« J’ai mis du temps à écrire cette entrée. La deuxième, je n’espère pas la dernière. J’avais l’esprit embrouillé, il m’a fallut du temps pour tout démêler. Comme lorsque vous restez trop longtemps sous l’eau, que l’air vous manque et que votre cerveau commence à faire l’impasse sur ce qui n’est pas important. Sauf que moi, j’ai fais l’impasse sur ce qui l’était. »
L’encre semble différente pour la suite, comme si un petit temps s’était écoulé entre les deux parties du texte.
« Pour celle qui pense qu’un verre ou deux de vin par jour ce n’est rien sans se rendre compte qu’elle est alcoolique. Pour celui qui pense qu’une ou deux gifles c’est normal sans se rendre compte qu’il est battu quotidiennement par sa femme. Pour celle qui chante et celui qui danse ; celle qui enseigne et celui qui apprend ; celle qui se bat et celui qui n’abandonne pas. Pour ceux qui rendent l’humanité horrifique et fabuleuse.
Au fur et à mesure des missions, j’ai oublié pourquoi je me suis engagée. Je ne suis pas née pour juger et je l’avais oublié. À force de voir le mal partout, j’en avais occulté la chose la plus importante qui vibre en moi : les Hommes devraient s’écouter et non se juger. En écoutant son histoire, je me suis écoutée moi-même.
Je me suis engagée, avant puis maintenant, pour que cet écho en moi vibre encore plus fort. Pour que ceux qui ont peur ne perdent pas espoir. Pour soutenir ceux qui veulent se battre et protéger ceux qui n’en ont ni la force, ni la bravoure. Pour que les victimes d’hier ne précèdent plus celles de demain. Pour que les enfants ne grandissent pas trop vite, que les animaux aient encore des foyers rassurants et que les familles ne se déchirent plus.
Je me bats parce que je crains la mort et celle de mes frères et sœurs d’armes. Je me bats parce qu’au fond, c’est la seule chose que je sache vraiment faire : penser à l’avenir et protéger ceux qui le forgent. Tant qu’ils auront besoin de moi, je ne cesserai de marcher.
Que le Masque me prive de mon identité, alors je deviendrai celle dont tous rêveront pour les inspirer. Que la Bête me transforme en monstre, alors je ferai de ma nouvelle puissance une force pour les porter. Que la Dame efface toute ma prestance, alors je serai un soldat qu’ils pourront utiliser jusqu’au bout. Que la Chair sape mes forces, alors je trouverai les mots pour les encourager. Que la Machine me vole mes sentiments, alors je continuerai à me battre comme lui l’a fait pour ne pas oublier qui je suis.
Que tout cela m’arrive pour que je ressente le douloureux désir d’être humaine. De pleurer de rire et de hurler de chagrin. Tant qu’une infime partie de moi sera humaine, j’espère avoir la force et la bravoure de continuer à lutter. Le temps donnera toujours raison aux Hommes. Tant que des cœurs lumineux naissent, l’espoir ne peut mourir et l’Humanité non plus. Car l’espoir est une force qui peut percer même les ténèbres les plus épaisses. »
L’écriture devient plus tremblante. L’encre a bavé à plusieurs endroits et le papier y est légèrement gondolé.
« Merci à notre frère, à celui d’avant, à tous ceux d’avant encore, et à ceux qui suivront, de porter cet espoir plus haut que les anges ne pourront jamais voler. Nous sommes le dernier bastion contre l’Anathème, nous sommes là pour résister, pour tous ceux qui en sont incapables. »
Les derniers mots sont presque illisibles tant l’encre a bavé.
« Merci mon frère. »
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