Evan pressa avec trois doigts le manche tactile de son pinceau et appliqua la peinture mouvante sur la toile déjà recouverte d’une esquisse et de plusieurs tâches de peinture aux couleurs froides fluctuantes. Il faisait nuit, le ciel étoilé, les nuages absents, surplombaient les Ruines éclairées partiellement par les projecteurs flottant et recouvertes de leur voile pur et glacé. Au loin tout n’était pratiquement que ténèbres, mais dans cette pénombre absolue et lointaine, il captait un mélange de péril et de solitude.
C’était cela qu’il voulait reproduire sur cette toile. Il était assis sur un tabouret sur le grand balcon de son penthouse, vêtu d’un tee-shirt métajustable Edwin&Jones qui aujourd’hui était bleu marine avec des traits jaunes et du pantalon ample et confortable de son pyjama. Le vent hiémal soufflait avec ardeur et sa peau était brûlante. Il était à l’aise. Ce vent glacial avait quelque chose revigorant et semblait affûter sa sensibilité.
Il programmait la peinture à l’aide des quatre boutons tactiles du pinceau. C’était un processus assez difficile à appréhender mais on s’y faisait très vite. La toile qu’il avait commencée était différente de celles que Charlaine détestait. Celles qu’elle mettait un point d’honneur à brûler une fois qu’il les terminait. Voir brûler les toiles sur lesquelles il avait déversé son mal-être, même si cela lui pinçait légèrement le cœur, avait au final, un effet bénéfique sur sa psyché mais malgré cela, si la jeune fille ne le faisait pas, il n’en aurait pas la force.
La peinture était son exutoire, un moyen de cristalliser les sentiments et les pensées qui le tourmentaient. Ces derniers temps, à chaque fois qu’il peignait, il pensait à la toile peinte en revenant du Manoir des Samba mais le souvenir était voilé. Il n’y avait rien qu’il pouvait faire pour le clarifier. Et pourtant au fond de lui, il avait le sentiment, une sorte de certitude mêlée d’angoisse qu’il était primordial qu’il s’en souvienne. Il y avait quelque chose dessus de très important. Pas uniquement pour lui. C’était plus général. Comme la vision d’ensemble de choses, mais il ne savait pas de quoi exactement. Cette impression était dérangeante et le perturbait bien plus qu’il ne le voulait l’admettre.
Soudain, il vit au loin dans le ciel, venant du sud-ouest, une tâche plus sombre que le manteau nocturne, qui se déplaçait. Elle semblait venir dans sa direction. On aurait dit des nuages gorgés d’éclairs mais leur trajectoire n’était pas naturelle. L’atmosphère changea brusquement, devenant comme celle précédent l’éclatement d’un orage. L’air était lourd et épais, même humide, malgré le froid mordant. Evan se leva, ne pouvant s’empêcher d’esquisser un sourire carnassier et se précipita vers la table de jardin en bois clair, dans le grand rectangle de gazon où plusieurs arbustes et arbrisseaux étaient plantés. Il s’y saisit de sa corne. Il rompit le contact entre la corne et son neshir. Un tourbillon de fumée grise et pourpre jaillit de la poignée où était apparu la garde courte et incurvée semblable à l’extrémité d’un plumage. Il se solidifia en une lame alors qu’il relâchait son atmosphaira en s’élevant au Crépuscule. Un éclair fendit le ciel droit sur lui dans le grondement d’un tonnerre monstrueux. Il frappa l’éclair en réalisant le momentum le plus rapide du Lon-Shirkairon, Typhéus, la Lame du Vent à une vitesse qu’il ne se souvenait pas avoir déjà atteint. Une onde de choc se propagea dans l’air. Il grimaça, les yeux fermés afin de ne pas être éblouie tandis qu’il sentait la violence du choc se répandre dans les os de ses bras, de son dos et de ses jambes plantées solidement dans le sol. Il entrouvrit légèrement ses paupières et vit la lumière solide et les éclairs liquides se muer en une grande silhouette athlétique environnée d’arkas dorés, en apesanteur à un mètre du sol, qui tenait dans sa main une épée faite d’éclairs et d’arkas rubis qui oscillaient autour dont la lame était pressée contre la sienne. La silhouette se précisa. Elle portait une armure shirag constituée de plaques de BoisFer nélamique sculptées d’une multitude de plumes métalliques noire aux reflets verts et or semblable à des écailles et des Chesterfield noires renforcées. Il était coiffé d’un casque noir arborant le bec et les yeux d’un aigle sur le front, le contour du visage à découvert pourvu de trois serres de part et d’autre. Des flammes ardentes brûlaient sur le sommet du casque comme une houppe. Les semelles de ses bottes touchèrent doucement le sol comme s’il était aussi léger qu’une plume. Les flammes s’éteignirent brusquement et le casque sembla fondre et disparut dans le col épais de la cuirasse révélant un visage irréel aux yeux dorés et dont la peau parcourue de veine de lumière reprenait petit à petit un aspect normal.
Ses cheveux étaient noirs jais plus court sur le côté et plus haut sur le sommet qui ondulaient légèrement, son visage anguleux aux pommettes saillantes, sa peau de cuivre et ses yeux dorés quelques secondes plus tôt, s’assombrirent. Ils étaient aussi impitoyables que ceux d’un fauve. Le Fils de la Foudre arborait un large sourire narquois. Son atmosphaira écrasante était au Brasier.
Evan se replia, se mit de nouveau en garde avant de fondre sur son adversaire, luttant contre la pression de l’aura neshirienne de son adversaire, enchaînant au cours d’un ballet mêlant une grâce redoutable et une véhémence féroce, plusieurs momentums tous plus féroces les uns que les autres avec une ardeur que l’on aurait pu qualifier de supérieur à celle qu’il mettait même lors d’un duel d’honneur dans l’Arena Maxima.
Alors qu’ils se déplaçaient tel deux félins à travers le grand balcon du penthouse, ils renversèrent son chevalet, la table et les chaises de jardin et soulagèrent plusieurs arbrisseaux de quelques branches et de plusieurs centimètres. L’un d’entre eux au contact de l’épée de foudre s’embrasa.
Il était hors de question qu’il passe le lendemain clouer dans son lit. Pas cette fois. Il avait besoin d’être au sommet de sa forme pour la demi-finale de garoway. Il infligea une égratignure à son adversaire, plus vif qu’un éclair et aussi violent qu’un grondement de tonnerre. A l’issu d’une lutte acharnée qui dura cinq minutes environ, le Fils de la Foudre bloqua brusquement son neshir dans la paume de sa main recouverte d’un tuneir brûlant d’éclair liquide. De l’autre, après avoir fait disparaître en un instant l’épée de foudre, il serra le poing provoquant l’apparition d’une multitude d’arkas bleu et vert, puis ouvrit sa paume à quelques centimètres de sa poitrine, le tout en quelques centième de seconde.
Grâce à ses excellents réflexes, Evan parvint à dégager sa poitrine à temps de la ligne de mire de la main foudroyante mais ce fut son bras qui se prit le tube tourbillonnant d’éclair vert bleuté. Il fut projeté en arrière, comme tiré par une main géante et invisible, et crut qu’il allait se démettre l’épaule. Il tournoya en l’air avant de retomber lourdement sur le sol. Son corps fit des roulé-boulé jusqu’à ce que son dos ne heurte rudement le haut muret que surmontait la balustrade en ferronnerie.
Se recroquevillant, il grimaça de douleur en serrant son bras meurtri contre lui. Il entendit des bruits de pas qui se rapprochaient. Il ouvrit les yeux en déglutissant et vit le Fils de la Foudre qui arborait encore son sourire narquois. Il lui dit :
— Ça faisait longtemps, petite panthère. Alors, ravi que je sois de retour ?
— Va te faire voir Prince.
Et Princeton éclata de rire comme s’il venait de lui sortir la blague du siècle. Il lui tendit la main mais Evan la refusa et se remit debout tout seul en grimaçant toujours, son bras recouvert de figure de Lichtenberg et d’un large hématome. Le manche de son tee-shirt était partiellement calciné.
— Quel bonheur d’être de retour à la maison ! s’exclama-t-il. Paris-la-Nouvelle me manquait.
Sans rien dire de plus, il entra dans le salon. Evan le suivit en maugréant dans sa barbe, le bras douloureux. Il souffrait le martyr. Cela mettrait un moment à passer. Il allait se mettre un bandage de guérison accéléré. Les blessures faites par les Fils de la Foudre guérissaient très lentement et vraiment mal. Quand il revint au salon avec son rouleau de bandages, Princeton buvait un mourch au goulot et le finit en un éclair. Il ricana en regardant son élève se faire un bandage puis sans cesser de se moquer de lui comme si la vue de son visage contrarié et de sa moue – presque – boudeuse était ce qu’il y avait de plus hilarant en ce monde, il l’aida à mettre correctement son bandage, non sans avoir fait taire ses protestations en le fusillant brièvement du regard.
— Voilà gros bébé. Tu vas arrêter de bouder maintenant.
— Tu me prends pour qui ? Je ne boude pas, rétorqua sèchement Evan.
— Bien sûr. J’avais l’impression de te revoir quand Sue te tyrannisait alors que t’étais encore haut comme trois pommes. Qu’est-ce que c’était drôle à voir. Tu perdais toujours contre elle.
Evan mécontent fusilla la table basse qu’il avait remplacée après l’avoir cassé, comme si elle était responsable de ses souffrances. Il soupira, exaspéré par le rire de Princeton qui résonnait dans ses oreilles, avant de demander :
— Tu es de retour pour de bon ?
Princeton prit une profonde inspiration, toujours souriant, et dit en s’asseyant dans son fauteuil préféré.
— Tu t’es amélioré. On dirait que ton passage à vide du début d’année est terminé. C’est une bonne chose.
— Alors, tu es de retour pour de bon ? Prince ?
Princeton plissa les lèvres et regarda le ciel avant de dire en le fixant :
— Non. Je devrais repartir d’ici quelques minutes. Comme je te l’ai dit, le Conseil de l’Aurore aura lieu demain dans la soirée. Qui sait ce qui en ressortira, mais ce ne sera rien de bon, je te l’assure. Enfin bon, je voulais voir comme tu te portais.
Evan ressentit un pincement au cœur… Son magister primigenius doutait de survivre à ce qui allait arriver ?
— Normalement, je n’ai pas le droit de m’en aller ainsi… il prit soudain une voix de stentor et continua : Mais qui peut empêcher le Cavalier Foudroyant ! Le Tueur de Dragon Noir ! Le grand Princeton Jones, l’Amérindien ! De faire ce qu’il veut ?
Evan rit avant de hocher la tête, incrédule :
— Je ne sais pas comment tu as fait pour m’élever. Avec des chevilles aussi enflées que les tiennes, je devrais être en train d’exiger le monde comme ma propriété après avoir ordonné au Roi de l’Aurore de me baiser les pieds.
Princeton ricana et rétorqua :
— Je suis bon dans tout ce que je fais, c’est aussi simple que cela.
Evan s’adossa en lâchant un soupir de soulagement. La douleur se calmait déjà. Les brûlures des Fils de la Foudre faisaient souffrir comme aucune autre. On avait l’impression que quelqu’un vous enfonçait des aiguilles chauffées à blanc. Cette agonie durait une dizaine de minutes avant de laisser place à une souffrance plus banale.
— Donc, si j’ai bien compris, toi et l’héritière Harlec, c’est terminé ? Définitivement ?
Evan fit une grimace qui n’avait rien avoir avec la douleur qu’il ressentait encore.
— Oui.
— Et tu as perdu ton titulus…
— Oui, je me suis fait avoir, j’ai été stupide.
Evan s’attendit à ce qu’il lui fasse un sermon sur le niveau paroxysmique qu’avait atteint son imbécilité mais Princeton se contenta de le regarder avec son regard impitoyable mais son visage n’exprimait aucune colère, ni même déception. En fait, il était comme d’habitude, si ce n’était l’absence de son sourire narquois.
— Oui, je confirme. Ça a dû être vraiment douloureux. Tu n’as pas pleuré au moins ? Tu m’as fait honneur, j’espère.
Le jeune orphelin secoua la tête avec un sourire amusé. Princeton ne changerait jamais. Dans le fond, il avait l’impression que son magister primigenius n’était intéressé que par la façon dont il réagissait aux évènements. Il s’était moqué de lui lorsqu’il lui avait dit qu’il allait rompre la promesse qu’il avait faite à Tessa et lui rendre son anneau de bois. Il avait même rajouté qu’il se ferait de puissants ennemis mais n’avait pas essayé de l’en dissuader. Mais lorsqu’il était revenu de Remorum, la cité des Harlec, il lui avait demandé comment cela s’était passé, à savoir si lui, avait eu un comportement digne d’un élève du redoutable Tueur de Dragons Noirs. Il avait paru hautement satisfait qu’il ait fait sortir Rayn de ses gongs, sans montrer le moindre signe de faiblesse.
Mais cette fois…
— Non, pas vraiment. J’ai menacé Lucas avec ma lame après l’avoir plaqué contre le mur et tous les champions ont alamé leur neshir. On n’était pas loin de transformer la salle de réunion des Samba en un étang écarlate.
— Certain se sont rangés de ton côté ?
Evan prit une position plus confortable dans le canapé et répondit :
— Quatre. Tous les autres étaient du côté de Lucas. Dans le fond, c’était l’application du Code des Cendres. Je n’avais pas à faire cela.
Princeton parut déçu mais il ne dit rien de plus. Parfois, il pouvait se montrer très dur même dans ses paroles mais d’autres fois, il ne disait rien. Quand il ne disait rien, c’était parfois plus blessant que lorsqu’il explosait. Oui, il avait vraiment agi comme un abruti.
— Bon au moins, tu ne pleurniches plus sur la perte de ton titulus et tu t’es repris. Je suis navré pour ce qui s’est produit avec Lancelot…
— Pourquoi est-ce qu’il te haïssait autant ?
Une lueur triste apparut dans le regard sombre de Princeton avant de disparaître.
— On en reparlera une autre fois…
Il se leva et se dirigea vers le balcon dont la porte vitrée était toujours ouverte. Le salon était glacé. Evan se leva et le suivit. C’était tout. Princeton allait repartir et il serait de nouveau seul. Comme d’habitude… Au moins, il avait fait l’effort de venir. Il avait traversé un océan pour venir le voir. Il lui était reconnaissant pour cela. Evan sentit l’atmosphaira de son magister se répandre sur le balcon et lui-même répandit la sienne pour ne pas être indisposé. Il s’apprêtait à partir.
— Ah ! s’exclama-t-il brusquement en se retournant vers lui alors que son aura s’amenuisait de nouveau. Tout va bien ?
— Comment cela ? Demanda Evan, incertain.
— Eh bien, fit le fulgator en croisant les bras et le détaillant de ses yeux de fauve intimidant. Est-ce que tu vas bien ? Physiquement parlant.
Le visage que tira Evan dû mettre la puce à l’oreille de son tuteur car il fronça les sourcils en plissant les lèvres :
— Visiblement non, qu’est-ce que tu ressens exactement. Il faut que je sache si cela en est à quel stade.
Evan écarquilla les yeux en le fixant abasourdi :
— Tu sais ce que j’ai ?
— Tu t’es évanouie sans raison ? Hum non, ce doit être moins avancé. Peut-être des vomissements, non plutôt des frissons lorsque tu manipules l’Air ?
— Oui, balbutia Evan. Comment est-ce que…
— Depuis quand ?
— Juillet…
Son magister le regarda avec des yeux ronds avant de gronder :
— Et pourquoi est-ce que tu ne m’as rien dit ! Espèce d’imbécile inconscient. Pourquoi ?
— J’ai cru que tu me dirais que j’étais faible ou un truc du genre. Je pensais que ça passerait mais…
— Ça n’est pas passé et ça ne passera pas, abruti. Moi qui pensais que la baisse de tes résultats était dû à la mort de Jahandar et à la rupture de ta promesse… C’était cohérent étant donné tu es un grand sensible...
— Va te faire voir, Prince, aboya Evan.
Il lui lança un regard intrigué.
— Comment est-ce que tu es capable de tenir encore debout ? Tu es même plus fort qu’avant ?
— Qu’est-ce que j’ai, Prince ? Demanda Evan, les mains tremblantes.
Si Princeton savait que ça se produirait, il devait forcément savoir quoi faire et surtout ce que c’était. La raison pour laquelle son Kar’Cirkaem vieillissait si vite.
— Pourquoi est-ce que mon Kar’Cirkaem s’effondre sur lui-même ?
Le jeune Kupenda lut de la surprise dans les yeux de son magister primigenius.
— Comment sais-tu que…
Soudain, Princeton leva la tête vers le ciel, le regard concentré sur quelque chose d’invisible à ses yeux puis dit :
— Bien reçu. Je serais au point de rendez-vous dans une trentaine de minutes. Oui. Oui. Boucle-la Jared ! Je fais ce que je veux. Je suis le Haut Centurion, non ?
Princeton regarda Evan, hésitant, puis dit alors que son atmosphaira se répandait de nouveau autour de lui, des arkas dorés apparaissaient et qu’il s’élevait au-delà du Brasier :
— Écoute-moi bien, Evan. Tu ne sors plus dans les Ruines. C’est compris ? Si c’est depuis juillet, cela signifie que l’on n’a plus beaucoup de temps… saleté, j’aurais aimé régler ça avant les Olympeons... Je reviens demain soir.
— Attend ! Princeton, dis-moi d’abords qu’est-ce que…
Le Fils de la Foudre fut englouti dans une vive lumière qui força Evan à se protéger les yeux et un grondement de tonnerre ébranla tout l’immeuble. Quand il rouvrit les yeux, il aperçut au loin les nuages noirs qui filaient dans la direction d’où ils étaient venus. Ils furent bientôt hors de vue.
Evan soupira.
Qu’est-ce que ça lui aurait coûté de lui dire simplement ce qu’il avait ? Il grogna de frustration. Bon, de toutes les manières, il revenait demain. Evan aurait enfin son explication demain soir. Il avait bien supporté sept longs mois d’ignorance alors une simple journée de plus n’était rien.
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