Xavier Delaruelle était professeur d’Histoire et l’un des plus éminents spécialistes de l’Histoire des Trois-Ordres, le Sagolem, le Skiantem et le Noguem. Il enseignait depuis cinq ans à la schola Kiona Paine. De petite taille, blond aux cheveux lisses et courts, il portait des lunettes à la monture ronde dont les verres épais grossissaient exagérément ses yeux bleus. Ses élèves le surnommaient Nœud-Pap, car jour après jour, il exhibait son interminable collection de nœuds papillon. De sa démarche légère, le professeur Delaruelle déambulait entre les tables individuelles, enseignant sur l’Aube Grise à une classe en apparence attentive. Tel était le nom donné à la période s’étalant de l’Ashayshin, le Premier Cataclysme, à la Guerre de l’Éclipse.
Bien qu’ayant toujours été un corps armé hiérarchisé, le Noguem n’avait au début de son existence jamais pris part aux affaires politiques et aux conflits interétatiques. Ayant pour dogme central le Serment de l’Aurore, il était dirigé par les Sept Précurseurs selon les principes de la Voie de la Flamme Immaculée centrés sur la sécurité des hommes et des cités. Ainsi, les Plumes Opales, qui constituait à l’époque le seul corps armé du Noguem, n’avaient principalement à leur charge que la neutralisation des monstres climatiques. Ils se chargeaient également de l’élimination des bêtes sauvages et des étranges chimères qui attaquaient par moment les cités. Ils capturaient aussi et traduisaient en justice ceux qui avaient déserté leurs rangs. Mais cela ne dura pas et des gouvernements corrompirent d’abords les déserteurs puis des membres actifs de l’ordre afin qu’ils combattent à leurs côtés en échange de postes influents et de grades élevés au sein de leurs armées. A cause de leur neshir, ils provoquèrent des dégâts colossaux sur les champs de bataille. Ils manquèrent de peu de raser des cités entières lors du conflit entre la Perse et le nouvel État Indien faisant de nombreuses victimes civiles. Les Sept Précurseurs envoyèrent des délégations pour mettre fin à la participation active des membres de l’ordre dans les affaires internes des États, leur rappelant qu’en agissant ainsi, ils brisaient le Serment de l’Aurore. Un grand nombre refusa d’obéir et les dirigeants refusèrent d'écouter les Précurseurs. L’annexion du nouvel État Indien par la Perse à l’aide de noguemis dissidents marqua le premier schisme parmi les ignemshirs entre ceux qui demeuraient fidèle au Noguem et ceux qui avaient tourné le dos à la Voie de la Flamme Immaculée, et qui furent appelé nihils. Cette guerre fut la première d’une longue série à travers le monde qui impliqua des ignemshirs.
Le timbre assuré et l’élocution parfaite, le professeur Delaruelle appuyait chacun de ses propos par des hologrammes de très vielles archives que son ordinateur à projection diffusait.
— … Les années qui suivirent ce schisme et l’annexion de l’État Indien font partie des années les plus sombres depuis l’Effondrement des Cieux. Car, le monde manquât de se retrouver sous la domination absolue d’un groupe de puissants et terribles conquérants. Encore plus redoutable, selon certains, que les Hydrargyres, serviteurs du souverain Charles Edelweiss, qui furent réduit en cendre lors de l’Effondrement des Cieux. Les régions qui avaient fait le choix d'utilisé des nihils et de nier l’autorité des Précurseurs, tombèrent sous la coupe de ces mystérieux conquérants, les Reiishirins, qui parvinrent à régner à l’espace d’une année sur les trois-quarts de la planète. Seul les bastions du Noguem résistèrent.
Une main se leva. Emma ajusta ses lunettes et d’une pression sur la branche droite de sa monture fit défiler une série d’informations projetée devant elle en réalité augmentée. Elle demanda lorsque le professeur lui accorda la parole :
— Savons-nous ce qu’ils étaient ? d’où ils venaient ? Je veux dire, je ne trouve rien de concret les concernant, professeur.
— Et vous ne trouverez pas grand-chose, mademoiselle Dern, les informations à leur propos non jamais été précises, la plupart des données ayant disparu au début de l’Âge Sombre, une ou deux années après la Chute des Dix Dômes, principalement lors de la destruction d’Alexandria, la Cité du Savoir. Néanmoins, on sait qu’après trente années de silence et d’inaction à leur égard, deux années après la création du corps des Plumes Onyx au sein du Noguem, débuta la Guerre d’Airain. Les Sept Précurseurs et leurs Lunes, à la tête des Légions de Bronzes anéantirent les Reiishirins. Je reviens sur ce point afin que vous compreniez l’importance de l’unité. À travers l’histoire, on a toujours vu que plus une structure, un état ou une entité conserve son unité plus elle perdure. Le manque d’unité du Noguem a failli provoquer un désastre à la hauteur du Premier Cataclysme.
Le professeur Delaruelle claqua des doigts et l’hologramme flottant au-dessus du projecteur qui représentait le temple du dieu neshirien Ous, localisé dans la cité de Bangalore dans l’actuel Fédération des Indes et du Bengale, l’ancien État Indien, se métamorphosa. Un cercle, à l’intérieur duquel deux disques noirs épais recouvert de signes complexes rouge sang se chevauchaient sur un fond blanc, apparu.
— Voyons voir si vous avez un tant soit peu de culture générale, dit Le professeur Delaruelle en se postant devant ses élèves. Quelqu’un saurait-il me dire quel est ce symbole et ce qu’il représente ?
Pendant quelques secondes, personne ne réagit puis trois mains se levèrent simultanément. Ramanujan Mohandas et Yolanda Smith ainsi que la déléguée Charlaine Mitchel.
Le regard de Le professeur Delaruelle se posa ensuite sur son voisin.
Evan Jameson Kupenda.
À peine les cours avaient-ils recommencé que ce dernier s’empressait déjà de reprendre ses vieilles habitudes. On aurait pu croire si on le ne regardait pas attentivement qu’il réfléchissait intensément à ce qui se disait, le visage un peu baissé, une main sur front. Mais non, il dormait. Et très profondément. Décidément…
Charlaine remarqua le regard du professeur. Elle donna tout de suite à son voisin un discret coup de coude. Evan leva la tête, le regard brumeux.
— Hum ? marmonna-t-il.
— Coucou petite marmotte, lui chuchota-t-elle tandis que le professeur se détournait vers les deux autres. Réveille-toi, Nœud-Pap s’est rendu compte que tu dormais.
Evan hocha lentement la tête en marmonnant des mots inintelligibles et à peine détourna-t-elle les yeux qu’il se rendormit. Elle l’observa un moment en souriant puis choisit de le laisser tranquille.
On frappa à la porte. Le professeur Delaruelle interrompit Mohandas et invita celui qui frappait à entrer. La porte coulissa et sans surprise, le professeur vit Keiji Endo entrer en affichant un regret compassé. Il l’avait aperçu plus tôt dans le hall. Le professeur Delaruelle avait même remarqué son bolide vert olive dans le parking. Son regard pénétrant, avec toujours cette froideur propre aux ignemshirs, parcourut la salle et le professeur le vit lancer un sourire aguicheur à l’une des élèves, une aspirante scientis qui devint rouge comme un feu de circulation.
— Entrez, entrez, monsieur Endo, fit le professeur Delaruelle excédé. Le cours a commencé depuis une heure.
— Excusez-moi, monsieur Delaruelle, j’ai eu une panne de réveil.
Il le prenait vraiment pour le dernier des idiots.
— Vraiment ?
— Oui, monsieur, fit-il avec une déférence affectée.
Le professeur Delaruelle se fit la réflexion qu’être conciliant avec ses élèves n’était jamais une bonne stratégie.
— Pourtant, j’ai vu votre aérocar ce matin en arrivant. Il ne passe pas inaperçu.
— Il est vrai que peu d’étudiant ont les moyens de se payer une Morinetti 2800 Taurus avec intérieur cuir de vache de Moguu, finition chromée, tableau de bord en ébène et un triple réacteur Barracuda à injection inversée mais je crois bien que notre charmante schola abrite un nouveau chanceux.
— Mais bien sûr monsieur Endo, et pourquoi ai-je le sentiment que, comme par hasard, un seul modèle sera garé dans le parking si je m’y rendais derechef ?
— J’aime bien de temps en temps me dégourdir les jambes aux aurores. Après tout, je n’habite pas très loin, vous savez ?
Des élèves ricanèrent. Le professeur Delaruelle soupira. Il avait toujours quelque chose à dire. D’un geste exaspéré, il l’envoya s’asseoir. Keiji marcha jusqu’à la table voisine de celle d’Evan, encore libre, et le poussa intentionnellement alors qu’il s’asseyait, malicieux, sans réussir à le réveiller pour autant. Le professeur Delaruelle donna la parole à Mohandas qui s’agitait sur sa chaise comme s’il mourrait d’envie d’aller au petit coin. Mais au même moment, Keiji affirma haut et fort, d’une voix assurée, un sourire narquois – sûrement destiné à Mohandas – alors que personne ne lui avait rien demandé :
— Ne s’agirait-il pas là des Disques Jumeaux d’Erion, professeur ? Le signe soloménique mêlant ceux du néant et du chaos, utilisé comme emblème par les Fléaux ?
Le professeur Delaruelle vit de l’agacement chez Mohandas qui gratifia Keiji d’un regard assassin auquel il répondit par un sourire amusé.
— En effet monsieur Endo… et c’est d’ailleurs ce que je demandais à vos camarades avant que vous n’arriviez, répondit-il. Pensez à demander la parole, à l’avenir.
— Mais bien entendu, dit-il en s’adossant nonchalamment sur sa chaise et posant distraitement son R-Tatoo sur la table. Veuillez excuser mon impertinence.
— Dis-moi Zeek, penses-tu que tu es quelqu’un de bon ?
— Comment ça ? demanda un petit garçon joufflu aux grands yeux noirs candides.
— Ou plutôt penses-tu que je suis quelqu’un de gentil ?
— Bien sûr, répondit-il avec enthousiasme en le serrant contre lui, tu es le plus gentil papa de toute la terre !
Le grand homme au teint bistré et éclatant, aux cheveux coupés courts, et à la mâchoire carrée, rasée de près, se tenait accroupi près de son fils. Il esquissa un sourire plein de tendresse et lui répondit en ajustant ses lunettes :
— Tu es un gentil garçon toi aussi, mais ce que j’essaye de te faire comprendre fiston, c’est que… à chaque instant, nous sommes le produit de nos choix et ce sont eux qui déterminent le chemin sur lequel nous nous trouvons. Qui nous sommes.
Le garçon fronça ses sourcils fins et son petit nez épaté, réfléchissant à ce qu’on venait de lui dire. Son regard soudain concentré et intense comme celui de son père reflétait un esprit vif et éveillé. Il eut une moue hésitante en regardant son père puis demanda :
— Pourquoi on ne reste pas simplement sur le bon chemin ?
— Parce que le cœur humain est semblable à un labyrinthe aux galeries sombres et inexplorées. L’homme en ignore même la véritable profondeur. La véritable origine de ses propres aspirations. Il est capable de se tromper lui-même. C’est pourquoi, certains pensent être sur le bon chemin, mais ils s’en sont déjà éloignés depuis très longtemps.
— Ah ! mais comment on fait pour ne pas se tromper ?
— On se trompera souvent, mais si on a assez d’humilité pour reconnaître notre erreur, nous pouvons toujours revenir sur le bon chemin. L’Existant nous accueillera toujours les bras ouverts sur son chemin, qui est celui de la lumière.
— Il est où ? Maman dit qu’il est parmi les étoiles, entre Cassiopée et Céphéus.
Son père esquissa un doux sourire et dit en regardant les nuages rosés.
— Certains disent qu’il est même au-delà des étoiles, mais moi je crois qu’il est constamment autour de nous.
— Dans l’air ? Est-ce qu’on le respire ?
Le père rit de bon cœur de son rire grave et coloré. Il caressa affectueusement les cheveux ébouriffés du petit garçon.
— Oublie fiston peut-être que je te parle de choses trop compliquées.
Il se tut un moment, songeur avant de dire en prenant avec délicatesse le visage de son fils entre ses mains.
— Écoute-moi bien attentivement, Zeek. Je veux que tu retiennes ce que je m’apprête à te dire. Le jour viendra où tu devras faire un choix. Choisir entre d’une part le Chaos et d’autre part l’Ordre et la Lumière. Choisis le bon chemin.
— D’accord, je choisirai le bon chemin. Celui de la Lumière, c’est ça ? De l’Existant ?
Son père le regarda, maussade un court instant, avant que toute la mélancolie ne disparaisse et qu’il ne lui dise après lui avoir embrassé le front et ébouriffé de nouveau la crinière.
— Oui, c’est ça. Une glace te plairait ?
Son délicat petit visage s’éclaira.
— Oui ! s’exclama-t-il, à la mangue et à la tomate !
— Oh… Vraiment ? comment faites-vous, toi et maman, pour aimer de tels mélanges ?
— Je sais pas. C’est marrant.
Le garçon hocha vivement la tête en souriant de toutes ses dents. Son père se releva et balaya du regard le grand parc nimbé de la lueur mordorée du crépuscule. Il cria alors à une petite fille à la belle chevelure volumineuse et crépue, qui courait après d’autres enfants au milieu d’éclats de rire :
— Sue, ne t’éloigne pas trop !
La petite fille vêtue d’un débardeur à fleurs et d’une jupe plissée bleu ciel s’arrêta et fit de grands gestes avec les bras, le visage rayonnant, avant de se remettre à courir.
— Toute cette énergie, dit-il en souriant tendrement.
Il prit la petite main de son fils, et lui lança alors, d’un ton enjoué :
— C’est parti pour une glace à la tomate et la mangue pour mon petit Zeek !
— Oui ! Je pourrais ajouter des pruneaux ?
Le père haussa les sourcils, déconcerté et soudainement, rit à gorge déployé :
— Eh bien, je crois que tes goûts sont encore plus étranges que ceux de ta mère.
Le rire cristallin du petit garçon s’éleva dans l’air chaud et parfumé du soir.
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