeunes humains morts. Avec ta soif de justice et ton esprit indépendant. (Il se désigna avec les trois autres hommes.) Nous nous sommes jurés de protéger les innocents il y a longtemps. Nous sommes marginaux car nous utilisons le système à ces fins-là. Même si Ayden a choisi de se plonger dans les relations inter-espèces, il n'en reste pas un membre du Ministère véritablement préoccupé par le bien-être des ignorants. Tu ne te rends pas compte à quel point cela est rare. »
Flamme se rassit, ses yeux soudain sérieux.
« Nous avons quelques siècles aux compteurs, petite. Nous te paraissons peut-être frivoles ou las de cet univers. Mais nous sommes bien plus impliqués qu'il n'y paraît. Personnellement, comme Ayden, j'ai repéré ton potentiel. (Son sourire séducteur revint, mais sans le côté malsain, pour une fois.) Juste pour info, hein. »
Je me levai, tirant sur ma jupe pour la remettre à sa place, mal à l'aise par la tournure que prenait cette discussion.
« Ok, admettons. Et donc, Raphael ? »
Il se dressa face à moi, me dominant largement. Je dus y mettre toute ma volonté pour ne pas faillir face à ma Némésis, ma kryptonite, ma faiblesse inavouée.
« Donc, j'ai décidé que tu serais utile. Et une arme utile, on la polie, on la prépare. »
Ayden soupira en se levant.
« Ashleen est mon agent, Raph. Pas le tien. »
Je les regardai tour-à-tour.
« Je ne comprends rien. »
Ce fut Gael qui me répondit.
« Vous vous prenez la tête pour rien. Il est évident que la petite doit être mis au courant. »
Il s'interposa entre Raphael et moi. Un regard à Ayden avant de me fixer dans les yeux.
« Nous connaissons tes parents. Même si toi, tu sembles mal les connaître, ils sembleraient qu'ils soient l'une de tes faiblesses, dont tu es encore trop jeune pour contrer les effets néfastes. »
Il posa une main sur mon épaule, me crispant.
« Heureusement que nous avons eu ce petit moment de complicité, sourit-il. Cela nous permet de t'avertir.
- Je sais gérer mes parents, marmonnai-je. Même si je suis presque sûre que je ne les croiserai pas à l'Ecole. Qu'est-ce qu'ils iraient foutre là-bas ? Ils n'ont pas d'en... »
Je me figeai. Il n'y avait qu'une seule raison pour qu'ils s'y trouvent.
Non. Impossible. Je le saurais.
Ayden soupira lorsqu'il croisa mon regard perdu. Posant ses deux mains sur mes épaules, il prit une voix douce en prononçant les mots suivants.
« Ton frère, Kellen, à seize ans. L'âge des jeunes convoqués ce soir. »
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