La remise du Trophée des Deux-France se fit en grande pompe. L’équipe gagnante fût réunie sur une grande estrade. L’Aurarque en personne, Théophilius Mical, irradiant de son aura impérieuse, vêtu d’un magnifique costume shirag, descendit de sa loge en discVol et fit un discours bref et concis. Il remit ensuite le trophée à Alejandro qui le leva bien haut tandis que l’équipe recevait l’ovation du stade. Ils se passèrent la coupe et durent s’astreindre à poser pour une série des photos pour différentes revues numériques et autres sites de grande notoriété. Des drones, qui tournaient autour d’eux comme des mouches autour d’un pot de miel, les accablèrent de flashs.
Finalement, le nouveau proviseur de la schola, le magister magnus Jorge Kor, tout en élégance, monta à son tour sur l’estrade. Il félicita les membres de sa chère schola et chanta les louanges d’Alaric Gon et des magisters princeps ainsi que du reste du corps professoral. Il conclut par des propos élogieux à l’égard de Kiona Paine, la plus ancienne schola, la meilleure du monde et affirma qu’elle le resterait à tous égards et ce, pour toute l’éternité…
En arrivant dans les vestiaires parmi les derniers, après une longue séance d’autographe de l’équipe, Evan fut accueilli par des applaudissements, saluant ses efforts et sa performance malgré son épaule convalescente. Evan ne se souvint pas s’être jamais sentit autant un membre de cette équipe et de cette schola. Il avait moins l’impression d’être un étranger parmi tous les Sangs d’Acier et les Sangs de Fer même si en soit, il le serait toujours.
De nombreux Sha’Daigan et Sha’Genji qui s’étaient tenus au côté de Lucas, lors de sa destitution, vinrent le saluer et le féliciter chaudement. Cela lui donna l’impression qu’il saluait quelqu’un d’autre que lui. Dans les situations désespérées, certaines actions pouvaient tout changer. Mais ce changement, il le savait, serait temporaire.
Alejandro annonça à toute l’équipe qu’il serait profondément honoré de leur présence chez lui car il organisait un repas festif durant tout l’après-midi. Cette déclaration fut suivie d’applaudissements, tandis que d’autres martelaient de leurs mains et de leur pieds le sol et les bancs. Keiji jaillit de nulle part, en poussant un hurlement guerrier, armé de deux bouteilles de Fitzblitz, la boisson la plus gazeuse qui fût, et s’en servant comme deux canons, il arrosa tous ses coéquipiers. Cela fut suivit par une bataille au shampoing et autres gels de toute sorte, si bien que lorsqu’ils furent tous sortit des vestiaires, ces derniers étaient dans un état déplorable.
Les réjouissances se poursuivirent chez Alejandro, dans le manoir des Cruz, où les membres de l’équipe furent accueillis par le père et la mère du Rex, Alonso Cruz, Général Onyx au service du 3ème Imperator, Lucius Heredogar, qui semblait être le sosie plus âgé d’Alejandro à l’exception que ce dernier avait les cheveux plus courts et Isaya Cruz, Haut Centurion Opale, blonde aux yeux verts, le visage altier et plein d’assurance. Ils s’étaient tous deux vêtus d’une tenue shirag décontractée.
Quand, Alonso Cruz le salua en le fixant de son regard implacable, Evan eut l’impression qu’il essayait de lui broyer la main. Pourtant ni son regard, ni son sourire ne fluctua, ne trahissant la moindre défiance. Il salua ensuite Keiji sans poser de nouveau son regard sur lui. Les hôtes les invitèrent à se restaurer et à s’amuser.
Une petite heure après leur arrivée chez les Cruz, tandis qu’ils jouaient sur des casques de réalité virtuelle avec des armes à feu holographiques, conversaient avec animation dans les canapés élégants du salon, des boissons dans la main en compagnie de leur amalia, un tube de lumière apparut au centre du grand salon au mobilier raffiné. Le silence se fit progressivement. Evan plié de rire face au visage écarlate de Joaquin qui tentait de battre au bras de fer Keiji, lui aussi rouge comme une tomate, sentit toute hilarité le quitter lorsqu’il vit ce que diffusaient les tubes holographiques.
Un plan en contreplongée du Palais du Zénith, tout en marbre éclatant, BoisFer somptueux, et doté d’une grande tour recouverte de ver-miroir, qui s’élevait vers le ciel comme une épée de lumière. Le plan changea. Sur une immense esplanade, une vingtaine d’icares fuselés, frappés des armoiries de diverses Familles Anciennes sur leur fuselage, se posaient en douceur. Les occupants en sortaient arborant leur armure shirag aux couleurs variées. Les seize Hauts Seigneurs de Sang et d’Airain des fédérations les plus puissantes des Huit Phœnix étaient ainsi réunis. Evan reconnut sans mal le Coq de Fer et son Calisto, Salazar Maka.
Il vit également, vêtu de leur armure shirag d’un or pur et flamboyant, deux Étoiles d’Or qui descendaient de leur icare personnel, marqué de leur armoirie personnelle et de l’emblème des Étoiles d’Or, Hyanaya, l’aigle doré crachant un feu noir, l’une des Bêtes Ancestrales. L’un des deux lui parut familier. Il avait l’impression de l’avoir déjà vu sur de vieilles photos de famille en compagnie de son père. Les grandes marches de marbre jaspé de pourpre et d’or du Palais du Zénith menaient, entre les grandes colonnes striées, aux grandes portes de BoisFer gravées du signe soloménique de l’Immaculé, devant lesquelles attendaient Ur Kol, le Roi de l’Aurore, en compagnie du Prince de l’Aube, Léonidas Kashir. L’armure shirag du Roi de l’Aurore était d’un rouge sang veiné d’or et celle du Prince de l’Aube, d’un jaune pâle moiré, veiné de gris. Ils avaient le même âge, à peine vingt-sept ans. Et ils étaient les deux hommes les plus puissants des Trois-Mondes.
Ur Kol, les cheveux blancs comme la neige depuis son plus jeune âge, affichait un air redoutable et une grande assurance dans ses yeux bridés, et autre chose, une détermination indéfectible qui imprégnait chacun de ses traits austères. Le Prince de l’Aube, la peau basanée, les traits plus fins, plus vivants, quant à lui, paraissait détendu, presque amusé. Ses cheveux noirs étaient longs jusqu’aux épaules, ses yeux noirs rieurs dégageaient toujours la même aura impérieuse que son supérieur.
Ils accueillirent les Aurarques d’un signe de tête, sans un mot, ni un sourire et les immenses portes s’ouvrirent derrière eux. Alors, de leur démarche de prédateur, les Gardiens du Pouvoir des Trônes et de la stabilité des Trois-Mondes disparurent dans le grand hall du palais.
Le Conseil de l’Aurore allait débuter d’un instant à l’autre… Il valait peut-être mieux qu’il rentre. Peut-être Princeton allait-il passer… Quelle était désormais la situation au sein de la Union de Janeiro ? critique probablement.
Evan se leva, échangea un regard entendu avec Keiji, qui lui lança après avoir avaler une gorgée de mourch glacé qu’il avait dans la main :
— A ce soir, frérot. Et surtout, n’oublie pas de te faire beau.
— Ouais, compte sur moi.
Le jeune homme emprunta les transports en commun pour rentrer chez lui. Peu de monde circulait dans les vastes et charmantes rues du Centre. Les images de l’arrivée des Aurarques et de leurs Calistos passaient en boucle sur les vitres du long bus aéronef fusiforme et autonome qui traversait silencieusement les arrondissements de la cité.
Un journaliste commentait les images, Evan se connecta au canal audio pour écouter ses propos. De simples conjectures, rien de concret. Des post d’actualité sur son R-Tatoo lui annoncèrent que les valeurs boursières de plusieurs multinationales étaient en chute libre et cela se répercutaient à travers les Huit, jusqu’aux sociétés martiennes. La majorité de ces sociétés étaient détenues par de vieilles familles d’eretsin, des Familles Anciennes ou d’anciens scientis s’étant lancer à leur compte après les dix années de services obligatoire au sein du Skiantem.
Evan arriva dans le Moulin une vingtaine de minute après son départ. Charlaine l’appela alors qu’il marchait vers son immeuble sur les trottoirs enneigés. Il se demanda alors ce que Nora avait bien pu faire du corps de L’Épine… En sortant le matin, il n’avait trouvé que quelques traces de sang discrètes dans la neige. Là où s’était trouvée la flaque, il y avait un monticule de neige…
Il discuta longuement avec Charlaine. Il attendit ensuite Princeton dans son salon, en fixant pensivement le ciel bleu et finit par s’endormir dans le fauteuil préféré de son tuteur. Il fit une longue sieste puis comme il eut faim en se réveillant, il réchauffa les restes qui traînaient dans son frigo. Il partit manger sur son balcon baigné de soleil et balayer par un vent d’hiver. Pensivement, il fixa tout au long de son repas les Ruines, toujours couverte du manteau neigeux.
Une victoire… enfin… Cette victoire au championnat de garoway avait une grande signification pour lui. C’était sa première véritable victoire dans l’équilibre sommaire dans lequel il était. Malgré le fait qu’il ait perdu son titulus, le soutien des Harlec et tous les pièges qu’on lui avait tendus, il était parvenu à atteindre son objectif.
Son père lui disait souvent :
Recherche toujours le mouvement, comme les astres qui ne cesse de se mouvoir. Vois-tu, ce mouvement est un enseignement. Un enseignement à la Persévérance. Un enseignement du Seigneur des Mondes à toujours persévérer, à ne jamais abandonner.
Il se leva et partit dans la chambre méditatoire qui se trouvait au fond du couloir derrière la porte de gauche. Il s’allongea sur le sol matelassé appréciant le silence et la beauté du ciel bleu. Il ne distinguait aucune étoile mais pouvait régler l’interface du plafond de verre afin de voir plus loin. Il n’en fit rien. Ce qu’il voyait lui suffisait.
D’une certaine façon, l’Existant avait bien dû lui venir en aide. Avec tout ce qu’il avait traversé depuis six mois, il avait survécu… Son père disait que le Seigneur des Mondes était avec les hommes jusqu’à la fin car même au cœur de la dévastation, il avait accompagné les descendants des Sal’Omeni après leur avoir donné la première prophétie suprême en les mettant à l’abri dans les Arches lors de son accomplissement.
Même si beaucoup d’hommes avaient péri, ceux qui avait mis foi en la prophétie avait survécu. Le monde avant l’Effondrement des Cieux était sous la domination de l’Empereur Malfaisant. Et la Pluie de Feu avait été son châtiment, comme le Royaume d’Odiani. Cela signifiait pour Evan que la justice subsisterait toujours même si les hommes faisaient tout pour s’en affranchir.
Ses paupières devinrent lourdes et il s’endormit.
Kani tendit à son fils un appareil photo. Evan le prit, les yeux brillants, émerveillé par le vieil appareil. Il s’imaginait déjà en train de se balader partout avec, prenant tout ce qu’il verrait en photo.
— Prends bien soin de cet appareil photo fiston. Je l’ai depuis que je suis tout petit et je ne l’aurais jamais donné à personne d’autre.
Evan, excité, se saisit de l’appareil en s’exclamant :
— Merci papa ! j’en prendrai soin, promis !
— Merci fiston, je compte sur toi, et toi Sue, maman compte aussi sur t…
Le dernier des Nakayi se redressa les yeux grands ouverts. L’appareil photo ! Mais bien sûr ! Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ! Il sortit en trombe de la chambre méditatoire et partit dans sa chambre. Il prit son appareil photo de sa commode, l’observa sous toutes les coutures puis remarqua que juste en dessous de la chambre à pellicule, il y avait dans la coque, une deuxième plaque rectangulaire au contour nette. Il récupéra un tournevis à tête plate et glissa l’extrémité dans le bord et d’une légère pression vers le bas, la plaque sauta. Il renversa l’appareil en l’agitant doucement et un patch de stockage doré lui tomba dans la main. Son père lui avait offert l’appareil photo en même temps que sa mère avait offert à Sue son pendentif. C’était sûrement ce qu’il lui disait dans la vidéo, là où l’audio avait été corrompu.
Il prit son R-Tatoo, s’assit sur le canapé, et fouilla dans la caisse qu’il avait repoussé dans un coin du salon. Il en sortit la boite remplit de patch de stockage du Projet Odiani. Il en prit un et le posa sur l’écran de son R-Tatoo, il entra le mot de passe, et il posa ensuite le patch doré. On lui redemanda un mot de passe. C’était le même.
— Initialisation du processus de décryptage, annonça une voix féminine. Temps estimés, quatre heures et trente et une minutes.
— Enfin ! s’écria-t-il, triomphant.
Le décompte apparut en trois dimensions au-dessus de son R-Tatoo… Cela faisait beaucoup… Pourquoi fallait-il toujours que tout prenne du temps ? Il soupira. Il savait que le temps de décryptage ne pouvait être compressé. Le SK-Solaris-7 avait cette particularité car c’était le processeur du patch doré qui se chargeait des opérations de calcul. Il partit récupérer son R-Tatoo de secours, un clone de son principal. Il récupéra dans sa commode le patch noir récupéré à la Bibliothèque d’Ambre. Il l’avait glissé dans sa chaussette droite la veille, alors qu’il tombait dans les vapes sous l’effet du poison de l’Épine. Il était convaincu que Nora l’avait fouillé quand il était inconscient. Et d’ailleurs, elle était sûrement restée jusqu’à son réveil uniquement parce qu’elle n’avait rien trouvé. Il ricana et posa sur l’écran le patch noir de Parker.
On lui demandait un mot de passe. Il entra le numéro d’identification de l’icare et il put avoir accès aux documents. Il y en avait une pléthore. Plusieurs exaoctets. Il en sélectionna un au hasard.
Une vidéo.
La personne qui filmait était en train de courir, la respiration haletante. On entendait le crissement de ses semelles sur les graviers qui recouvraient le sol. Tout autour, il n’y avait que des décombres fumants. Peut-être filmait-il grâce à la caméra d’un casque qu’il portait. Le paysage était très semblable aux Ruines en été. L’inconnu s’arrêta à bout de souffle en criant avec colère d’une voix désespérée :
— Tu… tu ne t’en tiras pas comme ça, espèce de monstre ! Le monde entier saura qui tu es et ce que tu as fait. Les Princes Sacrifiés ne te laisseront pas impunis. Tous ces gens que tu as tué ! Ces innocents…
Il s’exprimait en japonais. Evan avait de légères difficultés à le comprendre mais non parce que sa maîtrise de la langue nipponne laissait à désirer car il était parfaitement bilingue grâce à Keiji, mais parce que la diction était très différente de celle à laquelle il était habituée. Elle faisait plus ancienne. Le soleil venait probablement de se coucher et le ciel orangé était parsemé de nuages violacés et rouges. Un homme marchait vers lui, ses semelles crissant sur les gravats charbonneux. Il tenait probablement en main un neshir dont la lame s’était muée en une sorte de brasier ardent de flamme mordoré dégageant des filets de poussière cramoisi qui s’élevait vers le ciel et dont l’éclat permettait malgré la luminosité non optimale de discerner les traits juvéniles d’un homme qui devait peut-être avoir son âge. Plus il se rapprochait, plus ses traits se précisaient et plus Evan se sentit mal à l’aise. Il eut des sueurs froides lorsqu’il le reconnut.
Comment était-ce possible ?
Pourquoi Franz Parker lui avait-il donné une telle vidéo ?
— Ce que tu ne comprends pas, Takahiro, répondit-il d’une voix étonnamment douce, presque triste mais cette tristesse ne se voyait pas dans son regard de serpent où la lueur des flammes dansaient, sinistre. C’est que je veux que le monde sache qui je suis et ce que j’ai fait. Et quant aux deux autres, ils sont trop occupés à lécher les bottes de Raolwin à Azal’yan Ro’yba, pour pouvoir y faire quoique ce soit. Et quand ils se décideront à agir, j’aurais déjà un monde, rien qu’à moi. Je peux comprendre que tu ne me comprennes pas. Tu manques juste de perspective… Toi et moi nous ne sommes pas de la même espèce après tout…
Le jeune homme qui serait connu plus tard comme le premier des Fléaux et le plus terrible des trois, pointa nonchalamment la lame ardente vers celui qui filmait.
— Est-ce que tu l’entends ? demanda le Fléau.
— De qui est-ce que tu parles ? Rétorqua Takahiro d’une voix tremblante.
— Tu le sauras bien assez tôt, conclut doucement le Fléau alors qu’un tourbillon de flamme mordoré jaillit du brasier, aveuglant la lentille de l’appareil et la vidéo s’arrêta brutalement.
Kai Yosuke, le Destructeur de Mondes.
C’était bien lui.
C’était le même homme en à peine plus jeune qu’il avait vu dans l’atelier de peinture de Siegfried… Evan lança au hasard plusieurs vidéos. Des séquences de journaux télévisés, de reportages ou de vidéos amateurs. Elles concernaient toujours le Fléau. Il y avait également des rapports confidentiels de l’Ordre des Gardiens, des Exécuteurs, des Inquisiteurs ainsi que les Cendres Noirs du Pourpre, du Marmoréen et de l’Ambré, qui était les services secrets des Imperators, même des Sarafeons dépendant directement du Roi de l’Aurore. Les sujets étaient divers mais d’une manière ou d’une autre, ils devaient avoir un lien avec le Premier Fléau. Si on le surprenait avec ce genre de documents classifiés Jupiter, il finirait dans une des geôles sous-marines de Nihilo Corsica.
Il le voulut et Wazushendi transforma l’appartement en système fermé. Aucune connexion avec la Maille. Il activa également la cage de faraday. Evan disposait bien d’un pare-feu et de nombreux autres systèmes anti-intrusions noguemiens mais il savait qu’au sein des Cendres Noires, les services secrets du Noguem, les magistri scientis développaient toujours de nouveaux logiciels de surveillance dont la portée et la puissance dépassaient toujours ce qui avait déjà été fait auparavant. Il n’avait donc aucune certitude que le système de cybersécurité implémenté par Princeton était toujours de taille.
Cela avait-il un lien avec le projet Odiani ? Il ne voyait pas la connexion. Le Fléau était mort après tout.
Il y avait trop de données…
Il pensa à un moyen de traité toutes ces informations et son neshir réagit. Wazushendi lança en parallèle du décryptage en cours, un traitement sur cet ensemble de données après qu’il les ait copiés du patch de stockage noir vers son R-Tatoo. Son neshir se servait de ses propres processeurs neshirio-quantiques, plusieurs milliards de fois plus rapides que ceux de son R-Tatoo. Tout cela afin que, rapidement, une vue d’ensemble s’en dégage. Keiji ou Charlaine, aurait sûrement eu des idées plus fines mais il ne voulait pas les impliquer avant d’en savoir plus.
Son neshir projeta sur son mur-écran et via des hologrammes, un peu partout dans son salon, des graphes relationnels, spatio-temporels et des schémas d’évènements qui se construisaient au fur et à mesure. Ainsi il essaya, au milieu de tout cet imbroglio, de tirer une image générale. Il s’assit sur son tapis molletonné, en tailleur et se laissa submerger par toute cette connaissance, à cheval entre la réalité et son palais mental.
Soudain, il eut le sentiment d’être observé. Son regard fût attiré vers son balcon et il se figea. Wazushendi teinta les vitres de la baie et fit disparaître les graphes comme il le voulut.
Un homme de dos se tenait sur le balcon. Il avait d’abords cru que c’était Princeton, mais il avait bien vite déchanté. L’individu avait une chevelure rousse mi-longue et portait un long manteau avec le Phœnix Pourpre cousu dans son dos. Evan se leva furtivement, décrocha son neshir de sa corne et alama. Depuis l’Épine, il avait estimé que même chez lui, il valait mieux qu’il le porte constamment. Il ouvrit la baie vitrée et l’homme se retourna. Il avait des yeux bleus intimidants, mais brillant de sagesse avec quelque chose de paternel ainsi qu’une barbe blonde fournie. Un sourire chaleureux se forma sur son visage de trentenaire alors que, désormais, il devait déjà avoir plus de cinquante ans.
— Jeune Nakayi, dit-il avant de s’approcher les bras ouverts et de le serrer contre lui en riant de sa voix grave. Tu as sacrément grandi.
Evan lui rendit son étreinte en riant également :
— Jay ! c’est vraiment toi ? j’ai cru que c’était encore une Épine ou quelqu’un envoyé pour me tuer…
Jeremiah fit un pas en arrière en le regardant de la tête au pied :
— Tu es vraiment un sacré mélange d’Aynalem et d’Kani. Tu as les yeux de ton père, sa morphologie et les traits de ton visage doivent beaucoup à ceux de ta mère mais j’y retrouve tout de même clairement ton père.
Evan sourit de toutes ses dents.
— Alors, qu’est-ce qui t’amène, Jay ?
— Eh bien, tout d’abords, ta sécurité comme tu viens de le dire, tu irrites beaucoup de Princes du Sang Ancien dont certains Gardiens du Sang. Le Sultan Écarlate n’a pas apprécié que tu ais pris sa petite-fille dans tes bras. Il l’a vécu comme un affront...
— Ah… je n’ai pas vraiment fais exprès. Je me suis excusé auprès de Nora.
Jeremiah sourit, amusé.
— Là on dirait vraiment ton père. Faire des choses sans vraiment se soucier des conséquences. Ça lui ressemblait bien. Ta bravade lors de la demi-finale a également provoqué la colère de certains mais je vois que tu es sur tes gardes, c’est une bonne chose. Evan, pendant les Olympeons, tu devras redoubler de vigilance. Tu seras une cible facile. Ne baisse jamais ta garde. Ne dors que d’un œil, ton neshir toujours à porter de main.
— C’est ce que j’avais prévu.
— Bien. Et félicitation pour ta victoire. Tu as vraiment été exceptionnel, malgré ta blessure à l’épaule.
— Ça se voyait tant que ça ?
— Oui, ça se voyait. Princeton était sacrément fier. Il s’est aussi bien marré hier lorsque tu as pointé ta batte vers la loge de Rayn. Décidément, je ne sais pas lequel d’entre vous deux est le plus dérangé.
— C’est lui qui t’envoie ? Tu étais avec lui ?
— On s’est appelé tout au long des deux matchs. Non et non, il est toujours à Janeiro. Il est bloqué là-bas et attend l’issu du Conseil. Les choses se sont gâtées à Janeiro, la situation est devenue pire que ce à quoi ils s’attendaient tous. C’est pour cela qu’il n’a pas pu venir.
— Alors tu sais aussi ce que j’ai… en ce moment. Mes crises…
Jeremiah se rembrunit brusquement et dit avec une moue hésitante :
— Oui.
— Et tu connais la solution ?
— Ce n’est pas à moi de t’en parler, Evan.
— Mais… Jay ! s’écria-t-il pris d’une soudaine colère. Tu penses réellement que cela change quelque chose que ce soit lui ou toi ? Je veux juste que ça se termine. Qu’on me dise comment y mettre fin ! As-tu la moindre idée de l’angoisse qui m’habite depuis près de six mois ? Ce truc a failli me tuer je ne sais combien de fois et tu penses que je peux simplement me contenter d’attendre encore ? C’est tellement cruel !
— Ça ne changerait rien que je te le dise. Seule Princeton sait comment arranger ce que tu as.
— Tu sais tout, Jeremiah.
— Certes, mais c’est à Princeton de te le dire et de s’en charger, ce n’est pas mon rôle.
— Et donc tu vas me laisser mourir dans l’ignorance ? Quitte à ce que je meure, j’aimerai autant savoir pourquoi…
Jeremiah posa ses deux mains sur les épaules d’Evan qui voulut se dégager, furieux, mais la poigne du Noguemi était de fer.
— Écoute-moi bien, Evan. Tu ne mourras pas, tu vas te battre comme tu l’as toujours fait et tu t’en sortiras. Si jamais tu n’y arrives pas, je serais là pour t’aider.
Evan ricana amèrement :
— J’ai failli passer l’arme à gauche à de multiples occasions depuis plusieurs semaines, où étais-tu ?
Jeremiah sourit et dit :
— Tu penses vraiment que tu as atterri chez la vieille Nour tout seul ? Comment crois-tu que tu sois arrivé chez elle ? Je te croyais plus malin que cela. Tu te doutes quand même qu’elle n’aurait jamais pu te transporter.
— La vieille Nour, répéta Evan perplexe. Tu veux dire l’herboriste.
— Oui, elle s’appelle Nour. C’est une vieille connaissance.
— Elle n’a jamais mentionné ton nom…
— Elle est assez avare en information. C’est l’une de ses grandes qualités.
Evan fixa Jeremiah intrigué avant de lui demander, toute colère envolée mais sentant une tension se propager dans ses muscles :
— Tu n’es pas le Chuchoteur… n’est-ce pas Jay ?
Ce dernier fronça légèrement les sourcils, ses yeux bleu brillant d’intensité, avant de sourire, amusé :
— C’est une plaisanterie ou un jeu de mots ? Comment ça le Chuchoteur ? Tu veux dire comme l’entité maléfique du conte du Roi-Pion ? C’est à cause de Nour que tu me pose la question peut-être ?
Le sourire de Jeremiah s’atténua légèrement tandis qu’il le sondait du regard. Comme s’il voyait des choses que lui ne voyait pas.
— Que t’a-t-elle dit ? Demanda-t-il alors.
Le jeune homme comprit qu’il y avait tout de même des choses qui pouvaient lui échapper. Il se détendit et dit
— Laisse tomber... mais alors, commença-t-il en prenant conscience de quelque chose. C’est toi qui m’as sauvé lors de l’explosion de l’icare qui me menait à l’Île Morte ?
Une brève fureur anima les yeux de Jeremiah Kheel qui lancèrent des éclairs :
— Cet abruti d’Heredogar a été trop mou. Il a sous-estimé la folie qui animait le cœur de son discipulus. Je lui ai tranché le bras pour lui apprendre.
— Tu veux dire qu’il est encore en vie ?
Jeremiah sourit mais ne répondit pas à sa question.
— Ne t’en fait pas, il ne te causera plus d’ennuis. Par ailleurs, tu as décidé de faire de Lucius Heredogar, ton Mentor ?
— Il m’a proposé et j’ai accepté. Je ne pense pas que j’aurais de meilleures propositions. Si Princeton ou toi aviez été des Seigneurs, je vous aurai choisi avec plaisir.
— Le Seigneur Heredogar est un bon seigneur d’après ce que je sais. Il est assez pointilleux lorsqu’il doit se choisir des Protégés pour ses Plumes de Bois. Il n’en a choisi aucun l’année dernière par exemple, même à Kiona Paine, et il refuse qu’on lui en attitre contrairement à d’autres qui n’en font pas une très grande affaire. C’est sûrement pour cela que sa légion compte un dixième des ignemshirs considérées comme les plus puissants du monde. La légion de l’Ours Doré est l’une des plus puissantes du monde, si ce n’est la plus puissante. C’est un homme très puissant, et très strict mais aussi fidèle à sa parole. Et il est très ambitieux. Il ne fait jamais rien au hasard.
— Ambitieux ? Il est Imperator, il a déjà atteint le sommet du pouvoir. Devenir Aurarque ne l’intéresse pas.
— C’est ce qu’il t’a dit ? L’ambition peut revêtir diverses formes. Il est étonnant qu’il se soit d’ailleurs donné la peine de se déplacer spécialement pour toi.
— C’est à cause de Princeton, il lui avait fait une promesse…
— Non, Evan. Heredogar est un homme de parole mais il ne se serait pas déplacé uniquement pour cela. Tu en es l’unique raison. Tu as suscité son intérêt. Mais reste toujours sur tes gardes vis-à-vis du Shedim de Lugdunum, Evan. On ne sait jamais ce qui se passe dans l’esprit d’un homme aussi puissant et influent. Le pouvoir peut avoir des effets néfastes sur la psyché des hommes… De même qu’en ce qui concerne les dossiers de tes parents que tu es en train de décrypter, et ce que tu as récupéré à la Bibliothèque d’Ambre. Sois prudent.
Evan l’observa, songeur, à peine surpris qu’il sache pour le patch de Parker. Il lui dit alors :
— Puisque tu sais tout, Jeremiah. Dis-moi, qui est le meurtrier de mes parents ?
Jeremiah sortit de sa poche quelque chose qu’il serra au creux de sa main. Il prit la main d’Evan et y laissa un pendentif. Il était circulaire et argenté. Dessus était gravé le chef de deux fauves qui regardaient dans des directions opposées. La panthère noire avait la gueule dirigée vers le sud-ouest tandis que le léopard, lui pointait vers le nord-est. Ils étaient séparés par deux lances écarlates à deux lames qui se croisaient au centre. Leurs babines retroussées révélaient des crocs blancs refermés sur deux couronnes bleues massives.
Cet emblème. Il l’avait déjà vu…
Oui… dans la vision qu’il avait eue. D’un des futurs possibles pour reprendre l’expression de l’herboriste. C’était l’armoirie qu’il portait sur la poitrine de son armure shirag.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est un trésor de famille que m’a donné ton père pour que je le donne à celui entre toi et ta sœur qui aurait le plus grand potentiel.
— Mais…
— Demain c’est ton anniversaire. Je suis un peu en avance certes mais je pense qu’il est important que tu l’ais avec toi. Dès maintenant, ainsi, tu te rappelleras toujours que tu es Evan Azekel Nakayi, fils de Kani et d’Aynalem Nakayi et frère de Sue Nakayi.
— Merci, murmura Evan, la gorge serrée et les yeux humides en serrant le pendentif dans sa paume. Merci beaucoup.
— C’est normal, fiston, lui dit-il avant de lui ébouriffer les cheveux. Que la Terre soit sans péril.
Evan hocha la tête, la mâchoire serrée. Peut-être que Jeremiah le savait ou peut-être que non, mais il ne lui dirait jamais qui avait tué ses parents. Les responsables étaient sûrement des personnes contre qui Evan, dans sa position actuelle, ne pourrait rien du tout. Le noguemi connaissait aussi son caractère. Il savait que lorsque l’on en venait à sa famille, il ne réfléchissait plus clairement. Il ne voulait pas le conduire vers une mort prématurée, même si, d’une certaine façon, depuis qu’il avait huit ans, sa vie n’avait été couverte que par l’ombre d’une fin précoce.
— Que les cendres de l’Immortel te protègent, répondit Evan, la gorge serrée.
Jeremiah sourit et se détourna avant de marcher vers la balustrade. Il s’arrêta à mi-chemin. La lame de son neshir se forma d’un tourbillon de fumée noire et blanche qui jaillit de la poignée où la garde courte et incurvé semblable à l’extrémi té d’un plumage s’était formée et il murmura si bas qu’Evan douta d’avoir bien entendu :
— Le temps n’est qu’un espace qui se remplit.
Il frotta son orkin gravé de l’emblème de Nosce qu’il portait à l’index sur la lame et des arkas dorées et bleus apparurent autour de celle-ci. Il fendit alors l’air de sa lame noire veinée de blanc. Evan eut l’impression qu’il venait de déchirer la réalité. A travers une ouverture, il voyait un réseau complexe de cordes vibrantes et lumineuses qui semblaient se trouver dans un autre monde.
Evan n’en croyait pas ses yeux.
S’agissait-il du légendaire Luxensha ? On racontait que par Luxensha, on pouvait se plonger dans le Fleuve du Temps et avoir accès au cœur du Cercle de l’Univers. Même voyager dans le temps.
Jeremiah le gratifia d’un dernier sourire en disant :
— Je t’ai laissé une surprise en bas. J’espère qu’elle te plaira.
Evan le vit alors se muer en un amas arkas qui fut aspiré par la brèche qui se volatilisa en se refermant. Le jeune homme en resta pantois. Jeremiah était un Voyageur ! Voilà qui expliquait comment il s’était retrouvé aussi vite dans le Cimetière au moment où il en avait eu besoin ainsi qu’en plein milieu de l’explosion de l’icare. Il se laissa tomber sur son tabouret et leva à hauteur des yeux le pendentif qui oscilla au bout de sa chaîne.
Une panthère. Il aimait ce pendentif même s’il ne comprenait pas ce qu’il représentait. Il le mit autour du cou en pensant à sa sœur. C’était à elle qu’il aurait dû revenir. Même si elle n’était jamais allée dans la Caverne aux Épées de la Forêt des Soupirs d’Ulzayan, Evan savait qu’elle aurait eu un plus grand potentiel que le sien. Elle aurait assurément été meilleur que lui.
— Sue, petite peste, murmura-t-il avec un sourire affectueux, le regard lointain.
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