Keiji mit un moment à se rendre compte que tout le monde à table le regardait. Autour de la longue et large table à manger, sa famille et les Karlfeldt dînaient. Les murs de la salle à manger étaient recouverts de dorure et de boiserie, et le magnifique plafonnier en argent répandaient une chaude et agréable lumière dans la vaste pièce. Deux domestiques en livrée bleu et noir, se tenaient près de la porte, prêts à satisfaire la moindre demande. Keiji n’était pas plus impressionné par l’argenterie dispendieuse et que par les mets réalisés par les chefs que sa mère avait engagés pour l’occasion. Tout cela était devenu une routine, en quelque sorte. S’il avait pu, il aurait bien filé dans le Moulin pour s’acheter un de leur délicieux corn-cheese avant de débarqué chez Evan à l’improviste.
— Keiji ? Fit la voix douce mais autoritaire de sa mère. Robert t’a posé une question.
Keiji regarda le Haut Centurion Karlfeldt, un homme de taille moyenne, athlétique, aux cheveux dorés qui brillaient à la lumière du plafonnier et des lampes murales. Il avait un visage rond et juvénile, laissant penser qu’il avait trente ans, mais il n’en était rien. Il avait pratiquement cinquante ans, comme sa mère, mais son regard bleu était intimidant et froid, plus qu’aucun des alumni qu’il côtoyait.
— Excusez-moi, Haut Centurion. Pourriez-vous répétez la question ?
— Je voulais savoir quels étaient tes sentiments vis-à-vis des Olympeons qui approchent, dit le Haut Centurion avec un air supérieur de sa voix monocorde et nasonné. J’ai entendu dire que cette année serait encore plus difficile que les années précédentes. Es-tu confiant, mon garçon ?
Keiji trouva la voix du noguemi haut-gradé plutôt déplaisante à écouter. Il réfléchit brièvement et répondit :
— Je n’éprouve aucune appréhension vis à vis de quoi que ce soit. Quel que soit l’épreuve, je la surmonterai avec succès afin d’élever jusqu’aux cimes, le nom glorieux des Endo, en digne héritier du Sang d’Asano qui coule dans mes veines.
Sa réponse lui attira un hochement de tête favorable du Haut Centurion et sa mère eut un sourire satisfait avant de relancer un autre sujet de discussion.
Léonie Karlfeldt n’était pas vraiment une belle fille. Il n’aurait pas non plus utilisé l’adjectif joli. Bon, elle avait un certain charme avec ses yeux joliment dessinés et sa magnifique crinière blond vénitien dont quelques mèches tressées se rejoignaient sur le côté gauche pour former le symbole de sa famille mais elle avait une manière de s’exprimer, fière et un tantinet condescendant, et un ton étrangement haut-perché qui gâchaient un peu tout.
Il avait tenté de discuter avec elle, pour la forme mais c’était comme si ses manières poussaient son esprit à se cloîtrer dans son cerveau et à couper tout contact avec la réalité laissant tout juste ce qu’il fallait pour qu’il hoche la tête au bon moment avec un sourire préparé à l’avance et mainte fois utilisé à cet effet.
Visiblement, cela suffisait à la jeune Latente Sha’Daigan puisqu’elle aimait s’écouter parler et raconter ses vacances, les endroits magnifiques mais dangereux – Oui, dangereux avait-elle cru bon de rajouter – qu’elle avait visité lorsqu’elle avait été à bord de la palpitante – Oui, palpitante – l’île flottante Lockwood. Imaginant le regard moqueur qu’aurait esquissé Evan, qui disait souvent que la station Lockwood était l’endroit le plus dangereux où se risquait à aller les Sha’Daigan non ignemshirs, il eut toutes les peines du monde à ne pas éclater de rire. Et pour ne rien arranger, quand, il lui arrivait de revenir pour de bon de sa retraite mentale, il essayait de ne pas croiser le regard de Caleigh qui le connaissait bien et savait deviner lorsqu’il écoutait réellement ou lorsqu’il faisait mine d’être intéressé par ce que lui disait son interlocutrice. S’il croisait son regard, son air espiègle et son sourire contenu, il ne pourrait pas s’empêcher de rire. Il ne voulait pas blesser Léonie mais surtout, valait mieux éviter de s’attirer la colère d’une famille de Sha’Daigan. Se moquer ouvertement de leur enfant chérie était la meilleure stratégie pour se retrouver avec des problèmes. Même si les Karlfeldt n’étaient pas aussi puissants que les Endo, donc ne pourrait pas leur faire du tort de toutes les manières, il n’avait pas envie de se faire passer un savon par sa mère.
Après le repas, et qu’on leur eut proposé un thé ou un café, les invités et leurs hôtes repartirent dans le salon où ils s’installèrent confortablement. Enfin, une partie, car la mère de Keiji insista pour qu’il fasse visiter la maison à Léonie et lui montre les collections de toiles mouvantes de grands artistes de l’Âge des Immortels et de l’Âge Sombre qui appartenaient à la famille depuis près de huit cents ans. Evan adorait cette collection. Il rêvait d’en avoir une aussi complète. De mauvaise grâce, mais en veillant à ne pas le montrer, Keiji obéit à sa mère. Léonie de son côté semblait impatiente de commencer cette visite d’autant qu’elle le regardait avec un sourire que Charlaine aurait volontiers qualifié de béat. Il ne l’aurait pas démenti. Elle semblait déjà s’imaginer avec son anneau de bois au pouce à la fin de la soirée. Un tel optimisme était tout à fait louable. Oui, tout à fait…
Il capta une lueur lutine dans le regard perçant de sa mère alors qu’il tendait son bras à Léonie afin qu’elle le suive et finalement se demanda si ce n’était une sorte de punition. Sa mère le connaissant assez pour savoir si une fille correspondait plus ou moins à ce qu’il en attendait, elle devait savoir, ayant fait suffisamment de recherche sur Léonie – ce qu’elle faisait toujours avant chaque dîner de ce genre pour évaluer des candidates potentielles – qu’il ne pourrait pas s’enticher d’elle.
C’était une punition pour ne pas s’être encore décidé. Un message clair. Et il avait l’étrange sentiment que cela ne faisait que commencer. Keiji esquissa un sourire narquois que sa mère n’aurait pas renié en se disant qu’il l’adorait. Elle le connaissait assez pour savoir qu’il pouvait se montrer encore plus vicieux qu’elle à ce jeu-là.
Après lui avoir fait visiter le grand manoir et conclut par la dernière peinture de maître de la collection familiale, Le Voile Noir d’Arun Copple, qui était sa représentation personnelle de la Deuxième Calamité, une sorte de brume ténébreuse qui recouvrait la terre transformant la magnifique émeraude bleutée resplendissante de vie en une triste sphère charbonneuse et morte, Keiji l’invita à voir le magnifique jardin. Léonie s’empressa de hocher la tête avec vigueur et toujours ce sourire qui finissait par devenir un peu dérangeant. A cet instant, il envia Evan qui n’avait pas à se plier à ce genre d’exercice. Cet imbécile heureux était libre comme l’air, au moins…
De nuit, des lampions sphériques flottaient comme des lucioles à travers le magnifique jardin, éclairant les arbustes, les rochers, l’herbe chatoyante et l’eau sombre des bassins sous un ciel d’encre constellé d’étoile. La lune joueuse, diffusait sa lumière laiteuse au milieu des étoiles amicales. Léonie ne portait qu’un petit veston noir à bouton doré au-dessus de sa robe damassée grise et noire lui arrivant aux genoux. Elle chaussait des talons hauts vernis noirs. Il l’emmena le long du pas de pierre s’enfonçant au milieu des genévriers passant sous le ginko dans les branches duquel plusieurs lampions flotteurs étaient pris et l’éclairaient plaisamment. Il faisait un froid de canard et un vent polaire soufflait.
Tandis que Keiji lui racontait l’histoire du jardin et les différentes plantes et arbrisseaux qui le composaient, Léonie croisa ses bras devant elle en frissonnant et lui lança à de nombreuses reprises des regards appuyés. Ayant veillé à ne pas lui présenter de nouveau le bras afin qu’elle n’ait pas l’opportunité de se réchauffer en s’y accrochant comme à une bouée de sauvetage, d’autant que sa peau devait être suffisamment brûlante à cause du froid pour lui fournir une chaleur agréable et suffisante, Keiji maintint une distance de sécurité pour qu’elle ne fasse aucune tentative. Elle voulait qu’il lui propose au moins sa veste pour se réchauffer mais le jeune Endo n’en fit rien. Arborant simplement un rictus permanent sur le visage, il se perdit dans des détails fumeux allant jusqu’à lui donner le nombre de rameaux que pouvait avoir un genévrier, la composition minérale du sol approprié pour qu’il ait une croissance rapide et qu’il demeure en parfaite santé.
Après une vingtaine de minutes à claquer des dents et à tenter d’introduire le fait qu’elle mourrait de froid, mais tentative étouffée par le monologue incessant du jeune Fils des Cendres, Léonie parut particulièrement contrariée et n’y tenant plus, elle se mura dans un silence offensé. C’est alors qu’il lui proposa de rentrer en précisant à quel point il était indélicat, rajoutant qu’elle devait être transi de froid, répétant qu’il était un idiot – Vraiment, un idiot – et égoïste mais il ne lui proposa pas une seule fois sa veste, ni son bras, sans cesser de sourire en l’entendant claquer des dents lorsqu’elle ne le regardait pas.
Quand ils rentrèrent, sa mère comprit tout de suite son petit manège car elle demanda immédiatement qu’on apporte du thé pour Léonie. Pour faire bonne mesure, Keiji se fendit d’autres excuses auprès du Haut Centurion et de sa femme sans vraiment se souvenir de celles qu’il avait dites avant, espérant ainsi écourter la visite de ses invités.
Robert Karlfeldt ne se formalisa pas du fait que la prunelle de ses yeux ait eu un peu froid, et l’invita immédiatement à s’asseoir avec lui et son père, qui fumaient du tabac de Janeiro dans des brûle-gueule gravés des symboles de leur Famille Ancienne respectives. Ils avaient pris place dans des fauteuils près de l’âtre de la grosse cheminée où brûlait un foyer vigoureux. Son père aimait entendre le bruit du bois qui crépitait sous l’assaut des flammes et regarder la danse ininterrompue du feu autour des bûches. C’était pourquoi, il préférait donc que l’on allume la cheminée même si des radiateurs incorporés dans les murs de la pièce chauffaient bien mieux le vaste salon. Les femmes discutaient sur les canapés près de la baie vitrée aux rideaux fermés qui privaient les occupants du magnifique ballet des lampions flottants. Léonie rejoignit les femmes en s’asseyant près de sa mère en face de Caleigh qui avait les yeux rivés sur son R-Tatoo. La fille des Karlfeldt coula un regard peu amène en sa direction. Il fit comme s’il n’avait rien remarqué mais s’autorisa un sourire en coin et s’assit lorsqu’on lui eut apporté une bergère.
Il remercia Lucien qui le gratifia d’une légère révérence avant de disparaître aussi silencieusement qu’il était entré. Son père, silencieux, fixait les flammes d’un air songeur en tirant sur son brûle-gueule. Il repensait sûrement à des travaux en cours, des problèmes non résolus. Il lui arrivait souvent de trouver une solution dans les flammes. Quant à Robert, il savourait le bon tabac que son père commandait directement chez l’un des meilleurs producteurs de la cité de Dos Rios. Keiji apprécia la chaleur qui émanait de l’âtre même s’il n’avait pas froid. Sa température corporelle baissait comme celle autour de lui avait augmenté. Il se perdit à son tour dans les flammes jusqu’à ce que Robert ne lui demande brusquement :
— Tu es le primus actuellement, n’est-ce pas ?
— C’est ça.
— Depuis quand ?
— Deux jours, répondit-il. J’ai pris la place à Evan Kupenda.
— Hum, Kupenda… ça ne me dit rien. A quel Sha appartient-il ? Non attend, c’est l’ancien gendre de Rayn ? celui qui a été destitué de son titulus auctoritatis ?
— C’est ça.
— Un impertinent, si j’avais été Rayn, je l’aurais envoyé tâter du gourdin chez les Exécuteurs.
Keiji resta silencieux quelques secondes et demanda avec un ton plus impertinent qu’il n’avait voulu :
— Pour quel crime ?
Robert fixa sur lui son regard glacial et comminatoire. Il ricana, un rictus mauvais sur le visage et dit en se penchant vers lui, relâchant de la fumée blanche aromatisé de sa bouche.
— Il faut apprendre à ces vermines à rester à leur place. Il est déjà surréaliste que Rayn ait accepté un ma’nkel comme gendre alors que tant d’honorables fils de Sha désiraient sa fille. Que cet impudent petit bout de ferraille pense que tout lui est acquis et qu’il peut se permettre de rejeter une famille de Sha est un affront envers nous tous. Ne comprend-t-il pas qu’il n’est qu’un simple rebus, qu’il appartient à la lie…
Keiji serra les bras de son fauteuil, sentant la colère monter en lui. Ses phalanges blanchirent. Robert ne remarqua visiblement rien parce qu’en s’adossant nonchalamment sur son fauteuil, il poursuivit :
— Oui, une simple ordure qui, si elle ne prend pas garde, sera balayée. Le petit Lechatel est un bon garçon. Un fier Sha’Daigan. Qu’il ait destitué ce ma’nkel de ce titulus qu’il ne méritait pas, de toutes les manières, est une preuve qu’il tient bien de son père. Il a l’esprit vif et ne manque pas de ressource. Il convient beaucoup plus à…
— Sur quel critère objectif ? marmonna Keiji d’une voix glacée. Il est plus puissant qu’aucun d’entre eux ne le sera jamais. C’est un Guerrier Impérial et un Pulsar…
— Fiston, le coupa brusquement son père d’un ton apaisant en posant sur lui un regard paternel mais insistant. Tu pourrais me prendre le jeu de Go. J’aimerai disputer une partie avec Robert. Il m’a dit qu’il était un excellent joueur. Qu’en dites-vous Haut Centurion Karlfeldt ?
— Avec plaisir, Magister Scientis Endo, répondit le Haut Centurion en dévisageant le fils de ce dernier avec un mélange de perplexité et d’âpreté.
Son père lui fit un sourire encourageant. Keiji ravala sa colère, et alla récupérer le jeu. Il ramena une table basse en bois sculpté et posa le plateau dessus. Le Haut Centurion le fixa comme ne sachant toujours que penser puis se reporta sur le bol de pierres noires que ce dernier avait posé de son côté de la table basse. Le jeune Endo reprit place. Les deux hommes commencèrent à jouer. Keiji observa la partie d’un œil distrait.
— Tu n’es pas d’accords avec moi, Keiji ? A propos du ma’nkel ? Demanda brusquement le Haut Centurion. Toi, plus qu’aucun autre devrait penser comme moi. Je veux dire, toutes les Familles Anciennes attendent désormais ce jeune impudent au tournant, attendant impatiemment que sa chute arrive. Je peux comprendre que Lancelot Dreiven ait été un peu zélé.
— Il a enfreint le Codex, fit simplement Akihito.
— Oui, certes…
— J’estime que la valeur d’un homme ne dépend pas uniquement du sang qui coule dans ses veines mais de la valeur de ses actes et de la profondeur de sa personnalité…
Le jeune homme répéta sans s’en rendre compte des propos que lui avait tenus Evan lorsqu’il l’avait croisé pour la deuxième fois. La première fois, il lui avait mis une raclée après que cet abruti lui eut lancé une voiture flottante sur le crâne parce qu’il avait refusé qu’il s’approche de Charlaine. A l’époque on aurait dit un papillon qui recherchait désespérément de la lumière. Il n’avait même pas d’amis dans l’Institut des Trois Ordres. A ses yeux, il n’était qu’un ma’nkel chanceux d’avoir un neshir Impérial. Cela s’était reproduit deux autres fois lors de la Cérémonie de l’Association dans la Forêt des Soupirs. Jahandar et Joaquin. Mais à ses yeux, Evan n’était quand même qu’un ma’nkel. D’autant que parmi tous les neshirs Impériaux, il avait eu le malheur d’hériter de l’un des deux maudits, ce qui a ses yeux en faisaient quelqu’un de peu fréquentable et il refusait qu’il se lie d’amitié avec Charlaine parce qu’il avait peur qu’il la corrompît. Quand il y repensait, il se rendait encore plus compte qu’il était un sacré abruti sans cervelle, pas mieux que Lucas et sa clique. Il l’avait recroisé quelques jours plus tard, entouré par un groupe Sha’Daigan, dont un grand nombre n’avait que des neshirs Royaux. Ils crevaient de jalousie et le trouvaient bien trop arrogant. En même temps, ils l’insultait à cause des rumeurs qui couraient sur le Yen’doshushim. Bien entendu, le Trio Infernal était du nombre. Jahandar et Joaquin observaient la scène d’un œil intéressé. Ils étaient assis sous un chêne, adossés au tronc, à l’écart des Sha’Daigan. Keiji s’était frayé un chemin au milieu d’eux et il avait entendu Evan prononcer cette citation.
J’estime que la valeur d’un homme ne dépend pas uniquement du sang qui coule dans ses veines mais de la valeur de ses actes et de la profondeur de sa personnalité…
Evan l’avait alors remarqué. C’était là que Keiji avait compris que le ma’nkel serait un adversaire redoutable. Il n’y avait aucune peur. Il ne le craignait pas alors qu’il lui avait filé une bonne raclée, alors qu’il l’avait humilié quelques jours plus tôt. Keiji avait perçu une rare intelligence luire dans son regard onyx. Evan lui avait alors dit :
Tu savais que c’était ton ancêtre qui l’avait dit, Aki Asano, le Shogun au Soleil Noir, lors du Conseil de l’Ordre et de la Paix qui a suivi la fin de la Guerre de l’Éclipse.
Evan avait ensuite eu un de ses sourires charmants et contagieux avant de continuer :
Je l’ai lu hier, et ça m’est resté dans la tête. Toi qui es son descendant direct, tu es censé être l’héritier et le garant de son héritage et de sa pensée, non ? J’aimerai bien savoir ce que tu en penses.
Il n’avait que huit ans à l’époque. Cela lui avait fait un choc, à la fois la profondeur des paroles, la référence que lui-même ignorait mais surtout de tomber sur quelqu’un qui d’un point de vue intellectuel lui était visiblement similaire. Les nombreuses parties de jeu de Go lui avaient permis de se figurer à quel point il ne s’était pas trompé à son sujet. Keiji vit un sourire flotter sur les lèvres de son père tandis que le Haut Centurion accueillait ses dires avec un scepticisme et un mépris non dissimulé.
— Mais le sang, protesta-t-il.
— Et que lorsque l’on hérite d’un Sang, continua Keiji. D’un nom et d’une renommée, on se doit d’agir afin d’honorer cet héritage.
Robert secoua lentement la tête, la commissure des lèvres tirant vers le bas comme si ses propos avaient laissé une amertume sur sa langue.
— Certes… mais tout de même, c’est une bien étrange manière de penser. Nous sommes plus que des hommes, nous sommes des Fils des Cendres, certains d’entre nous sommes des descendants des Sangs d’Airain qui ont mis un terme aux Années du Chaos. Nous sommes supérieures aux autres hommes. Les seuls capables de vaincre Muishan’alm’er lors de son avènement.
Keiji sentit le regard de sa mère dans le creux de son dos lorsqu’il vit son père lancer un regard en coin en sa direction. Il se tut donc. Il avait suffisamment de chose à régler alors il valait mieux éviter de l’avoir sur le dos pendant une semaine.
— Mais c’est généreux de ta part de lui apporter ton soutien, toi un héritier des Innomés et Dernier Témoin du Sang d’Asano. J’ai cru comprendre qu’il était un bon ami à toi mais laisse-moi te prodiguer ce conseil. De la ferraille ne sera jamais bonne à rien et ne constituera jamais un outil fiable alors quitte à t’entourer d’amis. Entoure-toi bien ! De bons et valeureux Sha’Daigan qui constitueront ta garde. Les Olympeons sont faits aussi pour cela.
Etait-ce la raison pour laquelle sa mère avait voulu inviter le Haut Centurion ? Afin de lui faire passer un message. Lui montrer la voie qu’il devrait désormais suivre maintenant qu’il était le Dernier Témoin. Se constituer un cercle de jeunes Sangs d’Acier qui lui garantiront le soutien de leur famille et lui permettront de s’affirmer rapidement au sein du Noguem dès son entrée à Nosce ? Sa mère n’avait jamais manifesté la moindre défiance ou antipathie envers Evan. Elle l’avait toujours considérée avec une bienveillance réelle mais néanmoins distante mais alors qu’il lui avait dit qu’il avait invité Evan pour la fête des Cristaux, l’hiver dernier, afin qu’il ne la passe pas seul dans son penthouse à cause de l’absence de Princeton, elle n’avait pas été aussi avenante que d’habitude. Probablement à cause du fait qu’il n’était plus l’amalia de l’héritière des Harlec et que donc, il n’avait plus la même position dans l’échelle sociale. Il ne s’en était pas formalisé. D’autant que lors des réjouissances, rien dans son attitude n’avait suggéré que sa présence était malvenue. Mais cela ne voulait rien dire lorsque l’on en venait à sa mère.
— Par ailleurs, dit brusquement le Haut Centurion en fixant d’un air atterré le plateau car il perdait la partie. Une ourse n’accouche pas d’une brebis comme on dit par chez moi. Il tient tout simplement de son magister primigenius qui est aussi celui qui l’a élevé. Le Tueur de Dragons Noirs. Ce ma’nkel n’a aucun respect pour les Sha’Daigan. Il est convaincu d’être notre égale, ce bout de ferraille. C’est pour cela qu’il ne sera jamais plus que Haut Centurion.
— J’ai cru entendre dire, murmura Akihito d’un air songeur les yeux toujours fixés sur le plateau. Qu’il serait plus puissant que le Titan Foudroyant en personne.
Robert Karlfeldt eut un éclat de rire méprisant et cracha d’un ton dégoulinant de dédain :
— Ce ne sont que des rumeurs, rien de plus. Si cet homme était plus puissant que l’Aurarque de la fédération de Washington, Ishanaeim, le Roi des Fulgators, Cassius Thunderwalker, ça se saurait. Et il serait plus qu’un Haut Centurion. Je doute qu’il soit même plus puissant que moi.
Il ricana de plus belle et son rictus s’évanouit lorsque le père de Keiji posa une pierre sur le plateau.
— J’ai aussi entendu dire qu’Heredogar lui avait fait plusieurs propositions dont celle de l’élevé au rang de Seigneur mais qu’il avait décliné l’offre…
Le Haut Centurion ne souriait plus. Il se gratta la tête, les doigts nerveux, en fixant avec un regard soutenu le plateau puis soupira en s’adossant au dossier de son fauteuil, l’air contrarié. Mais il eut un sourire forcé lorsqu’il admit à contrecœur.
— Je m’avoue vaincu… Ce qui n’est pas très courant. Mais en même temps qu’est-ce qui m’a pris d’accepter de jouer contre un magister scientis. Le résultat était couru d’avance.
Keiji eut un sourire satisfait que Robert remarqua et il se rembrunit davantage en le fixant de son regard glaçant. Il n’avait pas relevé les derniers propos de son père sur Princeton. Ce qui signifiait que c’était probablement vrai et que Robert n’était qu’un affabulateur lorsqu’il prétendait être aussi puissant que Princeton Jones, l’Amérindien et que ce dernier ne pouvait pas s’élever au-delà du grade de Haut Centurion. Il devait sûrement crever de jalousie à l’égard de ce dernier. D’autant qu’il n’était qu’un ma’nkel, comme Evan.
— Vous avez été un adversaire honorable, lui assura son père même si Keiji était convaincu qu’il avait fait exprès de laisser la partie durer plus de cinq minutes car à sa place, cela ne lui aurait pas pris plus de trois minutes.
Le Dernier Témoin du Sang d’Asano se désintéressa de la discussion que débutèrent les deux hommes. Et il braqua un regard voilé sur les flammes qui l’hypnotisaient de leur ballet fluide et fascinant.
Evan n’avait cessé de commettre des erreurs depuis qu’il avait eu son premier épisode qu’il avait pris soin de cacher à ses meilleurs amis – Une décision vraiment stupide – et désormais, cet abruti allait s’en mordre les doigts lorsqu’il se prendrait le retour de flamme en plein visage. Ce qui avait déjà commencé avec le coup tordu de l’ancien magister magnus lors de l’Assemblée des Champions. Evan devait désormais marcher en regardant constamment derrière lui. Même s’il semblait s’être repris, Keiji était inquiet malgré tout.
Tant qu’il aurait les pilules, son moral serait au beau fixe, mais dès qu’il n’en aurait plus, il plongerait de nouveau comme avant. Il redeviendrait imprévisible et commettrait des erreurs qui empireraient la situation, si cela était possible. Si seulement Charlaine parvenait à trouver un moyen d’éradiquer le problème de vieillissement de son Kar’Cirkaem… Il espérait qu’il avait compris son message la dernière fois qu’il lui en avait parlé dans son locus. Il l’espérait…
Ils ne trouvaient le Baron nulle part. Il avait payé plusieurs autres détectives pour le chercher ainsi que Franz Parker mais ça ne donnait rien.
Il soupira et murmura d’une voix morne :
— Sha’Sofu…
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