Evan, à bout de souffle, baissa brusquement sa batte. Le match avait été beaucoup plus difficile qu’il ne l’avait envisagé. Jamais Kiona Paine n’avait affronté un adversaire aussi redoutable. Faust avait fait quasiment jeu égal avec Alejandro du point de vue de la stratégie et Oscar avait été aussi bon que Keiji. Quant à lui. La langueur qui habitait ses muscles et ses os le ralentissaient et amoindrissait ses réflexes. A cause de cela, Alejandro était obligé de conserver des boucliers autour de lui pour sa protection même au-delà de la zone de base. Cela fragilisait le soutien dont disposait habituellement Keiji et les autres porteurs de balle secondaires. Malgré ce handicap, ils avaient réussi à mettre deux End Game. La Regina toujours aussi prompt et alerte, soutenue par son équipe, était également parvenue à en marquer deux.
Par il ne savait quel miracle, malgré les différents essais marqués par Keiji, Jin et Lucas, et les buts mit par Alejandro et Orlando, ils se retrouvaient à égalité. Quatre-vingt-dix-neuf au score de chaque équipe.
Faust, Oscar et un certain Varal n’avait pas chômé non plus dans l’équipe adverse.
— C’était vraiment juste, marmonna Keiji entre deux respirations. Ton dernier End Game était mémorable. Je pensais vraiment qu’on n’y arriverait pas.
— C’est grâce à vous. Vous avez dû vous dépasser comme jamais, répondit-il sombrement. Parce que je ne suis pas au meilleur de ma forme.
Jin arrivait en face et il lui fit une bourrade à l’épaule et dit, alors qu’un sourire éphémère passa sur ses traits juvéniles qui furent brièvement moins revêches qu’à l’usuel :
— Bien joué Kupenda. Même lorsque tu as l’air sur le point de crevé, tu arrives toujours à nous surprendre.
— On dira que c’est ce qui fait ma force.
— Mais le plus dur reste à venir.
En effet, le plus dur restait à venir. Il venait de marquer l’End Game qui avait en un sens remis le compteur à zéro. Pourtant, il avait cru que cela conclurait le match étant donné la pluie de buts et d’essais marqués par son équipe mais il était clair qu’ils avaient en réalité beaucoup de retard.
Une dernière bataille devait être encore menée. Il n’y avait pas de prolongation mais une séance de tirs au sablier entre les deux porteurs de batte. Trois frappes. La vitesse de rotation du sablier doublait à chaque tour.
— Joaquin, fit Evan en se tournant vers son coéquipier qui était assis à même le sol à quelques mètres de lui.
Ce dernier leva son visage vers lui. Ses sourcils blonds interrogateurs, comme la lueur dans ses yeux bleus, se haussèrent. Evan lui lança sa batte en disant alors que ce dernier la rattrapait d’une main ferme, en se redressant agilement, un genou à terre.
— Tu veux bien te charger de la première frappe ?
Joaquin était le porteur de batte secondaire. Il était doué mais pas autant que lui. Là, il ne s’agissait pas de frapper en courant donc, il devrait très bien s’en sortir. Evan avait l’épaule en feu. S’il pouvait s’éviter une frappe, autant en profiter. Il savait que les deux suivantes s’avéreraient particulièrement difficiles. Jeff arriva avec une sucette dans la bouche, ses locks brunes à l’aspect rêche battant mollement sur ses épaules solides alors que Joaquin se relevait :
— Tu frappes ? Demanda-t-il de sa voix indolente.
Joaquin hocha la tête en répondant :
— Il faut bien lui alléger le travail. Tu t’es très bien battu, Evan.
Jeff acquiesça et lança une sucette à Evan avant de suivre Joaquin qui s’éloignait pour s’échauffer.
Il n’avait dit à personne qu’il s’était battu contre une Épine et qu’elle l’avait blessé mais personne n’avait manqué de remarquer le bandage de guérison accélérée qu’il avait à l’épaule. Car même s’il prenait la couleur de la peau, cela ne trompait pas un ignemshir. Sans parler de ses traits fatigués et son teint plus blême qu’a l’accoutumé. Ils savaient tous qu’il ne jouait pas à son maximum.
L’air était électrique. Plus que la veille. Les rumeurs de la foule, qui noircissait les gradins, bourdonnaient à ses oreilles. La sucette dans la bouche, il se laissa tomber dans l’herbe et ferma les yeux, baigné dans l’aura du soleil qui à l’approche de son zénith inondait le stade.
— Ouais, t’as raison, entendit Evan, reconnaissant la voix de Keiji. Récupère autant que tu peux.
Il avait cinq minutes avant la séance de tirs au sablier. Il s’assoupissait quand on le secoua doucement en lui enfonçant désagréablement quelque chose dans les côtes. Il ouvrit les yeux et Nora se tenait debout au-dessus de lui. Vêtu de sa tenue de garoway, ses yeux ambrés en amande l’analysaient avec curiosité. Il soupira.
Que lui voulait-elle encore ?
Après avoir connecté son oreillette à la sienne, elle s’assit en tailleur dans l’herbe près de lui et dit :
— Je ne pensais pas que tu frapperais aujourd’hui. La plupart des Fils des Cendres n’arrivent pas à courir dès le lendemain. A chaque fois que je te rencontre, tu ne cesses de te révéler un garçon très... atypique. Pourquoi ça ? Qu’est-ce que tu as de si particulier, Evan Jameson Kupenda ?
Evan observa son visage avenant et charmant, sa peau parfaite d’un brun dorée qui amplifiait l’éclat de ses yeux. Le vent soufflait dans sa chevelure châtaine ramenant des boucles devant ses prunelles enflammés. Le jeune homme détourna le regard en chassant l’idée qui venait de germer dans son esprit. Il s’était fait la réflexion qu’elle ferait un excellent modèle de peinture. C’était la deuxième fois avec la fois dans le Fort mais à l’époque elle ne lui avait pas encore volé la clé de son passé, ni laisser se vider de son sang dans la neige du Cimetière, mais elle lui avait laissé le jus de Coshen pour atténuer la douleur de ses blessures.
Néanmoins, il savait reconnaître la beauté quand il la voyait mais c’était quand même inhabituel qu’il y pense à nouveau. La seule autre fille qui lui avait paru digne d’être peinte était Tessa. Le charme de cette fille était diabolique… Il se demanda d’ailleurs pourquoi elle lui faisait la conversation. Pour peu, il aurait pu penser qu’elle cherchait à tisser des liens amicaux mais connaissant le personnage, cela était hautement improbable. Tout n’était que manœuvre et manipulation...
— Si tu veux que je te révèle ce que je sais sur Franz, tu sais ce qu’il te reste à faire, lança-t-il sèchement. Ne te fatigue pas, Zal.
Elle soupira et dit en posant son menton dans la paume de sa main, la moue blasée :
— Tu ne m’aimes vraiment pas, n’est-ce pas ?
— Tu m’as volé quelque chose, tu t’attendais à quoi ? rétorqua l’autre en essayant de l’ignorer en fermant les yeux.
Pourquoi ne partait-elle pas ? Il n’avait pas envie de discuter. Il voulait se reposer avant la reprise.
— Non, répondit-elle. Bien avant, chez Georges ou même encore avant dans le Cimetière. Même chez toi. Tu t’es toujours défié de moi.
Le jeune porteur de balle comprit qu’elle n’était pas près de s’en aller. Il se redressa lentement, la mine sombre. Il plia une jambe, sentant le vent, qui devait être glacial, soufflant à travers le terrain mais qui lui faisait l’effet d’une brise fraîche sur sa peau brûlante. Il passa pensivement ses doigts dans sa crinière crépus et jais. Ses doigts traînèrent sous sa toison crépue tandis qu’il réfléchissait et il dit enfin en se mettant souplement sur ses pieds :
— Je connais les gens de ton espèce et je ne leur fais pas confiance. C’est tout.
— Une Sha’Daigan, Dernière Témoin du Sang d’Esfandyar Zal, le Dompteur Ancestral et Roi des Bêtes, Reine des Cendres et Regina Pourpre ?
— Et c’est reparti. Malgré tous les titres pompeux que tu portes avec orgueil et arrogance. Tu n’es qu’une gamine pourrie gâtée, fourbe et sans cœur.
Elle affecta un sourire moqueur et un air distant et avec la grâce d’un cygne, elle se leva à son tour. Elle lui répondit en faisant un pas vers lui, rapprochant son visage du sien :
— Tu sais ce que tu es, Evan Jameson Kupenda ?
— Vas-y, je t’écoute Zal.
— Un abruti qui tente de se faire passer pour ce qu’il n’est pas et qui probablement ignore ce qu’il est réellement : ce qui le conduira invariablement à sa perte.
Sur ces mots énigmatiques, après l’avoir gratifié d’un regard peu amène, elle s’en alla vers son équipe après avoir déconnecté son oreillette. Evan la regarda s’éloigner, songeur puis se dit qu’elle l’avait empêché de faire sa micro-sieste. Ensuite, il l’imita en rejoignant ses propres coéquipiers rassemblés autour de l’entraîneur Alaric qui leur braillait dessus à tort et à travers. Malgré les apparences, il ne s’agissait pas là d’invectives mais il les félicitait pour leur combativité.
— Enfin fini de roupiller, Kupenda ? vociféra-t-il de sa voix rocailleuse. Il était temps ! Avec Joaquin faite nous un autre miracle ! Par les crocs du Dévoreur ! Se blesser la veille d’une finale. Qui m’a fichu un âne pareil dans les pattes ? Aller au boulot !
Evan leva légèrement son bras convalescent. Il lui faisait moins mal mais c’était encore dérangeant. Il devrait faire avec. Le sort s’acharnait sur lui et il était de son devoir de le plier à sa volonté.
La Regina frappait la première. Il y avait toujours une balle d’essai. Le lance-balle, une machine portative dotée d’un tuyau en forme de huit rappelant le sablier, se trouvait à une dizaine de mètres à l’avant. Nora, sa batte sur l’épaule, la chevelure malmenée par le vent, s’approcha lentement de sa démarche légère. Elle était de taille moyenne, mince, les jambes galbées et le corps tonique. Elle courait vite aussi. Il avait eu l’opportunité de le constater à plusieurs reprises mais elle était loin d’être aussi rapide que lui. Par contre, elle était capable de tirer de plus loin que lui avec une meilleure précision et elle avait une excellente détente.
Elle tapota deux fois la tête de sa batte contre le rebord de son crampon gauche puis se mit en position pour frapper. L’arbitre siffla. La balle de garoway jaillit du lance-balle et tourbillonna dans les airs en formant un arc de cercle. Elle retomba vers la position de la capitaine qui d’un mouvement fluide la frappa. La balle, devenue parfaitement sphérique, fila droit dans le cerceau supérieur du sablier mouvant sans même effleurer le contour.
Un tir parfait.
Un tir parfait ne rapportait pas le même nombre de point qu’un tir dont la balle touchait les rebords des cerceaux. Uniquement lors des séances de tir au sablier, il comptait double. Evan sentit Joaquin se crisper. Même si au premier abord, rien n’avait changé dans la posture du ma’nkel, Evan savait que ce tir d’essai venait de lui mettre la pression.
Cela le tuait de l’admettre à nouveau, mais Nora était vraiment douée. L’arbitre siffla de nouveau. Le lance-balle émit un bruit sourd d’air compressé et la balle s’éleva dans le ciel. Un coup de batte et la balle traversa le cerceau avec la même perfection. Deux points pour La Rose d’Or. Les supporters acclamèrent le tir. Elle lança un sourire satisfait à Evan, qui répondit par une grimace qui accentua le sourire de la jeune fille, et il la vit ricaner comme si elle l’avait trouvé drôle. Néanmoins, elle cessa de sourire quand, surprise, elle vit Joaquin s’avancer. Evan eut presque l’impression qu’elle était… déçue. Une fille étrange décidément...
Joaquin prit place. Son tir d’essai ne fut pas un tir parfait. Même si les membres de l’équipe ne le montrèrent pas, leur visage demeurant de marbre, Evan sentit qu’ils étaient tendus.
Le lance-balle tira.
Un arc de cercle puis un bruit mât.
La balle de garoway traversa le cerceau inférieur sans toucher le rebord.
Jeff lâcha un « Yes ! » sonore et les autres se détendirent un peu tandis qu’une partie de la foule applaudissait.
Evan gratifia Joaquin d’un signe de tête et d’un grand sourire auquel il répondit en lui lançant la batte. Il lui dit :
— Je n’échangerais nos places pour rien au monde, Evan.
— Et pourtant, il faut bien que quelqu’un le fasse.
Joaquin posa une main encourageante sur son épaule. Nora revint. Le sablier tournait maintenant deux fois plus vite mais on distinguait encore les deux cerceaux.
Elle fit de léger moulinet avec son bras droit, tapota deux fois sa batte contre sa semelle gauche avant de se mettre en position.
La batte émit un bruit mât en frappant la balle de garoway qui traversa le cerceau supérieur du sablier en heurtant le rebord intérieur. Elle poussa un juron en passant nerveusement une main crispée dans sa chevelure. Cette fois-ci, pas de sourire, elle rejoignit son équipe et le regarda avancer avec un visage de pierre.
— Fais-nous un miracle, A’shua Meno, lui murmura Keiji.
Evan prit place, la batte le long de sa jambe gauche. Il recula d’une trentaine de pas. Il avait le droit de la frapper en courant ou en étant immobile. Même si pour la plupart des joueurs frapper en étant immobile était plus aisé, en ce qui le concernait, il aurait dit le contraire.
Peut-être était-ce parce que faire des gestes précis en courant était devenu une seconde nature chez lui. Le Lon-Shirkairon, l’École Déchaînée, demandait une vitesse d’exécution très élevée et une maîtrise de la totalité des muscles et des nerfs de son corps dans un enchaînement bien précis qui maximisait la vitesse. Cette façon d’utiliser son corps était appelé Le Pas du guépard. Et l’entraînement de Princeton avait toujours été un véritable enfer. Qui de mieux qu’un Fils de la Foudre pour vous apprendre à devenir à la fois rapide comme l’éclair, écrasant comme le tonnerre et destructeur comme la foudre.
Un bruit sourd d’expulsion. Evan se mit à courir tandis qu’il entendait la rumeur des gradins s’amplifier. En atteignant la marque sur le sol, il bondit en prenant appui sur sa jambe gauche, pivota sur lui-même dans les airs et frappa la balle de garoway qui, plus vive que l’éclair, traversa le cerceau supérieur du sablier et continua sa course dans le ciel. Il crut d’abords que le tir avait été parfait mais l’arbitre annonça que la balle avait effleuré le rebord.
Des applaudissements envahirent le stade.
Son épaule était douloureuse. Son articulation chauffait désagréablement. Si seulement il était parvenu à la mettre à la perfection, il aurait pu se détendre mais non, ils en étaient toujours au même point. Le sablier tournait désormais si vite qu’il était difficile de distinguer les cerceaux. Il se retira vers son équipe, laissant la place à la Regina qui réalisa son petit rituel puis attendit la balle, déterminée.
Les gradins retinrent leur souffle. Bruit d’impact. La balle traversa le cerceau inférieur en heurtant violemment le rebord. Nora balança rageusement sa batte dans la pelouse, furieuse contre elle-même. Evan échangea un regard avec Keiji, qui lui fit un clin d’œil, le gratifiant de l’un de ses sourires espiègles.
Le jeune ma’nkel, un fin sourire sur les lèvres, s’avança alors jusqu’à la marque sur le sol puis recula de trente pas. Un bruit sourd. Il bondit en avant. Son épaule le tiraillait. Soudain, il trébucha à trois enjambées de la marque, perdant l’équilibre et il plongea en avant mais par réflexe, il roula et se remit derechef sur ses jambes, l’épaule en feu. La balle de garoway avait déjà dépassé la hauteur à laquelle il la frappait habituellement. Il bondit en avant et, de toutes ses forces, il frappa la balle, le crampon gauche glissant jusqu’à la limite du marquage. Elle fila droit vers le sablier. Immobile, l’épaule endolorie, le bras tendu sur le côté, un genou à terre, le cœur battant à tout rompre, il se maudissait en se demandant comment il avait fait pour trébucher. Il ne trébuchait jamais… mais d’habitude, il ne courrait pas avec un poison inconnu dans l’organisme
La balle traversa la partie inférieure du sablier sans changer de trajectoire.
Tout le monde retint son souffle.
L’arbitre siffla et annonça qu’elle avait de nouveau effleurée l’intérieur du cerceau. Il laissa retomber son bras, s’appuyant sur sa batte pour garder l’équilibre, en soupirant. Il ne pourrait plus frapper. Son épaule lui faisait trop mal, désormais.
En cas d’ex-æquo, on continuait de tirer jusqu’à ce que l’un des porteurs de batte prenne un point d’avance. Nora allait l’emporter. L’année dernière, ils n’avaient pas eu besoin d’aller jusque-là car ils avaient remporté le match avec trois End Game. Avec Jahandar en porteur de batte secondé par Keiji, ils étaient tout bonnement invincibles.
Evan, blasé, déglutit la gorge serrée par l’émotion Il n’avait pas été digne de l’héritage de Jahandar...
L’arbitre appela alors les porteurs de batte. Il se releva, dépité et s’exécuta. Nora le rejoignit à mi-chemin, et après avoir connecté son oreillette à la sienne, elle lui glissa sans le moindre sarcasme :
— Tu ne pourras plus tirer. Ton épaule te fait souffrir le martyr, n’est-ce pas ?
— Tu caches étonnement bien ta joie, rétorqua-t-il, acerbe.
Elle le regarda du coin de l’œil sans rien dire, et se rembrunit. Elle garda le silence jusqu’à ce qu’ils aient rejoint l’arbitre. Le magister leur dit en regardant son R-Tatoo :
— On ne fait jamais plus d’une séance de tir au sablier lors d’une finale de championnat. Tout au long du match, un algorithme calcul la performance générale des deux équipes et de chaque joueur pour donner un résultat général.
Evan devina la suite sans mal et soupira en se disant qu’ils n’auraient pas la coupe et tout cela par sa faute. Il se sentait coupable et responsable de leur échec. Ils s’étaient tous si vaillamment battu, et à cause de lui, ils ne seraient pas récompensés.
— La Rose d’Or a obtenu un résultat de 130 et Kiona Paine 110.
Un large sourire s’afficha sur le visage de la Regina mais lorsqu’elle le regarda, ce dernier se pâlit pour finalement disparaître.
Pourquoi ne sautait-elle pas de joie ? Elle venait pourtant de remporter le championnat ! Evan hocha la tête, les poings serrés et dit à contrecœur :
— Écoutes Zal, en dépit de tout le reste, je suppose que je te dois des félicita...
— Par ailleurs, coupa l’arbitre. Le calcul doit également prendre en compte votre performance au tir au sablier. Et la tienne Nora, rapporte 100 points à ton équipe, et la tienne, Evan et celle de Joaquin, rapporte 140 points, ce qui nous amène à 230 pour La Rose d’Or et 250 pour Kiona Paine, qui donc remporte le championnat fédéral de garoway de Deux-France.
Evan crût avoir mal entendu.
— Pardon ?
— Tu m’as bien entendu. Félicitation. Magnifique prestation. A tous les deux.
L’arbitre s’éloigna et annonça ce qu’il venait de leur dire au reste du stade et une partie des gradins explosa de joie. Des banderoles clignotantes et multicolores jaillirent des gradins, les armoiries de Kiona Paine apparurent dans le ciel et sur l’holoécran dans un concert de musique retentissante. Un hologramme représentant Leonardo, l’aigle de Kiona Paine apparut dans le stade suivit d’une fanfare.
Evan n’en crût pas ses yeux et ses oreilles. Ils avaient gagné ! Ils avaient réussi leur triplé ! Fou de joie, il se rendit compte qu’il venait de faire un tour sur lui-même après avoir attrapé Nora à bras le corps en riant comme un dément et il s’empressa de la lâcher maladroitement et elle fit quelques pas en arrière, cherchant machinalement son neshir absent à son côté, en le regardant avec des grands yeux offusqués en s’écriant :
— Mais ça ne va pas ! qu’est-ce qui te prend ?
— Euh… je ne voulais pas… désolé… balbutia-t-il peinant à faire disparaître le grand sourire béat qui s’accrochait désespérément à ses lèvres.
Il devait avoir l’air d’un cinglé et manquer sérieusement de la crédibilité nécessaire pour présenter des excuses mais la joie qui remplissait son cœur était difficile à contenir. Un sourire apparut progressivement sur les lèvres tremblantes de Nora qui luttait pour ne pas rire et d’un coup, elle partit dans un grand éclat de rire.
Le rire sincère de la jeune fille était vraiment unique et harmonieux. Dégageant la douceur et la chaleur d’une paisible et chaude soirée d’été. Evan riait également, euphorique au possible, le bourdonnement du stade joyeux provoquant en lui des décharges d’adrénalines tandis que les joueurs se congratulaient partout sur le stade. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas sentit aussi heureux. Il allait partir rejoindre à ses coéquipiers quand elle lui dit en souriant et lui tendant une main amicale :
— Tu aurais dû voir ta tête… En réalité, tu es plutôt marrant. Complètement taré mais marrant. Honnêtement, tu le mérites, Evan. Je n’ai jamais vu quelqu’un se battre avec autant d’ardeur et de résilience. Surtout avec le poison d’une Épine dans le corps...
Il lui rendit son sourire en lui serrant la main :
— Merci, je dois t’avouer que ce n’était pas facile. Vous étiez des adversaires redoutables. Encore désolé pour…
— Ne t’en fais pas pour ça, dit-elle en haussant les épaules après lui avoir lâché la main. Faire des choses sans réfléchir, ça te ressemble bien… surtout lorsque les yeux du monde entier sont fixés sur toi… mais je comprends à quel point cela doit te faire plaisir, étant donné... tout ce que tu as traversé...
Le sourire d’Evan s’évanouit car il se souvint à qui il avait affaire. Rien n’était vrai chez elle :
— Tu as vraiment failli… enfin, je veux dire. Pardonne encore mon acte déplacé et irréfléchie. Beau match. Sois sauve et que les cendres te protègent.
— Evan… commença la jeune fille comprenant pourquoi son comportement venait de changer. Je ne suis pas en train de te piéger. Je suis sincère. Ne fais pas ça, s’il…
— N’oublie pas de le ramener ce soir, la coupa-t-il sèchement en s’éloignant. Je ne te dirais rien sinon...
Sans un mot de plus, il la planta là. Nora le regarda s’en aller, les dents et les poings serrés, quand elle sentit un bras entourer affectueusement son épaule. Elle entendit une voix froide, comme un glacier arctique où se nichait malgré tout un étonnant brin de douceur, lui dire :
— On s’est bien battu, hein Nora ?
Elle leva les yeux vers Faust. Il lui fit une pression encourageante sur l’épaule avant de la lâcher. Il avait les cheveux mi-longs blond platine presque blanc et il fixait de ses yeux gris comme un ciel couvert, Evan qui s’éloignait.
— Oui, fit-elle en plissant des lèvres avec dépit. On s’est bien battu.
Oscar était également là. Il arrivait aux épaules de Faust, qui était grand, un mètre quatre-vingt-quinze. Oscar faisait à peu près la même taille qu’elle, aux alentours du mètre soixante-dix, la peau sombre, il portait constamment autour du cou un chapelet de coquillages blancs. Il était râblé et vif comme le vent. Son visage était taillé à la serpe et son regard marron clair abritait constamment une fureur inquiétante. Ses cheveux, coiffés en de courtes tresses grises et noires, se dressaient sur sa tête.
— Ce ma’nkel mérite une petite leçon, tu ne crois pas, Faust ? Demanda Oscar de sa voix douce comme l’écoulement de l’eau d’une rivière où ne transparaissait aucune colère mais une plate froideur. Cette attitude familièrement envers la capitaine, envers notre prima par-dessus le marché. Et aux yeux de toute la fédération… Une autre façon de nous humilier. Ce misérable cloporte mérite que je lui donne une leçon.
— Non, Oz, fit-elle avec fermeté en posant une main sur le bras musculeux de ce dernier. Tu sais bien que je me fiche de ce que les autres peuvent penser. Allons-y.
Elle s’éloignait avec Faust quand Oscar partit brusquement dans l’autre sens. Elle leva les yeux au ciel. Oscar, en plus d’être surprotecteur avait un goût trop prononcé pour la violence.
— Oz ! cria-t-elle alors qu’il courait maintenant. Faust, s’il te plaît...
Evan se figea soudain car il eut brièvement l’impression qu’une bête féroce se dirigeait droit sur lui. En plein milieu d’un stade de garoway ? Drôle d’impression… Il ressentit le fourmillement dans sa nuque et il se retourna brusquement. Il vit alors Oscar, qui levait son poing, et ses réflexes amoindris par la fatigue ne lui permirent pas de l’éviter. Le poing de son assaillant s’écrasa droit dans sa mâchoire. Evan tituba en arrière, les étoiles dans les yeux. Alors que son cœur cognait dans sa poitrine sous l’effet de l’adrénaline, et qu’il s’apprêtait à rendre coup pour coup, on lui intercepta le bras, lui bloqua les épaules et l’empêcha de faire un pas de plus.
— Réfléchi abruti, lui dit la voix exaspérée de Keiji derrière lui.
Evan se rendit compte qu’Alejandro était devant lui, l’immobilisant de son avant-bras qui faisait pression sur son torse.
— Ne bouge pas, Evan, lui ordonna-t-il.
Faust retenait également Oscar.
— Dégage-moi ton bulldog, Faust. Le match est fini. Il n’y a nul besoin de prolongation, dit sèchement Alejandro de sa voix impérieuse.
— Veuillez-nous excusez pour ce désagrément, répondit calmement Faust alors qu’Oscar, les poings serrés, respirait la fureur. Oscar n’a tout simplement pas apprécié son attitude envers la prima. Moi non plus d’ailleurs…
— Cela ne justifie en aucun cas son attitude, rétorqua Alejandro. Et de ce que j’ai pu voir. Nora l’a plutôt bien pris.
L’intéressée arriva à ce moment, gratifia Oscar de ses prunelles ambrées où brûlaient un authentique agacement et la promesse de représailles. Ce dernier ne détourna pas le regard mais il cessa de serrer les poings.
Nora se planta devant Alejandro.
— Rex, fit-elle.
— Regina, répondit-il.
Sans un mot supplémentaire, elle s’en alla sans un regard pour Evan. Les deux jeunes hommes s’éloignèrent également non sans qu’Oscar ne grognât de fureur et que Faust le foudroyât de son regard polaire. Le jeune homme n’avait pas oublié la demi-finale de l’Arena Regis, perdue six mois plus tôt, lors de laquelle Faust avait bien failli le décapiter. Il était un adversaire valeureux et redoutable.
Alejandro se tourna finalement vers Evan, le fixant avec son sérieux habituel. Ce fût avec une pointe d’agacement dans la voix qu’il lui dit :
— J’ignore comment tu fais pour te mettre constamment le reste du monde à dos. C’est juste incroyablement stupide d’être aussi impulsif…
— Eh bien pour tout te dire, je ne le fais pas exprès. Je dois avoir un genre de don…
— Je dirais surtout qu’il te manque une case mais peu importe. Tu as mes félicitations, Evan. Tu as très bien joué. Je n’en attendais pas moins de toi.
— Euh… merci. C’est gentil… Mais c’est surtout vous qui vous êtes donné à deux-cents pourcent.
— Ne sois pas si modeste, ça ne te va vraiment pas…
Alejandro le fixa un moment sans rien dire puis hocha la tête, dubitatif.
— Tu as vraiment changé… Tu t’es... ramolli.
— La perte d’un titulus, ça rend humble, je suppose...
— Si tu le dis, ça ne m’est jamais arrivé…
— M’ouais, et ça se voit…
— Mais si je peux te donner un conseil. Tu devrais cesser ta petite guéguerre parce que tu la perdras. Assurément. Jahan aurait pu te raisonner parce qu’il était comme toi, et qu’il l’avait compris. Toi, en dix ans, tu ne l’as jamais vraiment intégré, n’est-ce pas ?
— Intégré quoi ? demanda Evan en fronçant légèrement les sourcils, intrigué.
— La suprématie intemporelle du Pouvoir des Trônes et de ceux qui en sont les piliers et les gardiens, ceux qui brandissent les sceptres d’acier et de cendres…
— Les Familles Anciennes.
— Oui, Evan. Ces hommes et ces femmes… sont des armes de destructions massives faites de chair et de sang, qui s’ils devenaient fous pourraient, en l’espace d’un bref instant, réduire en poussière des cités de la taille de Paris-la-Nouvelle avec tous leurs habitants. Des êtres qui ont dépassé la simple condition humaine, qui se sont élevés à un rang les rendant semblable à des dieux… Mais ne te méprends pas, chacun regarde par devers lui, les vestiges de l’Ashayshin, qui les remplit d’humilité à l’égard du Seigneur des Mondes. Par leur puissance, ils fournissent l’énergie et la vie aux cités qu’ils protègent en alimentant les Cœurs de ces dernières.
— Tu devrais écrire des poèmes, Alex, fit Evan avec sarcasme. Ton ode à la gloire des Princes du Sang Ancien était vraiment touchante.
Alejandro sourit en secouant légèrement la tête avant de dire :
— Non, tu es quand même toujours toi, l’Empereur Déchaîné… Tu dois juste te rappeler qui tu es. J’attends ton retour avec impatience…
— Je ne suis pas assez de retour pour toi ?
— Non, Evan. Je parle de celui qui combattait Jahan sans peur. Je ne l’ai pas encore revu jusqu’ici. Pas totalement. J’en suis impatient…
— J’ai un peu de mal à te suivre…
— C’est normal… Tu sais Evan, je te respecte. Même si tu en doutes peut-être, je te respecte. C’est pourquoi j’estime que te voir réduit en poussière constituerait une perte pour le Noguem et un véritable gâchis. Alors, comprends quelle est ta place, et apprends à t’y tenir, OK ?
Sur ces mots, il lui fit l’Aniun Ceresh et s’en alla. Evan ne se souvenait pas avoir échangé autant de mot en une seule conversation avec Alejandro au cours de ces dix dernières années. Si même lui sortait de sa réserve, cela signifiait-il qu’il était vraiment allé trop loin ? La tentative d’assassinat de la veille était très éloquente après tout…
— Alex marque un point, mais tout d’abord, comment as-tu pu prendre cette vermine dans tes bras ? Lui demanda sèchement Keiji dans son dos. As-tu perdu l’esprit ? Abruti !
— Je n’en sais vraiment rien, répondit-il en se retournant, alors que la douleur qu’il éprouvait à la mâchoire se dissipait. Je crois que je me suis laissé submerger par mes émotions…
— Non, sans rire ? Toi ? Te laisser contrôler par tes émotions… C’est difficile à croire ! lui fit Keiji sarcastique avant de lui attraper le bras droit d’une main ferme et de l’entraîner à sa suite. Sérieusement, frangin. Apprend à garder ton cerveau allumé.
— Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu ne crois quand même pas que je vais leur courir après ?
— On ne sait jamais avec toi. Je m’assure que tu ne causes plus d’ennui pour la journée. Comme les sales morveux, tu vois. On les quitte deux secondes des yeux, et ils trouvent toujours le moyen de se fourrer dans des problèmes.
Evan éclata de rire en se laissant entraîner par son meilleur ami.
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