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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 36 « Rencontre Inopinée » tome 1, Chapitre 36

Sur la vieille sonnette, à côté du bouton étaient dessinés deux cercles qui se chevauchaient. Il resta un moment à les fixer sans vraiment les voir, perdu dans ses pensées. Il resta ainsi plusieurs secondes devant la vieille porte en BoisFer. Le Chuchoteur ? Il posa son front contre sa surface glacée. Le Chuchoteur dans la brume ? Il se mit à rire. Cet accès de rire dura pendant près d’une minute avant qu’il ne soupirât en passant une main sur sa crinière crépue.

Il avait de plus en plus l’impression que le monde perdait toute rationalité et qu’il était le seul à l’avoir conservé. Comme s’il se retrouvait projeté dans un des contes que son père affectionnait temps.

Encore le Chuchoteur…

Mais qu’est-ce que cela pouvait-il bien signifier ? C’était la deuxième fois qu’on lui parlait de ce personnage du Roi-Pion de Falk Arendal… Cette entité qui n’apparaissait que par temps de brouillard et qui chuchotait à l’oreille de certaines personnes leurs révélant leur véritable nature, leurs plus sombres pensées, cherchant à les attirer dans la Vallée des Pleurs en prenant la voix d’un être aimé. Ce n’était pas un individu avec qui on avait envie de se lier d’amitié…

Dorcas. Elle aussi en avait parlé pendant son exorde, en lui disant de ne pas lui faire confiance mais en réalité elle n’avait fait que répété un passage du Roi-Pion… et maintenant l’herboriste lui disait l’inverse ? Cela n’avait aucun sens surtout en parlant d’un individu dont il doutait l’existence et qui lui était totalement inconnu. Toutes les deux étaient des Salomens… Les Vierges ne mentaient pas mais Dorcas… Il n’avait toujours pas compris à quoi rimait tout le cirque qui s’était produit dans la salle de classe. Était-ce un véritable exorde ? Le magister salomens Rhodes en doutait mais une chose était certaine le phénomène n’était pas issu de l’imagination de Dorcas étant donnée ce qu’il avait ressenti… l’étrange dimension où il avait été aspiré… Et la silhouette qu’il avait deviné dans les ténèbres… Était-ce le Chuchoteur ou quelqu’un d’autre ? Il secoua la tête en mettant le sachet dans sa besace et s’éloigna dans la rue plongée dans un brouillard épais en direction de l’arrondissement du Moulin.

Les rues gagnèrent en luminosité. Les trottoirs ne ressemblaient plus à ceux d’une ville fantôme mais grouillaient à présent des pauvres bougres du Cimetière et de rares citadins du Moulin et d’autres quartiers du 9ème. Au milieu de la foule, il heurta de l’épaule un passant vêtu d’un sweat à capuche rabattu et d’un petit sac à dos qui venait dans l’autre sens et s’excusa, mais il se figea en croisant deux yeux ambrés qui le fixèrent avec surprise. Ils étaient aussi teintés de menace et de froideur qu’à l’accoutumé.

— Toi ? Fit-il.

Nora Zal l’observa d’une manière étrange en le détaillant plus que nécessaire. Elle parut franchement troublée.

— Désolé, je dois y aller, lui répondit-elle en pressant le pas, le dos vouté, la tête baissée, cachée sous sa capuche comme si elle cherchait à passer inaperçue.

La foule l’engloutit. Que faisait-elle dans le Cimetière ? Il allait reprendre sa route après un haussement d’épaule, quand il vit un groupe d’individu sur des montures improbables, sortir des rues brumeuses adjacentes dans une synchronisation qui n’était pas naturelle. Ils se répandirent sur la route tout autour de lui comme une marée montante. Les passants terrifiés s’enfuirent dans un silence fantomatique. Les trottoirs se vidèrent si rapidement que lorsque Evan voulut accélérer et filer par une rue adjacente comme les autres, il se retrouva encerclé. Qu’était-il en train de se passer ? Pourquoi se retrouvait-il cerné par un gang de voyous armés de battes de garoway cloutées, de sabres et de révolvers, perchés pour la moitié sur des créatures qui n’auraient jamais dû se trouver à l’intérieur de la Cité-Mère ? Certains de ces loups blancs géants des Ruines portaient des muselières, d’autres arboraient leur redoutables dentitions. Le grondement sourd des prédateurs vibrait jusque dans ses os. Ils le fixaient les lèvres retroussées avec leurs regards acérés, leurs truffes luisantes soufflant un nuage de vapeur blanche. Leurs larges crocs aiguisés et tranchants brillaient à la lumière des lampadaires nébuleux en suspension.

Dans quel pétrin venait-il encore de se fourrer ? Qu’avait-il bien pu faire pour attirer ainsi leur attention ? Peut-être était-ce les trois truands qui avaient voulu lui voler son neshir plus tôt qui revenaient faire acquisition de ce qu’ils estimaient être leur… Ou bien était-ce parce qu’il était un ignemshir ? Parfois, cette seule raison suffisait par ici.

— Je suis dans un cauchemar, murmura-t-il dépité en se disant que les natifs du Cimetière avait l’habitude de ce genre de situation, et donc il ne leur avait pas fallu une demi-seconde pour se mettre à l’abri.

Il fallait qu’il file. Il fit demi-tour et se figea car Nora s’immobilisa également en face de lui. En regardant par-dessus son épaule, il constata que d’autres loups lui barraient la route à elle aussi. Et parmi ces trois-là, de ce qu’il avait pu voir, celui du milieu était le plus gros de toute la meute. Assurément le mâle alpha. Il les fixait, menaçant. Naturellement… s’il n’était pas la cible, alors c’était sûrement la Regina. La présence de Nora ici n’avait même pas de sens, même s’il avait retenu depuis leur dernier échange à Fort Laurent que la compagnie du petit peuple ne la dérangeait pas. Qu’elle fût la cible de cette bande armée était encore plus étrange. Evan était convaincu que la plupart des aspirants des Trois-Ordres n’avait jamais mis les pieds au-delà du deuxième arrondissement.

L’alpha grondait plus fort que les autres. Celui qui le montait était probablement le chef du gang.

— Ils en ont après toi ? demanda Evan, une main entourant la poignée de son neshir.

— C’est bien possible, répondit-elle d’une voix précipitée en passant devant lui avant de s’arrêter net, dépitée tandis que de ses yeux, elle analysait la situation autour d’elle, se cherchant une porte de sortie.

Bien sûr. Les Sangs d’Acier ne savaient pas faire profil bas… Il n’imaginait même pas ce qu’elle avait pu faire pour s’attirer le courroux de tous ces gangsters… Elle sembla en arrivé à une conclusion qui ne lui plut pas et se mordit la lèvre inférieure. Elle le regarda alors hésitante, puis jeta un bref coup d’œil en direction de l’alpha et dit à contrecœur :

— J’aurais besoin que tu me prête main forte… Empereur

Elle avait l’air un peu tendu mais la peur était absente de son regard ambré.

— Prêter main forte, répéta Evan en se frottant le coin des yeux en se demandant s’il n’était pas réellement maudit. Et qu’est-ce que tu leur as fait exactement ?

— Ça changerait quelque chose si leur colère était justifiée ?

Le chef du gang, un grand gaillard dans la trentaine, la moitié du visage tatoué, une barbe épaisse rouge-sang et des cheveux peroxydés qui se dressait sur sa tête comme des épines, descendit de sa monstrueuse monture après avoir tiré sur les rennes. Il dit avec le plus grand calme en flattant gentiment l’encolure de sa monture :

— Tu as été interdite de séjour sur le territoire des Sauvages, Nora.

La jeune fille tira un peu plus sur sa capuche comme pour cacher son visage sans que cela ne change grand-chose.

— Je sais, je m’en allais… Écoute Crocus, je ne veux pas causer de problème.

Crocus ? Evan ne put s’empêcher de sourire. Ce nom lui paraissait si ridicule. Autant que l’accoutrement du type. Ce dernier vit son sourire moqueur et le fusilla du regard.

— Si tu ne voulais pas causer de problème, tu aurais mieux fait de ne pas enfreindre l’ordre du Maréchal. Je ne sais même pas pourquoi il t’a laissé en vie après tout le grabuge que tu as causé il y a deux ans avec les Insoumis. A sa place, je t’aurais exécuté. Vick est mort à cause de toi. Et je compte bien te le faire payer.

Les Insoumis ? Le groupe de révolutionnaire dont il avait mainte fois entendu parler. Le Gouverneur Charleroy avait failli mourir dans un attentat qu’ils avaient revendiqué. Ils réclamaient plus d’égalité entre les habitants des différents arrondissements mais surtout que le Gouverneur cesse de mépriser les plus pauvres, relégué dans le Cimetière.

— T’pensais pouvoir t’moquer encore des Sauvages et t’en sortir comme t’es une gonzesse et que t’as l’sang gris ? vociféra l’un des gangsters. Tu vas l’regretter, espèce de ruinarde !

— Ferme-là Patte-de-Poulet ! Grogna Crocus.

Patte-de-Poulet était un petit maigre coiffé de tresses à la peau livide et au regard fou. Evan laissa échapper un ricanement. Nora leva vers lui un regard d’abord stupéfait puis elle-même retint un sourire de connivence. Toute cette situation ne l’inquiétait pas le moins du monde visiblement. Elle avait une assurance à toute épreuve. Crocus le fixait désormais :

— Et ce n’est sûrement pas cet arrogant à l’air triste qui te permettra d’obtenir une faveur. Ça t’amuse de te payer ma tête moucheron ? Tu crois que parce que tu es un ignemshir, tu peux regarder les autres de haut ? J’en ai déjà tué des gens de ton espèce.

Il tira au clair le sabre du fourreau qu’il avait dans son dos et dont la sangle barrait la veste en cuir fermée jusqu’au col qu’il portait.

— Je leur ai tranché la tête avec ce sabre. Sinon, vous êtes comme des cafards : increvables.

— Tu as tué des Fils des Cendres ? Demanda Evan surpris en cessant de sourire.

— Oui, cela te chagrine ? Tu trouves cet acte indigne et outrageux ? Parce que vous êtes l’espoir de l’Humanité ?

Il ricana un moment avant de dire d’une voix froide comme de la glace :

— J’en ai rien à secouer.

— Moi de même, répondit Evan haussant les épaules.

Crocus fronça les sourcils. Il ne s’attendait pas à cette réaction visiblement. Cet homme était intelligent et cultivé. Sa diction et les mots qu’il employait, n’avait rien à voir avec Patte-de-Poulet. Ainsi, il y avait de tout type d’individu au sein des gangs. Ils n’étaient pas la bande d’illettrés que l’on prétendait…

— Intéressant, murmura-t-il. Aucune diatribe sur le Serment de l’Aurore ? Je me serais attendu à ce que tu entres dans ce que vous appelez une Colère Honorable. N’importe quoi, franchement. Vous savez vraiment faire passer vos plus grands défauts pour vos plus grandes qualités en les cachant derrière des termes pompeux. Enfin, j’en ai ma claque de vos histoires.

Evan haussa les épaules.

— Je suis sûr que tu pensais qu’il était impossible qu’un eretsin tue un ignemshir.

— Dans un duel, répondit Evan. Ce serait impossible mais bon, il n’y a pas de règle ici alors, c’est tout à fait possible. Et pour simple précision : Je ne suis pas son ami et je n’ai aucune intention de lui venir en aide. En général, je préfère ne pas me mêler des affaires d’autrui alors si vous voulez bien m’excuser… Continuer ce que… Quoique vous étiez en train de faire. Faite comme si je n’avais jamais été là.

Nora ne réagit pas à ses paroles. Elle l’observer avec une expression indéchiffrable puis détourna le regard vers Crocus en prenant une posture légèrement plus tasser. Comme si elle avait intégré le fait qu’elle allait devoir faire front toute seule. Même si elle n’avait rien laisser transparaître, Evan savait qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’il choisît de ne pas s’impliquer… Il partit sans rien ajouter. Il ne pouvait pas se permettre de se laisser entraîner dans ce genre de problème. Il avait failli mourir pour les mêmes raisons. S’impliquer impulsivement sans aucune forme de préparation. Keiji lui aurait dit que c’était du suicide et en effet, ç’en était. Un séjour auprès du Dévoreur de Cendres suffisait pour une journée. Il n’avait pas envie de repartir dans les Limbes après s’être fait arracher la gorge par les crocs d’un loup blanc géant alors qu’il venait miraculeusement d’en sortir.

*

Nora inspira profondément et dit sans se retourner :

— Qu’est-ce que tu voudrais… en échange de ton aide.

Le bruit de ses pas se turent. Il s’était arrêté. Elle se retourna alors et tomba sur ses prunelles onyx brûlantes d’une froide intensité qui l’observaient avec un étrange éclat qu’elle n’arrivât pas à identifier.

— Qu’est-ce que je voudrais ? répéta-t-il impassible. Rien. Je ne veux rien de toi.

— Et pourtant tu t’es arrêté… Tu aurais pu partir en m’ignorant mais tu ne l’as pas fait. Écoute…

Se rapprochant de lui, elle posa son poings droit fermé contre le cœur d’Evan et dit en le fixant avec un regard franc et déterminé :

— Je suis la Regina Pourpre. J’ai vaincu tous les alumnae du continent pourpre lors de l’Arena Reginae. Par ma force et celle de personne d’autre. Par ma persévérance et ma ténacité, je me suis saisi de cette glorieuse couronne. Alors dis-moi Evan, ce titre que j’ai acquis par ma sueur et mon sang, n’a-t-il aucune valeur à tes yeux ? Tu as combattu lors de l’Arena Regis. Tu aurais pu hériter d’un rang de même valeur. Cela ne représente-t-il vraiment rien à tes yeux ?

Nora avait fini par comprendre après leur entrevu à Fort Laurent que ce Fils des Cendres avait une considération des choses différentes de la plupart des autres. Pour un grand nombre de ses contemporain, le Sang était tout mais pour lui, il n’était rien. Il n’accordait de valeur qu’à ce en quoi il se reconnaissait lui-même. Faire valoir son Sang aurait été contreproductif mais son titre de Regina Pourpre dans son aspect le plus qualitatif était un langage qu’il comprendrait car il détenait lui-même un rang, celui Auctoriteon grâce à son titulus d’Empereur Déchaîné qu’il avait obtenu au prix de sa sueur et de son sang. Son silence illustrant bien son hésitation, son regard alla sur Crocus puis revint sur elle. Elle avait réussi à susciter une certaine empathie ou du moins à briser son insensibilité son égard. À créer une connexion. Néanmoins, ce n’était pas totalement gagné mais il y avait une avancée.

— Je suis également la Reine des Cendres, comme toi-même tu es l’Empereur Déchaîné. Je te demande ton aide parce que nous sommes liés. Nous avons tous les deux traversés les mêmes épreuves, supporté les mêmes souffrances. Acquis des tituli auctoritatis. Nous sommes des Cereshirs. Des Frères Cendrés.

— Bon le gros lourdaud, tu dégages ou bien tu veux crever avec la sorcière ? lui lança Crocus, impatient. Je n’ai pas que ça à faire…

— Ouais boss ! crevons-les tous les deux ! hurla Patte-de-Poulet avant de pousser un hurlement de loup et de se prendre une taloche sur la nuque de la part d’un compère à la carrure d’ours doté d’un cache-œil à l’œil gauche et d’une énorme batte cloutée.

Crocus faisait comme si cela ne lui importait peu mais Nora savait qu’il ne voulait surtout pas qu’il restât. Deux ignemshirs au lieu d’un… c’était tout autre chose à gérer. Le danger augmentait exponentiellement et il était trop intelligent pour ne pas le savoir. C’était pour cette raison qu’il n’avait pas encore attaqué car en le faisant, il forcerait Evan à se défendre. Il était du genre à opter pour la solution la moins compliquée et la moins onéreuse en terme d’effort et de ressource humaine.

— Alors ? demanda-t-elle. Ta décision.

La jeune fille n’arrivait pas à deviner ce qu’il choisirait… Elle n’aurait jamais cru rencontrer un ignemshir de son âge aussi indifférent au sort de son semblable en dehors d’une arène et sans qu’une rancœur particulière n’en fût à l’origine. Et qu’il aurait fallu autant d’effort pour le faire hésiter. Ce n’était pas commun, même très bizarre, étant donné le fort esprit de groupe et le lien qui subsistait entre les ignemshirs. Ils étaient au-dessus des hommes. Et même s’il y avait des différences à cause de l’ancienneté du sang et qu’ils étaient baignés depuis leurs huit ans dans un puissant esprit de compétition, les alumni se soutenaient toujours face aux autres. Un Sang d’Acier pouvait mépriser un ma’nkel mais voir un eretsin le mépriser lui hérissait les poils malgré tout. Parce qu’ils étaient quand même des Cereshirs. Et par ailleurs, elle ne voyait pas quel ma’nkel ne se seraient pas jetés sur l’occasion pour entrer dans ses faveurs mais c’était exactement ce que celui-ci méprisait. Cette simple idée l’insupportait, elle l’avait bien vu lors de leurs deux dernières rencontres. Et cela, elle ne le comprenait vraiment pas. Il avait la fierté d’un Sang d’Acier… alors qu’il n’était qu’un ma’nkel.

— Je refuse.

Sans un mot supplémentaire, il s’en alla. Nora eut l’impression de se prendre une gifle mais elle ne réagit pas. Elle ne s’était vraiment pas attendue à cela. Cette façon de penser ? Comme s’il n’était lié à rien dans ce monde. Aucune forme de morale, de principe ni de sentiment d’appartenance ne semblait émaner de ses décisions. Il ne respectait rien. Si même la notion de Cereshir dans son sens le plus large lui était étrangère, avait-il même un honneur qu’il défendrait coûte que coûte ? Et la bouteille qu’elle lui avait laissé alors qu’il était à Fort Laurent. Elle contenait du jus de baie de Coshen qu’elle consommait dans le cadre d’un nouveau régime alimentaire imposé par son magister primigenius et dont les propriétés analgésiques lui aurait permis de moins souffrir de ses blessures. Elle était prête à parier qu’il n’y avait pas touché. Elle le lui avait laissé sur un coup de tête car quelque chose chez lui avait suscité en elle une certaine… estime. Sa ténacité. Sa force de caractère. Elle n’avait entendu aucun gémissement tout le long de la flagellation… Elle savait qu’elle n’aurait jamais réussi à tenir aussi longtemps… Sa défiance à son égard était juste incroyable. Était-ce juste parce qu’elle était une Sang d’Acier ? elle n’aurait su dire. Après tout comment aurait-elle pu convaincre un individu qui n’avait pas gémis une seule fois après s’être fait flagellé pendant près d’une demi-heure.

Tout était de sa faute. Elle n’aurait pas dû se faire repérer par les Sauvages. Elle avait trop trainé dans le Cimetière alors qu’elle n’en avait pas eu l’intention. Il y avait eu trop d’imprévus… Si seulement l’homme et la vieille femme n’étaient pas intervenus, elle serait déjà retournée chez Ella. Mais s’ils n’étaient pas intervenus… Alors…

*

— Allez dégage, petite fiotte, lui lança brusquement Patte-de-Poulet en ricanant. Pas d’chance ma belle tu t’es choisi une belle poule mouillée !

Evan s’arrêta.

Poule mouillée…

C’était ridicule, franchement puérile… mais ces petits mots avaient tendance à lui hérisser le poil. Comme aucun autre. Sue l’appelait tout le temps ainsi. Il détestait cela et le détestait encore. Il croisa le regard de la Regina Pourpre qui finit par comprendre pourquoi il s’était retourné puis regarda Patte-de-Poulet.

— J’ai cru mal entendre, lui lança-il alors que ses acolytes se mettait sur leurs gardes prenant des postures menaçantes. Qu’est que tu as dit ?

— Barre-toi vite avant que je t’explose la tête avec ma batte pour te donner à bouffer à mon clébard !

— Techniquement, c’est un loup, répondit Evan d’un ton égal. Mais OK, très bien.

Il s’en alla sous les rires gras des truands qui se tenaient les côtes et tapaient du pied sur le sol. La Regina avait sûrement espéré qu’il change d’avis à cause de l’arrogance des gangsters. Les ignemshirs ne supportaient pas le mépris, surtout venant d’eretsins. Il s’arrangeait toujours pour leur faire comprendre qu’ils n’appartenaient pas à la même catégorie. Les Sangs d’Acier en particulier mais Evan savait composer avec le mépris et il avait d’autres chats à fouetter.

Il marchait en direction du Moulin, droit vers l’un des loups tenus en laisse par son maître quand il entendit Crocus ricaner dans son dos :

— Tu ne t’y attendais pas, hein Nora ? C’est la première fois que je vois ça. Un Fils des Cendres aussi jeune qui refuse d’en soutenir un autre face à de simples êtres humains. Je savais que celui-là était plus intelligent que les autres. Vous qui êtes soi-disant, plus que des hommes mais au final, vous n’êtes pas plus unis que nous. Pourtant, tu es la Regina, n’est-ce pas ? Même si tu as fait du chemin depuis deux ans, tu as toujours aussi peu de chance. Il a raison de filer, tu détruis tout ce que tu touches.

— Crocus… fit gravement la voix de Nora.

— Je ne sais pas ce que tu recherchais à l’époque, ni ce que tu cherches maintenant, mais le malheur sera toujours autour de toi. Tous ceux qui sont proches de toi finiront par mourir, et cela parce que tu n’es qu’une sociopathe égocentrique prête à tout pour atteindre ses objectifs. Même à trahir la confiance de ceux qui t’entourent. Tu es maudite et il n’y a que la destruction et la mort autour de toi… Reine des Cendres…

Evan s’arrêta. Il avait le sentiment que l’on s’adressait à lui et non à Nora. Certes, il ne se reconnaissait pas dans la partie du sociopathe égocentrique mais la mort et la destruction qui semblable à une odeur nauséabonde persistait malgré toutes les tentatives de s’en débarrasser… Il était le seul de sa famille à être encore en vie… Sue, ses parents, tous morts. Malia aussi… Si Princeton était encore en vie, cela était sûrement dû au fait qu’il était pratiquement invincible… Il ne savait pas qui était ce Vick qui était soi-disant mort à cause de Nora mais à entendre Nora, il n’avait pas le sentiment que la mort de ce dernier avait été de sa volonté.

— Vick a été suffisamment stupide pour se laisser séduire par une gamine. Tu l’as manipulé et tu l’as abandonné quand tu n’as plus eu besoin de lui.

— Je ne l’ai pas séduit. Je n’ai jamais voulu ce qui s’est produit, répliqua-t-elle d’une voix glacée mais où on percevait comme un regret sincère.

— Tu me fatigue, répondit-il. J’ai suffisamment patienté. Cerbère va s’occuper de toi.

Evan se rendit compte qu’il venait de se retourner. Il n’arrivait pas à s’en aller. Il sentait qu’il allait le regretter.

— Eh ! toi, fit Crocus de sa voix bourru lorsqu’il remarqua qu’il n’était toujours pas parti. Dégage avant que je te coupe la tête ! même si t’es aussi une de ces difformités crées en laboratoire que je rêve d’éradiquer de la surface de la Terre, je suis d’une humeur clémente. Alors, pour la dernière fois, dégage !

Evan se rendit compte qu’il ne s’était pas sentit aussi bien depuis des mois, ce qui étaient étrange étant donné qu’il avait failli y rester.

De nos cendres, nous surgirons, toujours…

Il esquissa un sourire. Néanmoins, combattre une meute de sept loups géants n’était pas une bonne idée. En fait, c’était du suicide. Surtout au vu de sa situation actuelle. Ils étaient rapides, féroces et intelligents. Par ailleurs, il y avait aussi les révolvers. Et puis, si la toute puissante Régina s’était attirée des ennuis, elle était assez grande pour s’en sortir toute seule. Il ne fallait pas qu’il se laisse attendrir. Il voulait juste rentrer chez lui au plus vite et prendre une bonne douche puis commencer à explorer le contenu de la boite noire. Elle contenait peut-être les réponses à toutes ses questions. En plus Keiji et Charlaine devaient se faire un sang d’encre vu qu’il n’avait plus donné de nouvelle depuis presque une heure. Il fallait qu’il les contacte au plus vite.

— Allez barre-toi, poule mouillée ! lança Patte-de-Poulet avec un sourire mauvais. Sinon ce sera le même tarif que pour la traitresse. La mort ! Ah ! Ah ! Ah !

*

Nora comprit qu’il venait de changer d’avis. Son visage quelque secondes plutôt pensif et impassible devint dur et son regard plus froid. Elle lâcha un soupire. Au moins, elle aurait son soutien malgré tout. Heureusement que cet abruti de Patte-de-Poulet ne savait pas tenir sa langue.

— N’importe qu’elle autre ignemshir de ton niveau aurait déjà attaqué ce type, lui dit-elle avec un regard complice. A cause de leur égo mais toi, c’est simplement ces petits mots qui t’énervent. C’est vraiment… bizarre.

— Tu devrais plutôt me remercier au lieu d’essayer de jouer à la plus fine. Je vais t’aider, Nora. Pas parce que tu es la Regina, ni une Fille des Cendres ou même une Sang d’Acier dont j’aimerai entrer dans les bonnes grâces…

— C’est bon, Evan, le coupa-t-elle agacé par son besoin d’exprimer constamment son mépris à l’égard de ce qu’elle représentait. J’ai compris que tu ne le faisais que pour toi.

— Bien.

Il passa devant elle en enfilant ses mitaines et s’arrêta en fixant le loup de Crocus.

— Alors voilà ce que nous allons…

Nora se tut brusquement à cause de ce qu’elle perçut venant de lui et de partout à la fois. L’air devint brièvement électrique. Elle ressentit un frisson étrange le long de ses bras et de son dos. En même temps, elle eut l’impression qui la réalité était sur le point de se fractionner. Comme si l’écoulement du temps marquait une hésitation.

Nora sentit alors que le Kar’Cirkaem d’Evan venait de déplacer son Point de l’Être vers le bas du Cercle de l’Univers, mais pourtant, il était déjà au Vide. Il n’y avait rien en dessous du Vide.

Rien…

— Cirkaem versei, dit-elle malgré elle à mi-voix.

Les battements cardiaques de Nora s’accélérèrent brusquement alors que son estomac se nouait. Par les rouilles et la cendres ! Elle saisit son neshir en l’alamant dans une fumée noire et pourpre et se figea lorsqu’elle se rendit compte qu’elle s‘apprêtait à décapiter Evan. Elle dût faire preuve d’une grande maîtrise d’elle-même pour raisonner rationnellement et non pas instinctivement.

Les Seigneurs du Chaos ne sont pas soumis à l’On’el Kagar, Nora.

Ces paroles qui lui avaient été dite par un ignemshir qu’elle admirait résonnait dans son esprit. Elle continua de fixer le cou d’Evan en serrant la poignée de son neshir au point d’en trembler. L’Empereur Déchaîné faisait partie de ces personnes capables de se soustraire à l’On’el Kagar, le Croissant de Feu auquel le Point de l’Être de tout ignemshir était soumis. Qu’est-ce que cela signifiait ? Qui était-il ? Qu’était-il ? Sûrement pas un Seigneur du Chaos. Ils étaient au nombre de Treize, Treize Reiishirins qui avaient été vaincus par les Seigneurs Joviens et leurs Lunes lors de la Guerre d’Airain…


Texte publié par N.K.B, 18 octobre 2019 à 11h12
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