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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 72 « Fierté et Impulsivité » tome 1, Chapitre 72

Après qu’il ait insisté sur l’importance de se concentrer sur la demi-finale, Alejandro décida qu’il était temps de s’échauffer car ils avaient perdu suffisamment de temps, à cause de Keiji et Evan, crut-il utile de préciser. Les seize joueurs masculins de Kiona Paine sortirent alors des vestiaires à l’entrée desquelles, Shana, et quatre autres filles plus grande et massive qu’elle, en tenue, les attendaient et tous ensemble, ils partirent vers un petit terrain mitoyen où d’autres joueur de garoway s’échauffaient déjà.

Evan reconnut les membres de Mont Doré. Ils les défièrent du regard lorsqu’ils les virent entrer sur le terrain. Leur capitaine qui était également le primus de leur schola, un grand brun avec une queue de cheval, au visage hâlé par le soleil, aux petits yeux sombres enfoncés et à la moue méprisante, vint vers eux accompagné sûrement du secundus. Il était plutôt de petite taille, il avait déjà une barbe rousse fournie, un nez épaté et un regard vert perçant. Il était aussi large d’épaule et musclé que Baptiste ce qui lui donnait également l’air d’être une boule de muscle. Alors qu’Alejandro les ignora en continuant vers une partie du terrain non utilisé, le primus à la queue de cheval lança à Keiji alors qu’il suivait le mouvement :

— Ça fait un sacré baille, Endo. Quand seras-tu un homme et te décideras-tu à te trouver une amalia au lieu de charmer à tour de bras d’innocentes jeunes filles ?

Keiji s’arrêta et se tourna vers son interlocuteur, avec lui un peu moins de la moitié de l’équipe :

— Rotherland. J’espère que vous ne vous êtes pas pissez dessus en sortant de votre île.

— C’est facile à dire quand on reste planqué derrière sa muraille de verre.

— Concernant ta sœur, si c’est à elle que tu faisais référence, elle n’a rien d’innocente. La victime dans cette affaire est mon A’shua Meno pas elle.

Mathias serra des dents ravalant ce qu’il s’apprêtait à dire, cachant cela derrière un air qui se voulait calme mais qui suintait la hargne. Il tendit la main en murmurant :

— Je connais ma sœur, mais quoiqu’on puisse lui reprocher, je suis toujours de son côté. Mais nous sommes partis du mauvais pied.

— Je dirais que c’est surtout un manque de décence mais personne n’est mort, littéralement.

Keiji lui serra alors la main en rajoutant :

— Puisqu’il en est ainsi, tu as raison, il n’y a aucune utilité à se tenir dressé l’un contre l’autre.

— Après tout, nous sommes tous nés pour servir un but commun

Keiji ricana tandis que l’un et l’autre tentait mutuellement de se broyer la main. Satisfait, le jeune Endo rendit sa main, enfin ce qu’il en restait, à Mathias Rotherland, qui ne se départit pas de son sourire mesquin même si la peau de sa main était plaquée de rouge.

— On se revoit sur le terrain. Prends garde à toi tout de même. Mais surtout toi, ma’nkel, rajouta-t-il à l’attention d’Evan. Tous nés pour un but commun à l’exception des gens de ton espèce. Tu mérites les Exécuteurs. Perdre un titulus ! Tu n’es vraiment qu’un déchet. Une honte pour tous les Fils des Cendres !

Evan l’ignora superbement en observant quelque chose dans le fond du terrain et demandant à Jeff et Joaquin qui ricanèrent.

— Vous avez entendu ce bruit ? une mouche est passé près de mon oreille, je crois. Je déteste ça...

— Pfft... souffla Mathias, vexé que sa saillie ait glissée sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard.

Le secundus à la barbe rousse qui s’appelait Romuald tendit la main à Evan. Ce dernier l’observa un moment :

— Ce n’est pas une bonne idée... euh... qui que tu sois, dit-il simplement d’un air ennuyé feignant d’ignorer son prénom.

— Tu as peur ? le défia ce dernier.

— Pour toi, oui. Tu auras besoin de cette main pour jouer aujourd’hui, non ? Répondit Evan en provoquant une grande hilarité au milieu des joueurs de Kiona Paine.

— Ramène-toi Rom, inutile que tu te salisses.

Romuald le lorgna avec dédain et s’en alla. Evan dit assez fort pour qu’il l’entende :

— Sage décision, Rom.

Plusieurs rires éclatèrent à nouveau dans le dos d’Evan alors que Romuald s’arrêtait, les poings serrés puis repartait, un peu plus tassé sur lui-même. Keiji échangea un regard de connivence avec Evan qui s’autorisa un sourire.

Alejandro divisa les vingt et un en deux groupes et propulsa Evan en capitaine de l’équipe adverse, à la surprise générale. Rex Pourpre lui fit un signe de tête avant de s’éloigner avec ses joueurs. Evan se demanda à quoi cela rimait ? Pourquoi l’avoir choisi lui ? Il était porteur de balle par ouvreur et n’avait aucun intérêt pour ce poste de stratégie. A la rigueur Keiji aurait été plus à même à l’occuper. Son ami le gratifia d’un clin d’œil avec un air réjouit sur le visage.

Peut-être était-ce sa façon de reconnaître les efforts qu’il avait réalisés au cours ces dernières semaines. Peut-être une façon de s’excuser pour lui avoir fait perdre son titulus mais Evan ne lui en avait jamais tenu rigueur. Il connaissait le fonctionnement d’Alejandro. Sa rectitude et sa rigidité dénuée de la moindre considération émotionnelle faisaient partie de lui. C’était ce qu’il était. Et quelque part, il avait une certaine considération, presque de l’affection pour lui vu tout ce qu’ils avaient traversé ensemble avec Keiji, Jahandar et Joaquin depuis l’Institut des Trois-Ordres.

Quelques alumni rechignèrent mais un regard sévère de sa part suffit à leur rabattre le caquet. Il pensait peut-être que la situation était la même que trois semaines plutôt. Le jeune ma’nkel était déterminé à leur montrer qu’il n’en était rien, et que tout était de nouveau comme avant la mort de Jahandar. D’autant qu’ils les avaient tous écrasé lors des duels d’honneur.

Peut-être avaient-ils pensé que Lucas suivrait mais comme il n’en fut rien, ils se retrouvèrent seul face à lui. Leurs regards fiers devinrent rapidement fuyants, ce qui exaspéra encore plus Evan. Surtout lorsqu’il se dit qu’ils étaient les futurs dirigeants de ce monde. Lucas, malgré une moue amère, ne pipa mot. Il avait visiblement décidé de se tenir tranquille pour la journée sachant comme Alejandro tenait à gagner ce tournoi.

Chacun des deux capitaines donnèrent les instructions avant chaque action, Il y eut des mêlées, au terme desquelles plusieurs essais furent marqués des deux côtés. Ils appliquèrent plusieurs tactiques différentes afin de pulvériser la défense adverse constituée des piliers comme derniers remparts pour faciliter la tâche au porteur de balle et court-circuiter rapidement les snipers afin de permettre au porteur de batte de traverser rapidement le terrain.

Evan au cœur de l’action donna des instructions et relança le jeu, inversa la dynamique à plusieurs reprises. Il s’en sortit très bien face à Alejandro qui avait la réputation d’être le meilleur ouvreur du championnat. Ce qui s’était vérifié. Evan était bien obligé de reconnaître son grand talent.

Ensuite, ils réalisèrent plusieurs combinaisons avec l’équipe complète face à un adversaire invisible, vues plusieurs fois en entraînement. L’entraîneur, Alaric Gonn, un petit monsieur râblé aux cheveux clairsemés toujours fourré sous un bonnet, assista à l’ensemble de l’entraînement étant arrivé quelques secondes à peine après le début.

Il leur cria des instructions de sa voix rauque et autoritaire, semblant constamment sur le point de cracher ses poumons. Il les arrosa à plusieurs occasions de jurons en faisant de grands gestes avec les mains, leur indiquant ce qui n’allait pas en les fusillant de son regard brûlant sous ses arcades sourcilières proéminentes, changeant la configuration des joueurs sur le terrain. Lorsqu’il estima qu’ils s’étaient assez échauffés, Alaric Gonn ordonna aux vingt-et-un de rejoindre le terrain principal où ils prirent place sur des bancs sous des abris aux parois en verre parsemés autour du terrain.

Les autres quinzistes de l’autre schola étaient déjà sous les abris. Le soleil, boule de feu et de lumière ardente, brillait avec toujours autant d’intensité. Les gradins étaient en émoi et des rumeurs de joie et d’encouragement s’élevaient constamment après chaque essai manqué ou marqué. Les photographes ne manquant pas la moindre miette du spectacle.

Les quinzistes des deux scholas qui s’affrontaient étaient de bons joueurs, rapides et leur mouvement emprunts de la grâce féline et dangereuse qui caractérisait les ignemshirs, constituant la majorité des joueurs.

Le magister Tambwe rejoignit ses alumni sous l’abri ne manquant pas de faire remarquer à Evan et Keiji leur retard. Ils s’excusèrent et le magister échangea un regard exaspéré avec l’entraîneur Alaric qui maugréa quelques insultes à leur endroit alors que Tambwe leur répondait :

— Si seulement vous pensiez ce que vous disiez… Enfin bon, vous avez intérêt à gagner parce que sinon vous passerez tous un sale quart d’heure lundi. Ça, je peux vous l’assurer.

Quelques Fils des Cendres s’agitèrent sur leur banc. L’entraîneur ricana. Evan était convaincu que tous les magistri princeps avaient servi le même discours à leurs Champions. Il se redressa subitement de surprise. Ses yeux ne purent se détacher d’une joueuse qui venait d’entrer sur le terrain. Une nouvelle porteuse de batte. Sa chevelure châtain mi-longs et bouclée flottait au vent et sa peau caramel resplendissait. D’où il était, il voyait sans mal ses traits harmonieux et son regard de feu.

La Regina…

Son sang ne fit qu’un tour et il voulut se lever mais une poigne solide sur son épaule l’empêcha de décoller son postérieur du banc.

— Ne sois pas stupide, encore une fois, Evan, lui dit Keiji avec un air blasé, son regard d’aigle fixé sur lui, son menton dans sa main. Tu viens à peine de remonter la pente de ta stupidité. Réfléchi avec ta tête et non tes poings. Il y a au moins une demi-douzaine de Shedims qui regarde. Peut-être son grand-père. Si le Sultan Écarlate te voit te jeter sans raison sur sa petite-fille, je peux t’assurer que tu finiras à Nihilo Corsica s’il n’exige pas immédiatement une décapitation.

Evan dégagea brusquement son épaule, le cœur remplit de colère et se leva sans rien dire. Il vit du coin de l’œil que Keiji secouait la tête en lui lançant un regard lourd de désapprobation.

— Qu’est-ce que vous faites Kupenda, repartez à votre place, lui ordonna le magister Tambwe.

— Evan, lui lança Keiji d’un ton inquiet alors qu’il le suivait. On réglera ça plus tard, s’il te plaît, viens te rasseoir.

— Evan ? Demanda la voix râpeuse de l’entraîneur. Mais… où allez-vous ?

A ce moment, Nora qui venait de manquer un End Game revenait vers son côté du terrain et elle le vit. Elle s’immobilisa sur le terrain et le fixa avec un air indéchiffrable puis détourna le regard en continuant vers l’extrémité du terrain. Evan ne sut ce qui se passa mais il bascula et son dos heurta lourdement la pelouse. Keiji était en train de lui faire une clé d’étranglement.

— Mais qu’est-ce que vous foutez ! s’exclama Alaric en ramassant une balle de garoway avant de la leur lancer aux visages.

Elle heurta l’épaule de Keiji et rebondit douloureusement sur nez d’Evan. Ayant du mal à respirer, Evan souffla d’une voix rauque :

— Mais qu’est-ce que tu fais ?

— Je te sauve la vie, abruti. Vu que tu ne veux pas faire l’effort de patienter…

— Je…

— Mais qu’est-ce que tu as bon sang ? Tu es un excellent tacticien, l’un des meilleurs joueurs de Go que je connaisse. Et tu te laisses guider par la colère. On t’appelait l’Empereur Déchainé à raison, mais là tu agis comme un abruti déchaîné. Réfléchis ! Si tu fais ça, Charlaine devra assistée à cela. Toi, emmené chez les Exécuteurs pour avoir mis le trouble lors de la demi-finale de garoway en essayant de t’en prendre à la Regina ! la Regina Pourpre abruti ! Déjà que tu l’inquiètes, essaye de la préserver, s’il te plaît. Elle en a déjà assez bavé…

Evan repensa au visage rayonnant et aux yeux pétillants de Charlaine. Il ferma les yeux en essayant de se calmer. Il avait raison. Bien sûr que Keiji avait raison. Cette fille arrivait à le faire sortir de ses gongs avec une telle facilité. Et ce visage innocent qu’elle avait, il l’exécrait.

— Une muraille, murmura-t-il à voix basse. Une muraille.

— Ouais, si tu veux, une muraille, grogna Keiji en desserrant légèrement sa prise. C’est bon t’es calmé ?

Un oshaïnim était en train de se pavaner au su et au vu de tout le Noguem, et eux ils l’applaudissaient et la congratulaient. Non, bien sûr que ce n’était pas la bonne méthode. Il s’était laissé prendre de cours. Cela n’arriverait plus. Keiji le lâcha et se prit une autre balle de garoway, sur le front cette fois-ci :

— Revenez-vous asseoir, tout de suite, bande d’imbécile ! éructa l’entraîneur, le visage rouge de colère. Mais qui m’a fichu une bande d’abrutis pareil ? Mon porteur de balle et mon porteur de batte qui se disputent juste avant la demi-finale. Par la Cité de Lumière et tous les ardents Sarafs, revenez tout de suite !!

Evan se releva, un peu penaud et suivit Keiji. Alaric lui lança une balle de garoway sur la tête, puis une autre sans cesser de marmonner en grinçant des dents de sa voix éraillée alors qu’ils se rasseyaient. Jeff et Joaquin ricanèrent silencieusement et Alejandro leva les yeux au ciel en secouant son visage de marbre.

Le menton enfoncé dans le dos de ses mains superposées sur l’extrémité inférieure de sa batte dont la tête était plantée dans le gazon, Evan rongeait son frein en gardant ses yeux fixés sur la Regina. Il la suivit du regard durant tout le reste du match, tout en réfléchissant au meilleur moyen de récupérer ce qu’elle lui avait pris.

Cela lui fit mal mais il dût reconnaître qu’elle était une porteuse de batte vraiment douée. Peut-être pas autant que lui mais elle avait de bonnes intuitions, évitait habilement les taureaux, réussissant même à s’en servir pour mettre les snippers hors d’état de nuire. Et le reste de son équipe n’était pas en reste. Le secundus de Rose d’Or, Oscar Mokili, était également un bon porteur de balle, peut-être aussi bon que Keiji. Et Faust Drakkar, le tertius un bon ouvreur, meilleur que lui ne le serait jamais à cette position.

Elle finit par propulser vers le ciel d’un ample coup de batte la balle de garoway et elle traversa le cerceau inférieur du sablier comme un boulet de canon. Un long coup de sifflet retentit, annonçant la fin de la demi-finale.

L’arbitre était un magister d’une schola étrangère à la carrure athlétique qui semblait tirer vers l’embonpoint mais Evan savait que les apparences étaient trompeuses. Ce magister était sûrement aussi souple et vif que tous les magistri princeps qu’il avait rencontré. Son crâne était aussi lisse qu’un œuf. Même les fils des Cendres n’étaient pas exempts des affres de la calvitie. Mais il existait d’excellente opération de reconstruction du cuir chevelu. Néanmoins, il était assez mal vu qu’un Fils des Cendres accorde tant d’importance à son apparence encore plus un membre d’une Famille Ancienne. La plupart associait cela à de la vanité car ce n’était pas une touffe de cheveux qui permettrait à un ignemshir d’accomplir plus efficacement son devoir.

Rose d’Or l’emporta 150 à 80 sur la schola de la cité de Britannia. La foule se déchaînait, les spectateurs debout gonflaient la rumeur générale de leurs cris de joie. Le stade bourdonnait comme une créature vivante tandis que toute l’équipe de la schola de Lugdunum portait la Regina qui levait bien haut sa batte. Elle était personnalisée avec l’emblème des Zal, un cheval ailé souligné par un cimeterre enflammé. Des drones avaient envahi le ciel comme un essaim d’abeilles et prenaient une multitude de photo, leurs flashs papillotants et éblouissants.

Evan grogna de dépit lorsqu’il ressentit de nouveau la douleur sourde et le vide dans sa poitrine. Ils s’ajoutaient à sa frustration. Pendant deux ans, il avait eu une batte également marqué d’un emblème, celui des Harlec. C’était une manière d’honorer la famille de son amalia à chacune de ses nombreuses victoires. Il s’en était débarrassé après avoir officiellement mis fin à la Promesse et avoir manqué de se faire décapiter par Rayn Harlec.

L’équipe de logistique se répandit sur le terrain. Ils retirèrent les portions de pelouse en mauvais état et les remplacèrent par des portions neuves. Ils changèrent les taureaux et la balle de garoway. Ils étaient efficaces et professionnels. Cela leur prit à peine une dizaine de minutes. Il y eut une pause d’une demi-heure. Lorsque cette dernière prit fin, les gradins qui s’étaient désempli à plus de la moitié redevinrent noir de monde.

— Allez ! bande de limace bouffeuse de cadavre ! s’écria la voix rocailleuse d’Alaric Gonn en lançant une balle de garoway sur la tête d’Evan. Au boulot !

Le jeune orphelin lâcha un autre grognement mécontent et se leva, en tenant fermement sa batte.

— Quelque chose à dire, Kupenda ?

Evan ne répondit pas mais se contenta de lancer un regard noir à l’entraîneur avant de suivre le mouvement et se reçut une autre balle sur la nuque. Alors qu’il mettait son gant, sa batte coincée sous son l’épaule tout en marchant, Joaquin passa à côté de lui, en réprimant avec difficulté son hilarité. Même Keiji qui marchait à ses côtés, arborait un grand sourire narquois. Le trio infernal et une demi-douzaine d’autres joueurs riaient aux éclats. Evan ne réagit pas considérant qu’en soi, il l’avait bien mérité. Avant qu’ils ne se séparent pour aller se mettre chacun de part et d’autre de leur moitié de terrain, Evan lança à Keiji :

— Kei, merci.

Keiji ricana et lui répondit :

— Qu’est-ce que tu ferais sans moi ? abruti !

Evan lui rendit son sourire avant de filer du côté droit du terrain. Les piliers prirent place en première ligne, les arrières derrières. Trois joueurs se tinrent à côté d’Evan, ils étaient ses boucliers. Ils devaient faciliter son ascension vers le camp adverse et lui permettre de se rapprocher le plus possible du sablier adverse. Ils devaient intercepter les taureaux avant qu’ils ne le touchent. Ce faisant, ils se transformaient alors en sniper et pouvait neutraliser n’importe qu’elle membre de l’équipe adverse avec une balle bien placée. Le jeune Kupenda mit sa batte dans le dos. Elle se figea à quelques centimètres du tissu comme glissé dans un fourreau imaginaire. L’arrière des tenues des porteurs de batte étaient dotée d’un système de sustentation, connecté à la batte. Cela leur permettait de ne pas avoir à s’encombrer de la batte en courant.

L’équipe de Mathias se répandit également sur le terrain et les joueurs prirent position. L’arbitre, toujours le même, distribua les taureaux aux snipers des deux équipes. Il posa la balle de garoway ovale dressée sur le sol, entre les deux rangés de joueurs qui se faisaient face en se toisant. Il s’éloigna à reculons, la main droite levée. Le stade vibrait des voix des supporters. Cette ambiance électrique, cette tension dans l’air avait quelque chose de grisant. Evan inspira profondément. Ils devaient gagner ce match !

L’arbitre siffla dans son micro-casque et un bruit de sifflet retentit dans tout le stade. La clameur de la foule répondit en s’amplifiant. Le match commençait. Les piliers des deux scholas se heurtèrent violemment des épaules, luttant pour repousser la rangée d’adversaires. Un joueur talonna la balle et Evan bondit en avant, suivit de ses trois boucliers. Alejandro la récupéra, Keiji démarra au quart de tour, et le capitaine lança la balle en avant. Elle traça une parabole dans le ciel et Keiji bondit pour la récupérer. Il allait être percuté par Romuald mais Orlando l’intercepta. Keiji se réceptionna souplement, l’ovale sous le bras et fila vers l’avant. Pendant ce temps, Evan remontait toujours le terrain, précédé de Joaquin, Jeff et Guiseppe. Joaquin attrapa au vol un taureau lancé par des snipers ennemis mais il se fit plaquer par un joueur adverse. Evan aperçut de l’autre côté du terrain, Keiji qui le remontait prestement, évitant les joueurs en se faufilant entre eux, aidés par l’équipe qui lui ouvrait la voie. Jeff se prit un taureau sur la tempe et il s’effondra en faisant des roulé-boulé. Evan évita de justesse un taureau qui siffla dans son oreille et il renvoya celui qui s’apprêtait à frapper Guiseppe, avec sa batte. Le taureau renvoyé, traversa le terrain et coucha en le frappant sur la nuque, un joueur adverse sur le point de plaquer Keiji, qui n’avait désormais plus de soutien.

Ils avaient parcouru le quart de la distance les séparant de la ligne d’en-but. Maintenant le danger venait de derrière, Guiseppe passa dans son dos et il intercepta un des taureaux mais un des piliers l’envoya valser dans l’herbe. Evan regarda de l’autre côté du terrain et comprit ce qui était sur le point de se produire. Il bondit de toute sa hauteur vers l’avant et atterrit dans la zone de base, au moment où Keiji fut ensevelit par trois joueurs de l’équipe adverse. L’action se termina ainsi sur le sifflet de l’arbitre.

Il n’avait pas pu tenter un End Game.

Mont Doré s’avérait un adversaire plus difficile que prévu. Mais le tableau n’était pas complètement noir. Il conservait la balle et l’actuel avancée car Keiji n’avait pas perdu la balle même après avoir été plaqué et que lui se trouvait dans la zone de base. Ils avaient au moins réussi à traverser la moitié de la partie de terrain de l’équipe adverse. L’arbitre siffla la reprise du jeu, Evan attendit que la balle soit talonnée et il fonça. Il ne disposait plus de boucliers, Alejandro ayant estimé qu’il fallait concentrer les efforts sur la neutralisation des snipers mais surtout à la remontée de la balle. Le capitaine fonça vers l’avant, choisissant d’aider à l’avancée, il se retrouva vite submergé mais il réussit à faire une passe à Jin qui prit le relais. De son côté, deux taureaux manquèrent de l’assommer. Un sniper ennemi lança son taureau sur le porteur de batte de l’équipe adverse qui se trouvait à une quinzaine de mètres à sa droite. Il était chargé d’épauler les piliers dans la défense de la ligne d’en-but. Il avait pour mission de coucher son homologue, c’est-à-dire lui. Le porteur de batte dont il ignorait le nom, un grand asiatique, à l’air endormi et aux cheveux mi-longs, frappa le taureau d’un mouvement rapide et fluide, le renvoyant vers lui en visant sa poitrine. Evan s’écarta en sortant machinalement sa batte de son dos et frappa le taureau de sa batte le renvoyant à l’envoyeur. Le porteur de batte adverse fut pris de cours par la rapidité à laquelle il l’avait contré et son propre taureau s’enfonça dans son estomac. Quand il s’effondra, Evan entendit quelqu’un l’interpeller dans son oreillette. Sans chercher à comprendre, il se jeta en avant et roula à terre, évitant un autre taureau. Il se remit rapidement sur les jambes et se remit à courir, non sans jeter un coup d’œil en arrière. Il vit Shana qui était à terre, qui venait de neutraliser le sniper qui était à l’origine du taureau qu’il venait d’éviter et la remercia d’un signe de la main. En levant les yeux, il se rendit compte qu’il était à une distance raisonnable de la ligne d’en-but. Assez près pour ne pas manquer le sablier. De l’autre côté du terrain, il vit Keiji qui était désormais en possession de la balle et qui se rabattait vers lui. Deux piliers, deux colosses aux larges épaules qui faisaient au moins dix centimètres de plus que lui fondirent sur lui. Alejandro apparut de nulle part, et en terrassa un, le deuxième, Keiji, avec une souplesse féline et l’aide de Giuseppe réussit à lui échapper. Il leva alors les yeux en sa direction et leva son bras au-dessus de sa tête, avant de lui lancer la balle de toutes ses forces. Evan pila, pivota sur lui-même évitant un taureau qui siffla dans son oreille gauche, en frappa un deuxième qui alla droit sur la tempe d’un des piliers qui se relevait avec l’intention d’intercepter la balle, et en équilibre sommaire sur une jambe, d’un ample revers du bras, sa batte frappa la balle de garoway qui s’était arrondie à cinq centimètres de la tête de la batte. Telle une roquette, la sphère prit son essor dans le ciel droit vers sa cible et elle heurta violemment le rebord intérieur du cerceau inférieur en le traversant et fila vers les nuages sa trajectoire déviée. Evan tomba pesamment sur son épaule alors que de la foule monta une rumeur hystérique.

End Game, fin de la manche.

Elle n’avait même pas durée dix minutes.

Par la suite, le match contre Mont doré se révéla un authentique challenge, car leur ardeur redoubla, mais l’équipe de Kiona Paine parvint à l’emporter avec un écart de quatre-vingts points. Ayant toujours une longueur d’avance, la stratégie du capitaine se révéla dévastatrice. Mais l’équipe adverse disposait de bons joueurs ayant un sens du jeu assez fin, ils parvinrent remonter suffisamment à chaque fois pour que le match ne ressemble pas une raclée mémorable, réussissant même à faire un End Game en troisième manche.

L’arbitre chauve siffla la fin du match sur un End Game d’Evan concluant la quatrième manche sous les cris de la foule en effervescence. Une brise glaciale soufflait vaillamment faisant onduler la pelouse du terrain et virevolter artificiellement les banderoles multicolores. En sueur, les joueurs de Kiona Paine explosèrent de joie.

Quelques secondes après qu’il ait été chahuté dans l’exaltation de la victoire par ses coéquipiers, Evan leva sa batte de garoway et il fixa son regard plein de défi dans la direction où il la pointait.

La foule l’acclama alors de plus belle.

*

Keiji, qui venait d’échanger une accolade avec Joaquin dans l’atmosphère électrisée, se figea en le voyant. Joaquin ne le remarqua même pas et hurla en serrant Shana contre lui, qui cria joyeusement alors qu’il la faisait tournoyer autour de lui, dans le même temps, Jeff et Giuseppe se serrait vigoureusement la main.

Le sourire qui ornait le visage du Dernier Témoins du Sang d’Asano avait disparu. Il leva les yeux vers la direction où pointait la batte et comprit que c’était bien ce qu’il craignait. Il s’agissait de l’une des loges flottantes en forme de ballon de garoway occupées par les hauts-gradés du Noguem et par leur famille.

La loge principale abritant sûrement l’ensemble des Shedims. Pour la plupart des spectateurs, ce simple geste n’avait aucune signification particulière. Après tout, Evan le faisait à chaque fois, mais là n’importe quel ignemshir avisé comprenait ce que cela signifiait s’il le mettait en relief. Il croisa le regard d’Alejandro qui s’était également immobilisé en fixant Evan avec intérêt avant qu’un léger sourire ne flotte sur ses lèvres et qu’il continuât de féliciter chacun des membres de son équipe, saluant les efforts de l’équipe adverse qui n’avait pas démérité. Il échangea une vive poignée de main avec Mathias. Jin, les bras croisés l’observait également, avec son air grave, à la fois intrigué et curieux. Keiji trottina jusqu’à Evan et passa un bras autour de ses épaules. En mimant un sourire qui était retransmit sur l’holoécran, il lui dit d’une voix froide :

— Baisse ton bras, abruti. Pourquoi est-ce que tu continues à vouloir le défier ? Fort Laurent ne t’a pas suffi ?

— Même s’il n’y a plus d’armoirie sur ma batte, leur absence est la preuve que je n’ai pas besoin de me battre pour l’honneur d’une quel qu’autre famille que la mienne.

— Tous les Shedims se trouvant dans la loge ont compris clairement ton geste comme moi, Alex ou Jin l’avons compris.

— Tant mieux, fit Evan en baissant son bras. A ses yeux je ne suis qu’un déchet, et bien le déchet est capable de se battre pour son propre honneur et de le défier de multiples façons. C’est sûrement lui qui est derrière ce plan absurde qui a eu pour conséquence la perte de mon titulus.

— Qu’est-ce que tu racontes ? C’était le plan de Lucas et de Dreiven…

— Non, c’était Harlec du début à la fin. Il est le marionnettiste qui a tiré les ficelles dans l’ombre, ne faisant que se servir de Lucas et de ses aspirations, Dreiven et de ses griefs à l’encontre de Princeton.

— Pourquoi penses-tu cela maintenant ? Qu’est-ce que tu as découvert ?

Il marchait maintenant le long des gradins, saluant la foule avec les autres membres de l’équipe.

— Lucas a proposé à Jeff de faire le brunch la veille en disant que c’était son cadeau de bienvenue dans le primum agmen. Il me l’a dit il y a deux semaines. Mais quelqu’un comme Lucas ne fait pas de cadeau de bienvenue, si ce n’est de te casser un bras ou de te rouer de coups jusqu’à ce que tu t’évanouisses. Il lui a glissé l’idée qu’il serait même impressionnant s’il parvenait à réunir les dix, car cela faisait longtemps que personne n’y était parvenu. D’où son insistance pour que je vienne. Il ne pensait pas à mal, Jeff est foncièrement honnête.

— La Regina…

— Quand Yun Mei m’a fait sceller le document de destitution, j’ai vu la date de la signature de la Regina, ils étaient antérieurs à notre rencontre dans le Cimetière. D’après mes recherches et mes observations, il est clair que la famille Harlec et Zal entretiennent des liens très étroits. Depuis toujours. Par ailleurs, le Sultan Écarlate a été présent à de nombreuses dîners auquel j’ai participé à l’époque où j’étais l’amalia de Tessa.

— C'est pas faux...

— Oui, Nora m’a d’ailleurs fait remarquer que j’avais commis une grave erreur en rompant ma promesse… Que je ne m’en rendais pas encore mais que ça viendrait… Elle avait déjà scellé son accord… Par contre, Alejandro était sûrement hors du contrôle de Rayn, vu que les Cruz et les Harlec ne sont pas en très bons termes depuis la Guerre des Deux Soleils. C’est pour cela que Lucas s’en est occupé lui-même. Mais après tout, tout le monde sait ce qu’Alex respecte et ce qu’il méprise. Étant donné ma situation, l’argumentaire n’était pas difficile à monter…

Désormais, ils se dirigeaient avec le reste de l’équipe vers les vestiaires.

— Quant au magister Dreiven, il a été un Haut Centurion au service de Rayn avant d’être sous le commandement du Coq de Fer. On pourrait pensée vu qu’il a tenté de m’assassiner qu’il était peut-être celui derrière tout cela, mais Rayn est la constante qui lie Lucas, la Regina et l’ancien magister magnus.

Le magister Tambwe qui se tenait devant les portes des vestiaires les accueillit avec un sourire satisfait mais ne dit rien. Keiji et Evan s’arrêtèrent à la porte. Le magister Tambwe s’en alla en sifflotant.

— Donc tu penses que c’est lui qui lui a ordonné de te tuer ?

— J’en suis certain…

— Si c’est le cas, c’est un acte grave qu’il a commis. Il a enfreint le Codex, si seulement on pouvait le prouver… mais quand as-tu découvert tout cela ?

— Pendant le match, ça m’est apparu comme une évidence.

— Je vois…

— Hum, quand un homme comme Rayn vous fait une promesse. Il veillera à la tenir. J’ai entaché son honneur et sa dignité, il a fait de même.

— Raison de plus pour te tenir tranquille Evan, et éviter de jeter de l’huile sur le feu. Il vous considérait comme quitte et là, tu viens de lui cracher à la figure.

— Non, fit Evan en secouant la tête. Il ne sera satisfait que lorsqu’il m’aura détruit. Il vient vers moi par des chemins détournés, moi je l’affronte, les yeux dans les yeux.

— Abruti…

Evan se contenta d’un sourire et il allait entrer dans les vestiaires quand Keiji lâcha :

— C’est probablement Rayn qui fait pression pour que tu ne récupères pas ton titulus.

— Exactement, répondit-il avec une moue amère avant de disparaître dans le couloir.

Keiji entendit les cris des membres de l’équipe qui accueillaient chaleureusement Evan. Il soupira. Les Shedims étaient plus orgueilleux que des paons. Le père de Tessa allait répliquer, et Keiji craignait que cela ne se fasse pas avec autant de subtilité qu’avec son titulus. Le jeune Endo soupira de nouveau et rejoignit ses camarades dans les vestiaires. Alejandro félicita encore chaque joueur, qui continuaient de se congratuler l’un l’autre pour leur victoire. Il affichait un de ses rares sourires. Même Lucas fit un signe de tête à Keiji, mais il ignora Evan qui fit de même.

Il ne fallait pas rêver non plus.


Texte publié par N.K.B, 12 décembre 2019 à 10h09
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tome 1, Chapitre 72 « Fierté et Impulsivité » tome 1, Chapitre 72
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