— Maître Heredogar, répondit le magister magnus en détournant légèrement le regard.
Le jeune homme était sidéré. La seule personne qu’un magister qualifiait de « maître » lorsqu’il s’adressait à lui était son magister primigenius. Celui qui lui avait enseigné le neshirinshi.
— Qu’est-ce que tout ceci signifie ?
— Eh bien, je ne faisais que conduire le détenu Evan Jameson Kupenda à l’Île Morte. En tant que déserteur son châtiment est le Fer. Par ailleurs le Grand Exécuteur veut faire de lui son Kharon. S’il réussit l’Épreuve du Roi, bien sûr.
— Combien de temps s’est-il « absenté » ? Où l’as-tu retrouvé ? La Forêt au Luciole ? La Plaine Cendrée ?
— Eh bien, dans la cité, alors qu’il rentrait. Ce sont les Garde-Muraille qui l’ont arrêté sur mon ordre.
— Un déserteur qui revient dans sa cité… Drôle de façon de déserter… Depuis combien de temps ?
— Un jour et demi…
— La durée légale n’est-elle pas de deux jours ?
— C’était un cas particulier.
— Je vois.
Il se retourna vers lui et demanda :
— Es-tu un déserteur ?
— Oui, répondit Evan sans détour en soutenant le regard d’Heredogar.
— Pourquoi es-tu revenu ?
— J’ai changé d’avis, répondit-il simplement.
Le 3ème Imperator des Deux-Frances marcha jusqu’à la Demi-Lune fit pivoter le siège occupé précédemment par la Plume de Fer, un individu à l’air quelconque et au regard froid et vide qui regardait droit devant lui, immobile, et il s’assit. Les deux ignemshirs qui accompagnait Lucius Heredogar le rejoignirent, silencieux et se tinrent de part et d’autre de l’Imperator. Il émanait de lui une telle aura que même sans qu’il relâche son atmosphaira, il dominait tout le monde dans l’icare. Il était puissant. C’était un fait et il le savait. Il était vêtu d’une armure shirag sculpté de plumes noir moirée aux reflets verts et or semblable à des écailles. Les deux autres étaient vêtu de la même manière à l’exception qu’un Ul’Cirkaem doré chatoyait au niveau du cœur de l’Imperator, les leur étaient de la couleur du bronze. Des généraux. Lucius se tenait dans son siège comme un homme habitué à se tenir sur un trône, ce qui était le cas vu qu’il était le Shedim de Lugdunum.
— Pourquoi n’est-il pas menotté, Lancelot ? Comment est-ce que sous ta garde un alumnus qui vient de perdre son titulus et dont les résultats chutes depuis plusieurs mois a pu récupérer son pandore. Vu d’ici on dirait qu’il s’apprêtait à se faire la malle.
— Je… commença Evan, mal à l’aise.
— Silence ! déserteur, lui somma-t-il avec froideur.
Evan sentit son estomac se nouer. C’était de pire en pire. Et d’ailleurs, qu’est-ce qui avait amené le 3ème Imperator à venir ici ?
— Je ne peux pas te laisser faire ce que tu t’apprêtais à faire.
— Il s’est enfuit de la cité… Le seul châtiment que mérite un déserteur, c’est la mort, dit le magister magnus avec une voix suintant de colère et mépris.
— Je vais fermer les yeux sur cela…
— Mais…
— Lancelot, grogna l’Imperator.
L’atmosphère sembla se densifié et Evan eu brièvement des difficultés à respirer. Une émanation de l’atmosphaira de l’Imperator… Son atmosphaira avait quelque chose de différent. Une texture primitive, ancienne et indomptable. Comme les forces de la nature. Comme celle de Rayn Harlec. Cette différence fondamentale faisait que jamais il n’oserait combattre un adversaire de sa stature. Parce que contrairement aux magistri princeps et Lancelot Dreiven, Evan savait qu’avec lui, il ne tiendrait pas une seconde. Certainement pas cinq estocades. Pas une seule seconde.
— Tu ne l’emmenais pas chez le Grand Exécuteur puisque tu lui as dit que tu l’emmènerais demain et non aujourd’hui. L’Aveugle serait très contrarié s’il apprenait que tu as outrepassé tes droits et que tu l’as privé de ce qu’il estime lui revenir. Tous les alumnus déserteurs appartiennent au Fer. Cela fait partir des lois du Codex Shirin. Ceux qui sont inutiles, on les décapite mais ceux qui peuvent encore avoir une utilité, le Fer en fait ce qu’il veut.
Le magister magnus ne dit rien mais il serra son poing si fort qu’il trembla légèrement. Le regard d’Heredogar revint sur Evan.
— Néanmoins, étant donné qu’il est revenu avant les deux jours, il ne peut pas être considéré comme un déserteur. C’est aussi écrit noir sur blanc dans le Codex Shirin
Evan se figea. Il fouilla dans son palais mental et rechercha l’information en question. Cela était vrai… Comment avait-il pu obéir docilement au lieu de vérifier ce qu’il en était réellement. C’était bien beau d’avoir retenu le Codex Shirin si c’était pour que la seule fois où il en avait vraiment eu besoin, il ne se soit pas donné la peine de s’en servir. Sa stupidité n’avait donc aucune limite ? Il savait pour les deux jours, mais il avait oublié que c’était une condition nécessaire au statut de déserteur et qu’il ne suffisait pas qu’on l’ait désigné comme tel pour qu’il le soit vraiment.
— En clair, tu as enfreint le Codex Shirin.
Lorsque Lucius prononça ces mots, la Plume de Fer se tourna vers Lancelot Dreiven et dit d’une voix confuse, son regard vide :
— Vous… Vous m’avez fait enfreindre le Codex. Vous m’avez menti…
Il appartenait à la division des Gardiens du corps des Plumes de Fer. Sur sa poitrine, une clé grise sur un disque violet était cousue. Il saisit son neshir et se mit à genou. Il suait comme s’il avait fait subitement dix degrés de plus dans l’habitacle. Il posa la partie supérieure de son neshir au niveau de son Ul’Cirkaem gris avant de lever vers le magister magnus, un regard désespéré puis il sembla fixé un point devant lui avant qu’il ne serre ses doigts autour de la poignée. De la fumée noir, blanche et rouge apparut en tourbillonnant avant de se matérialiser en une la lame ensanglantée qui lui transperçait le cœur. Une écœurante odeur de brûlé envahit l’habitacle.
La Plume de Fer tomba sur le côté, le regard sans vie alors que la lame de son neshir Plébéien se vaporisait dans l’air et que des yeux du faucon en constituant le pommeau coulèrent alors des larmes mordorées. Evan en lâcha son pandore, horrifié par ce à quoi il venait d’assister. Dans son cœur des sentiments différents, tous plus puissants les uns que les autres se faisaient la guerre. Il s’écria alors, remplit de colère et d’indignation, oubliant le statut de tous ceux qui étaient présents ainsi que sa propre situation :
— Pourquoi ? Vous… vous l’avez tué ! vous… C’était… C’était un Fils des Cendres… un Cereshir… Pourquoi ne l’avez-vous pas arrêté ? Pourquoi le dire si vous saviez qu’il finirait par faire Hokein’aki ? …
L’Imperator n’avait même pas regardé en direction de la Plume de Fer. Il en avait été de même pour ses deux généraux. Seul Lancelot l’avait regardé faire avec son étrange regard mélancolique.
— Silence ! lui ordonna Lucius en posant sur lui ses deux saphirs brûlant. Je devrais te faire décapiter pour avoir osé t’adresser à moi ainsi, misérable alumnus !
Evan soutint son regard tandis qu’une rage intense s’emparait progressivement de lui. Une cité sans muraille, Evan… la voix de Princeton résonnait dans son esprit. Il réussit à se calmer assez pour ne pas faire quelque chose de stupide.
Ce qu’il venait de voir lui donnait envie de vomir. Etait-ce donc là ce qu’était le Noguem ? Etait-ce ainsi que Lukeni voyait devenir l’Ordre qu’il avait dirigé en tant que Seigneur Jovien ? Le pire était que ce n’était pas même pas comme si ceux responsables de l’état du Noguem et de la manière dont on traitait les Fils des Cendres étaient des eretsins, non c’était eux-mêmes des Fils de Cendres. Des Sha’Daigan et des Sha’Genji qui se servaient de la position, de la supériorité que leur sang leur accordait pour le faire. Et il le faisait à tous, même à leur propre progéniture, au nom de la protection de l’Humanité.
Une sorte de justice implacable.
Si seulement on leur donnait au moins le choix. Mais le Tri devait toujours continuer. Le Codex Shirin devait toujours être respecté. La mort de cette Plume de Fer n’avait servi à rien… Rien du tout. L’ignemshir n’avait rien demandé. Il était né Compatible et certaines circonstances l’avait conduit chez les Plumes de Fer… Tout cela lui donnait la nausée. Le Chuchoteur avait raison. Il voulait s’éloigner le plus loin possible de ces gens.
— Il était déjà condamné, dit Lucius d’une voix étonnamment triste. Je lui ai simplement évité de passer par un châtiment bien plus douloureux. Tu ne le sais peut-être pas, mais les Gardiens ne peuvent pas enfreindre le Codex Shirin. Il s’en serait rendu compte d’une manière ou d’une autre et si cela avait été sur l’île Morte, il aurait souffert le martyr. Crois-moi, je lui ai rendu un énorme service. Celui responsable de sa mort, c’est toi Lancelot.
Il regarda durement son discipulus avant de dire :
— Tu me déshonores, Lancelot. C’est sur mon nom que tu jettes l’opprobre par cette attitude irréfléchie et criminelle. Ton bras, je veux ton bras en dédommagement pour cette vie que tu as prise, et celle que tu t’apprêtais à prendre. Tu te retiras également de ta position de magister magnus et tu seras exilé des Deux-Frances et condamné pendant cinq années aux Ruches du Fort du Dragon. Et c’est uniquement par égard pour les services que tu as rendu au Noguem, que je ne te coupe pas la tête.
Evan n’en crut pas ses oreilles. Il ne se serait pas attendu à ce que les évènements s’enchaînent de cette façon. Le magister magnus baissa légèrement la tête, les poings serrés.
— Vous, commença-t-il. Vous avez toujours eu une préférence pour ce déchet.
— Cela est inexacte, Lancelot. Si Princeton était meilleur que toi, je n’en suis pas responsable. S’il est celui qu’elle a choisis, je n’en suis pas responsable non plus.
— Il détruit et corrompe tout ce qu’il touche… continua Lancelot avec amertume.
L’Imperator posa ensuite son regard sur lui. Princeton avait été le discipulus d’Heredogar ? Il l’ignorait. Il ne lui avait jamais dit qui était celui qui lui avait enseigné le neshirinshi et Evan n’avait jamais cherché à savoir. Sa sentence s’apprêtait à tomber également. Il n’était pas vraiment un déserteur, il n’avait rien fait de mal à proprement parlé. Il devrait donc s’en sortir sans rien.
— Tu as admis avoir déserté. Tu as quitté ta cité avec la ferme intention de t’enfuir puis tu as changé d’avis. Savoir revenir en arrière lorsque l’on a tort est une qualité. Néanmoins, cette attitude cache quelque chose d’autre. Tu n’as pas le cœur d’un véritable ignemshir. Tu n’es pas mu par le désir de mettre ta vie au service de la survie de l’Humanité, de saigner et mourir pour sa protection. Et cela est un grand tort, Evan Kupenda. Quasiment pire que celui d’avoir voulu déserter.
Evan eut subitement la gorge sèche.
— Princeton a échoué en cela. T’inculquer cette vertue fondamentale qu’est l’abnégation.
Il le regarda pensivement :
— Peut-être que les Plumes de Fer te conviendrait…
Evan sentit son estomac se nouer. Son cauchemar ne s’arrêterait donc jamais ?
— Je vais te laisser le choix. Soit on t’envoie demain auprès du Grand Exécuteur, soit je demande à un de mes deux généraux de te défier. Si tu survies à la première estocade en réussissant à la parer ou la dévier. Tu rentreras chez toi, réintégreras Kiona Paine et ta place dans le primum agmen, mais dans le cas contraire, eh bien… Tu mourras.
Le jeune homme réfléchit à peine avant de prendre sa décision :
— Je choisis le duel.
Il choisirait toujours le duel.
Proelis r’ael o’l kazar.
L’Imperator soupira et dit :
— Je lui ai promis de veiller sur toi pendant son absence, si jamais tu te retrouvais dans une situation dont tu ne pourrais te sortir seul, sans son aide. J’aurais fait tout mon possible, tout en restant juste.
Princeton avait demandé à l’Imperator de veiller sur lui ? Cela lui fit plaisir de le savoir. Même à des milliers de kilomètres, Princeton prenait soin de lui comme il le pouvait. De toutes les manières, il s’était fichu dans ce pétrin tout seul. Il était légitime qu’il en porte lui-même la responsabilité.
Evan regarda son pandore avec hésitation.
— Prends ton neshir, Fils des Cendres, lui dit le général qui se tenait à la droite de l’Imperator. Mon nom est Nazar Kundo.
Il avait le crâne rasé, la peau bistrée et un œil bionique, son gauche, qui luisait d’une lueur verte. Evan s’accroupit, ouvrit le pandore et prit Wazushendi. Sentir sa forme familière et son poids dans sa paume le remplit d’assurance. Il se surprit à sourire et en levant les yeux, il croisa ceux d’Heredogar qui l’observait avec intensité. Evan se redressa et fit fasse à son adversaire qui s’était avancé.
— De mes cendres, je surgirais, toujours, fit Evan en réalisant le siendrar avant de prendre la posture du Lion.
— Je suis l’héritier de la terre, du feu et de l’acier, répondit le général en faisant l’heraes.
Donc ce dernier était un magister, il avait déjà entraîné un disciple sans quoi, il n’aurait jamais fait l’heraes. Evan sentit l’atmosphaira de son adversaire se répandre dans l’habitacle. Il se tenait au Brasier. Evan avait du mal à s’empêcher de trembler même s’il était au Crépuscule. Nazar Kundo fondit sur lui, Evan redescendit immédiatement au Vide, voyant le sable du désert se rassembler au centre du cyclone pour former la fresque et ce qu’elle représentait. Il exploita le Voile des Ombres et même s’il avait l’impression que son corps pesait des tonnes, il savait que pendant une seconde les sens de son adversaire seraient perturbés et comme attendu, la lame du général fendit l’air, le manquant de quelques millimètres. Nazar Kundo l’avait sous-estimé. C’était ce qui venait de lui sauver la vie. Le jeune homme vit passer sur le visage du général onyx une franche surprise suivit d’une brève colère lorsqu’il se rendit compte de ce qui venait de se produire mais il ne tenta pas de lui porter un second coup, qui aurait assurément touché sa cible.
— Bien, fit Heredogar. Tu es donc libre de… Lancelot ! Nazar arrête-le !
Evan sentit quelque chose de froid dans sa poitrine. Et une violente douleur. Il crut d’abords qu’il avait une crise mais quand il baissa la tête, il vit une lame sanglante qui jaillissait de sa poitrine. Etait-ce… son sang ?
Soudain, une explosion embrasa l’habitacle. Il eut juste le temps d’apercevoir le regard fou du magister magnus qui tenait l’épée qui était planté dans son dos et les flammes qui lui léchaient les bras et un côté du visage, Nazar qui plongeait son neshir vers lui, Heredogar dont les yeux devenaient gris et il retomba lourdement sur le sol d’une pièce silencieuse.
Son regard tomba sur ce qui ressemblait à un bras sectionné tenant fermement un neshir. Il se surprit à penser que Lancelot avait eu son châtiment malgré tout. Même s’il perdait connaissance, il reconnut sa chambre à cause de l’odeur de rose sauvage de Sumatra et son plafond familier. Sa vue se troublait tandis que son corps était parcouru de spasme. La silhouette au-dessus de lui était familière et même sa voix lointaine et déformée… Et puis, plus rien.
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