Un bruit mat retentit aux oreilles d’Evan lorsqu’il frappa la balle de garoway. Ovale, quelques secondes plus tôt, elle s’était arrondit juste avant que sa batte bleu sombre ne l’envoya voler à travers le cerceau supérieur du sablier mouvant. Les gradins s’embrasèrent et la rumeur joyeuse de la foule envahit le stade de garoway de la schola Bastian Dufer de la cité de Tricassium. Ce fût sur ce coup de batte que Kiona Paine remporta le match de huitième de finale. Beaucoup d’élèves de la schola avaient fait le déplacement pour soutenir leur équipe. Ils occupaient pratiquement la moitié des gradins.
Il leva sa batte au-dessus de sa tête, ce qui provoqua un sursaut de frénésie dans le stade, avant d’être submergé par ses coéquipiers qui le félicitèrent, lui donnant des bourrades et des accolades, le secouant dans tous les sens. Evan poussa un cri de joie triomphant, le bras toujours levé. Keiji, porteur de balle, était également félicité pour son lancer et sa percée par une bonne partie de l’équipe. Evan pointa alors sa batte en sa direction. Son ami répondit en brandissant un poing victorieux, avec une expression de joyeuse détermination.
Evan était membre de l’équipe principale depuis deux ans maintenant. L’équipe de garoway de Kiona Paine était composée d’aspirants scientis, salomens et d’alumni. Bien qu’il y ait une bonne majorité d’aspirant noguemi, les deux autres ordres disposaient d’apprentis très talentueux qui, à certains égards, étaient bien meilleurs que bon nombre d’alumni.
Le championnat fédéral de garoway avait débuté en septembre. Ils avaient déjà disputé plusieurs matchs contre deux lycées de la France Septentrionale et trois de la France Australe mais aucun ne leur était arrivé à la cheville. Deux autres matchs amicaux, ceux-là, contre la schola du Mont doré de la cité de Corsica et Ambre Eulalie Laurent de la cité de Britania, s’étaient avérés plus serrés mais ils s’étaient également soldés par leur victoire.
Evan était premier porteur de batte depuis le début du championnat. Sa mission à chaque action était de traverser le terrain, long de cent cinquante mètres, pour se rapprocher le plus possible des poteaux de but haut d’une vingtaine de mètre, plus précisément, du sablier. Une structure en composite constituée de deux cerceaux formant un huit qui pivotaient sur elle-même en flottant à une dizaine de mètres en aplomb de la barre transversale reliant les poteaux de but. Il devait éviter les taureaux, des balles dures comme de la pierre, que lançaient les snipers, afin de ne pas perdre son avancée. Le reste de l’équipe devait remonter l’ovale, en passant principalement ce dernier au porteur de balle. Le premier porteur de balle qui était Keiji, avait pour mission de lui passer la balle au moment opportun et lui, d’un coup de batte de l’envoyer à travers le sablier pivotant pour marquer un End Game. L’End Game rapportait cinquante points à son équipe et mettait fin à la manche. Les matchs en comptaient quatre. Marquer des End Game était l’objectif principal bien qu’il y ait d’autres façons plus simples de marquer des points. Evan avait réussi à réaliser seize End Game lors des sept matchs de championnat depuis septembre, ce qui était deux fois plus que ses résultats d’il y a une année, mais il n’était pas premier porteur de batte à l’époque mais second porteur. C’était Jahandar qui occupait le poste. Il venait de mettre son dix-septième End Game, concluant ainsi la quatrième manche et le match par la même occasion.
Evan se fraya un chemin entre les joueurs, tombant sur le sourire solaire de Joaquin, celui sobre d’Alejandro qui occupait le poste d’ouvreur et qui était le capitaine de l’équipe. Jin lui fit un signe de tête sans se départir de la mine sombre qu’il avait en permanence et le rire grave et sonore de Orlando, un salomen à la peau foncée et au crâne rasé, grand et battis comme un forgeron, résonna à ses oreilles alors qu’il lui donnait une bourrade amicale. Il reçut aussi une solide accolade de Guiseppe, une scientis roux au teint pâle et aux cheveux courts à l’exception de la longue de sa queue de cheval flamboyante. Il remarqua Lucas, Jordan et Baptiste accompagné de Yuri qui se tenaient légèrement en retrait, les bras croisés. Il discutait en désignant un coin du terrain. Ils ne se prêtaient jamais à la frénésie générale si jamais cela était dû à une action de sa part, estimant qu’ils valaient plus que d’encourager le misérable ma’nkel qu’il était. Il rejoignit Keiji qui lui fit une accolade fraternelle en lui lançant, ses cheveux en bataille et de la sueur perlant sur son front malgré le froid :
— A nous deux, on est tout simplement imbattable, Evan.
— Je ne te le fais pas dire, répondit Evan avec un large sourire en contemplant le score écrasant qui était affiché sur l’holoécran flottant au-dessus du terrain puis la foule en liesse.
Il vit d’ailleurs Emma qui depuis la reprise du championnat fédéral de garoway semblait avoir perdu toute animosité à son égard. La versatilité du cœur humain…Visiblement, même parmi les alumni, ses victoires et ses performances au garoway lui avait permis, auprès de certains, d’être de nouveau dans leur bonne grâce malgré ses propos lors du cours de Nœud-Pap et ses statistiques, mais pour ce que cela lui importait…
— Aller ! s’exclama Keiji alors qu’ils avançaient de concert avec le reste de l’équipe vers les vestiaires. Maintenant, il est temps de s’amuser un peu. Il y a des bars sympas à Tricassium, dans leurs arrondissements extérieurs. Je pense que Quino, Jin, Jeff et leur amalia seront partant.
Fort étrangement, son habileté et sa rapidité n’était pas affectée lorsqu’il jouait au garoway. Ce n’était qu’à proximité de son neshir qu’il éprouvait ce sentiment diffus mais tenace, d’une anormalité qui croissait de jour en jour. Son Air se dissiperait bientôt comme son Étincelle qui était morte et il ne serait bientôt plus capable de déplacer son Cercle Intérieur du Point du Vide… Il était clair que ses jours étaient comptés… Dans la Fourmilière, il n’allait plus pouvoir tenir. C’était un miracle qu’il fût encore le quintus. Cette cinquième place ne tarderait pas à lui échapper…
Remarquant son expression, Keiji perdit son sourire et lui demanda inquiet :
— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu viens de marquer ton dix-septième End Game de la saison, pourquoi tu tires cette tronche ?
— C’est rien, je pensais à...
— Essaye de ne pas trop penser à ça, Evan, le coupa-t-il avec un sourire encourageant. On trouvera une solution. Je suis sur une piste intéressante. Pour le moment profitons simplement de notre victoire.
Evan eut à nouveau le sentiment d’être épié. Il ne put s’empêcher de regarder par-dessus son épaule. Il était entouré par son équipe mais il savait que ça ne venait d’aucun d’eux.
Mais de qui cela venait-il alors ?
D’un rapide mouvement de repli, Evan évita la pointe du neshir de Lucas. Il para l’assaut de son adversaire, puis le suivant et riposta avec Blue Panther. Il toucha l’épaule de son adversaire et la lame déchira le tissu de la veste rouge en ÉcailleDragon et lui fendit la chair. Contre un coup d’épée normal, le tissu aurait été efficace mais contre des momentums, il atténuait à peine la force du coup. Lucas jura en portant une main à son épaule blessée et lui lança un regard assassin en se penchant légèrement en arrière, évitant une flèche enflammée qui jaillit du mur arrondi des gradins de l’arène. Elle se ficha dans le sol et embrasa la terre qui avait été par endroit aspergé d’un liquide inflammable.
— Je vais tout te prendre, Evan. Tout ! cracha-t-il d’une voix haineuse. Je te prendrais ta cinquième place. Je te détruirais !
Leurs épées s’entrechoquèrent violemment alors qu’ils se mouvaient, souple et rapide, tel des danseurs. Lucas réalisa Le Pas du Danseur, de l’École Silencieuse. Evan ne se fia pas à ses yeux. Parce que les kinshirions faisait varier d’une manière particulière le Chatoiement de leur atmosphaira, ce qui en plus de leur mouvement étudié, trompait efficacement l’adversaire. Il se fia donc à son instinct, en bon lonshirion qu’il était et pila brusquement, pivota sur lui-même parant du bout de sa lame argentée celle sombre de son adversaire qui manqua de lui trancher la jugulaire.
Lucas enchaîna deux autres momentums toujours aussi trompeur. Et ce fut non sans mal, qu’il parvint à se soustraire à sa lame hargneuse et assoiffée de sang, récoltant de légères estafilades à l’issue de ces estocades. Lucas, la respiration saccadée, le fixait en enrageant, tapant du pied sur le sol :
— Saleté de lonshirion, dit-il entre ses dents. Continue de danser mon gros, je sais que je t’aurais à la longue. Je le vois que tu es moins rapide. Tes momentums ne sont plus aussi destructeurs qu’auparavant. Le garoway ne te sauvera pas. Ah, ça non ! C’est ici que tout se joue, ma’nkel, c’est ici, la dure réalité !
Evan trancha sur la longueur une flèche qui fonçait droit sur sa tempe. Les deux parties, passant de part et d’autre de sa tête, se plantèrent plus loin dans le sable mettant le feu à une large parcelle de terre dans un vrombissement. Les flammes s’élevèrent en dansant. L’arène était parcourue d’une douzaine de flaque de feu. La chaleur était étouffante mais il le supportait assez bien. L’odeur d’huile et de terre brûlée étaient en revanche insupportables. La fumée lui irritait les yeux. Evan entendait les heurts métalliques qui rebondissait contre les murs de l’arène et venant de l’autre extrémité de cette dernière. Keiji, son partenaire pour cette épreuve des Gémeaux, croisait le fer avec Jin, allié de Lucas.
— Et Malgré cela, tu n’arrives pas à avoir le dessus, rétorqua Evan narquois, le visage plein de terre calcinée et de sueur.
— Je t’aurais, ne t’en fait pas. Je vais tout te prendre, répliqua Lucas en essuyant son front humide et avec le dos de sa main. Tu as aimé ton passage chez les Corneilles ? Il paraît que tu tremblais comme une gonzesse.
Evan ne réagit pas, se contentant de le fixer avec un regard menaçant. Il l’avait toujours su qu’il y était pour quelque chose, mais c’était la première fois qu’il en parlait de vive voix, l’admettait en quelque sorte. Personne d’autre que Keiji, son magister, Charlaine et la Regina n’était au courant. Mais le Second Maître du Fort aurait pu en parler à n’importe qui.
— Tu as trop longtemps bénéficié de chose qui ne te revenait, sale ma’nkel. A commencer par l’héritière Harlec.
Evan serra plus fort la poignée de cuir gravée de son neshir. Cela avait probablement permis à Lucas de s’attirer les grâces du Shedim Harlec. Personne au sein de l’oligarchie noguemienne des Deux-Frances n’ignoraient qu’il le haïssait. Lucas vit que ses propos sur Tessa l’avaient fait réagir et il s’en amusa en continuant :
— Eh oui, tu ne pensais quand même pas qu’elle t’attendrait ? Ou qu’elle mettrait du temps avant de tourner la page ? Tu vois, ce qui est bien avec les scientis, c’est qu’ils sont très pragmatiques. Et elle est probablement la plus pragmatique de tous. Mes parents sont très souvent invités à manger chez elle depuis quelque mois et j’ai eu pas mal d’occasion de faire plus ample connaissance avec elle et son seigneur de père. Je pense que ça ne dérangerait ni Tessa, ni son vieux que nous formions tous une seule et heureuse famille. Pour moi ce serait le pied. Le hic c’est qu’il faut que j’améliore mon classement après tout, elle avait été promise à l’un des Quatre Souverains, l’Empereur Déchaîné.
Il eut un sourire cynique :
— Et dire que vous n’êtes plus que trois… Il paraît que tu as pleuré à la mort de Jahan.
Evan sentit la colère embraser sa poitrine.
— Oh ! mais qu’est-ce je raconte. Bientôt ils ne seront plus que deux, conclut Lucas avec une joie mauvaise. Plus de ma’nkel, comme ça. Par ailleurs, il faut au moins que je te sois supérieur pour que le projet ait une chance de se concrétiser. Non, mieux. Que je te tue pour que tout soit réglé une fois pour toute. Et le Faucheur de Vie sera enfin apaisé
Alors que Lucas fondait sur lui l’épée levée d’un mouvement souple et furtif, Evan sentit un frisson froid comme la mort remonter son échine. Momentanément, il perdit le contrôle de son corps, ses muscles se figèrent comme s’ils avaient été changés en glace. Un haut-le-cœur le prit alors que son cœur ratait un battement. Lucas abattit sur lui le Voile Sanglant. Une douleur profonde explosa au niveau de son flanc et reprenant brièvement le contrôle de son corps, Evan fit une parade contre la seconde attaque et battit en retraite en épongeant son flanc droit avec la paume de sa main, le visage tordu de douleur. Une des flèches enflammées vola vers son épaule, il se décala in extremis. Ce mouvement lui arracha un gémissement. Lucas jubila en marchant autour de lui avec la nonchalance d’un prédateur.
Keiji entendit le ricanement désagréable à travers la fumée et les flammes. Il repoussa Jin, évita deux flèches et s’écarta suffisamment pour pouvoir voir à travers les colonnes de fumée, au fond de l’arène, Evan qui se tenait le côté d’une main ensanglanté. Ce qu’il craignait depuis la rentrée était en train de se produire sous ses yeux.
Evan… bon sang ! Que t’arrive-t-il ?
Il fallait plus que jamais qu’ils fassent la lumière sur ce qui était en train de lui arriver. Jin fondit sur lui, voulant saisir ce moment d’inattention pour en finir. Et en bon neyoshirion, membre de l’École Écrasante, le Neyo-Shirkairon, il fit pleuvoir sur lui le Déluge du Métal, afin de le submerger. Alors qu’il parait cette succession de coup pesant comme des coups de massue, Keiji enrageait parce qu’il fallait qu’il rejoigne Evan, mais Jin, son visage déterminé, et regard sombre et impitoyable fixé sur lui, ne le lâchait pas. Il se déroba à son flot de lames, anticipant ses trois prochaines bottes, ayant lu clairement ses mouvements. Il perturba son rythme, avant de battre en retrait en criant :
— Evan ! ça va ?
Son A’shua Meno ne répondit pas. Une colonne de fumée noire l’avait soustrait à sa vue. Une vive inquiétude le gagna. Jin attaqua de nouveau et Keiji dévia agilement son épée avec des mouvements précis de toshirion et le força à battre de nouveau en retraite en manquant de lui sectionner l’un des tendons de son biceps gauche. Ne comprenait-il pas qu’il avait mieux à faire ?
Jin manifesta un signe d’impatience en tranchant en deux sans réfléchir, une flèche enflammée qui tomba à ses pieds et enflamma le sol dans un grondement alors que les flammes jaillissaient du sol. Se rendant compte de sa bêtise, il avait bondi en arrière à temps, s’évitant ainsi de graves brulures. Il n’arrivait pas à mettre Keiji en difficulté. Bien qu’il fût désormais le tertius, qu’il fût juste derrière lui dans le classement, on aurait dit que Keiji évoluait dans une toute autre catégorie. Comme toujours… Comme si ce mur de flamme qui les séparait présentement, n’était que la manifestation d’une réalité indubitable.
Même avant leur entrée à la schola, les quatre qui avaient dominé pendant deux ans le classement de leur promotion, étaient reconnus dans le monde, comme appartenant aux alumni dont le Coefficient de Potentialité était le plus élevé. Au-delà de la barre ultime des quatre-vingt-quinze sur cent. Ce coefficient déterminait le potentiel d’un alumnus, sa capacité à s’améliorer et à développer son Kensh’en Or’i, et ceux, qui lors de leur passage en schola, avaient possédé un Coefficient P supérieur ou égale à quatre-vingt-seize, appelé Pulsars, étaient toujours parvenu plus tard à atteindre l’Immaculé. Ils étaient extrêmement rares. Même lors des tournois où les alumni de toutes les années confondus participaient, les quatre réalisaient des exploits face à des adversaires plus âgés. En première année, ils n’avaient pas systématiquement remporté tout leur duel mais ils avaient toujours surpassé les attentes au point que lors de leur entrée deuxième année, on avait fini par les surnommer les Quatre Souverains. Car ils possédaient, par ailleurs, malgré leur jeune âge, des tituli auctoritatis, qui habituellement ne s’acquérait qu’en dernière année de schola, à raison d’un alumnus par promotion s’il y en avait… mais là, ils étaient quatre. Ils avaient brillé et fini par régner sans partage lors de leur troisième année de schola, écrasant même les alumnus de dernière année lors des tournois de neshirinshi, et ce jusqu’à ce que Jahandar ne meurt à la fin de l’année dernière et qu’Evan ne se mette à régresser au même moment. Jin inspira profondément. Il n’avait pas dit son dernier mot ! Evan lorsqu’il était au sommet de sa force combattait le Shogun au Regard d’Aigle, d’égal à égal. Il refusait que le concernant lui, il en fût autrement !
Evan, la respiration précipitée, pressait toujours sa main contre sa blessure. Il reculait alors que Lucas s’avançait lentement vers lui, avec une assurance inquiétante :
— Hum, je n’ai pas pu trancher avec précision. Je dois dire que tu es un vrai phénomène, je n’ai jamais vu un lonshirion avec de tels réflexes. Tu ne devrais même pas être capable de tenir debout mais on ne peut pas fuir le Dévoreur de cendres éternellement…
Keiji traversait l’arène au pas de course au milieu de flaques de feu et de colonnes de fumée noire, se pressant vers Evan et Lucas, l’estomac noué. Il craignait d’arriver trop tard. Soudain Jin jaillit devant lui et lui barra le chemin son épée levé.
— On n’a pas fini, Endo.
— Jin, fit Keiji en baissant la lame de son neshir. On s’arrête là, OK. Il faut que j’aille l’aider.
Jin regarda par-dessus son épaule, avec son air grave coutumier, ses prunelles maussades se posèrent de nouveau sur lui et il répondit d’une voix navrée comme s’il lui annonçait d’ores et déjà ses sincères condoléances.
— Je suis désolé, Kei. Mais le Tri… continue…
Jin fut brusquement contraint de faire un pas en retrait, sous la pression de l’atmosphaira de Keiji qui venait de s’amplifier. Il ne l’avait jamais perçu aussi prête de briser la symbolique Barrière d’On’el Ke’Issin. Son regard sombre et perçant semblait le traverser de part en part. Il émanait de lui une aura si menaçante qu’il avait l’impression d’être face à quelqu’un d’autre. Le Shogun s’était mué en un shinigami, un dieu de la mort qui s’apprêtait à le conduire vers un éternel repos. Tous les muscles de Jin, se crispèrent, l’adrénaline déferlant dans son corps en réponse au danger.
— Bouge ou je t’assure que je vais te rajouter à ma Liste Grise, Jin.
— Ça ne marche pas comme ça. C’est leur duel. Tu n’as pas à intervenir, répondit l’autre, chacun des muscles de son corps tendu au maximum, prêt à affronter le Shogun au Regard d’Aigle. Et de toutes les façons, on le sait tous. Evan n’est qu’un Trépassé en sursis. Il ne devrait même plus marcher à tes côtés. Il n’est plus digne de ta force.
— Jin, fit son adversaire d’une voix glaciale. Eu égard à notre passé, je te le redemande. Dégage !
— Non, il faut que quelqu’un te fasse comprendre que ce ma’nkel n’est plus qu’une perte de temps.
— Ko’h ten Jashen’h! gronda Keiji.
« Soumets-toi, ou meurs ».
Jin bloqua la première attaque dans une gerbe d’étincelle et sentit brusquement la lame argenté veiné de jaune, froide comme la glace qui lui traversa l’épaule brisant les os au passage. Il grimaça de douleur alors qu’il basculait en arrière, projeté par la semelle d’une des bottes de Keiji, qui avec violence, s’était enfoncée dans son estomac. C’était donc ça la différence entre lui et un Auctoriteon ? En moins de quelques secondes, il avait mis fin au duel. Son dos heurta rudement le sol, il avait le souffle coupé et son épaule saignait abondamment. L’atmosphaira de son adversaire l’écrasait car il avait perdu le contrôle de la sienne. Keiji, le visage de glace, les cheveux en bataille encadrant son visage, auréole obscure réfléchissant la lumière des flammes infernales, leva son neshir ensanglanté, le regard impitoyable. Sa présence imposante était digne des Sangs d’Airain des premiers âges. Il abattit son neshir sur lui. Sans qu’il ne sache comment, il parvint à bloquer la lame, le bras tremblant, avant qu’elle ne frappa son cou. L’ombre d’un sourire flotta sur les lèvres du Shogun au Regard d’Aigle.
— Reste où tu es, Kei, entendirent-ils d’entre la fumée. Tu n’auras pas besoin d’intervenir.
— T’es sérieux là ? répliqua-t-il sèchement sans quitter Jin des yeux. Abruti d’A’shua Meno, tu pisses le sang comme une fontaine !
— Ne viens pas, rétorqua son ami d’une voix sans appel.
— Quel casse-pied...
D’un geste vif, Keiji repoussa sans mal la lame de Jin puis lui écrasa le poignet, le tenant ainsi à sa merci, la pointe d’Hozukin posé contre la pomme d’Adams du vaincu. Jin gémit et fut forcé de lâché son neshir. Son autre bras ne répondait plus.
— S’il n’est pas digne de ma force, lui dit Keiji en levant son neshir. Alors personne ne l’est, Jin.
L’alumni immobile sentit monter en lui une grande terreur. Froide et implacable. Son tour était venu de rejoindre les Trépassés.
— Si c’est toi qui m’achèves, dit Jin d’une voix calme bien que son estomac fût noué par la peur et sa gorge sèche. Je n’aurais aucun regret, parce que si je suis parvenu jusqu’ici. C’est grâce à toi, Sang d’Asano.
Keiji eut une mimique méprisante avant de dire en secouant la tête :
— C’est toi qui as toujours été une perte de temps, tu n’as jamais compris qu’il fallait voler de tes propres ailes. Et même maintenant tu me force, moi, à te rayer de terre des vivants. Adieu Yung.
Les yeux gris de Lucas luirent d’un éclat meurtrier.
— Tu es un sacré numéro Evan. Jusqu’au bout ton arrogance n’aura eu aucune limite. Tu penses que tu as encore une chance alors que tu tiens à peine debout ?
Evan était à bout de souffle, c’était vrai. Le phénomène qui lui avait brièvement gelé les muscles l’avait vidé de presque toute son énergie. Il s’était battu jusqu’à présent avec l’énergie de désespoir. Et il était vrai qu’il ne pourrait pas parer le prochain coup de Lucas. Ses muscles ne répondaient plus mais il n’accorderait pas à ce serpent aux yeux gris le plaisir de le voir demander de l’aide pour échapper à ses crocs. Il n’avait besoin d’aucune aide pour cela.
— J’ai attendu ce moment pendant longtemps, fit-il. Adieu, ma’nkel !
Lucas s’élança mais alors qu’il n’était plus qu’à un pas d’Evan, son neshir prêt à s’enfoncer dans le cœur de son adversaire qui n’esquissa pas le moindre mouvement, trois notes lugubres retentir dans l’arène, le forçant à s’interrompre. Leurs échos se brisèrent dans les gradins de pierre vides alors qu’il se rendait compte qu’il venait de laisser échapper une occasion en or de se débarrasser de l’être qui exécrait le plus sur cette Terre. Dégoûté, Lucas délama son neshir dans des volutes de fumée noires et blanches, puis le riva à sa corne noire.
— Je savais que tu prendrais ton temps car tu n’aimes écouter personne d’autre que toi-même. Tu viens de laisser échapper ta seule et unique chance, Lechatel.
— C’est ce qu’on verra, rétorqua l’autre avant de lui donner un coup de pied sauté dans l’estomac.
Evan, projeté en arrière, s’écrasa lourdement sur le sol dans un grognement de douleur. Il roula fébrilement sur le côté en maugréant, sa blessure en feu qui saignait encore plus et vit Lucas qui s’éloignait vers la sortie obscure de l’arène. Keiji apparut au-dessus de lui, la mine sombre et il lui dit :
— On ira le voir aujourd’hui, même si j’avais obtenu un rendez-vous pour dans deux semaines.
— Qui ? Murmura Evan en essayant de se redresser.
Il saisit la main que Keiji lui tendait et se redressa péniblement.
— Le spécialiste qui pourra nous éclairer sur ta situation, A’shua Meno.
Le jeune homme blessé hocha doucement la tête. Il sentit alors de nouveau un frisson descendre dans son dos et ses bras se mirent à trembler si fort qu’il en lâcha son neshir. Son corps se tordit de douleur alors que des spasmes le saisissaient dans la poussière brune de l’arène. L’odeur d’humidité et de cuivre devint insupportable. Après un temps qui lui parut extrêmement long, les muscles de son abdomen se détendirent et il put de nouveau respirer étant au bord de l’asphyxie. Il ne se souvenait pas s’être déjà sentit aussi faible. Et l’odeur… Elle était tout simplement insupportable. Il avait vomi. Il grimaça en se redressant difficilement, les bras sans force. Sa tête cognait. Il pensait que cela prendrait au moins trois mois avant de se reproduire. Trois semaines. Cela ne faisait que trois semaines depuis sa crise dans les vestiaires. Quelque fut la nature de son mal, il était clair que cela empirait.
— Bois, lui dit quelqu’un en mettant contre ses lèvres le goulot d’une gourde.
Il but avidement se rendant compte qu’il avait terriblement soif. Ses yeux rencontrèrent ceux clairs de Tessa. Il les ferma mal à l’aise à l’idée qu’elle eût assistée à cela. Il vida la gourde avant de dire d’une voix rauque :
— Merci.
Elle ne répondit pas et l’observa d’une manière qu’il ne l’avait jamais vu faire. C’était clairement de l’inquiétude qu’il voyait désormais dans ses prunelles. Il se rendit compte qu’un aspirant salomen de deuxième année, dans son long manteau rouge sang était en train de poser un pansement de guérison accélérée sur la profonde entaille qu’il avait refermé à l’aide d’agrafes résorbables qui tomberaient ou se dissoudraient dans l’organisme lorsque la cicatrisation serait complète.
Ce qui mettait en générale un peu moins de deux jours avec un pansement normale mais une journée à peine avec celui qu’il venait de lui mettre. Il se leva ensuite le gratifiant d’un hochement de tête encourageant et s’en alla sans mot dire.
Keiji, qui était accroupi à côté de lui, se leva et lui tendit la main. Evan la saisit et se releva à son tour. Ses yeux sombres et pénétrants le fixaient, préoccupé.
— Suis-moi, je vais te faire un check-up, lui dit la jeune fille.
Il échangea un regard avec Keiji, qui hocha la tête.
— Vas-y. Je vais t’attendre dans les vestiaires. Ensuite, on ira où je t’ai dit.
Evan acquiesça. Tessa s’éloigna et il lui emboîta le pas. La jeune aspirante scientis prit l’une des portes réservées aux unités de secours qui se confondait avec la pierre du mur de l’arène. Il la suivit dans un long couloir au sol et aux murs métalliques. Leurs pas résonnaient dans le silence de l’atmosphère aseptisée.
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