Evan serra la mâchoire en fouillant les poches du grand manteau noir du Baron sentant à peine ses bras affaiblis. Il en sortit la carte du Roi-Pion. Il fût pris d’une quinte de toux et se rendit compte que la paume de sa main était pleine de sang. Il se leva difficilement, les traits tordus, souffrant comme un diable. Il avait des vertiges. Il avait l’impression que le vent de l’hiver plantait ses griffes très profondément dans sa chair. Étant donné la température, il n’aurait pas dû ressentir un tel froid. Il se rendit alors compte à quel point sa situation était dramatique. Il avait perdu une trop grande quantité de sang. Il saignait moins mais le mal était déjà fait. Il tremblait de froid.
— Saleté, murmura-t-il en claquant des dents.
Il ne fallait pas qu’il perde une seconde. Il se baissa à nouveau, avec des gestes lents, les traits crispés et rechercha dans les poches du Baron son R-Tatoo. Le sien s’était cassé lors de leur pugilat. Il tomba sur l’écran fissuré et transparent de la phablette de son adversaire. Il essaya de l’allumer mais sans succès. Evan soupira en se disant qu’il avait vraiment la poisse. Même sa montre était brisée. Il ne pouvait pas contacter Keiji…
Fébrile, il s’éloigna du corps en boitillant. La sphère d’éclairage revint vers lui et il l’éteignit avant de la ranger avec l’Atomium Adamantis dans sa besace qu’il avait ramassé en passant. Il contracta son Akai noir et son neshir vola vers lui. Il le rattrapa et le riva à sa corne en sortant du gratte-ciel en ruine.
À la lumière des quelques lampadaires auréolés flottants dans la brume, Evan marcha quelques minutes dans la pénombre de la rue. Les lumières n’étaient pas en nombre suffisant pour que les rues fussent suffisamment éclairées et parussent sûres. Comme si c’était volontairement que le Cimetière était maintenu dans une pareille atmosphère.
Il avait du mal à garder les yeux ouverts. Chaque pas était une torture et le froid semblait se faire une place à l’intérieur de son corps. La tête lui tournait. Il fallait qu’il trouve une pharmacie. Il pourrait ainsi s’y procurer des agrafes et des pansements de guérison accélérée ainsi que quelque chose pour calmer sa violente migraine. Et surtout de quoi se réchauffer mais il savait pertinemment que, malheureusement pour lui, il n’y avait rien de tel aussi loin du 9ème.
Il était au cœur du Cimetière et les rues en plus d’être inhospitalières, noyées dans un brouillard épais, étaient aussi peuplées qu’une nécropole lors d’une rude soirée d’hiver. Il croisa quelques pauvres bougres qui ne manifestèrent aucun intérêt, ni à son visage ensanglanté, ni à ses vêtements poisseux de sang. Rien d’inhabituel par ici. Sur ses vêtements, le sang, semblable à des rubis à la sombre lueur, s’était cristallisé. Il s’appuyait contre les façades et les portes brisées et fissurées laissant des trainées carmines sur les murs encore debout d’antiques magasins en ruine. Il avait tellement froid. Il s’effondra dans la neige en se disant qu’il n’aurait vraiment pas dû écouter un type qu’il connaissait depuis moins d’une heure. Il ne comprenait pas pourquoi Franz avait tenu à le soumettre à de telles épreuves… Pour quelle raison ? Franz connaissait forcément ses statistiques… Foutu scientis…
— On est perdu ? Lui demanda une voix mesquine.
Il leva les yeux et vit une ombre au-dessus de lui. Il ne voyait pas clairement car sa vue était trouble. Il en devina deux autres derrière la première.
— Qu’est-ce qu’on a là ? c’est not’ jour de chance, ah, ah !
— J’rêve ou on a un de ces tyrans convaincus qu’ils sont plus que des hommes ? Qu’ils valent plus que nous, les vrais humains.
— Sale monstre !
— C’est la fête des cristaux, j’vous dis.
L’un d’entre eux essaya de lui prendre son neshir. L’adrénaline déferla dans sa poitrine. Il bondit instinctivement et lui tordit le bras. Ce dernier émit un craquement scabreux. Puis d’une droite, il l’envoya dans la neige, geignant et serrant son bras contre lui.
— Si… J’étais vous, je… me tirerais d’ici, leur dit-il, le deux poings levés et tremblants.
L’un des deux hommes arrêta l’autre en disant
— Regarde-le. Il est quasiment mort. Laissons-le crever, on l’récupèrera demain.
Evan le dos contre une vieille vitrine au verre à moitié brisé, soupira alors que les deux ombres disparaissaient en traînant la troisième. Il entendit brusquement des rires. Des rires familiers. Il regarda partout dans la rue sombre sans apercevoir qui que ce soit. Il reconnaissait pourtant ces rires suintant de cruauté et de sadisme.
Lucas, Baptiste et Jordan. Il se moquait de lui et de son malheur. Il ne mourrait pas ici. Il était hors de question qu’il meurt dans le Cimetière… Dans le cimetière ? Comme c’était ironique ! Il se mit à rire comme un dément alors qu’il continuait d’avancer, un pas après l’autre, avec l’impression de se trainer des boulets d’une centaine de kilos à chaque cheville. Il ne sut pas combien de temps il marcha avant qu’il ne s’effondre en se défendant contre des coups de neshir.
— Tu vois ? Je t’avais dit que je te prendrais tout.
Lucas. Ses yeux gris le fixaient avec un plaisir non dissimulé. Il se réjouissait de sa souffrance. Il vit Baptiste jaillir du brouillard à sa droite. Il lui dit :
— Maintenant que le deuxième des Quatre Souverains disparaît, vient le tour du troisième. Keiji, le Shogun au Regard d’Aigle sera puni pour avoir pactisé avec un ma’nkel. S’être abaissé en faisant de lui son A’shua Meno… Et ta délicieuse Charlaine…
— Si tu touches…
— Qu’est-ce que tu vas faire ? lui demanda Jordan en le fixant avec ses yeux sombres et froid. Sache que je tuerais Keiji.
Evan se mit à rire et dit après une quinte de toux si sévères qu’il eut l’impression qu’il allait cracher ses poumons.
— Toi ? la bonne blague…Tu ne peux rien contre lui.
— Qui t’as dit que je m’en occuperais seul ? Ensuite Baptiste fera de la délicate Charlaine sa propriété. Il la fera souffrir, ça tu peux en être sûr parce que, que peut-on contre les Sangs d’Acier ?
— Je vais m’en sortir… et je creuserai moi-même vos trois tombes, rétorqua-t-il d’une voix haineuse.
— Tu as déjà creusé la tienne, abruti. Regarde-toi, tu es fini. Et Lucas aura pour récompense Tessa.
Evan poussa un hurlement de rage et se retrouva de nouveau seul dans la rue. Ce n’était que des hallucinations ? Bien sûr… Que viendrait-il faire dans le Cimetière à cet instant précis ? Il était en hypothermie sévère. Un homme normal n’aurait pas pu tenir debout, ni même marcher dans son état. Il fallait qu’il continue. Il tenta de se lever mais ses jambes ne répondaient plus. Il avait atteint ses limites…
— Saleté…
Soudain, son cœur puis ses veines prirent feu et devinrent d’un rouge incandescent, luisant à travers ses vêtements. Il se mit à hurler comme un supplicié et assistant impuissant à cette lave brûlante qui venait de sa poitrine et se propageait dans le reste de son corps. Était-ce la fin ? Son Kar’Cirkaem finissait de s’effondrer consumant les derniers reliquats de son énergie vitale ! Retourner aux cendres… La mort était…
De violentes convulsions le saisirent. L’agitant comme un pantin et les ténèbres l’engloutirent.
Il perdit alors toute sensation.
Que ce fût le froid, la douleur, même la colère ou la révolte.
Plus rien.
Mais dans ces ténèbres résonnaient…
Une mélodie.
Légère comme le murmure d’une brise au fond d’une vallée.
Keiji soupira alors que le 4x4 cahotait sur l’asphalte ou plutôt ce qu’il en restait. Charlaine était assise à côté de lui. Elle lui faisait la tête parce qu’il l’avait traité de gamine écervelée…
— Tu trouves quelque chose ? Demanda-t-il alors qu’il se dirigeait vers le dernier endroit où le R-Tatoo d’Evan avait émis.
Ce n’était peut-être pas sage d’y aller en voiture et avec Charlaine, qui plus est, mais il ne se voyait pas la laisser toute seule cette nuit, même dans le centre de la cité. Elle avait suivi un homme qui était censé être mort… Et qui visiblement était devenu un vampire vu qu’il n’avait pas vieilli d’un pouce… Keiji serra sa mâchoire. L’aura autour de Franz Parker… elle avait une couleur qu’il n’avait encore jamais rencontré depuis qu’il avait dompté Hozukin. Jaune et le chiffre associé était deux. Il était très rare que les chiffres associés fussent si bas. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Il était clair que cet homme n’était plus un homme normal, il n’était plus un simple eretsin. C’était une certitude. Mais alors, qu’était-il devenu ? Et comment ? Keiji se rendait de plus en plus compte qu’il ne connaissait pas les Trois-Monde. Il ne savait pas vraiment ce qui se passait au-delà des murailles de verre. Le monde était de loin plus complexe qu’il ne l’avait jusqu’alors imaginé… Et Evan qui avait été suivi par un oshaïnim… C’était vraiment n’importe quoi… Sans parler du fait qu’il était désormais injoignable.
Tu étais synesthète… Avant… mais tu es plus que cela… maintenant. Je frémis d’excitation d’avoir vu juste le concernant. Tu vois cela de moi mais avant de te demande ce que je suis, tu l’as déjà remarqué n’est-ce pas ? Ton A’shua Meno. Qu’est-il ?
Les mots que lui avaient lâché Franz avant de s’en aller. Comment savait-il que sa synesthésie avait muté ?
Fichu scientis…
La situation était devenue incontrôlable.
— Rien depuis le bref signal à une centaine de mètre de l’endroit précédent.
— Saleté, fit Keiji en frappant rageusement le volant, il grimaça car sa blessure l’élança.
Charlaine lui avait mis un pansement de guérison accélérée après l’avoir refermé avec des agrafes résorbables.
— Calme-toi Kei. S’énerver ne nous mènera à rien. Sans parler du fait que tu es blessé. On doit rester concentré.
— Ouais, si tu le dis…
— Kei…
— On aurait vraiment dû te laisser chez toi. Tu n’es vraiment qu’un poids mort…
— Arrête, dit sèchement Charlaine. Ne passe tes nerfs sur moi. Je ne suis pas Kaito sur qui tu frappes à chaque fois pour te défouler. Et franchement qui donne un nom à son punching-ball ? espèce de psychopathe sadique. Je ne serais pas ta victime, compris ? J’ai agi en prenant en compte tous les paramètres à ma disposition. Je ne savais pas qu’il y avait un oshaïnim…
Keiji lui lança un regard assassin en serrant le volant si fort que ses jointures blanchirent.
— Tu n’avais pas à savoir si oui ou non il y avait un oshaïnim. Tu n’avais qu’une chose à faire.
— Je suis libre de faire ce que je veux ! rétorqua-t-elle, énervée. Vous n’avez pas d’ordre à me donner.
— Ouais, si tu le dis, répondit-il la mâchoire serrée. Si je n’avais pas eu à faire un détour pour aller te chercher… Par la rouille et les cendres, on t’avait demandé une chose ! une seule ! Rester dans la voiture. Je te l’avais bien spécifié avant de partir ! mais comme toujours, tu n’en as fait qu’à ta tête.
— Déjà, je n’avais pas besoin d’être secouru. Tu aurais dû aller directement à la suite d’Evan et ne pas te soucier de moi !
— Mais bien sûr… est-ce que tu t’entends ?
— Mais comme tu… Vous me prenez pour une gamine ! s’écria-t-elle brusquement. C’est toi qui as tiré des conclusions hâtives, tu t’es précipité alors que je n’en avais pas besoin.
— Ouais bien sûr. Tu disparais comme ça, deviens injoignable sans même envoyer un message ou laisser une e-note sur le parebrise… Oui, c’est moi qui ai exagéré…
Elle marmonna à voix basse et fixant un point devant elle, le regard furieux.
— J’aurais parfaitement pu rentrer sans ton aide. Je suis sûr qu’il ne m’aurait rien fait. Il n’avait aucune mauvaise intention à mon égard, fit-elle les sourcils froncés et fixant le parebrise comme s’il venait de lui jeter des injures au visage. C’est toi l’imbécile.
Keiji leva les yeux au ciel en s’arrêtant. Il descendit dans la rue brumeuse et glaciale, et marcha jusqu’au trottoir délabré. Il remarqua des traces de sang dans la neige retournée. Il y en avait aussi sur le mur juste à côté de la devanture à la vitre cassée mais aucune trace d’Evan.
Il garda son calme, s’efforçant de trouver d’autres indices mais aucune trace en dehors de celles qui allaient en direction du lieu de l’avant dernier signal. Un vieux gratte-ciel en ruine. Il était venu de là-bas. Il s’était assis ici pour reprendre des forces contre ce mur puis avait brusquement disparu.
Il frappa son poing contre le mur. Des morceaux de béton taché de son sang tombèrent dans la neige. Le dos voûté, les poings contre le béton, il posa son front contre le mur glacé.
Où était son A’shua Meno ?
Des gangs à la solde de trafiquants d’organes et de neshirs sévissaient dans le Cimetière. Pourvu que ces derniers ne fussent pas derrière sa disparition. Sinon, il ne le reverrait jamais… C’était pire que ce qu’il pensait.
— Par la rouille et les cendres. C’est pas vrai…
Se massant les tempes du bout de ses doigts, il essayait de réfléchir mais n’y arrivait pas. Il ne pouvait pas le perdre lui aussi après avoir perdu Jahandar… Après l’avoir abandonné… Il ne pouvait pas l’abandonné lui aussi… Pourquoi était-il toujours aussi impuissant lorsque justement il ne le devait pas ?
— Alors ? Demanda Charlaine en ouvrant la portière et posant un pied dans la rue.
— Remonte dans la voiture, s’il te plait, murmura Keiji en serrant les poings d’une voix sombre, les yeux fermées, le visage levé vers le ciel avant de prendre une profonde inspiration. Réfléchis Kei… réfléchis…
Charlaine perçu la froideur mais aussi la détresse dans la voix de Keiji et s’exécuta sans rien dire. Elle referma la portière. La mâchoire serrée, le talon qui frappait nerveusement le parterre du 4x4, elle enfouit son visage dans ses mains en essayant de contenir les larmes qui lui venaient. Elle se sentait si mal. Si désespérée mais elle ne voulait pas reconnaître qu’elle avait fait n’importe quoi. Qu’elle avait été stupide. C’était déjà dur d’être rongée par la culpabilité, elle n’avait pas envie qu’il l’enfonce encore plus. Elle essaya de se contrôler, alors qu’elle hoquetait, les joues humides. Elle entendit Keiji monter à côté de lui. Il resta silencieux puis elle sentit sa main sur son épaule.
Il la pressa gentiment.
— Ne pleure pas, s’il te plait. Je n’ai pas envie de m’occuper d’un bébé, en plus de tout ça.
Elle hocha la tête en balbutiant :
— Je suis désolé, c’est de ma faute.
— Allons voir dans l’immeuble d’où il est venu. C’est sûrement là qu’il a été blessé. Il y avait pas mal de sang sur le sol. Il s’est sûrement battu. Il a été blessé par son adversaire ou la blessure que Lucas lui a faite s’est rouverte je pense… On devrait pouvoir y trouver des indices.
Il démarra le 4x4 qui avança en brinqueballant à cause du triste état de la route.
— On a peu de temps, Kei, fit Charlaine d’une voix pressante en essuyant ses larmes. Parce qu’avec ce froid et la quantité de sang que j’ai vu là. Il ne tiendra pas longtemps. Vous êtes exceptionnels mais même vous, vous avez des limites.
— Il va s’en sortir, dit-il plus pour se convaincre lui-même que pour elle. C’est un lonshirion, sa lame est indestructible. Elle ne se brisera pas.
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