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tome 1, Chapitre 4 « Intimité (n.f.) : Concept inconnu des voisins » tome 1, Chapitre 4

Ayden débarqua par surprise au petit matin. J'étais en robe blanche, qui s'accordait parfaitement avec ma peau lunaire et mes cheveux blanc, striées de mèches bleues, violettes, dorées et argentées, relevés dans une couette haut sur le crâne et cascadant dans mon dos dans un fouillis de boucles sauvages. C'était ma tenue de travail en potion, pour remarquer si une goutte m'avait touché. Il était important de rester propre lorsque l'on manipulait des ingrédients aussi dangereux que ceux que j'utilisais actuellement.

Mon appartement était surchauffé, la musique hurlait dans les enceintes, et ma magie rendait l'air épais. J'avais la peau brillante d'une couche fine de sueur propre et mes yeux brillaient sans doute de concentration alors que je regardais mon chef arriver sans frapper dans mon appartement. En bref, bienvenu chez la sorcière !

« Ah ! Je vois que tu joues à la potionneuse effrayante. »

Il me tendit un café brûlant de chez Starbucks à peine eut-il posé un pied dans la cuisine. Café, crème, vanille avec des éclats de caramel. Le sucre, c'était mon carburant, ma faiblesse. Je le remerciai d'un sourire, passant la main sur l'une de mes marmites tandis qu'il déposât un baiser sur ma tempe. Il sentait l'alcool, l'odeur d'un mâle étranger, les restes d'un plaisir sensuel et son propre parfum élégant dont je ne me lassais jamais d'inspirer à plein poumon.

« Je ne t'avais jamais vu faire de potion encore, commenta-t-il en laissant son regard errer sur les marmites.

Je n'en ai pas franchement besoin en temps normal, répondis-je. Mais pour le coup... »

Il posa une fesse sur mon îlot de cuisine, pas loin de moi, son sourire à fossette manquant de m'aveugler.

Ayden était beau comme un dieu. Ses cheveux d'or ruisselaient jusqu'à sa taille, dégagés de son visage avec une pince en ivoire qui ne semblait jamais le quitter. Ses grands yeux d'or aux iris mouvants semblaient lire jusque dans votre âme. Grand et taillé comme un coureur, il était fin, gracieux, mais dégageait une impression de force qui vous faisait douter sur la fausse délicatesse avec laquelle il se mouvait. Je l'avais vu soulever une voiture, une fois. Cela ne m'avait pas choqué, moi-même j'y parvenais, mais l'image était relativement impressionnante. Néanmoins, il ne m'avait jamais intimidé. Dès le premier regard, j'avais pu voir en lui une âme proche de la mienne, de façon purement amicale.

Il se pencha par dessus mon épaule, en prenant garde à ne pas me toucher, me dépassant d'une bonne tête. Même si j'étais petite – un mètre soixante – je ne m'habituerais jamais à ce que l'on fasse ça. Pourtant, mon chef s'était déjà permis des gestes bien plus intrusifs à mon égard, mais cette attitude, qui me faisait sentir minuscule, avait tendance à me hérisser plus que tout. Il semblait ne jamais le remarquer, complètement détaché des autres malgré ses dons centrés sur les esprits environnants. Cela s'expliquait en partie par le fait qu'Ayden faisait parti des hautes sphères, et ça, il ne pourrait jamais le cacher.

Il avait récemment récupéré la direction des Enquêteurs, une direction devenue fantoche au fil du temps, maintenue seulement pour apaiser les mortels. Mais, lui, il l'avait pris au sérieux et il l'avait rendu efficace. Il riait facilement de ses détracteurs car, malgré sa naissance, il appréciait suffisamment les humains pour être excellent dans son job.

Depuis notre entretien lors de mon embauche, il ne me lâchait pas. J'avais hérité des affaires étranges, improbables et casse-gueule, mais jamais pour me plomber. Non, d'après ses aveux, j'étais simplement un cadeau neutre tombé du ciel qui lui permettait de véritablement pouvoir intervenir sur les merdes que créaient volontairement ou non les Immortels. Son sens de la justice était aussi développé que le mien, et en cela, nous nous accordions parfaitement. D'où le fait que je lui pardonnais à peu près tout.

« Tu utilises du crocs-de-sorcière ? »

J'acquiesçai en le laissant prendre le pot contenant cette plante très compliquée à trouver en ville.

« Il y a cinq potions avec du crocs-de-sorcière, à ma connaissance, commenta-t-il.

- Huit, plus exactement, répondis-je. Mais les trois que tu ne connais pas sont des potions méconnues en dehors de certains clans de sorcière très peu sociables. »

Il touilla une marmite.

« Tu m'expliques ? »

Je le dévisageai quelques secondes. Jusqu'ici, il n'avait rien dit d'intéressant. Je savais ce que cela signifiait chez lui, lorsqu'il se montrait aussi frivole.

« Que fais-tu là à l'aube, Ayden ? Soupirai-je, légèrement agacée par ces préliminaires.»

Il me lança un regard rieur.

« J'ai passé la nuit dans l'appartement d'à côté, finit-il par avouer. Gael est un ami, comme tu le sais... et vu que j'étais réveillé, que j'ai vu que ta lumière n'avait pas faibli, je me suis dit que je pouvais déposer un remontant pour mon enquêtrice de génie. »

Il se repositionna à distance raisonnable avant de poursuivre, ses joues se creusant sous un ancien rire qui faisait encore pétiller ses yeux.

« J'ai appris que ta grand-mère et toi étiez plutôt drôles et... étranges. »

Je me renfrognai.

« On parle de moi en soirée, chef ? »

Il haussa les épaules.

« Souvent. Flamme ne se lasse pas de vouloir grappiller des infos sur toi. Mais je te suis fidèle. »

Je balayai l'air de ma main.

« Ne me parle pas de lui.

- Oui, tu l'as menacé, parait-il. »

Il me dévisagea avec attention lorsque je souris de façon plutôt sombre. Je vis un frisson le parcourir. Mais il cligna des yeux et les prémices de la peur que j'avais vu en lui disparurent.

« J'ai tendance à oublier que tu joues dans une autre Cour que la mienne... Ton sang et ton clan sont flippants, ma douce. D'ailleurs, une potion de mortalité à des gamines ? Qui fait ça ? »

Je haussai les épaules, peu étonnée que mes voisins aient cafté cette partie là aussi.

« J'ai fait ma première potion de haut niveau à neuf ans. Les jumelles sont moins en avance que moi, mais...

- Tout de même. Tu es un petit génie, chérie. Toutes les femmes de ton clan ne peuvent pas l'être.

- Exactement, approuvai-je en m'appuyant contre un plan de travail face à lui, buvant une gorgée du café qu'il m'avait offert.

- D'où les potions de révélation que tu nous concoctes. »

Je lui jetai un regard amusé.

« Et c'est moi, le petit génie ? Tu as deviné en reniflant plusieurs marmites en quelques secondes.

- Pour ta gouverne, je commence à mieux te connaître. Je n'ai eu qu'à reniflé, comme tu dis, qu'une seule de tes potions. »

Il désigna la marmite contenant le crocs-de-sorcière.

« Et celle-là est assez explicite.

- Mes voisins parlent beaucoup trop, si tu veux mon avis.

- Ils s'inquiétaient pour ma réputation. Tu as été suffisamment vilaine avec Flamme pour qu'ils remettent en question l'image inoffensive qu'ils avaient de toi et tu as posé une question qui aurait pu titiller des personnes moins marginales que ces trois-là.

- Eux, des marginaux ? »

Il se pencha doucement et attrapa l'une de mes mèches colorés pour en apprécier la texture.

« Autant que moi, ma belle. »

Normalement, se laisser toucher par un sorcier psi était dangereux, et pour quelqu'un comme moi qui n'aimait pas le contact, cela aurait dû me hérisser. Mais j'avais confiance en lui, et j'étais consciente de sa soif de contact.

Les Immortels étaient ainsi : ils aimaient toucher la chair, goûter la vie des autres. D'où la sexualité débridée et la quasi-impudeur de beaucoup d'entre eux. J'étais un peu différente, voire beaucoup, même. Pas de sexe, pas de contact, pas de besoin irrépressible. Ça n'avait pas toujours était ainsi, mais on apprenait vite à ne pas reproduire nos erreurs, dans notre monde.

« Ils pensent que tu es gay, gloussai-je en changeant brutalement de sujet.

- Ah, ma chère, j'espère que tu ne les as pas contre-dit. Il serait fâcheux que ma famille reprenne ses habitudes de marieuse. »

Je secouai la tête, sentant le tiraillement de la mèche prisonnière de ses doigts.

« Non. Déjà, ce ne sont pas mes affaires, ensuite, c'est plutôt drôle de voir comment les gens se comportent avec toi. Et puis, ce n'est pas totalement faux, vu ce que je sens sur ta peau.

- Ah ! Ashleen. Pourquoi ne t'ai-je pas rencontré avant ! Tu es mon âme-soeur, je n'ai désormais plus aucun doute. »

Je ris en le regardant quitter son poste pour fouiller ma cuisine. J'observai sa grâce naturelle et admirai brièvement la finesse de ses traits. Ayden était une œuvre d'art dont on découvrait chaque jour une nouvelle et merveilleuse particularité. Il aurait été criminel de ne pas le regarder. Il n'était pas comme mon voisin-connard, d'une beauté tellement brutale qu'elle vous prenait aux tripes. Non, il était moins sexuel, plus divin, et pouvait conquérir n'importe quelle personne pour peu qu'il s'en donne la peine.

« Par contre, reprit-il en interrompant mes pensées de son ton plus sérieux. Pourquoi soupçonnes-tu l'Ecole ? »

Je me tournai vers lui en me redressant. Il se coupait tranquillement une part de tarte au noix. Rares étaient ceux qui mangeraient aussi tranquillement de la nourriture chez une sorcière. Nous n'étions pas réputées pour notre hospitalité, et il était bien connu que nos invités pouvaient se faire ensorceler d'une bouchée de pomme. Disney en avait averti la plupart.

« Le choix des victimes, répondis-je. Des adultes prennent des SDF, des gens sans attaches, pour leur amusement. Il est interdit de tuer des mortels non-marqués, et même s'ils sont difficilement accusables, ils sont quand même prudents. Alors que des adolescents à qui l'on fourre des idioties de supériorités raciales dans le crâne, avec à leur disposition des connaissances aussi dangereuses... l'arrogance d'un ado immortel n'a pas de limite, déplorai-je dans une grimace.

- Tu joues la profileuse ?

- Je me fie à ce que j'ai appris, marmonnai-je. Je ne fréquente peut-être pas les hautes sphères actuellement, mais je les observe depuis longtemps. Les derniers que nous avons arrêtés étaient des marginaux, rejetés par la Société immortelle. Il y a beaucoup d'affaires bien plus fines qui ont été classées sans suite, dont je connais les investigateurs. Et tu les connais aussi. »

Il prit une bouchée de sa tarte, le regard mystérieux.

« Hum, un délice ! Éluda-t-il. Si jamais tu te fais virer, tu pourras toujours te reconvertir en chef de cuisine.

- Personne n'embaucherait une sorcière, répondis-je en jouant le jeu.

- Tu monteras ton restaurant : « Ô délice des Rêves. »

- Mon prénom ne cesse de t'amuser, à ce que je vois. »

Il me fit un clin d'oeil avant de redevenir sérieux. Il avait eu le temps de peser ses mots.

« Si ton instinct se valide, ce sera sans précédent. Nos mômes sont protégés, extrêmement protégés.

- Les victimes sont des gosses, grondai-je. Des gosses avec des parents qui les aiment et qui pleurent leurs pertes. - Ce sont des êtres vivants qui ont été tués pour satisfaire la cruauté des puissants. C'est monstrueux et impardonnable. La vie est précieuse, toutes vies. »

Il baissa les yeux.

« Lorsque tu nous condamnes ainsi, je me sens moins qu'une merde. »

Je haussai les épaules, ne me sentant absolument pas désolée.

« Je suis végétarienne, et mon éducation a été stricte, rappelai-je. Que j'arrive à me retenir d'aller exploser les meurtriers toujours en liberté parce qu'ils sont bien trop protégés est déjà un exploit en soi. Si mes paroles te blessent, je n'y suis pour rien. Tu le sais mieux que moi : les gens de ton monde sont de vrais pourris, lorsqu'ils n'ont pas de limite. Et à cette Ecole, on leur apprend qu'ils n'en n'ont pas. Et les limites entre Immortels ne comptent pas, tu sais bien. »

Il reprit un morceau de sa part de tarte, mâchant lentement pour se laisser le temps de la réflexion.

« Que vas-tu faire ? Demanda-t-il finalement. »

Je désignai les potions.

« Le plan pour l'instant et que je vais retrouver les meurtriers rapidement. Te pondre un rapport. Et te laisser te démerder avec la politique. Je ne suis pas un ange vengeur, Ayden, heureusement pour toi. »

Il posa son assiette vide dans le lave-vaisselle.

« Ta conscience ne te hurle pas de punir les coupables ? »

Je me détendis un peu. J'avais face à moi l'ami et non pas le chef.

« Si ce sont bien des gosses qui ont fait le coup... ils sont encore rattrapables. C'est le système qui les pourrit, pas leur magie, pas leur richesse. C'est ce que l'on leur apprend qui les rend si dangereux. Toi, tu as su composer avec tout ça. Pourquoi pas eux ? »

Il soupira avant de m'offrir un regard las.

« Je ne m'attendais pas ce genre de discussion après une nuit blanche.

- On a déjà parlé de tout ça, Ayden. C'est toi qui relance le sujet à chaque fois. Tu ne veux pas y croire, alors que tu sais déjà ce qui ne va pas.

- Ma petite révolutionnaire...

- Ah, un nouveau surnom... »

On frappa à ma porte avant qu'il ne réplique. Je fronçai les sourcils, surprise.

« Qu'est-ce... »

Apparemment, le visiteur n'était pas patient. Il entra sans attendre que je n'ouvre.

Enfin, ils entrèrent.

Mes chers voisins. Bouche bée, je les vis envahir ma cuisine.

« Ah, Ayden ! »

Flamme sourit en se dirigeant droit vers nous, comme s'il connaissait la maison, comme s'il était déjà venu et avait déjà tout vu. En territoire conquis, en somme. Sonnée, je les regardais envahir mon foyer avant que mon regard ne s'agite autour de moi, mon instinct s'éveillant brusquement pour me hurler de chercher un endroit où me réfugier, histoire d'accuser le choc. Mais rien à faire, je n'avais pas d'autres choix que de les laisser m'approcher, ayant moi-même agencé mon propre piège. Oui, car mon appartement était en long, peu adapté aux retraites stratégiques. Et pourtant, je l'avais aménagé pour avoir l'impression d'être libre.

On rentrait par le grand salon, face à un mur dont la baie-vitrée immense donnait sur une terrasse aux pierres gris clair. De bois, de métal et de pierre, la bibliothèque occupait une bonne surface des murs, surtout ceux entourant l'entrée, des tapis aux couleurs chaudes couvrait le sol de bois sombre, un grand canapé d'angle gris foncé aux multiples coussins se trouvait devant une télé dernier cri disposée sur un meuble en bois dans le coin droit en face de l'entrée, quelques fauteuils et une table basse de bois et métal comblaient l'espace à gauche dans un agencement chaleureux. À droite, la cuisine ouverte, avec juste une séparation en verrière de métal, lumineuse, spacieuse, en bois clair, avec un îlot. À gauche, le mur de pierre et de verre partait du mur face à l'entrée et s'arrêtait à deux mètres de son vis-à-vis, dévoilant un bureau, avec encore plus d'étagère et de livres, un écran d'ordinateur disposé au milieu de mes dernières recherches. Si on longeait ce bureau, l'autre mur reproduisait son voisin, à l'inverse, et donnait sur ma chambre, avec mon lit king size. Et en avançant, on prenait l'ouverture encore une fois sans porte qui donnait sur ma salle de bain, dont la baignoire prenait un bon quart de la place, avec un dressing dans un renfoncement face à l'entrée dissimulée par la seule porte de l'appartement. Pour cause, il contenait mes armes en plus de mes fringues.

Le tout était très lumineux, avec des fenêtres immenses que d'un seul côté de mon foyer, l'autre jouxtant avec l'appartement de mes voisins.

Voisins que je ne m'attendais vraiment pas à voir un jour chez moi, je le répète.

Je finis par cligner plusieurs fois des yeux en les voyant investir ma cuisine, se posant sur les tabourets disposés autour de l'îlot.

Je remarquai alors qu'Ayden avait pris plusieurs cafés, dissimulés à ma vue par son manège hypnotisant mêlant discussion prenante et gestes parfaitement calculés, qu'il tendit aux nouveaux venus. Puis, il osa m'affronter, hésitant, entendant sûrement mes pensées bouillonnantes à travers mon bouclier fragilisé par la panique.

« Cette discussion m'a tellement passionné que j'en ai oublié l'élément principal de ma visite. »

Je plissai les yeux en croisant les bras. Mensonge, comprit ma magie. L'impression d'être envahie me poussa à grincer des dents.

« Vraiment ? Ce n'était pas pour profiter de ta proximité pour voir comment avance mon enquête ? »

Il ignora la remarque, préférant se tourner vers nos nouveaux compagnons. Arg. Il n'assumait même pas la trahison.

« Ashleen fait des tartes d'enfer ! Je vous sers une part ? »

Gael plissa les yeux, méfiant.

« Manger une tarte chez une sorcière ?

- Je viens d'engloutir une bonne part, le rassura son ami. »

Le sien. Car il n'était définitivement plus le mien.

Flamme hocha la tête.

« Je suis curieux de goûter à la nourriture de la petite sauvageonne. Elle nous doit bien ça pour le service que nous allons lui rendre. »

Je me crispai un peu plus. Si cela continuait, j'allais finir par me briser les dents sous la pression que je leur imposais.

Respire, Ash, respire. Tu as vécu dans une maison rempli de bruit, d'insolence, de caractères difficiles, ce n'était pas trois pauvres mâles à l'odeur délicieuses, aux corps fabuleux, aux... Rah !

Je me tournai d'un mouvement raide vers mes potions, les remuant en restant attentive aux bruits de découpes et de couverts. Je n'avais pas encore osé regarder mon voisin-connard et je n'étais pas vraiment prête à admettre qu'il était là, juste à quelques mètres de moi, dans mon foyer, à portée de main. Le dégoût et le désir se mêlaient de façon confuse en moi, et je ne voulais pas qu'il comprenne l'effet qu'il me faisait. Le laisser voir qu'il était comme une faiblesse pour moi m'était inconcevable.

Un gémissement de plaisir se fit entendre. Flamme. Sauvée par son attitude malaisante !

Une potion fut enfin prête.

Je m'agitai enfin dans ma cuisine, ignorant difficilement mes invités.

J'augmentai même la musique d'une pensée, décidée à finir ce que j'avais entrepris sans les laisser interférer dans mes projets.

« Ash, ma belle, veux-tu t'asseoir ? Finit par articuler lentement Ayden, comme s'il craignait une vive réaction.

- Dans quelques minutes, marmonnai-je. »

Je soulevai une marmite par la force de mon esprit, repris mon manège de sorcière. J'étais chez moi et rien ne m'empêcherait d'être celle que j'étais.

Une flamme s'éleva d'une potion. Prête.

Une autre pétarada. Prête.

La couleur d'une troisième vira au violet translucide. Prête.

La dernière devait mijoter encore une bonne demi-heure. J'y rajoutais une pincée de poudre de diamant noir, un produit cher, rare, mais ô combien puissant.

Toujours dans l'optique de reprendre mon calme et ma maîtrise, je remplis mes fioles avec concentration.

Je mis même une potion dans un pulvérisateur en verre prévu pour répandre en fine couche une décoction de cette épaisseur.

J'observai mon arsenal avec satisfaction et l'étiquetais consciencieusement.

Je reculai d'un pas.

Bien.

« C'est toujours impressionnant de voir un expert en potion d'un tel niveau travailler. »

Je sursautai. J'étais parvenue à les oublier. J'avais même espéré qu'ils soient partis. Mais non...

La voix venait de Flamme. Je croisai son regard, prudente.

Il haussa un sourcil, le regard pour une fois dépourvu de toute moquerie ou de séduction, son aura bien maitrisée.

« Quoi ? Je peux penser que tu es une garce sauvage et admirer ta maîtrise, petite. »

Sans un mot, pour éviter de lui jeter un chiffon à la figure, j'ouvris mon frigo pour sortir un cake au pomme et le posai devant moi.

Entre temps, je réactivai ma machine à café pour m'en servir une tasse.

Repoussant mes cheveux derrière mes épaules, je m'assis, face aux trois hommes, mon chef à ma droite.

Ils avaient achevé ma tarte. Je coupai donc le cake et le disposai au milieu de la table. Toujours en feintant un calme que j'étais loin d'avoir.

« Une hôtesse impoliment parfaite ? »

Flamme m'agaçait à nouveau. Mais, pour une fois, sa réflexion me fit sourire.

« Ma grand-mère n'a eu de cesse de m'apprendre qu'un ventre plein et un ventre plus docile. »

Je mordis dans un morceau de cake en haussant un sourcil de défi.

Il s'esclaffa et prit une part avec une lueur dangereuse dans ses yeux d'or mât. Ceux d'Ayden était plus clairs, composés de reflet quasi noir et blanc, comme si le métal était chauffé au point d'avoir repris sa forme liquide. Les yeux de Flamme ressemblait à une vieille pièce de monnaie polie. Tout aussi fascinant mais bien moins expressif s'il le désirait.

« Alors, ce service ? Finis-je par articuler, ayant abandonné l'espoir qu'ils ne s'en aillent. »

Ayden gloussa.

« Toujours droit au but. Je vais commencer à croire que tu n'aimes pas jouer, ma chérie. »

Je désignai les fioles derrière moi.

« J'ai une potion qui coûte les yeux de la tête et qui a une durée de vie de 24h. Une fois celle qui boue finie, je vais devoir m'activer. Vous avez donc... (Je regardais ma montre) douze minutes. »

Je les regardais tour à tour, réservant ma Némésis pour la fin. Raphael me dévisageait sombrement. Je me tortillai néanmoins un peu, mal à l'aise.

« Tu es bien bavarde pour une sorcière qui n'arrivait pas à prononcer un seul mot complet en notre présence 24h auparavant, s'amusa Flamme. »

Ayden me tapota la main.

« Une fois sa langue déliée, Ashleen n'a de cesse de surprendre. Bon, je suis tout de même d'accord avec elle. N'attendons pas la prochaine victime.

- Nous nous occupons de l'enquête dans l'Ecole, balança brusquement Raphael.

- Donner l'accès me suffit, contrai-je sans réfléchir.

- Impensable. Tu n'as ni le statut ni le pedigree nécessaire pour que l'on réponde à tes questions.

- Alors vous m'accompagnerez, répliquai-je d'un ton sec.

- Tu n'as pas les compétences nécessaires à éviter un désastre politique.

- Tu ne connais rien à mes compétences politiques.

- Suffisamment pour savoir que tu menaces sans aucun problème un membre éminent du Ministère sans rechigner. »

Je jetai un coup d'oeil tendu à Flamme. Ce dernier soupira théâtralement, faisant redescendre la pression que j'avais senti grimper lors de notre joute avec Raphael.

« Je me suis senti insulté jusqu'au plus profond de mon âme. »

Je me frottai le front. Elle allait arriver, la migraine...

« Ces gamins sont encore bien plus agaçants que mes amis ici présent, tenta Ayden. »

Je le dévisageai. Il dut sentir que je n'avais pas encore suffisamment digéré sa trahison pour se permettre une tentative d'apaisement de sa part, car il eut un bref mouvement de recul.

« Tu restes toi aussi bloqué sur mon ascendance sauvage, chef ? »

Il haussa les épaules, s'étant repris plutôt vite.

« Le fait est que tu n'es pas née ici. »

Ici. Dans leur monde.

Je souris.

« Si tu pensais à prononcer une insulte, je me retrouve flattée de ne pas être associé à la haute.

- Tu vois ! Tu es pro-prolétaire. »

J'expirai violemment.

« Bordel, Ayden...

- C'est la meilleure offre que l'on puisse t'offrir, m'interrompit Gael. Note tes questions, nous tenterons d'avoir les réponses. C'est notre boulot. »

Je plongeai mon regard dans le sien. Étrangement, plus ils envahissaient mon foyer de leur présence, plus la sorcière impitoyable en moi prenait le pouvoir, réduisant à peau de chagrin mes capacités sociales.

Je pesai froidement le pour et le contre.

« Non. »

Je me levai. Toute cette histoire me gavait royalement. Je posai mes mains sur le plan de travail, me penchant vers eux, ma magie grouillant sur ma peau de façon désagréable.

« Ma meilleure offre à moi : je vous accompagne. Sinon je fais ça comme on s'attend à ce qu'une sauvage comme moi le fasse : je dévoile publiquement et à grands cris les commanditaires de la scène d'horreur à laquelle j'ai assisté la nuit précédente. (Je m'assombris un peu plus, ma voix se faisant grondante.) Ils ont obligé la gamine à déchiqueter à main nue son compagnon qui a été contraint de rester immobile. Ils voyaient tout ce qu'ils faisaient. Tout. Ils étaient incapables de lutter, parce qu'ils étaient humains. Puis les bourreaux ont positionné la fille d'une façon tellement obscène que c'était insupportable à regarder, avant d'exploser son cerveau dans sa boite crânienne. Ils les ont laissé à la vue de tous, dans un quartier sûr et tranquille. Un enfant aurait pu les voir si le SDF n'avait pas averti la police en passant par là pour se rendre dans son foyer. C'était des gamins, avec la vie devant eux. Une vie courte à notre échelle, mais une vie qu'ils auraient mérité de vivre. »

Je me redressai, le corps tendu, prêt à l'attaque.

« Vous en avez sûrement rien à foutre, vous. Rien à foutre de la douleur des parents à qui l'on a dit qu'ils s'étaient enrôlés dans une secte obscure pour éviter que votre vie tranquille ne soit perturbée par la colère de millions mortels insignifiants. Mais je peux vous assurer que la secte n'a jamais vu ces gamins chez eux. Mais, oh ! Préservons le statu-quo, protégeons notre progéniture si exceptionnelle en oubliant que ce sont les enfants des autres qui sont sauvagement assassinés pour quelques minutes de plaisirs cruels. Cruauté instillées par les institutions dont vous êtes si fiers. »

Je m'essoufflai. Toute l'horreur que j'avais ressenti s'échappait de moi en une violente colère et ils s'étaient malheureusement désignés comme des cibles de cette logorrhée vindicative.

« J'irai poser les questions avec vous. Non-négociable, achevai-je d'un ton sec. »

Je me détournai pour ranger les fioles dans un sac prévu pour les préserver de la casse.

Le silence était tendu.

« Ma petite, tu as des préjugés sur nous qui nous ait difficile de contrer...

- C'est d'accord. »

Je me figeai à la voix de Raphael.

« Raph, commença Flamme.

- Non, elle veut jouer dans la Cour des Grands, ironisa mon voisin-connard. Alors invitons-la dans la danse. Après tout, qu'elle foire n'est pas important, puisque nous n'en avons rien à faire de ces gamins, pas vrai ? »

J'étais tellement raide que je me sentais lente, tellement lente.

« Quand même, marmonna Gael. On a une réputation...

- Qui nous protégera des répercussions, l'arrêta Raphael. »

Je fermai les yeux. Même si les moyens que j'avais utilisé étaient injustes, et qu'il se fourvoyait sur mon compte, j'avais gagné cette partie. Le reprendre sur mes capacités à nager en eaux troubles ne servait pas à grand chose dans ce cas précis. Je n'étais pas fière au point de gâcher ma chance.

J'inspirai donc longuement avant de lâcher un mot unique.

« Merci. »

Ma voix s'était affaiblie, débarrassée de toute ma combativité.

Je décidai de faire un pas, malgré le fait que sa réponse était en mi-teinte.

« Le dossier est sur mon bureau... Je le connais par cœur, mais je vous laisse le compulser comme il vous plaira. »

J'entendis un tabouret racler le sol.

Mon portable sonna au même moment, brisant la tension entre nous.

Je me tournai pour le prendre sous les quatre paires d'yeux attentifs au moindre de mes gestes. Je décrochai sans regarder l'appelant.

« Ashleen.

- C'est Jordane. »

Sa voix était tendue. Je levai les yeux pour regarder Ayden qui s'assombrit un peu plus, devant mon inquiétude.

« Mauvaise nouvelle ?

- Une autre scène. »

Je déglutis.

« Déjà ?

- En fait, les corps sont... de la même nuit.

- Les … ?

- Désolée. »

Son sanglot fut interrompu par la voix du Capitaine Fraser.

« Ashleen, six corps, pour l'instant. Adolescents. Même sortilège, à mon avis. Dans une maison. Les parents sont rentrés et... »

Je jurai avant de fixer Raphael. Il me semblait toujours aussi froid, détaché. Je devais leur faire comprendre, qu'ils saisissent la gravité de la situation...

Ma décision fut prise.

« Je viens avec des accompagnants.

- Comme tu veux. C'est... Viens. »

Il raccrocha.

L'adresse vint quelques secondes plus tard.

Je posai mon portable, le fixant en essayant d'instaurer un vide émotionnel en moi. Peine perdue. Quelques fois, je me trouvais trop impliquée. Puis je me souvenais que c'était ça, ma force.

Le tintement du minuteur pour ma dernière potion interrompit le silence tendu.

Je la versai dans les fioles sans un mot, les glissant dans le sac en quelques minutes. Je disparus quelques secondes pour enfiler une tenue plus appropriée. Mes visiteurs n'avaient pas bougé à mon retour.

« Plutôt que des mots, commentai-je. »

Je désignai la porte.

Sans un commentaire, ils me suivirent.


Texte publié par ManueM, 11 septembre 2019 à 17h41
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