Les scènes de crime étaient toujours saturées de personnel. En particulier les scènes de crimes surnaturelles. La nuit bien avancée était teintée par les lumières clignotantes des voitures balisées, les rubans jaunes qui entouraient la zone ressortaient de façon douloureuse pour qui était capable de voir dans la nuit, comme moi.
Il semblait n'y avoir là que des humains, dont je reconnus la plupart des visages. Les traits étaient tirés, marqués par les horreurs qu'ils avaient vu et dont ils s'étaient souvenus. Mes dons étaient sensibles et il y avait beaucoup trop de terreur en eux pour que je ne parvienne à me fermer face à leurs émotions sans que cela ne me coupe de ma vision magique. Même si les mortels connaissaient les dégâts que pouvaient provoquer un Immortel, ils n'étaient jamais prêts à y faire face, quand bien même ils travaillaient à la criminelle.
Le quartier était calme et je ne voyais aucun civil dans les rues, même si quelques visages apparaissaient timidement derrière des rideaux illuminés par les lumières dans les maisons. Faire un tour visuel de la zone ne me prit que les quelques secondes qu'il me fut pour retirer mon casque et descendre de ma moto. Retirant mes gants, je marchai vers l'écart entre deux voitures fait pour laisser circuler les gens de la Crim', balayant de mon aura les environs pour être sûre d'être le seul prédateur surnaturel dans les lieux. Parfait.
Tranquillement, je montrai mon badge à l'entrée, reconnaissant le bleu qui était chargé de surveiller qu'aucun civil, surtout les journalistes, ne vienne bousiller la scène de crime. Il me laissa passer sans faire d'histoire, le regard un peu hanté, le visage blême. Même s'il était nouveau, Jack était un gars à l'estomac solide. Et mon odorat sur-développé, couplé à mes dons d'empathie, m'avertit pourtant qu'il avait eu quelques problèmes à garder son repas quelques minutes auparavant. Ça n'augurait rien de bon.
Je le remerciai d'un sourire qui se voulut compatissant avant de me diriger droit vers le capitaine Fraser, un écossais ayant la quarantaine séduisante, ses cheveux roux foncés taillés à la coupe militaire faisant ressortir le bleu sombre de ses yeux. L'homme m'attendait, droit comme un i, ses lèvres pincées et le regard dur.
« Ashleen, me salua-t-il pourtant avec chaleur. J'espérais que ce soit toi qu'ils enverraient. »
Je travaillais depuis quelques mois dans le coin, et j'étais heureuse d'avoir réussi à dompter les humains, à défaut d'y arriver avec mes semblables. Le capitaine avait été l'un des plus réfractaires, mais je n'étais pas avare en parole avec les humains, ce qui m'avait beaucoup aidé à gagner sa confiance. J'appréciais ce que la mortalité faisait à leurs âmes. Beaucoup d'entre eux étaient curieux, capable de changer en quelques années, et ils avaient un cœur si grand que même la douleur d'un animal aussi primitif qu'un poisson rouge les rendait malheureux comme les pierres. Je considérais les humains comme étant mille fois meilleurs que la majorité des Immortels et le Capitaine le savait bien.
« Combien d'autre aurait accepté ? Me moquai-je en serrant la main qu'il me tendait.
- Plus que tu ne le crois, vu la scène, grommela-t-il en me guidant vers le cadavre. Je connais ton espèce, Ash, et je suis soulagé que les humains aient été les premiers à avoir été appelé sur les lieux. »
Toute envie de plaisanter me quitta alors, remplacée par un malaise grandissant. Évidemment, Fraser connaissait bien, peut-être même mieux que moi, la complexité politique entre mortels et immortels. De plus en plus de mortels ne se laissaient plus bernés par les manigances des Immortels. Qu'il pense que l'affaire aurait conduit à un sabotage de la part de la branche magique de la police signifiait que sur ce coup là, les humains ne feraient pas l'autruche si mon peuple en venait à tenter de noyer l'histoire. Ça puait la révolte depuis un moment, mais je n'avais pas eu conscience que les flics commençaient à être de la partie...
Et je compris en découvrant le corps les raisons de cette évolution.
La gamine était encore trop jeune, trop innocente pour être étalée là, morte, sur le bitume, à peine couverte, dans une position obscène qui me tordit le ventre de rage. Le meurtrier avait fait preuve d'irrespect et de cruauté, d'un manque d'honneur évident, en l'exposant ainsi à tous sans vraiment chercher dissimuler, pour qui savait regarder, l'origine magique de la mise à mort. Oh, pour un mortel, tout cela était étrange mais les humains possédaient eux aussi leur lot de fruits pourris. En revanche, aucun Immortel n'aurait pu se laisser berner.
On me tendit des gants sans un mot, sans même me toucher, ma rage ayant éveillé ma magie, faisant luire mes yeux vairons bleus et violets. Fraser baissa les yeux sur son carnet, toujours aussi professionnel, et entama son exposé d'un ton monocorde tandis que je me mettais en mouvement, mes gestes rendus un peu raides par ma colère.
« Sarah, dix-sept ans, fille de... »
Mais les mots se perdaient dans le brouhaha magique qui m'enveloppait. J'aurais pu attendre la fin du triste résumé de la vie de cette fille, mais j'étais là pour mes pouvoirs, pas pour mes capacités d'inspecteur. Enfin, si, mais j'aurais toujours le temps de potasser le sujet après.
Rapidement, je compris que le sortilège qui maintenait l'enfant dans sa position improbable était aussi celui qui l'avait tué. Le sortilège de Marionnette. Un sort haïssable, amusant pour certains Cercles sociaux qui n'aimaient rien de moins que de manipuler les gens pour leur propre amusement, que je connaissais très bien pour l'avoir senti à de multiples reprises.
Les anciennes familles avaient créé ce sortilège qui nécessitait une plus grande volonté que celle de sa victime, prouvant la supériorité du bourreau, tout en évitant de se salir littéralement les mains, ce qui rendait l'exécution, ou l'amusement, plutôt classe selon leur point de vue. Néanmoins, j'avais appris récemment que les nouvelles générations, toutes familles confondues, étaient à leur tour devenues friandes de ces petits instants de cruauté, pour peu qu'ils en soient capables. Ouais, les surnaturels n'étaient pas des bonnes âmes comme le laissait penser le Ministère au reste du monde, au contraire. L'immortalité et la magie pouvait transformer un gamin innocent en monstre sociopathe, s'amusant seulement du malheur des autres.
Heureusement pour moi, mon Clan n'était pas ainsi. Pas tout à fait.
Je m'accroupis, observant avec mes yeux et mes pouvoirs, chaque indice, chaque volute de magie.
« … une heure du matin.
- Et on ne m'appelle que maintenant ? Demandai-je, étonnée, sortant de mes réflexions déprimantes.
- On a déjà vu des sans-pouvoirs faire pire, il a fallu que Jordane s'approche pour que l'on sache qu'il y avait de la magie dans cette affaire. Et de la magie active. »
Évidemment. Pour un humain lambda, les lois de la physique étaient presque aussi mystérieuses que la magie. Qui plus est, pour leur défense, le sort était très bien ficelé. Cela était un avantage pour moi, car cela réduisait considérablement la liste des potentiels coupables à la moitié des lignées représentée en ville. Et je pouvais encore en éliminer une autre bonne partie grâce maintient du sort à la mort de la victime.
J'avais envie de gerber.
« Pauvre gosse... soupirais-je.
- Vous n'avez pas l'air d'avoir beaucoup d'année d'écart, répliqua Jordane en débarquant. »
Jordane était une femme d'un mètre quatre-vingt, brune, les yeux noirs, une hispanique d'une trentaine d'année au fort caractère, une Sensitive, qui impressionnait bien des surnaturels avec son air sévère malgré sa mortalité évidente. Les Sensitifs, ou plus communément appelés prêtres et prêtresses des dieux, étaient les descendants des favoris mortels des divinités qui avaient insufflé un peu de leur magie dans le sang de leur plus fervents croyants. Ni véritablement mortels ni associés aux immortels, ils étaient une caste à part, pouvant voir, sentir et traquer la magie sans vraiment pouvoir l'utiliser eux-même, à quelques exceptions près. Leurs dons différaient selon la divinité que leurs ancêtres avaient vénérée. Je savais que la famille de Jordane tenait encore un autel en l'honneur de la Dame de la Mort, que je connaissais sous l'apparence du Gardien des Morts, une divinité à multiple visage, ni bonne, ni mauvaise, qui avait conduit la Sensitive à se tourner vers une carrière d'enquêteur à la criminelle. En effet, ses dons particuliers de lignée lui permettaient de voir dans quelles circonstances les morts étaient devenus... morts.
Je me redressai, haussant les épaules.
« Et j'ai pourtant cinquante ans de plus qu'elle, comme tu le sais. »
La médium se plaça à mes côtés, son tailleur strict semblant encore plus noir à côté de mon tee-shirt violet floqué d'une licorne sur lequel elle jeta un coup d'oeil contrarié. Après réflexion, j'aurais peut-être dû prendre un tee-shirt plus froissé, mais plus sobre...
« Alors ? »
Elle croisa les bras. Nous étions devenues amies depuis l'instant où je l'avais sauvé d'un sort résiduel dans l'une de mes toutes premières enquêtes, mais le travail était le travail, et en tant qu'agent de la Brigade, elle ne flanchait jamais.
Je me frottai les yeux.
« Sortilège de Marionnette. Un truc assez moche mais demandant un certain niveau de pouvoir.
- Les illuminés de la secte Sataniste n'ont pas de véritable sorcier dans leur rang, commenta Fraser en s'approchant.
- Comme si tu croyais à cette histoire de secte... marmonnai-je. Ce sont des fanatiques de magie. Ils font des trucs débiles pour s'approcher de l'image erronée qu'ils ont de nous. Il y a peut-être deux ou trois Sensitifs parmi eux, mais ils ne sont pas dangereux pour deux sous. Là, on est loin de la stupidité de leurs rituels souvent tournés vers la libération sexuelle. Tout ça c'est... C'est juste... cruel. Ça pue l'Immortel à plein nez.
- Le deuxième corps présente les mêmes caractéristiques, même si ce n'est pas évident, poursuit-il en ne relevant pas mon petit aveu sur la médiocrité morale de mon peuple.
- Il est loin ?
- Pas vraiment. »
Il désigna la benne à ordure de la ruelle. Je jurai.
« Et merde. »
Je m'avançai. Là, la magie était plus faible. Plus ténue. Et pour cause, le corps était déchiqueté, démembré, chaque morceau jeté là comme un déchet.
Je revins à la gamine. Du sang sur ses avant-bras, mains, et, sous les ongles, des bouts de chair. Je naviguais entre les deux, mon odorat me conférant un avantage de rapidité certain par rapport à la police scientifique, m'apprenant que le sang et la chair appartenait au deuxième corps. Et pourtant je ne souhaitais pas y croire. Ça allait au-delà de ce qui était acceptable.
« Vous savez que l'on continue d'être conscient durant ce sort ? Fis-je finalement, horrifiée. »
Jordane se raidit, ses yeux noirs semblants s'assombrir plus encore, si cela était possible.
« C'est bien ce que l'on pense ? »
Je les regardai, tour à tour, hochant la tête.
« Je vais lever le sort, marmonnai-je doucement pour éviter de hurler de rage. Prévenez-moi lorsque le médecin légiste sera arrivé. Je vais devoir procéder à des examens envahissants. »
L'une des raisons pour lesquelles j'étais excellente dans mon job était que ma magie était indétectable. Ça et le fait que je sois douée. Très très douée.
Si un sorcier classique aurait averti le lanceur de sort de l'identité de celui qui avait levée sa... malédiction, de mon côté, rien ne pouvait avertir le pervers qui avait orchestré cette scène macabre. Le sortilège se leva sans rechigner, ce qui me conforta dans l'idée que le lanceur était jeune.
Je laissai les humains s'occuper des corps avec tout le respect qui leur était dû, et en profitai pour faire le tour du périmètre, mes sens à l’affût. Mais le ou les meurtriers avaient effacé toute trace. Ou alors ils n'avaient jamais été sur place, ce qui, pour moi, était encore plus horrible.
Je rentrai, épuisée, deux heures après l'aube.
J'avais finalement aidé un médecin légiste perdu et un peu vert à reconstituer le corps du jeune homme, sûrement le copain de la victime, d'après les données récoltées sur son cellulaire qui était miraculeusement resté dans la poche de son jean en charpie. Avec l'accord de la police, j'avais cherché des signes d'appartenance à une famille magique, mais rien. Pas même un sceaux de servitude, qui signifiait au reste du monde que le mortel avait conclu un pacte avec un Immortel pour une quelconque raison, toujours en sa défaveur, d'après moi, et qu'il était de fait rattaché à la lignée de l'Immortel en question. Même si je n'avais pas vraiment cru que ce serait aussi simple, la déception avait été grande.
La gamine ne présentait pas plus d'indice. En dehors du sortilège de Marionnette, rien ne les liait aux surnaturels. D'autres victimes que j'avais dû analyser suite à des crimes plus ou moins odieux avaient tous été en relation avec les Immortels, jusqu'ici. Il y avait suffisamment de « jouets » parmi les humains qui souhaitaient se rapprocher des êtres magiques pour que ces derniers n'aillent pas chercher dans la faune méfiante ou ignorante.
Je ne comprenais pas pourquoi certains humains se liaient volontairement à notre monde... Ils étaient pourtant prévenus : côtoyer des immortels était à vos risques et périls, ces derniers tenant le monde entre le creux de leur main et bénéficiant d'une Loi qui n'était pas commune aux êtres sans magie. Les mortels subissaient depuis des millénaires la dictature imposée par les immortels, ces derniers possédant richesse et pouvoir, choyant, au mieux, les humains comme des animaux de compagnie ou les traitant quelques fois, de trop nombreuses fois, comme des objets d'amusements ou des dégâts collatéraux à leurs magouilles politiques et magiques.
J'avais grandi dans un clan puissant qui respectait la vie, quelle qu'elle soit, heureusement pour moi. Même si les tendances des derniers siècles allaient vers l'isolement et qu'un sentiment d'impuissance naissait dans le cœur de toutes mes soeurs, j'avais vécu mon enfance et une bonne partie de ma vie auprès de ces mortels que la majorité de ma caste méprisait.
Mais de plus en plus d'humain s'unissaient, plein de haine et de ressentiment. Des terroristes mortels sévissaient, les quartiers les plus pauvres devenaient des zones de non-lieu magique, des milices vengeresses s'en prenaient aux moins puissants d'entre-nous. J'avais assisté à des scènes improbables ces dernières années, comme la fois où un humain avait vidé un chargeur de mitraillette sur un immortel venu boire un verre parmi les mortels avec ses amis. J'avais réagi immédiatement, mais la tête et le cœur avait été réduit en bouillie. J'avais arrêté le mortel et empêchés les immortels de se venger, mais ce genre de scène creusait un peu plus le fossé entre les deux castes et nous étions trop peu à maintenir le lien pour que la tension diminue.
La guerre menaçait, et aucun des puissants Enfants de Mortels ne semblait s'en préoccuper, sauf... sauf moi, une Ancienne, j'avais l'impression. Rationnellement, je savais que nous étions plus nombreux que ce que les croyances populaires le supposaient. Mais, en dehors d'Ayden et de la Direction des Enquêteurs, je n'en avais pas rencontré beaucoup. J'avais l'impression de n'avoir à faire qu'à une masse immortelle superficielle et méprisante, meurtrière et sans morale qui rendait mon boulot si éreintant et malheureusement nécessaire.
Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur mon étage, je tombai nez-à-nez avec le modèle parfait de cette population privilégiée. Une jeune mage, la beauté éternelle, la moue de mépris sur les lèvres s'accordant à ses vêtements de créateur, me dévisageait avec toute l'arrogance de sa classe sociale.
Je sortis souplement de l'ascenseur en prenant garde à ne pas la frôler. Sentir ses émotions ne me tentaient absolument pas.
« Rentre bien, ma belle ! »
Flamme.
Je le regardai du coin de l'oeil, allant à ma porte. Il était dans la même tenue qu'à mon départ, des marques rouges en plus sur son torse d’albâtre. Une seule chose positive dans cette scène : la fête était finie, et j'allais pouvoir dormir en silence.
Le mage attendit que sa dulcinée du soir disparaisse derrière les portes mécaniques avant de se concentrer sur moi, le regard acéré du prédateur face à sa proie préférée transformant son visage souriant en une chose plus... bien plus sombre. Sauf qu'après cette nuit, je n'étais pas du tout d'humeur.
Mais où étaient donc mes foutues clefs ?
« Alors, jeune sorcière sauvage, c'est à cette heure que l'on rentre ? Tu n'as pas un couvre-feu, un planning à respecter ? »
Je fouillai désespéramment mes poches. Mes clefs, mes clefs...
« Oh, tu as encore choisi d'être muette ? Je peux essayer de te faire retrouver ta voix, de manière tout à fait plaisante, si tu me le demandes gentiment... A genoux de préférence. »
Et merde. Je les avais laissées dans le sac, que j'avais oublié dans le compartiment de ma moto.
J'étais épuisée, triste et lasse. Et, pire, mon empathie commençait à échapper à mon contrôle. Je sentais venir de lui des vagues de désir de plus en plus perverties... et de colère. Je ne m'attardai pas sur cette émotion, pourtant inhabituelle. Après tout, ce n'était pas mes affaires et il ne méritait pas que je m'intéresse à lui.
Je me retournai vers l'ascenseur, appuyant avec une fausse tranquillité sur le bouton, continuant d'ignorer le mâle flamboyant qui envahissait le pallier de son aura purement sexuelle. Eurk.
« Je pourrais t'enflammer comme jamais, tu sais... »
Il avait trop bu, sinon il aurait compris que la blague était sacrément mauvaise. Même pour lui. Quoique... quand on connaissait sa nature, on ne pouvait s'empêcher d'en saisir le double sens. Mauvaise réplique de drague ou menace ?
Soudain, je sentis son corps se coller au mien. Pas un mouvement d'air ne m'avait averti. Soit j'étais plus épuisée que ce que je ne le pensais, soit il était encore plus puissant que ce que mes recherches et mon ressenti initial ne l'avait dévoilé : on ne surprenait pas une sorcière de ma trempe aussi facilement.
« Mes relations pourraient t'être utile, petite sauvageonne... »
Je me raidis. Après la drague lourde, la menace, le voilà qui utilisait la corruption.
Putain de privilégié de merde.
Je me tournai lentement, l'obligeant à reculer d'un pas lorsqu'il rencontra mon regard illuminé de magie sauvage. Je dévoilai mes dents serrées d'une moue menaçante et réussis enfin à parler.
« Ne. Me. Touche. Pas. »
Ma magie cherchait à sortir de moi. J'étais du genre réservée, mais je n'avais jamais aimé que l'on me touche sans mon autorisation. Cela me rendait plus prolixe, mais m'attirait aussi pas mal d'ennui.
Il cligna des yeux, se remettant rapidement de sa surprise.
« Mais elle parle !
- Flamme ? »
Et putain...
La voix était celle de Gael, un viking blond, un type plutôt sympa, quand il était seul. Je le croisais au bureau, vu que c'était un des potes les plus proches d'Ayden, et il restait poli en toute circonstance. Trop poli, au point de me mettre mal à l'aise. Le troisième voisin, celui que je détestais le moins, vu qu'il ne cherchait pas à me noyer dans son aura, sans vraiment y parvenir, cependant. Mais il parvenait à me foutre les jetons avec sa politesse toute calculée.
Lorsqu'il me vit derrière son ami, il fronça les sourcils.
« N'embête pas la petite, Ayden l'aime bien. Et tu le connais, il peut être chiant si on s'amuse avec ses propres jouets. »
Comme si ce n'était pas suffisant, Raphael se pointa à son tour, deux filles gloussantes accrochées à ses bras. Elles étaient habillées, la Déesse soit louée, et semblaient prêtes à partir. Mais il n'avait aucune attention pour elles. Son regard s'était directement posé sur moi, ses narines se dilatant, comme s'il sentait les minuscules particules de sang qui s'étaient accrochées à ma peau et que je n'avais pas encore eu le temps de nettoyer. Son regard lumineux de magie me balaya des pieds à la tête et je crus voir son corps se raidir un peu plus que d'habitude.
L'ascenseur tinta. Je laissai ma place aux deux midinettes bien malgré moi, bloquée par un Flamme décidé à me faire chier.
Pourquoi le pallier me semblait toujours aussi étroit lorsqu'ils étaient là ? Bon sang, j'avais grandi dans un clan que l'on considérait comme monstrueusement impressionnant. Je faisais parti de l'Elite de ces femmes qui faisaient frissonner même le Conseil. Je pouvais jouer dans la même Cour que ces trois-là sans problème, rien ne pouvait me terrifier. Enfin, c'était ce que je pensais avant de les rencontrer. Il y avait un truc qui clochait avec eux. Une anomalie que je ne parvenais pas à saisir.
Flamme sourit sournoisement, reprenant son show une fois les deux pimbêches parties.
« Quoi, c'est chasse gardée ? »
Le viking ébouriffa ses cheveux déjà pas mal emmêlés, le regard un peu las et agacé du comportement de son ami et colocataire.
Ils sentaient tous les trois le sexe, la magie, et l'alcool. Un cocktail détonnant pour une personne aussi sensible que moi.
« Ayden l'aime bien, répéta-t-il en grognant avançant d'un pas supplémentaire.
- Ayden est gay comme un pinçon, ricana Flamme en caressant ma joue. C'est du gâchis. »
Je me hérissai à la fois pour l'insulte et pour la caresse. J'avais une brutale envie de me laver la joue au vitriol et de réduire en cendre le sorcier qui me faisait face et ne se rendait pas compte du danger qui planait au dessus de lui. J'étais à deux doigts de craquer.
Mais avant que je ne réagisse, Gael fusilla Flamme du regard.
« En quoi cela est-il condamnable ? Tu as quelque chose contre les préférences de notre ami ?
- Aucunement, mon ami, mais il ne saurait apprécier ce que la nature dévoile sous mes yeux... »
Nouveau regard concupiscent. Nouvelle vague de désir qui submergea mon don d'empathie. Je sentis que cette fois-ci, il n'était pas entrain de jouer. La touche magique renforçant son besoin ne trompait pas. Le découvrir me fit un choc. Il me voulait vraiment, pour une raison obscure, et cela me mettait clairement en danger. Raphael gronda en posant sa main sur l'épaule tendue de mon détestable admirateur.
« Tes yeux sont pourris par ta perversion sans limite. »
Je me pris le coup avec silence, essayant encore de comprendre pourquoi Flamme faisait une telle fixette sur moi. Ce n'était pas pour une raison aussi minime qu'un refus. Son désir ne venait pas non plus de mon physique. Il prenait racine dans un sentiment plus obscur, plus immoral. Malheureusement, un mur psychique m'empêchait de creuser sans l'avertir de mon intrusion.
Je détestais ces types. Je les détestais tant que je ne devrais pas me sentir mal à chaque réflexion du genre, que je ne devrais pas chercher à les comprendre. Ils étaient haïssables, arrogants, méchants, et puissants au-delà de toute raison. Mais mon âme, mon Instinct, me poussait à comprendre. Mon don empathique captait qu'un truc clochait chez eux. Comme s'ils ne laissaient s'échapper que des émotions factices. Découvrir les véritables sentiments de Flamme était un choc qui me faisait perdre mes repères. Je ne comprenais plus rien.
Gael s'avança, son regard s'adoucissant étrangement lorsqu'il se baissa vers moi.
« Ashleen, rentre chez toi, m'ordonna-t-il doucement. »
Je ne souhaitais rien de plus que cela. Je battis en retraire d'un pas prudent, comme pour ne pas attiser le prédateur face à moi. Tant pis pour les clefs, j'allais déverrouiller ma porte blindée par magie. L'ambiance était bien trop saturée, irrespirable, et moi bien trop fatiguée pour que la situation ne parte pas en pugilat au moindre geste brusque de ma part. Je ne me laisserai pas faire, bien sûr et tant pis pour le sang si on devait en arriver là, je le nettoierai moi-même.
Qui plus est, j'avais suffisamment vu d'horreur cette nuit pour ne pas avoir envie de devenir l'un des dommages collatéraux de l'arrogance de ces Puissances. Flamme n'aimait pas mon indépendance ni mon manque d'entrain à me glisser sous ses draps, ça, j'en étais sûre même dans l'incompréhension qui me tenaillait. Surtout quand je répondais aussi favorablement à chacune des sollicitations d'Ayden qui semblait moins haut dans la hiérarchie des Immortels.
« Je n'ai pas donné mon accord, s'emballa Flamme d'un grognement en bloquant mon chemin, validant ainsi mon hypothèse. »
Apparemment, il était encore plus bourré que ce à quoi je m'attendais. Il laissait toujours tomber au bout d'un moment, mais semblait avoir légèrement perdu la raison ce matin.
« Je n'ai jamais goûté de sauvageonne, gronda-t-il en se léchant les lèvres. Et celle-là est particulièrement appétissante, quoique tu puisses en dire, Raphael. »
Alors qu'il se penchait comme pour finalement céder à la tentation de réclamer ce que je ne lui avais pas autoriser à prendre, je retrouvai brutalement ma voix... en perdant au passage toute notion de retenue, laissant la sorcière puissante et sauvage en moi prendre les rennes.
« Sans mon consentement, cela s'appelle du viol, assenai-je d'une voix dure. Êtes-vous un violeur, Monsieur Hydrh ? »
Il cligna des yeux, surpris par mon regard et l'agressivité de ma voix. Je sentis ses émotions se figer, hésitantes.
J'avançai d'un pas, gonflée par la nuit que je venais de passer. Tant qu'à y être...
« En cas de menace directe à mon intégrité, j'ai l'autorisation par le Ministère de recourir à des mesures correctives. Cette plaque (Je la lui collai pratiquement sur le visage.) m'autorise à arrêter toute personne que j'estime être dangereuse. Si votre ascendance, votre poste au Ministère et votre richesse vous sauverons rapidement de la prison, la tache que cela posera sur votre honneur, elle, mettra plus de temps à s'effacer. L'immortalité a un prix.
- Ta carrière serait foutue, gronda-t-il en montrant les dents, déstabilisé par mon assurance inhabituelle, reculant d'un pas supplémentaire sans s'en rendre compte.
- Alors je rentrerai chez moi, dans mon clan, mais avant ça, je vous maudirais jusqu'à la fin des temps. »
Amusant comme la mention de la malédiction le fit blêmir, plus que tout le reste. J'eus un large sourire cruel et j'achevai ma pauvre victime.
« Et je serais parfaitement en droit de le faire, comme vous le savez. »
Il plissa les yeux, reprenant enfin contenance.
« Je ne suis pas un violeur, fit-il sèchement. Et tu es une sale garce. Je pensais que tu apprécierais un peu d'attention dans ta méprisable solitude. Mais finalement, je préfère quand ta langue t'étrangle de lâcheté et te rend muette, sauvageonne. »
Je le contournai en serrant les dents.
« Allez vous faire foutre, Flamme Hydrh. Venant d'un débauché comme vous, l'insulte n'est même pas à prendre au sérieux.
- Frigide. »
Je déverrouillai ma porte d'un geste, avant de me tourner vers lui, les yeux plissés.
« Ce n'est pas parce que vous me répugnez que je suis frigide. Je suis juste suffisamment intelligente pour ne pas risquer une maladie vénérienne en vous laissant ne serait-ce que m'effleurer. »
Et je m'engouffrai dans mon antre, son visage tordu de rage étant la dernière chose que je vis avant de refermer la porte.
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