Evan, le visage aussi dur qu’un rocher fixait l’androïde, ses pupilles d’onyx brûlantes.
— Charlaine, fit-il d’une voix glacée. Pars. Tout de suite.
Il était de nouveau lui-même. Elle ne put s’empêcher d’être soulager mais d’habitude, il ne l’appelait jamais par son prénom. Toujours le diminutif. Que se passait-il ? Et d’où venait l’androïde de guerre ? Quel était le lien qui l’unissait à Evan car celui qui le contrôlait prétendait être une vielle connaissance. Elle essaya de se relever mais la peur mélanger aux effets de son atmosphaira la rivait au sol. Elle tira son R-Tatoo de la poche de son pantalon pour connaître la position du Point de l’Être de son Kar’Cirkaem sur le Cercle de l’Univers et elle constata qu’il était au-delà du Crépuscule. C’était la première fois qu’elle voyait de ses yeux un alumnus de sa promotion briser la Barrière d’On’el Ke’Issin.
— C’est rude de ta part de m’ignorer ainsi.
— Disparaît, répondit-il. Je ne te laisserai pas lui faire de mal.
— Elle t’éloigne de ta destination.
— C’était donc toi, gronda Evan avant de fondre sur l’Ojin.
— Evan ! arrête ! Tu ne peux pas… glapit-elle.
Il allait être réduit en bouillie par l’androïde de guerre. Il existait plusieurs séries. Celle-ci était l’une des plus ancienne. Si elle ne se trompait, androïde de la série Imperio 2000 avaient la vitesse, la force et la fluidité d’un magister de neshirinshi se tenant au Crépuscule. Deux sabres sortirent du dos de l’androïde masqué aux allures de squelette géant. Il les tira au clair et para l’épée d’Evan avant de contre-attaquer. Ils échangèrent plusieurs estocades au milieu d’étincelle. Son ami était désavantagé et reculait face à l’assaut de l’Ojin qui le dominait par sa taille.
Soudain l’Ojin pivota sur lui-même et frappa Evan d’un coup de pied retourné. Il vola littéralement et heurta violemment le tronc d’un sapin-roi avant de tomber sur les genoux, le visage déformé par la douleur, au milieu d’une éphémère pluie de neige venu des branches supérieures.
— Tant de fougue, murmura l’Ojin, sarcastique. Tu devrais réfléchir avant d’agir. Tu ne peux rien contre moi.
Soudain l’atmosphaira d’Evan disparut.
— Bien, tu comprends bien plus facilement les choses que je ne l’aurais cru. Je pensais devoir te briser quelques os avant que ça ne rentre, mais ça me va aussi.
Elle regarda de nouveau son R-Tatoo, et vit qu’Evan n’était pas au vide, la flèche du Compteur Swordsteen pointait en dehors du Croissant de Feu. Il n’y avait rien à cet endroit et d’ailleurs, aucun ignemshir ne pouvait se soustraire à l’emprise de l’On’el Kagar. Cela reviendrait à être capable de voler pour un être humain, d’échapper à la force de gravitation par sa seule volonté. C’était impossible. Visiblement son compteur était cassé. Sans savoir pourquoi, la jeune fille eut tout de même un doute.
L’Ojin se dirigea vers elle d’une démarche féline.
— Charlaine Amber Mitchel, la pathochrome, fit la voix humaine avec une étonnante douceur. Certain son convaincu qu’il n’y avait plus eu d’esprit aussi brillant que le tien depuis plusieurs siècles. Abstraction faîte de ce bon vieux Kani et ce taré de Parker. Ta mort sera une grande perte pour Skiantem, comme les leurs, et c’est d’autant plus tragique et regrettable que ce n’était pas prévue, et l’Existant sait comme je déteste dévier de mon calendrier. Mais les liens que vous partagez sont problématiques.
— Les… les liens ? balbutia-t-elle, les yeux baissés, en essayant de bouger mais ses muscles étaient devenus aussi dur et lourd que de la pierre.
— Plus que ces liens, c’est ta présence ici qui est dérangeante. Tu aurais dû rester bien au chaud dans la cité au lieu de t’aventurer dans ces contrées inhospitalières. Tes liens avec lui, azoraï, sont particuliers comme tu le sais. Ah ! cela me révulse de le faire, mais je n’ai pas d’autre choix que de me débarrasser de toi.
Charlaine leva des yeux apeurés vers l’androïde de guerre qui n’était plus qu’à un pas d’elles, ses deux sabres tirés. Il était si immense. Cauchemardesque avec ses allures de squelette décharné… son rictus agressif et ses dents pointus lui donnait la chair de poule et deux lueurs flamboyantes luisaient derrière les trous oculaires comme deux portes donnant sur les flammes éternelles des Infernos, dans les profondeurs de l’Abîme.
— Ne la touche pas, fumier ! gronda Evan en apparaissant juste à côté de l’Ojin et le frappant de toutes ses forces.
La jeune fille manqua de perdre connaissance à cause de son atmosphaira mais tint bon. L’Ojin fut repoussé sur le côté, le torse à moitié fendu par la lame de l’Empereur Déchu. Il riposta, déséquilibré, mais Evan évita agilement les deux lames et d’un coup de pied sauté, le repoussa encore plus loin et il s’écrasa dans la neige. Son aura neshirienne disparut de nouveau. Il lui saisit le bras et l’entraîna vers la voiture alors qu’elle émergeait du brouillard dans lequel son atmosphaira l’avait plongé, les jambes en coton.
— Pars ! Tout de suite, Charlie. Je ne pourrais pas le retenir indéfiniment.
— Si je pars, je sais que je ne te reverrai plus, balbutia-t-elle, désespérée. Je ne peux pas.
— Charlie ! cria-t-il d’une voix émue. Tu ne peux pas mourir, je ne peux pas le permettre. Surtout pas à cause de moi !
Il poussa un grognement rageur avant de faire demi-tour. Il poussa un cri terrible qui résonna comme un tonnerre en se mettant à courir vers l’Ojin qui fonçait sur eux. Evan était toujours au Vide. Mais que lui prenait-il ? Pourquoi ne remontait-il pas ? L’Ojin disparut et Charlaine le vit apparaître juste devant elle, la pointe des deux sabres plongeant vers sa poitrine. La lame d’un neshir traversa la poitrine de l’Ojin le coupant complètement en deux. Les deux bras, également tranchés, tournoyèrent et se plantèrent dans la carrosserie de son aérocar jaune. L’un des sabres lui fit une entaille au bras gauche. L’androïde s’écrasa avec un bruit sourd et demeura immobile dans la neige. Un liquide sombre coulait de sa partie inférieure. La jeune fille tremblait comme une feuille, encadrée comme elle était par les deux sabres funestes, interdite. Elle leva les yeux et vit Evan dont le neshir était auréolée d’une aura d’un étrange gris sombre luisant. Le visage toujours impassible mais les yeux brûlant d’une flamme obscure, il saisit la tête de l’Ojin auquel était encore attaché une partie de son buste, dégoulinante d’un fluide épais. Il se désagrégeait au niveau de la coupure.
Il la leva à hauteur de son visage et soudain, il hurla :
— Pensais-tu pouvoir me manipuler !... Pensais-tu… Ainsi, indéfiniment, crurent-ils pouvoir agir avec moi, ces satanées Reiishirins que moi, mes Cereshirs et nos Lunes, nous ne les réduisîmes à rien…
Mais que lui arrivait-il ? Cette manière de s’exprimer. Cette diction. On aurait dit un pionnier de Paris-la-Nouvelle, à l’époque de l’Aube Grise. Elle avait déjà regardé des vidéos dans la Salle des Archive de la Bibliothèque d’Ambre. Ils s’exprimaient tous avec ces intonations un peu pédantes. Evan grimaça en secouant la tête comme s’il essayait de se défaire d’un étau invisible.
— Mais… continua-t-il d’une voix plus faible, triste et brisé. Orion… Il s’est retourné contre moi… Le Pourfendeur du Ciel à retourner sa lame contre mes reflets. Aussi ! du ciel, je fondis vers la Terre, moi le Roi tombé du Ciel. Pour rétablir selon la volonté d’Elyakareim, la paix sur la Terre. Puisse-t-il m’accompagner dans mon périple et disposer de moi selon son bon vouloir… Oui ! Puisse-t-il !
Il grogna à nouveau faisant grincer sous ses doigts le métal du cou de l’Ojin. Comment pouvait-il avoir une telle force ?
— ...Le Seigneur des Mondes demeure le seul juge à la fin de toute chose, continua-t-il avec une intonation un peu plus semblable à ses contemporains mais pas tout à fait, et un ton plus posé. Il jugera. Les justes seront toujours victorieux, dans cette vie ou dans la suivante. Mais Elyakareim, ne connaît que la victoire et sa volonté transcende, le temps et l’espace.
Il haletait.
— Tu es beaucoup plus fort que prévu… Dit finalement l’Ojin d’une voix où perçait une véritable surprise. Far’endar I’ome. Impressionnant… Mais tu ne le maîtrise pas encore… Ni le Couphar. Rejoins-moi, et je te donnerai la puissance et la force que tu recherches !
— Es-tu le Chuchoteur ? Demanda-t-il brusquement.
Evan avait retrouvé sa propre diction. L’Ojin ne dit rien pendant quelques secondes avant de répondre :
— Rejoins-moi et je te ferais découvrir qui tu es vraiment. Une dimension de puissance, qui surpasse tout entendement.
— L’herboriste m’a dit de te faire confiance… mais une autre m’a dit l’inverse.
— Tous tes proches te tourneront le dos tôt ou tard. Et tu finiras seul, misérable et triste. Ce que je t’offre, crois-moi, aucun d’eux, ni même cette azoraï que tu chéris tant, ne pourra te l’offrir.
Evan ne répondit pas, il semblait troublé. Hésitant.
— Tu l’as vu, n’est-ce pas ? Tu as entendu le Requiem, tu as bu de l’eau du Fleuve, tu as vu ce qui t’attendait, n’est-ce pas ? Rejoins-moi, et jamais tu ne connaîtrais la solitude ! Peut-être est-ce pour cette raison que tu as vu ces choses.
Elle vit son ami qui petit à petit baissait la main enserrant le cou l’Ojin. Etait-il réellement en train de se laisser convaincre ? Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Elle ne devait pas laisser cet individu distiller son poison dans l’esprit d’Evan. Il était fragile, elle devait le protéger. Elle se rendit soudainement compte que les moignons de bras qui tenait les sabres avaient pratiquement disparu. Les sabres s’effritaient. A peine son bras effleura l’un d’entre eux qu’il tomba en poussière. La texture ressemblait plus à de la cendre. Elle enjamba la partie inférieure inerte de l’androïde et se rapprocha d’Evan en lui disant d’une voix suppliante :
— Ne l’écoute pas, Evan. Je t’en prie. Tu sais bien qu’on ne t’abandonnera jamais. Même si le reste du monde te tournait le dos, jamais Keiji et moi nous ne t’abandonnerions.
Il la regarda avec des yeux tristes, le visage défait.
— Il a raison… murmura-t-il. Ça arrivera. Je finirai seul… je l’ai vu…
— Je te donnerais le pouvoir de détruire le Noguem. N’est-ce pas là ton plus profond désir ? leur faire payer de t’avoir privé d’une liberté de choix. De cette paix et quiétude à laquelle tu as toujours aspiré.
— Si… c’est ce que je veux.
— Je te délivrerai de cette cage dorée, de ces mirages d’oasis dans ce désert de souffrance. Je te délivrerai de cette prison de solitude à laquelle tu es condamné ! Tout ce que tu as à faire, c’est me rejoindre. Tu connais la destination, au fond de toi.
— Evan, écoutes-moi s’il te plaît.
Elle lui prit le visage entre ses deux mains en plongeant son regard dans le sien :
— Jamais, lui dit-elle. Jamais je ne te tournerai le dos. Je suis bien venu ici, toute seule, n’est-ce pas ? J’ai risqué ma vie alors que je ne suis pas une ignemshir, je ne suis qu’une eretsin sans défense et je l’ai fait simplement pour te retrouver. Te ramener à temps. Parce que tu compteras toujours pour moi.
Un léger sourire apparut sur ses lèvres. Un sourire doux comme elle aimait les voir sur son charmant visage.
— Tu as raison. Excuse-moi.
— Ne l’écoute pas espèce d’idiot ! elle va te ramener à ta vie de servitude, refaire de toi un esclave du Noguem. Ne l’écoute…
— Disparaît ! Lui somma Evan et dans le même instant la tête de l’Ojin s’émietta sous ses doigts et il n’en resta qu’un tas de poussière grise.
Charlaine soupira de soulagement en le serrant contre elle alors qu’elle ne pouvait s’empêcher de sourire de toutes ses dents. Il lui rendit son étreinte mais brusquement ses jambes lâchèrent sous lui et il se retrouva à genou. Une profonde souffrance se lisait sur son visage. Elle s’accroupit, le soutenant pour ne pas qu’il s’effondre.
— Qu’est-ce que tu as ? Tu as mal où ?
Il transpirait à abondamment et tremblait. Il lâcha son neshir toujours auréolé d’une brume sombre. La neige à son contact sembla également devenir de la poussière grise, peut-être bien de la cendre.
— Crise… Parvint-il à articuler la mâchoire crispée et les yeux injectés de sang.
Il semblait lutter pour contrôler la douleur mais il souffrait terriblement. Elle n’avait rien à disposition qui aurait pu le calmer, alors elle l’enlaça en attendant que ça passe. La lame de son neshir se vaporisa. Environ cinq minutes plus tard, sa respiration s’apaisa. Il était trempé de sueur. Il se releva en acceptant son aide puis dit d’une voix faible :
— Merci, Charlie… Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans toi.
— Je ne sais pas non plus Evan… J’ai un demi-million de question à te poser…
— Je doute que je puisse y répondre. J’en ai probablement autant que toi à propos de ce qui vient de se passer. Quel jour sommes-nous ?
— Mardi… Répondit-elle à mi-voix.
— Je vois. Désolé pour… Tout… Il faut qu’on rentre au plus vite. Que je me repose le plus possible afin de pouvoir tenir le coup dans la Fourmilière cet après-midi. Le Magister Tambwe ne me ratera pas… mais ça devrait aller, tu es venu me chercher à temps.
Charlaine hocha la tête et ils marchèrent jusqu’à la voiture. Une fois qu’Evan se fut installé, la portière pivota vers le bas et se verrouilla. Elle prit place du côté conducteur mais une idée germa dans son esprit et elle ressortit rapidement, le gobelet de son thermos à la main. Elle contourna la voiture et vit qu’en lieu et place de la carcasse de l’Ojin, il n’y avait plus qu’un tas de poussière grise. Elle en remplit le gobelet pour pouvoir l’analyser plus tard puis reprit place dans la voiture. Était-ce à cause d’Evan que l’androïde s’était désintégré ? Probablement… Mais comment ? Cette étrange fumée grise en était sûrement responsable mais qu’est-ce que c’était ?
Evan avait-il réussi à incarner son neshir ? Non, ça ne ressemblait pas à un Brasier de Résurrection ou bien était-ce plutôt une Richesse d’un Point ? Rares étaient les alumni qui maîtrisaient les Richesses. C’était une manipulation de l’Air de très haut niveau qui parfois pouvait influer sur l’Étincelle. Elle n’y comprenait rien. Il venait de vaincre un Ojin. Elle ne connaissait aucun alumnus qui fut capable de faire cela.
Les pilules peut-être ?
Alors qu’ils s’en retournaient à Paris-la-Nouvelle, tout au long du trajet, Evan resta silencieux, se contentant de fixer les Ruines, le regard ensommeillé. Néanmoins, ses prunelles brillaient toujours de cet intérêt particulier qu’elles suscitaient chez lui. Cette sorte de fascination pour la destruction et le chaos. Il était bel et bien de nouveau lui-même. La jeune fille était convaincue qu’il s’imaginait sûrement les photos qu’il pourrait prendre. Les angles adéquats, la luminosité optimale… Alors qu’ils étaient sur le point d’arriver au poste de contrôle des Plumes de Terre, un drone sphérique silencieux scanna sa voiture. Charlaine se tourna vers lui, éprouvant un besoin irrésistible de le rassurer à nouveau.
— Sois sûr d’une chose, Evan, lui dit-elle posant une main sur la sienne. Les liens qui nous unissent dureront éternellement.
— Oui, répéta-t-il en fermant les yeux avec un léger sourire. Éternellement.
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