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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 68 « Sagesse et Projection » tome 1, Chapitre 68

Les jours passaient, rapprochant les jeunes aspirants des Trois-Ordres des Olympeons qui devaient se dérouler au début du mois de Mars. Il ne neigeait plus mais les températures restaient particulièrement basses conservant intact l’épais manteau de neige qui recouvrait les Ruines. Un vent glaçant souffla rudement pendant les deux premières semaines de février. Le ciel, par contre, demeurait vide de nuage, réchauffant faiblement les Néo-Parisiens qui vaquaient à leur occupation au sein des différents arrondissements. Plus l’échéance des Olympeons approchaient, plus le nombre de défis, donc de duels d’honneur augmentaient.

Tous les alumni voulaient participer à la Deuxième Montagne. Aucun ne voulait devenir un simple Écuyer Lignite. Ils voulaient tous avoir une chance de devenir des Chevaliers Cendrés. Alors, ils se battaient, enragés, tentant de se hisser parmi les Champions. Ces derniers, également, luttaient farouchement pour conserver leur place et accéder au primum agmen, et les membres du primum agmen se démenaient comme des diables pour se saisir du titre de primus.

Les duels d’honneur se déroulaient au sein de l’Arena Maxima dans la Fourmilière, elle était capable d’accueillir la totalité des élèves de la schola. Tandis qu’au début de l’année, on assistait à un ou deux duels d’honneur par semaine, désormais tous les jours, deux ou trois duels d’honneur se déroulaient au sein de la plus grande arène de la Fourmilière.

Les Champions étaient mis à rude épreuve, devant disputer pour certains en plus des épreuves au sein de la Fourmilière et de leur entraînement quotidien, quatre duels dans la semaine, qui pouvaient en cas de défaite leur coûter leur place. Et parmi les Champions, les membres du primum agmen étaient encore plus sous pression, chacun ayant au minimum un duel d’honneur par jour contre un autre champion à cause de la règle des dix places.

Evan luttait, persévérait et triomphait lors des duels d’honneur et des épreuves de la Fourmilière, sans faiblir grâce aux pilules qui rétablissait son équilibre arkarien d’après les dernières découvertes de Charlaine. En trois semaines, il avait affronté l’ensemble des membres du primum agmen au minimum deux fois lors d’un duel d’honneur. Il avait vaincu quatre fois Alejandro, cinq fois Keiji et avait connu environ le même nombre de défaite face aux deux Auctoriteons. La foule avait même scandé à de nombreuses reprises son ancien titulus auctoritatis comme si elle exigeait qu’il le lui soit remis mais il n’en avait rien été.

Lui-même l’avait espéré mais il avait fini par comprendre que cela n’arriverait pas. Aucun des magistri princeps n’accepteraient de sceller de nouveau son titulus. Evan était convaincu qu’il s’agissait là de sa punition pour avoir écouté aux portes mais il estimait pourtant avoir été suffisamment puni pour cela. Il avait tout de même failli mourir étranglé par le magister Marshal avant d’avoir manqué d’être décapité par ce dernier. Sans parler de la tentative d’assassinat de l’ancien magister magnus.

Ainsi, le Monarque Invincible finissait par lui reprendre la place de primus au bout du compte ou bien c’était Keiji qui le faisait. Cela devint rapidement un jeu de chaises musicales entre les trois. Un jour, le primus était Keiji, le jour suivant Alejandro lui prenait sa place et le jour d’après, c’était au tour d’Evan de la récupérer.

Princeton était toujours retenu en Union de Janeiro où les choses avaient finalement évolué mais non dans le bon sens. Il ne l’avait donc pas vu depuis près d’un mois et demi. Ils avaient pu échanger quelques mots rapides mais rien de bien conséquent. Evan ne lui avait rien dit à propos de tout ce qui s’était produit pendant son absence.

Princeton lui avait révélé qu’il y avait eu des affrontements assez violents. Le Roi de l’Abîme qui dirigeait l’insurrection au sein de l’Incandescent entendait étendre son emprise sur l’Amérique du Sud malgré la présence d’une coalition de trois des Phœnix Terriens. Le Noguem avait subi de lourde perte, dû également à l’attaque d’un des Faucheurs Muets qui errait sur le territoire.

Pour le moment, Ur Kol, et Ulzayan était resté silencieux sur les évènements mais cela ne durerait pas selon Princeton. Un évènement s’était produit, il ne lui avait dit quoi parce que c’était un secret de niveau Jupiter, mais selon lui, si cela se savait cela provoquerait un séisme qui ébranlerait le Noguem tout entier. Il était inquiet de la manière dont se conclurait le Conseil de l’Aurore. Il aurait lieu cinq jours avant la date officielle du début des Olympeons. Princeton était rarement inquiet, s’il l’était cela signifiait que la situation était catastrophique.

— Le Bien et le Mal, la vie et la mort, l’éternité et le néant. Voyez-vous la Voie de la Flamme Immaculé est un principe de justice. Le sacrifice de sa vie, au service des autres, comme le dit si bien le Serment de l’Aurore. Vous êtes la mèche qui brûle pour éclairer ce monde, donner de l’espoir, permettre à ce qui ne peuvent pas être comme vous, qui sont vulnérable, faible, de vivre dans la paix. L’oublie de cet objectif n’est jamais très loin de vous conduire vers le Chemin de l’Abîme. La Voie de la Destruction est un sentier vaste qu’il est facile d’emprunter. Où on ne sert que soi, son ambition, ses désirs et rien d’autre.

Le Haut Salomen Arul balaya la classe de son regard clairvoyant sous ses sourcils broussailleux qui cachaient ses yeux légèrement enfoncés. Sa longue barbe tressée lui tombait sur torse et son crâne dégarni orné d’une vénérable couronne de cheveux blancs, luisait sous la lumière du soleil de fin de journée. Exceptionnellement, il n’y avait pas eu de cours de neshirinshi mais un cours de théologie avec le Haut Salomen dans l’un des amphithéâtres de la schola. Evan ignorait les raisons de ce changement d’emploi du temps mais il en était reconnaissant. Un peu de repos dans le rythme effréné de ces deux dernières semaines était une véritable bénédiction.

Les Olympeons auraient normalement lieu dans une petite semaine... Une semaine… Le temps avait filé si vite… En plus de cela, les duels d’honneur avaient également été annulés. Le lendemain, samedi, il n’y aurait pas d’entraînement avec Keiji dans son locus, ni d’entraînement de garoway car la phase finale du championnat se déroulait dans l’après-midi. Ils disputaient un match de demi-finale et le dimanche aurait lieu la finale.

Huit établissements avaient accédé aux quarts de finale, deux lycées de cités de la France Australe, un de la France Septentrionale et quatre des cinq scholas de la Fédération des Deux Frances qui se trouvaient dans les cinq plus grosses cités. L’Aurarque dirigeait le plus important, la cité-mère de la fédération, c’est-à-dire Paris-la-Nouvelle et les quatre Imperator étaient les Shedims des quatre autres cités. Kiona Paine avait vaincu la schola Bastian Dufer, à Tricassium, le fief du 5ème Imperator, Basil Gonso, en huitième de finale et le Lycée Alec Rosen de la cité de Reno avec une plus grande facilité, en quart de finale. C’était la troisième fois qu’il y participait et Kiona Paine avait remporté à chaque fois la coupe. La journée de demain promettait d’être exaltante, Evan était impatient d’y être. Ensuite, il irait manger un morceau avec Ella. La jeune fille avait insisté pour lui faire découvrir le fameux restaurant qu’elle était convaincue qu’il adorerait car depuis qu’Evan l’avait emmené chez Georges, elle était devenue une habituée. Il l’avait croisé là-bas à plusieurs reprises avec des amis à elle, pour le grand bonheur de Georges qui, lorsqu’il l’avait emmené, avait rougis à chaque fois qu’elle lui avait souris.

Depuis ces dernières semaines, Evan avait l’impression de revivre. Mais il restait de nombreux points noirs au tableau dont l’absence de l’herboriste. Elle n’était toujours pas revenue. Franz Parker non plus. Aucune trace du scientis vampire nulle part. Il n’avait toujours pas avancé sur le décryptage des travaux de ses parents, Keiji, qui semblait avoir dépassé sa période d’insomnie, ne trouvait aucune solution pour casser la clé du cryptage SK-Solaris-7. Le projet ODIANI était toujours aussi flou que mystérieux. Sur le Kiona Paine Observer, il avait lu quelques articles concernant la Regina, après ceux le concernant écrit de la plume de cette fouine de Salman. Il avait été le premier à annoncer au monde qu’il avait perdu son titulus. Il avait eu l’exclusivité qu’il désirait tant…

Dans les articles sur la Regina qu’il avait lus, ils indiquaient tous qu’elle se trouvait toujours à Lugdunum, là où se trouvait sa schola, la Rose d’Or qui était la quatrième au classement mondiale. Elle avait également été fondée par les Sept avant la Guerre de l’Éclipse. Il s’était même hasardé à aller voir son profil sur Keep. Elle avait tellement l’air d’une fille normale. Une jolie fille tout ce qu’il y avait de plus banal. Enfin, on voyait clairement dans son regard l’éclat caractérisant les ignemshirs mais si on lui avait dit qu’elle était un oshaïnim, il ne se serait jamais laissé convaincre. Une chose était certaine, les autres alumni de sa schola la tenaient en très haute estime. Elle avait également beaucoup voyagé. Cela semblait être une de ses passions. Il avait été tenté d’aller jusqu’à Lugdunum afin de la forcer à lui rendre l’Atomium Adamantis, mais sur les conseils de Keiji, il avait laissé tomber. Il lui avait dit qu’elle n’aurait aucun mal à l’envoyer pourrir dans l’une des geôles des Tours de Fer de Lugdunum s’il l’attaquait sur son territoire, ce qui n’était pas faux mais lorsque les choses étaient si personnelles, Evan reconnaissait qu’il n’avait pas toujours les idées très claires.

Quand il pensait qu’elle avait donné son sceau pour qu’il perde son titulus auctoritatis, le seul fait de songer à cette fille et au pouvoir qu’elle avait eu sur lui, le révulsait. En même temps, il se sentait tellement idiot d’avoir tendu le bâton pour se faire battre, en allant au brunch de Jeff, qu’en un sens, il en venait la conclusion que c’était de sa propre faute. Il était en colère contre lui-même presque autant qu’il l’était contre la Regina.

Evan se rendit compte qu’il serrait ses poings à les en faire trembler.

— Une muraille… murmura-t-il pour lui-même en reprenant son calme.

Il sentit le regard du Haut Salomen sur lui. Il leva la tête et ce dernier regardait déjà un autre élève. Peut-être avait-il rêvé. De toutes les manières tous les magistri salomens l’avait toujours regardé avec défiance, les aspirants beaucoup moins, mais cela dépendait des gens. Ceux qui ne le connaissait pas du tout, gardaient toujours leur distance. Il en avait toujours été ainsi depuis l’Institut des Trois Ordres. A cause de Wazushendi.

— Vous savez ce que je pense ? Dit le Haut Salomen Arul. Un ignemshir qui ne se considère pas comme un des artisans du salut de l’Humanité face à la démence de Mère Nature n’est jamais loin du Chemin de l’Abîme. Ce n’est pas pour rien que l’on vous dit que vous êtes plus que des hommes…

— Nous sommes des ignemshirs, les Fils des Cendres. Nous sommes les protecteurs des hommes et de la civilisation, dirent en cœur la majorité des d’alumni qui assistaient au cours du Haut Salomen.

Evan ne fit pas parti de ce nombre.

— Oui, la survie de l’Humanité. Si tel est votre moteur, le feu qui brûle en vous et qui vous pousse à agir alors vous ne vous écarterez jamais de la Voie Immaculée, car vous ne regarderez jamais à votre ambition. Mais si le sort de vos semblables vous indiffère et que seul votre petit confort vous importe sachez que vous êtes sur une mauvaise pente jeunes Fils des Cendres. Une très mauvaise.

— Qu'est-ce que tu en penses ? Evan, lui demanda brusquement Keiji qui était assis à côté de lui. Es-tu déterminé à défendre ceux qui ne le peuvent pas et à mourir pour sauver la part de l'Humanité qui nous a été échus, afin que nous la défendions ?

Evan regarda longuement son ami tandis que le Haut Salomen Arul se lançait dans une longue tirade sur les écrits d’Abaon Kasaï, le 1er Roi de l'Aurore. Sa voix rauque, lente mais empreinte d'une certaine profondeur, résonnait dans le grand amphithéâtre silencieux.

— Tu me connais mon ami, répondit Evan dans un haussement d'épaule. Sauver l'Humanité ne fait pas partie de mes priorités. Vois-tu, tout cela est tellement abstrait que je n’en comprends pas le sens. Et je n’ai pas l’impression que le dixième de ceux qui sont ici, le comprenne. Si c’est vaincre la Niera et dissiper le Karan. Pourquoi pas… mais tu sais que ce n’est pas ma priorité actuellement, si j'arrive d'abords à me sauver moi-même et à me sortir vivant du bourbier dans lequel je suis enfoncé jusqu’aux narines, je me pencherai sur la question et tout ce qu’elle implique. Et quoiqu'en dise le Haut Salomen Arul, je doute que ma conception des choses me mène au Chemin de l'Abîme.

Keiji, hocha lentement la tête, en l’observant pensivement. Evan ne comprenait même pas pourquoi il le lui demandait. Il avait toujours su que les discours du Noguem n'avaient jamais constitué sa motivation. Honorer sa sœur, ses parents, maintenir leur souvenir, le poids de leur existence sur la Terre afin qu’eux ne disparaissent pas complètement et ne soient pas oubliés. Tel avait toujours été sa motivation. Son ami eut un sourire compréhensif qui ressemblait plus un rictus et se concentra sur le Haut Salomen.

Evan sourit en l'imitant. Keiji était un Sha'Daigan jusqu'au bout des ongles. Il avait grandi avec la certitude que les Sangs d'Acier constituaient le seul espoir que l'humanité si elle entendait continuer de vivre en surface mais surtout, survivre à Muishan'alm'er, la Tempête de Ténèbres car dans les faits, plus de quatre-vingt-cinq pourcents des immortels de ces derniers siècles étaient issus des Famille Ancienne, et parmi eux, les trois-quarts étaient des Sangs d’Acier. Et des Sangs d’Acier comme Lucas, Baptiste, Jordan ou même Rayn Harlec étaient convaincu, littéralement, qu’ils valaient beaucoup plus que la plèbe, et que, comme sans elle, elle était perdue, ils avaient le droit de la dominer. Oui, ils prenaient à cœur la protection de la plèbe, en un sens, mais uniquement parce que cela affirmait leur supériorité.

— Tiens, Charlie a cessé de te mener la vie dure, fit-il brusquement remarquer avec un de ses habituels sourires lutins.

— Ouais, je crois que je ne suis plus en probation pour l’avoir trimballé sur mon épaule. Et le pire tu sais c’est quoi ? Je lui ai sauvé la vie deux fois. La première fois, elle m’a remercié en me tirant dessus avec son incapaciteur et la deuxième en manquant de me tirer de nouveau dessus puis en me gratifiant de deux gifles.

Keiji s’esclaffa, son poing appuyé sur sa bouche, le visage pratiquement écarlate. Pourtant ce n’était pas la première fois qu’il le lui racontait. Peut-être était-ce la tête qu’il faisait lorsqu’il en parlait… Son ami mourrait d’envie de se lâcher mais se retenait pour ne pas s’attirer les foudres du Haut Salomen. Evan vit des larmes perler au coin de ses yeux.

— Tu pourrais te montrer plus compatissant, lui dit Evan, dépité. Quand je pense à ça je me dis que les femmes ont été créées pour causer notre perte.

— Tu ne le savais toujours pas ? Ah comme tu es naïf…

Pouffant de nouveau, il continua en se mordant le poing :

— Ah Purée ! J’aurais tout donné pour assister à ça. Je t’assure, tout.

Une demi-heure plus tard, le magister Tambwe entra dans l’amphithéâtre et marcha jusqu’au Haut Salomen et ils échangèrent quelques mots à voix basse. Le magister princeps le regarda et dit :

— Kupenda, levez-vous et sortons.

Tous les regards se braquèrent sur lui. Il vit quelques sourires mauvais. Keiji l’interrogea du regard, il haussa les épaules.

— Qu’est-ce que t’as encore foutu ?

— Rien, je t’assure. Je me suis tenu à carreau…

Keiji hocha la tête, dubitatif, puis lui fit signe de se dépêcher car le magister Tambwe sortait déjà. Il sortit de sa rangée, descendit les escaliers et sentit le regard pesant du Haut Salomen qui le regardait avec un mélange d’incertitude et de suspicion. Il n’avait jamais vraiment apprécié ce vieillard. Il lui rappelait son psychologue. Il sortit et vit que le magister Tambwe remontait déjà le couloir aux baies vitrées en direction du hall d’entrée. Il marchait sans se soucier qu’il fût bien en train de le suivre. Evan accéléra le pas jusqu’à être au niveau du magister et ils pénétrèrent dans le hall en marchant de concert. Ils contournèrent les statues des Précurseurs et prirent les escaliers qui menaient au bureau du magister magnus se trouvant au deuxième étage du corps de logis.

— C’est assez rare que des hommes de cette stature se déplace en personne pour parler à quelqu’un, alors j’espère que tu te montreras digne de Kiona Paine, Evan.

— De qui parlez-vous magister princeps ?

— Tu verras bien.

Ils s’arrêtèrent devant la grande porte en BoisFer pourvu d’une plaque dorée annonçant « Magister Magnus ». La porte coulissa révélant le grand bureau aux murs incurvés et doté d’une baie vitrée donnant sur le Jardin des Souvenirs. Le mobilier était d’excellente facture, probablement aussi vieux que l’école mais dans un état impeccable. Derrière le bureau, Jorge Kor, discutait avec un grand homme coiffé d’un chapeau de feutre noir, assis et de dos. Le magister magnus, un homme grand et fin, au visage de vautour et au sourcil épais, hochait vivement la tête et parlait d’une voix mielleuse. A son retour à la schola, il ne s’était même pas donné la peine de venir lui parler en personne. Comme si une tentative d’assassinat de la part du précédent occupant de son poste n’était pas une grosse affaire. De fait, il ne lui avait jamais adressé la parole. En le voyant, un large sourire, étonnamment chaleureux pour un visage comme le sien, s’étira sur les lèvres du nouveau magister magnus.

— Monsieur Kupenda, veuillez-vous donner la peine d’entrer.

Evan avait reconnu l’homme de dos, qui ne se donna même pas la peine de se retourner. Jorge Kor se leva de sa place et marcha vivement vers lui. Il lui serra vivement la main comme s’ils étaient de vieilles connaissances qui se retrouvaient après une longue séparation, puis en le dépassant, Evan vit son visage tomber dans une sorte de d’aigreur qui le fit paraître plus vieux. Il sortit et la porte coulissa derrière lui.

Soudain l’homme qui était de dos lâcha un soupir et se releva en étirant son corps athlétique comme s’il sortait d’une sieste et se retourna vers lui avec un sourire engageant. Evan eut du mal à croire que c’était l’Imperator Heredogar qu’il avait en face de lui. Il lui lança :

— Prêt pour la demi-finale ? Je dois t’avouer que si tu étais mort dans cette explosion, la fin du championnat n’aurait pas été aussi intéressante. Je sais que je devrais plutôt soutenir Lugdunum, d’ailleurs je suis à fond derrière l’équipe de Faust mais, toi…

Il agita son doigt en en sa direction.

— Tu es un sacré porteur de batte. Lors de ton dernier match, tu m’as impressionné.

Le jeune homme ne sut quoi répondre et se contenta de fixer Lucius Heredogar dans un chic costume shirag sur-mesure bleu nuit chatoyants, son neshir Impérial fixé à sa corne sur le côté. C’était bien les mêmes yeux azurs, les mêmes cheveux blonds, lisses et mi-longs, la même mâchoire carrée recouverte d’une barbe blonde fourni. La même aura semblait pulser de sa personne comme de celle de tous les Seigneurs qu’il avait déjà rencontrés. Même s’il avait l’air dangereux, définitivement, on aurait dit un double d’Heredogar. Un double plus sympathique et c’était perturbant.

— Pourquoi… êtes-vous ici ?

— C’est moi qui devrais plutôt te poser cette question, tu ne crois pas ?

— Je ne…

— Si cela avait été Princeton, je l’aurais su. Je reconnaîtrais ses ondes neshiriennes entre mille. Mais ce n’était pas lui. Cette signature était vraiment particulière et dénotait une puissance que je qualifierais d’inquiétante…

— Je me suis juste retrouvé dans ma chambre. Je ne sais pas ce qui s’est passé.

— Eh bien…

Il lui désigna le deuxième fauteuil faisant face au bureau, à côté du sien et se rassit. Evan se dirigea, tendu à craquer jusqu’au fauteuil et prit place.

— Vous n’avez pas été blessé ?

Heredogar eut un sourire amusé.

— Ce n’est pas une petite explosion qui pourrait me blesser. Enfin, plus maintenant…

Ils s’observèrent puis un autre sourire apparut sur les lèvres d’Heredogar.

— Vous êtes un Immortel, dit-il brusquement.

— Vraiment ? qu’est-ce qui te fait croire cela ?

— Vos yeux, répondit-il. Avant de disparaître, je les ai vus changer de couleur.

— Aussi observateur que Prince me l’avait dit.

— Je pensais que l’Aurarque était le seul Immortel parmi les Imperators et Seigneurs des Deux-France.

Lucius se mit à rire, de son rire joyeux et imposant avant de répondre :

— La jeunesse… A une époque peut-être mais un ignemshir ne cesse jamais de se développer et d’améliorer son neshirinshi, recherchant toujours à ce que son Kensh’en Or’i brûle avec une ardeur plus grande. L’objectif est l’Immaculée. Ne te l’a-t-on pas appris ?

— Pourquoi ne défiez-vous pas le Coq de Fer pour le titre d’Aurarque ?

— Les jeunes coqs comme toi sont toujours amusants. Je pourrais, c’est vrai. Mais j’aime bien Lugdunum. C’est la cité qui m’a vu naître alors j’ai à cœur de la protéger. Et puis, je trouve que Phil se débrouille très bien.

— Le plus fort n’est-il pas censé régner ?

— Tu verras que ce n’est jamais aussi simple. Mais je comprends ta logique. Tu appliques au reste du Noguem, les règles qui vous régissent dans votre microcosme. Néanmoins, le but de ce par quoi vous passez est d’imprimer au fer rouge dans vos consciences et votre cœur, les notions de sacrifice, d’abnégation et d’honneur. Mais l’étape suivante est de vous faire découvrir la valeur primordiale de la fraternité, de l’amitié et de la confiance. C’est à cela que les Olympeons servent. Pour un ignemshir, ces trois choses sont primordiales. Autant le sacrifice, l’abnégation et le courage sont essentiels de notre part pour le salut l’humanité, autant, l’amitié, la confiance et la fraternité sont essentiels pour notre évolution. Cela nous rend plus fort. Si les Imperators passaient leur temps à se défier en duel quelle image cela renverrait-il ? Cela nous affaiblirait en détruisant la confiance que nous nous portons les uns les autres. Et cela pour ne satisfaire que notre orgueil et non le bien-être de ceux que nous protégeons.

— Vous vous faîtes confiance ? Vraiment… fit Evan dubitatif.

— Il est essentiel que les Imperators aient confiance en leur Aurarque, comme il est primordial que les Généraux aient confiance en leur Seigneurs, et ainsi de suite jusqu’au simple noguemi. Mais tu ne comprends pas encore. Plus tard, tu verras que ceux avec qui tu as croisé le faire une fois et aux cotés de qui tu as combattu pour ta vie devienne toujours des amis. Pas forcément des frères mais des amis.

— Et le Raaek'a Daedalis ? Demanda sombrement Evan.

Lucius esquissa un sourire qui lui fit froid dans le dos et il répondit :

— Pour la tragédie…

— Je ne comprends pas…

— Afin que vous compreniez que malgré tous les sacrifices et toutes les relations humaines, à la fin, la vie n’est et ne sera toujours qui somptueuse tragédie.

Evan le fixa sans rien dire avant que ses doigts ne relâchent la poignée de son neshir toujours rivée à son holster.

— Pourquoi êtes-vous ici ?

— Décidément, tu ne perds pas le nord, toi.

Il se leva et dit en s’éloignant lentement vers la porte :

— J’ai vu de mes yeux que tu te portes bien. Je lui devais bien cela après avoir échouer à respecter ma parole de te rendre ta liberté. Si l’homme ou la femme qui t’a sauvé n’était pas intervenu, tu serais mort, et j’aurais eu ta mort sur la conscience… Bon courage pour le championnat, je compte sur toi. Ah et aussi…

Il se retourna, le jaugea brièvement et dit :

— Je te veux dans ma prochaine décurie de Plume de Bois, l’année prochaine. Bien sûr à condition qui tu parviennes à entrer à Nosce.

Evan ne put cacher sa surprise et se leva lentement en demandant :

— Pourquoi moi ?

Le jeune homme réfléchit puis ajouta sèchement :

— Si c’est à cause de Princeton ou parce que vous cherchez un moyen de vous excuser, je n’en veux pas. Peu importe l’escouade dans laquelle je finirai, je parviendrai à mes fins d’une manière ou d’une autre. Je ne veux pas de votre pi…

L’air se fit brusquement plus lourd, l’estomac d’Evan se contracta et une peur panique se répandit dans sa poitrine lorsqu’il se rendit compte que l’Imperator se tenait désormais juste en face de lui avec son index posé son front. Il voulut se saisir de son neshir mais aucun des muscles de son corps ne répondaient. Ses yeux surpris tombèrent dans ceux d’un azur polaire de Lucius qui ressemblait de nouveau à l’Imperator qu’il avait rencontré dans l’Icare le menant à l’Île Morte.

— Tu devrais apprendre à la fermer et à accepter ce que l’on t’offre, alumnus.

Il ricana, le regard plus comminatoire que jamais. Evan sentit la sueur couler dans son dos.

— Toute cette colère qui brûle en toi. Tu as une telle soif de destruction… Mais tu n’es pas encore irrécupérable. Je ne te choisis pas par pitié, jeune ignemshir, mais parce que tu m’intéresses. Le Voile des Ombres qui t’a permis d’éviter la lame du Borgne révèle un niveau de maîtrise de l’Air très rare chez un ignemshir de ton âge. Un indicateur très intéressant.

Il posa son regard sur Wazushendi et dit :

— Et voici l’un des Yen’doshushim. Les Gémeaux Indomptables. Je suppose que cela n’a pas dû être très facile d’assumer la soumission de ce neshir avec la malédiction que l’on lui prête. L’as-tu expérimenté ? La malédiction ?

Evan fronça les sourcils en le regardant avec défi mais ne répondit pas. Le sourire carnassier d’Heredogar s’accentua.

— Près de mille ans de rejet pour finalement trouver un maître capable de le dompter. Étrangement, maintenant que je te vois de plus près, cela ne me surprend pas, que tu sois celui-là.

Il baissa son index, et Evan retrouva sa liberté de mouvement. Il enroula ses doigts autour de la poignée de Wazushendi.

— Et si tu penses que tu auras une meilleure offre que la mienne, libre à toi de la prendre mais… je te donne cinq secondes pour me répondre. Veux-tu oui ou non appartenir à mes légions ? Et sache que ta parole te lie à jamais, jeune ignemshir.

Il se détourna et s’éloigna vers la porte du bureau. Evan réfléchit à toute vitesse, alors que la peur qui flottait dans sa conscience se dissipait à peine. Aurait-il une meilleure offre ? Probablement que non. Il devait s’estimer heureux d’avoir cette opportunité car elle était inespérée. Il s’était mis à dos toutes les Familles Anciennes. Malgré cela, il ne savait pas s’il voulait réellement servir pendant trois ans sous les ordres d’Heredogar mais avait-il le choix ? Comme il le lui avait dit… Il risquait de ne trouver aucun Mentor même s’il finissait en tant qu’Aeternus à l’issue du Raaek'a Daedalis. Les Familles Anciennes étaient très soudées. Cela était susceptible de le freiner lors de ses trois années de formation en collegium et de l’empêcher de devenir plus qu’un simple noguemi même s’il devenait un Chevalier Cendré, si jamais la Haute Instance de l’Omniscience l’envoyait dans une légion dirigée par un Seigneur qui le méprisait du fond son âme. Au moins Heredogar ne semblait pas trop le détester. En réalité, il n’avait pas vraiment de plan pour après son entrée à Nosce. Tout ce qui lui importait en ce moment était de survivre aux trois épreuves du Periculum. Néanmoins, il détestait qu’on le force à prendre une décision.

— Je refu… Non… j’accepte, finit-il par dire alors que la porte glissait sans bruit en s’ouvrant et qu’il restait une seconde.

Lucius sans se retourner leva brièvement la main et disparut dans le couloir. La porte se referma et Evan se retrouva seul dans le bureau à fixer la porte, en se demandant s’il ne venait pas de commettre une des plus grosses erreurs de son existence.


Texte publié par N.K.B, 8 décembre 2019 à 13h29
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