Princeton Jones se tenait sur la dernière marche du Hall des Doléances du Palais d’Incandescence, le palais de l’Aurarque de l’Union de Janeiro. Devant lui se dressait le Trône d’Incandescence taillé d’un seul bloc à partir d’une gigantesque pierre précieuse qui donnait le sentiment d’abriter derrière ses parois cristallines de la lave en fusion. Le célèbre rubis d’Hyanaya, qui à l’origine avait la taille d’un aérocar lorsqu’il avait été découvert aux abords des Pics des Ténèbres, neuf cents ans plus tôt.
Celui qui l’occupait actuellement n’était pas l’occupant légitime du trône. Une lance faite d’éclairs palpitants traversait la poitrine de l’imposteur qui haletait, le visage tordu par la souffrance, le front ruisselant de sueur.
Le Conseil de l’Aurore avait pris fin trois heures plus tôt. Selon L’Étoile d’Or Koné Ningsi Bukesa, ils avaient échappé de justesse à la catastrophe. Ur Kol avait voulu intervenir en personne considérant que l’enlèvement du Titan Foudroyant et la disparition de Moca Malone, deux des Six occupants des Trônes du Phœnix, étaient des outrages si impardonnables envers le Noguem qu’ils nécessitaient qu’il s’engage dans le conflit.
Les Foudroyés avaient suivi la trace de l’Aurarque Thunderwalker jusqu’à Janeiro. Ce qui confirmait que le Roi de l’Abîme était derrière son enlèvement bien qu’on ignorait comme il était parvenu à se procurer autant de Voyageurs. Les Foudroyés n’avaient pu pénétrer au sein de l’Union de Janeiro car Moca Malone leur en avait refusé l’accès. Plus tard, il avait expulsé le Seigneur de Fer de la cité et avait également déclaré qu’il rejetait l’autorité du Pouvoir des Trônes et s’alliait au Roi de l’Abîme.
Ils avaient fini par comprendre que Moca Malone ne tenait plus les rênes de la cité-mère. Le Roi de l’Abîme était parvenu à s’introduire dans la cité de Janeiro et à usurper la place du jeune Aurarque. Il avait éliminé toutes les Plumes fidèles à Malone et avait réussi à en rallier une partie à sa cause.
Étant donnée la situation catastrophique et le symbole que représentait un Trône du Phœnix entre les mains d’un nihil, Ur Kol avait estimé qu’il devait intervenir, avec Antarès pour ramener l’ordre. Même s’il avait assuré qu’il n’utiliserait pas à nouveau le Souffle contre le Phœnix Incandescent, tous ceux qui se trouvaient autour de la table étaient convaincus du contraire. Depuis la Guerre des Deux Soleils, le Protocole Bouclier d’Or avait été instauré. Il avait pour principe l’envoi, avant le Roi de l’Aurore, d’une unité composée entre autres d’une des Étoiles d’Or et du Prince de l’Aube avec pour intention de désamorcer la crise par tous les moyens possibles. Et s’ils échouaient, le Roi de l’Aurore avait le champ libre.
La bataille pour entrer dans Janeiro avait été sanglante. Il y avait eu beaucoup de morts tant eretsins qu’ignemshirs car le Roi de l’Abîme avait pris la population en otage. Pour le Prince de l’Aube qui en tant qu’Amiral en Chef, dirigeait les opérations, il n’y avait pas d’autres solutions que de les sacrifier. Néanmoins, ils avaient pu limiter le nombre de victimes même si aux yeux de Princeton, ils auraient pu mieux faire.
Ils auraient dû mieux faire.
Il avait dû assister, impuissant, à l’annihilation de quartiers entiers par le souffle de l’explosion d’un Ouranos au-dessus du septième arrondissement de Janeiro. Avec l’aide de ses Centurions, et des hommes de l'Étoile d'Or, ils avaient pulvérisé un grand nombre des énormes débris du vaisseau de guerre avant qu’ils ne touchent le sol et ne provoque encore plus de victime mais le mal était déjà fait. Des milliers de vies éteintes en un instant.
Vêtu de son armure shirag noire moirée au reflet vert, Princeton se retourna. Le Prince de l’Aube vêtu de sa cuirasse jaune pâle moirée, veinée de gris, attendait au centre de la pièce. L’Étoile d’Or, un ignemshir à la carrure massive, les bras croisés, patientait, adossée au mur, les plumes dorées de son armure réfléchissant la pâle lumière du haut plafond.
Le Haut Centurion Jones plissa les lèvres et reporta alors son attention sur le Roi de l’Abîme en lui hurlant à nouveau :
— Où se trouve le Titan Foudroyant ?
Son visage était pâle, ses traits sévères et dénués d’élégance. Le regard remplit plus d’une insondable tristesse que de colère ou de douleur.
— Je l’ignore, balbutia-t-il. Vous avez déjà récupéré l’Aurarque. J’ignore où se trouve le descendant d’Ishanaeim.
— Il est Ishanaeim. Il est l’occupant légitime du Trône Ambrée.
Il le regarda fixement pour la première fois, cessant de perdre ses yeux dans le vague.
— J’ai voué ma vie à la protection des hommes. J’ai saignée pour l’Humanité, pour les protéger du chaos et de la destruction… Je suis un des Spectres de l’Ashayshin, cria-t-il subitement avec ferveur. Né de la Chute du Ciel et de l’Embrasement de la Terre ! Tuez-moi car j’ai accompli ma tâche !
— De quoi parles-tu pauvre fou ? Tu sors de nulle part et tu créés la zizanie au sein du Noguem et tu parles d’honneur et de sacrifice ? Beaucoup de personnes sont mortes à cause de toi. Beaucoup d’innocentes personnes…
— Et si je ne l’avais pas fait beaucoup d’autres auraient péri. Encore plus. Vous ne voyez pas le tableau dans son ensemble, jeune aigle. Vous manquez de perspective. De qui êtes-vous la Lune, Fils de la Foudre ? Vous en avez la puissance et le calibre.
— Les Seigneurs Joviens n’existent plus, que me racontes-tu là ?
— Non, vous êtes trop puissant pour n’être la Lune de personne. Vous appartenez à un Système de Shorun formé au sein d’une Pouponnière Stellaire semblable à celle de Sang d’Airain. Je perçois la puissance de l’Entité Royale qui pulse à travers vous. Ils sont donc deux…
Princeton soupira et se tourna vers le Prince de l’Aube en disant :
— Cet homme n’est pas cohérent. Je pense qu’il est fou. Je ne perçois aucun mensonge dans ses propos. Il croit réellement ce qu’il dit. Il ignore où se trouve Ishanaeim. La marque des Sarafeons, le faucon écarlate sur son cou est authentique. Vous êtes sûr de ne pas le connaître Première Lueur du Jour ?
— Jamais vu de ma vie.
— Et où se trouve le Roi de l‘Aurore ? Il était censé nous rejoindre car il désirait l’interroger en personne…
— Le Soleil du Matin a été retardé, Haut Centurion Jones. Veuillez continuer l’interrogatoire.
Le Cavalier Foudroyant soupira. Tout à coup, le grondement d’un tonnerre résonna à ses oreilles. Il leva la tête et balaya le plafond, confus puis regarda tour à tour l’Étoile d’Or qui attendait impassible et le Prince de l’Aube qui le fixait patiemment. Ils ne l’avaient pas entendu.
— Un souci Haut Centurion ? Demanda le Prince de l’Aube.
— Non, rien d’important…
Lorsque ses yeux se posèrent sur le Roi de l’Abîme, Princeton comprit à son regard que ce dernier l’avait, lui aussi, entendu. Comment cela se faisait-il qu’ils fussent les seuls à l’avoir entendu ?
— Par les Témoins de l’Ashayshin ! murmura ce dernier. Je n’ai vu une telle sublimation que chez une seule personne. A la fois forte et subtile…
Soudain, il grimaça et portant une main tremblante à son front humide. Il ouvrit les yeux sombres qui avaient un léger reflet doré et ils s’écarquillèrent lorsqu’ils se posèrent sur un point à droite de Princeton.
— Est-ce toi Sang d’Airain ? Cette énergie aveuglante et pure… Mon âme est inconsolable à cause de mon échec. J’ai lutté. Je suis resté fidèle au Pacificateur Rouge. Jusqu’au bout, je te le jure par le fil de mon acier et le sang de mes veines…
Princeton chercha ce que ses yeux fixaient avec une telle intensité mais il n’y avait rien du tout. Pourtant, il voyait réellement quelque chose. Grâce à sa lance d’éclair, il le savait. L’Étoile d’Or se rapprocha, intriguée. Le Prince de l’Aube également.
— Mais il était trop puissant pour nous. Il nous a changés. Mais au terme des âges, il m’a secouru.
— Qui t’a secouru, demanda Princeton.
— Il m’a dit que vous alliez détruire le monde si je ne vous en empêchais pas. Parce que vous voulez qu’ils reviennent.
— Que qui revienne ?
Soudain la lame d’un neshir consumé par un brasier de flammes céruléenne se planta dans le cœur du Roi de l’Abîme. Il s’agita vivement, les traits déformés par l’agonie tandis que son corps se durcissait et que sa peau prenait une teinte bleutée. Il se figea brusquement, une expression de profonde souffrance sur le visage, et la statue de glace qu’il était devenu s’effrita, et fût réduite en un amas de poussières glacées sur le trône désormais vide. Princeton, passé la stupéfaction, se retourna furieux en s’écriant :
— Qu’avez-vous fait ? Il allait cracher le morceau ! C’est bien vous qui vouliez que je l’interroge, non ? Il faut savoir ce que vous voulez, nom d’une Bête Ancestrale !
— Non, vous aviez raison, Haut Centurion Jones, répondit calmement Léonidas Kashir. Cet homme était devenu fou. On ne pouvait rien en tirer.
Il remonta les marches avec assurance, ses longs cheveux noirs battant sur ses épaules, jusqu’à Princeton qu’il dominait de quelques centimètres. Il esquissa un fin sourire et retira son neshir du dossier du Trône Incandescent, désormais vide.
— Félicitation, Haut Centurion Jones. Pour vos hauts faits lors de la Prise de Janeiro, vous avez réalisé de nombreux exploits dont celui de soumettre le Roi de l’Abîme sans l’aide de personne. Un titre de Seigneur vous plairait ? Ou peut-être celui de Chevalier de l’Aurore. Vous le méritez.
— Non ça ira, rétorqua sèchement Princeton en descendant les marches. Je suis très bien comme je suis.
En sortant du Palais d’Incandescence, Princeton se transporta sur le toit de son icare posé sur la grande esplanade. Il était clair que ce n’était pas fini. Cela avait été trop facile. Trop rapide. L’homme que le Prince de l’Aube venait de réduire en poussière, il ne pouvait pas être derrière tous ces évènements qui avaient bouleversé le Noguem. Non, il y avait quelqu’un d’autre.
Un marionnettiste caché dans l’ombre.
Un mystificateur invisible…
Il fixa le ciel d’aurore sans nuage bardés de bleus et de rouge sang. Jared, son Haut Bouclier, son bras droit, les yeux perçant et le crâne rasé, patientant près de l’icare, l’aperçut et il lui demanda en reculant pour mieux le voir :
— Un problème, Prince ?
Princeton ne répondit pas. Il voyait encore les traces de l’onde qu’il avait perçue. Ce bruit de tonnerre. Il localisa les résidus de l’onde qui flottait encore dans l’HyperMonde. C’était bien une onde d’électricité radicale. Extrêmement puissante. Autant que lorsque le jeune Thunderwalker avait connu la Nascentia Fulguris qui l’avait transformé en fulgator.
Elle venait de Paris-la-Nouvelle.
Il analysa la forme de l’onde et ne la reconnut pas.
— Un nouveau fulgator ? Murmura-t-il pour lui-même.
Non, sinon l’aspect du signal aurait été différent. C’était autre chose. Et ce malaise.
— Evan…
Il dut réprimer le réflexe qui manqua de le transformer en lumière et de le faire traverser l’Océan Atlantique. Son corps se sépara des arkas qui avaient commencé à fusionner avec ses cellules. Evan allait devoir se débrouiller sans lui. Il ne pouvait pas partir. Il restait encore une affaire à régler… Après tout, Evan était fort, il l’avait entraîné aussi durement pour cela mais, dès qu’il le pourrait, il devrait le rejoindre, et lui dire la vérité. Il était possible qu’il le haïsse après cela. Cela lui serra le cœur mais il n’avait pas le choix. Mais tout de même, comment Evan aurait-il… Car si ce tonnerre venait bien d’Evan, cela signifiait que… Mais cela était-il même possible ? Peut-être bien… Après tout, il était le Kaedenshir de Wazushendi. Ce garçon… Un sourire fier et carnassier éclaira le visage de l’Amérindien.
— Ma petite panthère enragée… murmura-t-il avec affection.
Dans son oreille, une voix s’exclama.
— Il est en vue Haut Centurion. Le Faucheur Muet qui nous a échappé deux jours plus tôt. Quatre kilomètres au nord-est de la cité.
Des nuages noirs s’amoncelèrent brusquement dans le ciel au-dessus de Princeton alors que des arkas bleu et vert oscillaient déjà autour des tuneirs.
— Merci Will.
Il appuya sur son oreillette et s’exclama :
— Rassemblement !
— On vient à peine d’arriver, s’exclama Jared en soupirant, son armure sombre comme la nuit reflétant les lumières naissantes du soleil.
— Il n’y a pas de repos pour les braves, Jared. Et sous mon commandement… !
— Vous n’avez que des braves ! Braillèrent en cœur ses Centurions.
— Exactement, je n’ai que des braves ! Aller tout le monde à l’icare, et plus vite que ça ! nous avons un Dragon Noir à chasser ! Avant qu’il ne sème le chaos, notre devoir est de l’arrêter !
Les réacteurs de l’icare s’allumèrent brusquement et il s’éleva doucement dans les airs, le Haut Centurion toujours debout sur le sommet du fuselage. Lorsque l’icare se propulsa dans les airs, le Cavalier Foudroyant se mua alors en éclairs et en lumière, faisant trembler le firmament dans un tonnerre. Il s’éleva dans le ciel aux lueurs ensanglantées montant l'obscur destrier que formait les nuages sombres qui l'accompagnaient et telle la foudre, le Tueur de Dragons Noirs s’abattit avec fureur sur la terre.
Fin.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2836 histoires publiées 1285 membres inscrits Notre membre le plus récent est Fred37 |