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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 47 « Garoway » tome 1, Chapitre 47

Il leva les yeux, alors qu’il fixait pensivement le sol du couloir et vit son hôte, immobile en face de lui, qui le regardait avec un sourire engageant.

— Ça fait des années que je ne l’ai plus entendu, Falda me le lisait tout le temps avant de dormir. C’était effrayant, mais j’aimais bien.

— Je déteste ce conte… marmonna Evan à moitié dans ses pensées, le regard dans le vague.

— Alors pourquoi le récites-tu ? Demanda Jeff, confus.

Evan haussa les épaules et le sourire de Jeff disparût.

— Tu t’en allais, n’est-ce pas ? Tu devrais rester.

Sans blague ?

Evan se demandait qu’est-ce que Jeff avait derrière la tête pour tenir autant à ce qu’il reste. Il avait du mal à croire que ce fût simplement pour raffermir leurs liens amicaux. En tout cas, il semblait vexé qu’il s’en aille déjà. Son regard brun et froid le fixait avec une pointe de regret. En même temps, Jeff n’était pas comme Lucas et sa bande. Il avait un certain sens de la justice et il retrouvait chez lui le même genre de loyauté qu’il voyait en Keiji. Il était de ces rares Sha’Daigan dont le statut ne leur était pas complètement monté à la tête mais juste un tout petit peu.

— Merci pour l’invitation, mais je dois t’avouer que…

— Tu t’ennuies ? Coupa-t-il. Je suis justement là pour y remédier, compléta-t-il en lui montrant un ballon de garoway ovale gris clair, l’air satisfait.

Ce fut à ce moment que Keiji fit une entrée remarquée, entouré d’une demi-douzaine de filles, en hurlant des mots qu’Evan comprit à peine. Il se demanda d’ailleurs s’il parlait français, japonais ou solominon. Ou les trois à la fois. De manière générale, personne ne parlait le solominon en dehors des salomens entre eux mais Keiji pouvait le faire quand ça lui prenait parce qu’il l’avait appris après avoir passé six mois dans le célèbre monastère Eol du Sagolem à soixante kilomètres de la cité de Quinchu, dans l’Union Quin au sein du Phœnix Marmoréen.

Il s’avéra que c’était une version improvisée de la langue sacrée qu’il beuglait à tue-tête comme un ivrogne. Evan le comprenait également. S’il continuait, il allait s’attirer les foudres des quelques salomens présents. Les filles l’accompagnant riaient d’ailleurs. Visiblement, elles l’avaient toutes trouvé de charmante compagnie. Elles semblaient subjuguées. Et ce n’était pas peu dire.

— Et en plus, ton pote est arrivé, lui dit Jeff avec un clin d’œil avant de le laisser.

Quand il arriva à son niveau, Keiji lui fit un sourire satisfait, et les deux filles qui étaient restée à ses côtés et qu’Evan ne se souvenait pas avoir déjà rencontré, le laissèrent finalement comme les autres. L’une d’entre elles avec de longs cils et des jolis yeux verts, lui sourit avant de suivre les autres filles. Elles gloussaient et jetaient des regards à Keiji mais il se rendit compte que certains étaient à son attention.

— Des Sangs de Fer, lui dit-il pour répondre à sa question silencieuse en tirant paresseusement sur son élégante veste shirag en tweed bleu, vert et noir. Elles sont là pour le week-end. Des filles des Hauts Centurions qui sont des amis de mon grand-père. Elles viennent d’un peu partout. Corsica, New-Washington, Néo-Tokyo et j’en passe.

— Je vois. Et tu t’es gentiment proposé pour leur faire visiter la ville ? fit son ami en lui lançant un sourire taquin.

— On va dire ça.

Il desserra son nœud grand-duc, un nœud qui avait la forme d’un oiseau aux ailes déployées, agrémentée d’une broche argentée, et l’enleva. Il défit ensuite les deux premiers boutons de sa chemise blanche.

— Je déteste ces trucs, fit-il. Ma mère est assez conservatrice avec tout ça. Brunch chez un Sha’Daigan. Image de la famille. Tout ça. Beau nœud grand-duc par ailleurs. Tu es toujours aussi doué pour agencer les couleurs. Ton âme de peintre sûrement.

Evan secoua la tête en souriant. Son ami plissa ses yeux perçants et lui chuchota l’air de quelqu’un lui révélant un grand secret :

— Comme ma mère galère, mon vieux grand-père essaye à son tour, par tous les moyens de me caser. Avec la bénédiction de ma mère bien entendu. Mon père s’en fiche un peu et ça énerve ma mère. Bref, c’est franchement l’enfer à la maison.

— Je vois, lui répondit Evan amusé. Ce doit être sacrément difficile d’être Keiji Endo.

— M’en parle pas. Et comme je suis partageur vu qu’on est dans le même bateau, n’hésite pas. Elles sont toutes dispos et franchement sympas. Du genre, sérieuse mais pas trop, pas trop imbue d’elles-mêmes non plus et d’une relative intelligence, je crois.

— Une relative intelligence ?

— Voyons, par rapport à ton esprit et le mien, le monde est rempli d’individus à l’intelligence relative.

— La Regina nous a roulés dans la farine… Tous les deux...

— Elle ne compte pas, fit sèchement Keiji, son regard se faisant plus froid. Nora est… particulière.

— En tout cas, ton humilité a été et sera toujours ta principale et ta plus grande qualité.

— Merci, répondit-il en affectant un air ému, son visage s’adoucissant. Enfin bref, elles remplissent tes principaux standards. Alors choisis-en une et va te fonder une petite famille, ça te rendra moins lugubre et dissipera en même temps le nuage de désespoir et de pensées suicidaires qui t’environne en permanence. Il paraît qu’avoir un enfant redonne le goût de vivre.

— Mais est-ce que tu t’entends ?

Keiji sourit l’air de rien et continua en disant :

— Tu l’ignores peut-être mais tu as la côte. Les gens ont beau mettre en avant Tessa mais tu es un Impérial, un Auctoriteon et tes exploits au garoway font parler de toi.

Il lui tapota la poitrine avec le dos de la main et affirma en prenant un ton rassurant

— T’inquiète, tu trouveras.

Evan eut un sourire morne :

— Je ne pense pas. Pas tout de suite en tout cas. Je ne suis pas comme toi, Kei. Je ne pourrais pas leur faire espérer pour rien. Et je n’ai pas la patience de m’investir… je ne t’ai jamais demandé de faire cela.

— Allez, pas de ça entre nous. J’entends ton cœur déchiré m’appeler à l’aide. Car après tout, il est normal que ton meilleur ami soit soucieux de ton bonheur, non ?

— Commence par prendre toi-même une décision par rapport à tout cela et ensuite tu pourras t’occuper de moi.

Keiji sourit en haussant les épaules, l’air de dire que ce n’était pas près d’arriver et regarda le vaste salon.

Il murmura :

— Vu ta tronche de déterré, je suis sûr que tu t’en allais après que la Reine des Glaces ne soit arrivée.

— Je vois qu’on ne peut rien te cacher.

— Je te connais comme si je t’avais fait.

— Votre attention s’il vous plaît, s’exclama Jeff  si on pouvait ainsi considérer cette légère hausse d’intensité sonore ¬ de sa voix traînante.

Il dut s’y reprendre à trois fois pour attirer l’attention de tout le monde. Keiji était mort de rire un bras sur l’épaule d’Evan. Il lui disait souvent que Jeff n’avait qu’un mot à dire pour qu’une horde de nourrissons en furie, énervés au possible et affamés ne tombe instantanément dans un sommeil profond, tant la voix du jeune Sha’Daigan était soporifique. Il leva la balle de garoway à hauteur de son visage et dit avec un grand sourire :

— Je suis sûr que je ne suis pas le seul ici que ça démange. C’est le week-end, on a tous fait notre Kensh’en Or’i avant d’aller sur le Quai pour dire adieu à nos frères mais nous avons encore beaucoup d’énergie à revendre. N’est-ce pas ?

Il lança brusquement la balle de garoway qui traversa le salon en un éclair et Joaquin l’attrapa adroitement malgré la force avec laquelle il la lui avait lancée.

Evan ne put s’empêcher de ressentir une certaine excitation. Il sentit que les autres Fils des Cendres entraient progressivement dans une légère effervescence. Une partie de garoway était bien mieux que de rester là à écouter les propos dithyrambiques que les Sangs d’Acier ou de Fer tenaient sur leurs fameux ancêtres même si ce ne serait pas exactement avec les règles habituelles. Ce serait plus une partie de rugby en fait mais c’était clairement mieux que ce qu’il devait supporter présentement.

Au moins çà, ça lui changerait les idées.

Il remarqua que Salman l’observait derrière ses lunettes, assis dans un des canapés à côté d’une fille qui ne cessait de lui parler. Son nom était Sara s’il s’en souvenait bien. Le rédacteur l’avait à l’œil depuis qu’il était là… Visiblement, l’aspirant scientis n’avait pas changé d’avis concernant l’article qu’il voulait écrire. Il ne comprenait pas son obsession. Il y avait tellement plus dans cette salle que le pauvre Evan Kupenda… Des descendants de héros et de guerriers légendaires. Lui, il ne venait de nulle part. Même son nom n’était même pas réellement le sien… Il repensa à la vision du futur et se dit que ça ne pouvait pas être réellement vrai. Ce type l’insupportait. Comment pourraient-ils devenir aussi proche ? En définitif, il n’était pas contre le fait d’envoyer valser quelques bougres au milieu d’une mêlée.

— Alors, je vous propose un petit match. Nous sommes, hum… un peu plus de vingt. Faisons deux équipes de onze avec des remplaçants. Ah j’oubliais. Essayons de nous répartir équitablement.

Tous les alumni se mirent à rire, lui comprit. Ils étaient tous tellement sûr de leur force physique, de leur talent au garoway qu’à leur niveau, dans le haut du classement, au-delà de la trentième place, la position ne faisait plus vraiment de différence en ce qui concernait la force physique pure. Du moins en théorie.

D’autant plus que ce n’était pas un duel de neshir, c’était de la lutte avec une balle. Une succession de duel avec les épaules en guise de lame.

— Tu vois ? tu vas finalement pouvoir t’amuser, lui murmura Keiji en lui donnant une tape sur l’épaule. Allez, allons cogner quelques Sha’Daigan, A’shua Meno.

Les vingt-deux joueurs se retrouvèrent sur l’herbe verdoyante et parfaitement tondue de la grande pelouse du jardin du manoir des Samba. Ils étaient pour la plupart pied-nu, le bas de leur chino ou pantalon en coton retroussé et en bras de chemise ou polo malgré le froid. C’était un défi supplémentaire que de courir pied-nu sur la terre glacée sous la pelouse humide par ce temps glacial que même les rayons du soleil peinaient à réchauffer.

Les alumni aimaient les défis. Les quelques amalias masculins non ignemshirs avaient choisi de conserver les leur récoltant quelques quolibets de la part des autres. Shana, dont la peau cuivrée éclatante sous les puissants rayons de l’astre millénaire, taquina particulièrement Rodrick qui se rembrunit, semblant sur le point de rétorquer quelques remarques acerbes mais il fut désarmé par le bisou qu’elle lui fit sur le front avant de filer de son côté du terrain. Au milieu de son équipe, elle se mit en position. Elle portait un polo blanc brodé d’un trident gris dans une vague bleu clair, l’emblème des Gurrayi et une jupe crème à volant. Les Fils des Cendres avaient laissé leur veste shirag dans le salon sur les canapés et les fauteuils, et leurs derbys, richelieu et bottes étaient alignés devant les chaises de jardin qui avait été sorti et sur lesquelles les filles et quelques garçons étaient assis.

*

Lorsque Charlaine arriva, du vestibule elle entendit des vivats venant du jardin alors qu’un domestique en livrée se proposait de la débarrasser de son manteau mais elle déclina. Elle traversa le salon sans être surprise par les vêtements épars qui traînaient sur les fauteuils. Une domestique les ramassait mettait des languettes de suspension sur le dos des vêtements, ce qui les rigidifiait avant de les suspendre à un porte-manteau flottant constitué d’un rectangle en composite aux bords arrondies. La jeune fille reconnut la veste de Keiji brodée de la tête d’un redoutable loup blanc, croc dehors, sur un soleil noir à huit rayons, l’emblème du Sang d’Asano qui en fonction des branches subissaient de légère modification. Mais la branche à laquelle appartenait Keiji l’avaient conservé intacte parce qu’ils étaient la branche principale et la plus puissante parmi les trois grandes branches de Sha’Daigan descendants d’Aki Asano. Elle traînait à terre près de l’un des fauteuils cossus du grand salon à côté de celle d’Evan brodée uniquement de ses initiales, E.J.K.

La jeune fille les imagina facilement qui se déshabillait précipitamment en sortant du salon, excité comme des puces en se bousculant, les yeux pétillants et un grand sourire sur les lèvres. Elle secoua la tête en souriant. Alors qu’elle les ramassait, un sachet remplit de trois bonbons multicolores tomba de l’une des vestes. Elle le ramassa également mais se figea en comprenant ce que c’était.

Les pilules de l’herboriste !

Elle se releva d’un bond, balançant les vestes sur le fauteuil et courut vers le jardin. Pourquoi Evan les avait-il sur lui ? Pourvu qu’il n’ait pas fait n’importe quoi… Elle espérait qu’il n’en avait pas ingéré. Le résultat de ses analyses était mauvais. L’herboriste voulait assassiner Evan. C’était une certitude pour elle. Qu’elle se fût fait passer pour une Vierge n’avait pas vraiment de sens. Et qu’elle voulût tuer Evan en avait encore moins. Les composés que contenaient les pilules étaient létaux. Un véritable cocktail empoisonné. Un eretsin serait foudroyé immédiatement. Un Fils des Cendres se retrouverait dans un état de faiblesse extrême avec l’incapacité de sortir de son lit durant une semaine, au minimum.

Evan était un lonshirion et sa façon de servir de l’Air, qui était propre à son Shirkairon avait des influences sur son métabolisme. Ses muscles et ses tendons étaient renforcés de manière à le rendre plus rapide même sans qu’il ne se plonge dans le cirkaem movi. Ses réflexes étaient également accrus. Il était vraiment difficile de le prendre par surprise et cette rapidité amplifiait également ses capacités de régénération. Il guérissait plus rapidement que tous les alumni de sa promotion, même par rapport aux rares autres lonshirions. Mais même cela ne pourrait rien contre le poison de ces pilules. Même s’il se servait du Rythme de Chatoiement pour maximiser sa guérison avec les conséquences désastreuses que cela aurait au bout de quelques heures, cela ne serait pas suffisant pour éliminer le poison de son corps. Le poison contenu dans une seule pilule l’affaiblirait pendant plusieurs jours, le rendant incapable de survivre dans la Fourmilière.

Dans le jardin, les doigts crispés autour du sachet de pilules, elle chercha Evan du regard, le cœur battant à tout rompre. Elle mit un moment à l’apercevoir. Il était en train d’attraper l’ovale au vol. Elle le vit remonter le terrain en courant. Charlaine soupira de soulagement. Il débordait d’énergie. Il ne pourrait pas courir comme cela s’il avait pris une de ces pilules ou en tout cas, il ne tarderait pas à s’effondrer, même s’il avait fait usage du Rythme de Chatoiement. Elle l’observa interdite pendant plusieurs longues minutes qui lui parurent des heures puis son estomac se dénoua. Il fallait qu’elle les lui prenne avant qu’il le regrette amèrement mais surtout qu’elle lui en touche deux mots dès qu’elle en aurait l’occasion. Elle aurait tellement aimé que ces pilules puissent l’aider mais les herboristes étaient tous les mêmes. Aussi digne de confiance que des cobras des Pics des Ténèbres. Charlaine redoutait la réaction d’Evan lorsqu’elle lui apprendrait que les pilules n’étaient qu’un faux espoir. Elle savait que moralement, il passait par des moments très difficiles. Elle souffrait déjà de voir sa déception. Elle pariait qu’il avait déjà commencé une nouvelle toile.

En se rapprochant des filles assises sur les chaises, Elle vit Shana heurter un eretsin qui fut projeté sur le sol. La jeune fille était fine mais aussi robuste et forte qu’un garçon. Les filles éclatèrent de leur rire cristallin tandis que d’autres poussaient de nouveau des cris d’encouragement. Et Shana continua son avancée avant d’être rudement interceptée par Joaquin qui lui prit la balle en rigolant alors qu’elle grimaça à terre, en maugréant des jurons. Il remonta le terrain improvisé puis fit la passe en arrière à Jeff qui la récupéra, évita deux ignemshirs qui l’aurait à coup sûr arrêté et se jeta à terre ses locks battant à ses tempes, marquant un point pour son équipe. Ses coéquipiers explosèrent de joie en poussant des cris de victoire et se mirent aussitôt à narguer l’équipe adverse.

L’ambiance était bon enfant et avec ce magnifique soleil, il ne manquait plus que la chaleur pour qu’elle se crût au printemps. Le printemps était sa saison préférée même s’il ne durait jamais très longtemps. Les alumni, passaient leur temps à jouer au garoway et à faire des sorties en forêt. Ils escaladaient les Sapins-Rois qui se trouvaient au nord de la cité dans la Forêt aux Lucioles, se lançant toutes sortes de défi improbable pendant leur ascension. Ils ne tenaient jamais en place et Charlaine aimait se trouver au cœur de leur agitation. On en oubliait presque qu’ils avaient enterrés plus de camarade que les eretsins de la cité n’en enterreraient jamais de leur vie.

Charlaine dit d’un air amusé en voyant Tessa se rapprocher d’elle.

— Un brunch de Sang d’Acier sans une partie de garoway bien virile, ça n’existe pas.

— Et comment ! s’exclama-t-elle avec entrain. Sans leur dose de violence quotidienne, ils ne sont pas tranquilles.

— Clairement !

— Sinon ça va Charlie ? Je suis vraiment ravi de te voir, tu sais.

Charlaine perçut une certaine lassitude dans son regard et dans sa voix. Elle n’eut pas le temps de s’appesantir dessus car Kara Laurent, l’amalia de Jin, une brune aux cheveux mi-longs coiffée de quatre tresses dans sa chevelure lâchée qui se rejoignait en formant un symbole incurvée complexe, poussa un cri d’encouragement hystérique lorsque son promis s’élança de l’extrémité du vaste jardin. Le Fils des Cendres à la coupe au bol et aux yeux vifs évita plusieurs adversaires qui fondaient sur lui avec agilité. Il ne craignait pas de rouvrir sa dernière blessure visiblement.

Ils étaient vraiment inconscients. Charlaine était convaincu que Kara avait tenté de le dissuader mais il était buté comme ses semblables et n’accepterait jamais de passer pour un faible devant les autres. Jin évita de justesse un adversaire qui l’aurait envoyé valser dans l’herbe et passa la balle en arrière à Joaquin qui la récupéra souplement, son sourire solaire aux lèvres et ses cheveux blonds bouclés flottant avec légèreté à chacune de ses foulés. Avec une agilité caractéristique des saoshirions de l’École Tourbillonnante, il évita deux ignemshirs décidés à mettre fin à sa course, dont Jordan, en pivotant sur lui-même à deux reprises puis la passa à Keiji qui le sourire narquois pila, il nargua Alejandro, le feinta à deux reprises puis fila dans son dos, le vent glacial soufflant dans ses cheveux noir corbeau. Il passa deux ignemshirs de l’équipe adverse en se glissant parmi eux anticipant leur mouvement. Baptiste et Alan se ratatinèrent dans la pelouse en faisant des roulé-boulé ainsi que Rodrick qui se redressa en grommelant dans sa barbe. Le hurlement d’un groupe de fille que Charlaine ne connaissaient pas devint littéralement assourdissant. Il passa en arrière à Evan qui le sourire carnassier pris une brusque accélération. Wallace et Léo tentèrent de le plaquer mais Evan se révéla trop rapide et ces derniers ne réussirent qu’à aplatir de l’herbe humide. Il zigzagua comme un éclair entre les quatre derniers joueurs qui réagirent à chaque fois avec une seconde de retard finissant par faire un rude câlin à la terre nourricière. Il percuta d’un violent coup d’épaule Lucas qui tentait de l’arrêter avant qu’il atteigne la ligne d’en-but. Son adversaire fut projeté dans l’herbe alors qu’il concluait son action par un vol plané et atterrissait lourdement sur le sol, soulevant quelques mottes de terre, le ballon plaqué sur le sol, des brins d’herbes niché dans sa crinière noire jais, en riant aux éclats. Des filles poussaient des cris, agitaient les mains. Elles lui criaient des choses que Charlaine eut du mal à comprendre à cause de leur voix haut-perchées et volontairement mielleuses. Evan avait du succès.

— Il n’y est pas allé de main morte, murmura Tessa d’une voix égale en fixant Lucas qui se relevait en grommelant et assassinant Evan du regard.

— Il faut avouer qu’il l’a bien cherché…

— Hmmh.

— Evan a tapé dans l’œil de ces filles, on dirait. Elles viennent d’où ?

— Keiji les a ramenés. Des filles d’amis de son grand-père, je crois. Des Sangs de Fer en majorité.

Charlaine remarqua que malgré son visage impassible, l’attention que ces filles accordaient à Evan l’irritait clairement. Elle connaissait trop bien son amie et lisait ses micros expressions aussi facilement que si cette dernière s’était clairement exprimée.

— Je vois, répondit Charlaine. Kei prend les choses en main alors. Il espère sûrement que s’il se liera à une Famille Ancienne. Ce n’est pas des plus subtiles connaissant la psychologie d’Evan mais bon Kei fait ce qu’il peut... Si ça marche, Evan sera moins vulnérable aux yeux de ses ennemies, dont ton père et Lucas.

— Evan ne sera intéressé par aucune de ces oies braillardes, répondit sèchement Tessa.

— Des oies braillardes… répéta Charlaine qui lui coula un regard avec un sourire amusé. Elles ne font que l’encourager. Avec beaucoup d’énergie, c’est vrai. Peut-être un peu trop en fait...

Elle observait maintenant Evan avec son flegme habituel. Enfin, il y avait toujours une certaine contrariété qui ressortait.

— Parlons un peu de Lucas, tu comptes vraiment accepter son anneau de bois et le garder jusqu’à la fête des Ta’arki ?

— Je pense, répondit-elle en cessant de regarder le terrain et se mordant la lèvre inférieure. Il n’est pas si mal que ça comme garçon. Quand il n’a pas ses deux anges démoniaques sur les épaules, il est vraiment chouette.

— Chouette ? C’est tout ? tu n’as jamais qualifié Evan de « chouette ». Quand il s’apprêtait à demander la permission à ton père, je m’en souviens encore. Je ne t’avais jamais vu aussi excité et angoissé. Tu t’en souviens ? Tu ne tenais pas en place, tu faisais les cent pas et tu as passé la journée à regarder ton R-Tatoo. Et à chaque fois qu’un domestique toquait à la porte, tu te levais, les mains tremblantes en espérant que ce soit lui.

La jeune fille ne répondit pas, ses yeux bleu-gris clairs fixant distraitement la grande pelouse où les ignemshirs couraient en s’interpellant ou se défiaient du regard.

— Après tout ce qu’il a fait subir à celui que tu as aimé depuis que tu es devenu une femme, depuis que ta terre est devenue fertile, et même avant cela, tu arrives vraiment à le supporter ? Pas plus tard qu’il y a un mois, le trio l’a pris à parti. J’ai entendu des alumni en parlé hier, dit Charlaine avec amertume.

— J’en ai entendu parler aussi, répondit-elle sans cesser de fixer un point au-delà du jardin. Lucas a affirmé qu’il l’avait cherché…

— Et tu le crois ?

— Evan n’a jamais courbé l’échine devant le moindre Sha’Daigan… alors…

A chaque fois qu’elle parlait de lui, on aurait dit qu’il lui appartenait encore.

— Non, tu ne le crois pas mais c’est plus simple d’essayer de s’en convaincre pas vrai. Sinon, ce serait trop difficile...

Tessa posa un regard glacial sur Charlaine qui le soutint sans ciller. Elle ne lui lançait jamais ce genre de regard.

— Toi et tes analyses... Tu aurais dû devenir une salomen... Eh bien, sache que tu es loin d’être la mieux placée pour me faire la morale, Charlie.

— Je ne te faisais pas...

— Tout le monde est au courant pour toi et Baptiste, la coupa-t-elle. En termes de trahison, tu es tombé bien plus bas que moi…

Charlaine détourna le regard, la mâchoire crispée. Elle marquait un point mais Evan, et Keiji plus tard, lui avaient confirmé qu’ils ne lui en voulaient pas pour cela. Que si c’était ce qu’elle désirait, ils ne voulaient pas se mettre en travers de sa volonté. Cela avait toujours été leur façon d’agir. Elle était libre de faire ce qu’elle désirait sans qu’ils n’en prennent ombrages mais cette liberté qu’ils lui accordaient l’un et l’autre dans le lien particulier qui les unissait, était à double tranchant. Elle le savait. Ils ne lui feraient aucune concession car si Baptiste faisait le moindre écart à son égard, et ne la traitait pas comme il se devait, ils seraient sans pitié à son égard et elle savait qu’elle-même ne pourrait apaiser leur courroux. Elle soupira. De toutes les manières, cela n’arriverait pas. Baptiste n’était vraiment pas pour elle. Elle ne pouvait pas accepter ce qu’il avait fait.

— Ce n’est pas pareil, finit-elle par dire. Je croyais qu’il avait changé. Je t’avoue que je ne savais pas pour le passage à tabac avant hier.

Tessa sourit. Un sourire à la fois doux et morose.

— Mais tu as toujours des sentiments.

— J’aimerai ne plus en avoir, fit-elle d’une voix amère. ? Je n’arrive pas à le détester à nouveau comme avant.

Tessa avait abandonné son masque. C’était vraiment la preuve que ça n’allait pas fort.

— Je suis sûr qu’Evan ne t’a rien dit à ce propos et que son comportement avec toi n’a pas changé. Je pense que dans le fond c’est moi qui suis la pire. Je l’ai vu sur son visage que ça le blessait. Même tout à l’heure. Mais après tout, c’est lui qui nous a amené à cette situation. Tout est de sa faute. Et Lucas… il peut être quelqu’un de bien.


Texte publié par N.K.B, 28 octobre 2019 à 09h53
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