Putain, c'est insupportable ! Des heures déjà que je subissais l'incivisme récurrent de mes voisins.
Les murs en vibraient. Cette musique... C'était de plus en plus intolérable.
Je plongeai mon visage dans la montagne de coussins qui recouvrait mon lit. Mais, comme je m'y attendais, impossible d'y échapper. La fête dans l'appartement des voisins battait son plein, et j'étais la victime amère de la vie sociale trépidante de ce trio de cauchemar. Et je savais que ça allait empirer un peu plus tard, lorsque le lit du pire connard que ce monde ait porté cognerait contre le mur, le tout accompagné des vocalises plus ou moins vulgaires d'une énième conquête à forte poitrine... Des mois que ce schéma se reproduisait. Des mois que j'essayais de leur demander d'arrêter à lui et ses foutus collègues. Mais ma voix restait bloquée dans ma gorge, mes yeux fuyaient et je rentrais chez moi avant même d'avoir frappé à la porte. Ma verve habituelle me désertait dès lors que je voulais les confronter, ce que je ne pouvais expliquer. Rien ni personne ne pouvait m'intimider. Sauf... mes voisins. Frustration !
J'aurais pu déménager, si je n'avais pas investi autant de temps et d'économie à acheter cet appartement, au quarante-troisième étage d'une Tour d'Immortel de lux. Ce magnifique appartement de soixante dix mètres carré que mon cœur avait aimé dès que j'y avais foutu un pied. J'y avais vécu des semaines heureuses... avant que mes voisins ne rentrent de leur voyage.
Et depuis, je vivais l'enfer. Littéralement, car mon sang bouillait de frustration et de rage. J'avais plusieurs fois dû m'arrêter avec un immense effort de volonté devant ma porte, ma vision voilée du rouge de la fureur sanguinaire, prête à leur arracher la gorge, le cœur...
Emménager en ville alors que mon espèce préférait la nature et les grands espaces dégagés avait déjà été un défi et une aberration. J'avais souffert quelque temps de l'éloignement, mais en trouvant ce foyer, mon foyer, mon cœur avait cessé de saigner. Abandonner mon nouveau lieu de vie, gérer mes problèmes en cédant à mes pulsions monstrueuses, ce serait renier tous mes rêves, toutes les promesses que j'avais faites, toutes les tortures émotionnelles que je m'étais infligées au fil des ans.
Et ça n'allait pas être un con, aussi séduisant soit-il – oui parce que ce cher voisin-connard était un fantasme ambulant – qui allait me faire fuir et me parjurer, pas plus que ses deux petits soldats tout aussi sexy et horripilants, mais qui étaient heureusement un peu moins impliqués dans ma torture quotidienne, Déesse soit louée.
Je ne pouvais pas l'ensorceler, solution qui m'avait traversé l'esprit alors que je tentais de me calmer en dévorant une énième portion de gâteau que je cuisinais pour m'occuper. Le salaud faisait lui aussi partie du Ministère de la Magie où il était, qui plus est, un mage puissant, influant, reconnu par ses pairs, alors que ma petite personne n'était qu'une humble Enquêtrice, une sorcière considérée comme sauvage, qui devait encore faire ses preuves. Je risquerais donc gros si je me faisais griller.
L'insulter était aussi impossible, vu les difficultés oratoires qui me saisissaient à chaque fois que son regard d'argent se posait sur moi. Faire intervenir une tierce personne ? Bon sang, non. J'avais encore un brin de fierté.
Le tuer... ? Est-ce qu'être un mauvais voisin méritait la peine capitale ? Non, Ash. Pas de meurtre pour une raison aussi faible qu'une série de fêtes extravagantes et des habitudes de serial baiseur...
Quelqu'un augmenta le volume de la musique sous les gloussements des jeunes femmes aux cuisses souples qui étaient leurs invitées ce soir-là et les commentaires bruyants de quelques connaissances avides de prendre leur part du rayonnement de puissance que ces trois types possédaient.
Bon, les tuer devenait de plus en plus tentant... Cela rendrait service à la société, à ne pas en douter. Je repoussai la couette. Ouais, leur comportement témoignaient d'une âme corrompue. Il serait juste de...
Mon portable sonna, m'empêchant de fomenter un plan satisfaisant où j'éliminais de la surface de la Terre ce trio des plus nuisibles.
Je décrochai vivement, un rien agacée.
« Ashleen, grognais-je en présentation.
- Ah ! Tu ne dors pas, petite, c'est bien ! »
Bien ?! Il était deux heures du matin. Je me redressai, ne me retenant pas d'exprimer mes pensées d'un ton cassant.
« Le mot que tu cherchais était pratique, marmonnai-je. Je te garantis qu'il n'y a rien de bien dans le fait que je sois encore réveillée à cette heure. »
L'homme au téléphone gloussa, me faisant savoir qu'il avait compris l'origine de ma mauvaise humeur. Mon supérieur, Ayden, était un sorcier psi, aux pouvoirs étonnants et surtout effrayants quand on en mesurait toute l'ampleur. Il était ultra compétent en tant que Directeur de la Division des Enquêteurs, même s'il semblait ne pas prendre sa vie au sérieux. Néanmoins, c'était lui qui m'avait conseillé cette Tour lorsque j'avais émis le souhait de m'installer définitivement en ville, m'assurant que la population y était des plus charmantes. J'aurais dû me méfier de son sourire légèrement tordu. Il avait un humour particulier et son sadisme était aussi poussé que ses capacités magiques. Mais à son forfait, son plaisir à m'entendre chouiner à cause ces types qu'il considérait, lui, comme des amis, ne le détournait pas du travail. Jamais. Il se reprit donc et m'annonça la raison de son appel d'une voix devenue plus neutre.
« Pour ce coup, je n'ai fait aucune erreur de vocabulaire, ma chère. J'ai un cadavre tout frais sur ton secteur. Jeune fille, dix-sept ans, rigidité magique. »
Je me levai vivement, cherchant aussitôt des fringues propres dans le bordel qui régnait dans ma chambre.
« Identité ? Demandai-je d'un ton professionnel, mes voisins oubliés en une seconde.
- Humaine. La brigade du surnaturel est déjà sur place. »
Je grimaçai tout en me redressant. Pas de vêtement propre ici.
« Merde, j'espère qu'ils n'ont rien touché. Les humains sont un peu sur les nerfs en ce moment, si un sortilège leur explose à la gueule, ça va encore faire la Une...
- C'est pour ça que je t'y envoie toi, tu sais y faire avec ces mecs, ce qui m'étonnera toujours, vu que tes capacités sociales sont plutôt médiocres avec ta propre espèce. En plus, c'est l'équipe que tu connais. »
Je soupirai de soulagement en fouillant dans un tas de fringues tout juste sorties de la machine à l'entrée de mon dressing, encore froissées. Je répondis en y sortant enfin un jean et un tee-shirt à peu près présentables.
« Ah ! Ça devrait aller, Fraser est du genre raisonnable... Une piste ?
- La gamine est la fille d'un mec fortuné. Elle avait disparu pendant trois jours.
- Ok.
- Apparemment, elle traînait pas mal avec ces illuminés du parti Sataniste. »
Oh, bordel. Je me frottai les yeux en grognant.
« Qui t'a donné cette information ? Ça pue le fake ton histoire... Tu sais aussi bien que moi que cette secte, c'est de la poudre au yeux, ils sont inoffensifs.
- Mais très utile pour les Immortels qui souhaitent dissimuler leurs faits aux humains, fit-il d'un ton froid. Et je vais te taire le nom de l'imbécile qui m'a pris pour un lapin de trois semaines en essayant de me faire croire de l'importance de cette information. Je m'en suis personnellement occupé. »
Lui comme moi étions conscients des travers de notre société. Mais mon chef flirtait plus facilement avec les limites pour appliquer sa version de la justice. Au vu de mon passé, je n'étais pas la mieux placée pour critiquer, ce qui, d'ailleurs, ne me traverserait jamais l'esprit. Je fourrai mes pieds dans mes Palladium grises, avant d'attacher mes cheveux fous dans une tresse approximative qui tomba jusqu'à mes reins lorsque je la relâchai.
« Je t'envoie l'adresse par message, termina mon supérieur. Ne tarde pas.
- Considère que je suis déjà en route. »
Il raccrocha sans un au revoir. Le temps que je prenne mes clefs et mon casque de moto que mon portable tintait à son SMS.
La scène de crime était à cinq minutes en moto de mon appartement. Plus que sur ma zone, c'était carrément dans le voisinage. Un voisinage huppé, peu habitué aux meurtres sanglants. Je crois que le pire crime commis ici, c'est la discourtoisie constante de ses habitants. Ça leur arrache la langue de dire bonjour. Juré, ils en grimacent à chaque fois !
Je sortis, déjà préoccupée par ce meurtre, fermant mon appartement quand, alors que je pivotais vers l'ascenseur, la porte de mes voisins s'ouvrit sur un mâle magnifique au corps à demi-dénudé.
Ce n'était LE voisin-connard, heureusement pour mon ego, mais l'un des deux autres tout aussi méprisant, le lourd et libidineux, craquant malgré tout avec des ses cheveux rouges et ses yeux d'or mât, j'ai nommé l'insupportable Flamme. Et c'était son vrai nom, pas un surnom.
Son regard de pièce de monnaie ancienne descendit de mon visage et, comme aimanté, se fixa directement sur ma poitrine pourtant cachée sous un tee-shirt difforme. Il repoussa ses longues mèches rubis derrière ses épaules et me sourit d'un air qui se voulait séducteur.
« Bonsoir voisine ! »
Je bafouillai un « bonsoir » poli de faible intensité, tout mon sarcasme, toute ma combativité enfermés dans un carcan de gaucherie insupportable qui ne s'activait qu'en la présence d'un de ces trois mâles un tantinet trop attirants et dangereux.
Il s'appuya nonchalamment contre l'encadrement de la porte, le sourire du chat devant le canari étirant ses lèvres qui étaient presque féminines tant elles avaient un dessin précis et doux.
« Tu pars en virée ? »
Flamme avait comme un radar à chaque fois que j'apparaissais dans le couloir. Sauf les fois où je souhaitais leur dire de faire moins de bruit. Pratique, comme compétence.
« Hum hum... fis-je en détournant le regard avant de rougir de façon humiliante, influencée par mon extrême sensibilité aux auras et aux émotions.
- Ah ! Les femmes devraient toutes être comme toi : mignonne à croquer et muette. Une combinaison parfaite ! Railla-t-il.»
Mon rougissement s'accentua. Il m'insultait et pourtant, son compliment, hautement superficiel, me faisait plaisir. Je me raidis, ma gêne se muant en colère. Quelque chose clochait... Normalement, mon empathie ressentait la sexualité brute de ces gars, et étant plutôt innocente dans ce domaine, ma gêne n'était pas anormale. Mais de là à ce que cela me fasse apprécier un commentaire sexiste... Les dents serrées, j'inspirai... Et son parfum me percuta, plus lourd que d'habitude, quasiment tangible. Ce fils de chien me balançait ses phéromones sans vergogne, tentant d'influer sur mon corps à défaut de mon esprit. Je plongeai mes yeux dans les siens, retrouvant mon assurance grâce à ma fureur. Je le vis froncer les sourcils, surpris et même un peu soucieux. Ses épaules se raidirent, son sourire méprisant se fana. Une réplique acide se forma dans mon esprit, passant presque la barrière de mes lèvres... Quand mon voisin-connard apparut derrière lui.
Il était ma kryptonite personnelle, mon fantasme et mon cauchemar entremêlés, un homme dont on devrait interdire tout contact avec n'importe quel être vivant tant il était saisissant avec ses cheveux noirs dressés dans cette coiffure à la mode de retour de baise, ses yeux d'argent liquide, qui me pétrifiaient à chaque putain de fois que je les croisais, et plus encore quand ils étaient luisants de magie, son torse – ô Déesse, ce torse – délicieusement musclé, dessiné, mis à nu ce soir pour mon plus grand malheur, et son charisme déployé pour séduire et anéantir la volonté de tout ce qui portait un soutien-gorge. Ou pas. J'étais sûre que même les mecs hétéros pouvaient avoir un coup de chaud devant tant de perfection masculine. Il était un vrai piège à petite culotte. Je luttais tous les jours pour ne pas baver. Ça ne ferait pas bon genre. Non, non, non. Et l'ignorer n'était pas possible. Il dépassait Flamme d'une demi-tête, était plus large, plus beau, plus... tout, au point d'éclipser à mes yeux la beauté vive de mon dragueur inépuisable. Et son caractère de quasi-psychopathe, avec un comportement limite auto-destructeur, ne faisait que renforcer cette image du mâle dominant et arrogant par excellence.
« Flamme ? »
Sa voix aurait pu avoir des défauts, non ? Dévoiler l'horrible personnalité que l'emballage parvenait grandement à dissimuler ? Renseigner sur la froideur de son âme racornie au fond de son cœur, au moins...
Non. Sexy, grave, un peu enraillée, chaude. Un long frisson me parcourut et mon sang battit contre ma gorge. Quel effet serais-ce de l'entendre prononcer quelques mots au creux de mon oreille dans l'obscurité de la chambre, son torse vibrant contre ma peau, son souffle effleurant ma gorge ?
Déesse, je perdais la tête en sa présence, et ce, depuis le premier jour.
J'appuyai sur le bouton de l'ascenseur de façon presque frénétique, voulant fuir cette atmosphère devenue irrespirable par ma propre gêne, les phéromones de Flamme et la décharge dangereusement ténébreuse de l'aura de mon Voisin-connard.
« Notre mystérieuse voisine va encore affronter la sombre nuit à une heure improbable, s'amusa l'interpellé, reprenant son rôle de petite enflure. »
Je sentis le regard de Raphael, froid, sur ma nuque. Me recroquevillant, j'attendis sa réplique favorite lorsque ses deux amis parlaient de moi. Il ne variait jamais.
« Aucun intérêt. »
Le coup me tordit l'estomac malgré ma préparation. Tout mon désir fondit pour laisser place à une détresse incompréhensible, que je ne devrais pas ressentir pour quelqu'un que je ne connaissais pas. Mais le fait est que ça me blessait à chaque putain de fois.
Aucun intérêt.
Ouais, je n'étais pas assez haute dans la chaine alimentaire, pas assez belle, pas assez riche, pour l'intéresser. Je le savais.
Non pas que c'était ce que je voulais. J'en avais déjà suffisamment à faire en repoussant les avances factices de Flamme, uniquement intéressé par moi car je n'avais pas couru vers sa braguette à son premier sourire séducteur des mois plus tôt. Et je ne comptais pas plus céder à l'attirance qu'exerçait sur moi le voisin-connard.
Quoique, il aurait peut-être fallu, juste pour une nuit, me retrouver dans ses draps, afin de le chasser de mon esprit. Pour que ma déception face à la réalité me permette enfin de le haïr avec toute l'énergie à ma disposition pour reprendre ma vie en main. A travers un meurtre bien ficelé... Je m'imaginais déjà lui arracher le cœur en plein orgasme après l'avoir chevauché durant de longues et haletantes minutes... Je ne savais pas laquelle des deux sensations me procureraient le plus de satisfaction.
Mon portable sonna de nouveau. Décidément, Ayden m'interrompait à chaque pensée un peu trop sanglante, comme s'il savait à quel moment ma nature profonde reprenait le dessus.
Je décrochai en priant pour que l'ascenseur aille plus vite. Mon cerveau me soufflait à chaque envie de meurtre que le sang était bien trop difficile à nettoyer et qu'il ne fallait pas que je cède à la colère au moins par respect pour le concierge et que ce coup de téléphone était signe que la Déesse approuvait mon raisonnement.
« Oui ?
- Deux corps. »
Je me sentis m'assombrir.
« Même modus operandi. Grouille toi, gamine. »
Ayden n'avait plus son ton amusé.
« Oui, chef. »
Je raccrochai alors que mes jambes se dirigeaient vers les escaliers. Une quarantaine d'étage me permettrait de reprendre complètement mes esprits, ce dont j'allais avoir grand besoin.
« Hé, chérie ! Et quand on te siffle, tu donnes la patte ? Ricana Flamme. »
Je ne réagis pas à l'insulte et dévalai les multiples étages à une vitesse surhumaine. J'en étais presque heureuse qu'une deuxième personne soit morte, me donnant ainsi l'excuse de partir en vitesse. Ce qui me fit haïr ces salauds plus encore.
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