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tome 1, Chapitre 1 « La Petite Légende » tome 1, Chapitre 1

Partie 1

Le vent marin soufflait dans ses cheveux, les larmes perlaient ses brillants yeux violets et cachaient sa vue, mais elle ne les remarqua même pas, seule comptait la vitesse. Plus vite, plus vite, elle ne pensait qu’à cela. Elle les savait sur ses talons, et qu’à la moindre occasion, c’en serait fini d’elle. C’est ici que ça se corse lui dit une petite voix dans la tête. Et pour cause, les quartiers marchands de Bilgewater sont bondés à ces heures de l’après-midi. C’est pourtant sans aucune hésitation qu’elle bifurqua dans une rue pleine d’habitants de la cité marine. Aucune importance, concentre-toi, personne ne te viendra en aide. Je ne dois pas me faire attraper se rappela-t-elle.

Elle s’élança dans la foule, se faufilant dans le remous incessant des promeneurs en quête de denrées. Elle n’avait que faire de ces étals colorés, elle pourrait toujours y revenir, si tant est qu’elle survive à la suite des évènements. Jetant des regards inquiets derrière elle, notre jeune amie remonta la rue à vive allure. En observant les maisons en bois, biscornues et serrées, une idée lui traversa la tête. Et si on pimentait un peu les choses ? Entre deux passants, elle s’élança sur une pile de caisses en s’accrochant aux aspérités d’un mur, qui jadis fut la coque d’un quelconque navire, avant de se glisser sur le toit. De son perchoir, elle aperçut d’un bref coup d’œil ses poursuivants.

- Il va falloir être plus rapide si vous voulez me rattraper ! lança-t-elle à ceux-ci.

D’un grognement sinistre, le premier tentait de grimper les caisses avec une assurance incertaine, la hauteur faisant dresser ses cheveux noirs de jais sur sa tête.

- On verra quand je te tiendrais vaurienne, grommelle celui-ci.

Sans un mot de plus, Bell s’élança de nouveau, sur les toits, et de maison en maison, se laissant emporter par l’ivresse de la vitesse. Tout allait pour le mieux, rien ne saurait l’arrêter, elle allait si vite, elle était si libre. Les planches des embarcations qui composaient l’étrange variété de bâtiments craquait sous le poids pourtant léger de la jeune yordle. Elle ne ralentit pas la cadence, et ce ne sont ni les quelques bruits qui la ferait ralentir, ni cette rue, creusant un écart d’une dizaine de mètres, en travers de son chemin. Sans même prendre le temps de réfléchir, Bell prit son élan, sauta de toutes ses forces et... disparut. Avant de reparaitre sur le toit d’en face, et de continuer à courir, laissant derrière elle quelques volutes de fumée multicolore.

Plus bas, la rue marchande et la foule avaient laissé place à une ruelle presque déserte, mais elle n’était plus qu’à quelques bâtiments de son objectif, elle serait enfin en sécurité. Elle dévala agilement un enchevêtrement de balcons et d’étendoirs à linge avant de rejoindre la terre ferme, de parcourir les derniers mètres qui la séparaient de sa destination, et pénétra dans une grande cour.

- Enfin arrivée, je suis sauve ! s’exclama-t-elle, tout juste essoufflée.

- Je n’en serais pas si sûr si j’étais toi, lâcha le nouvel arrivant, tu es finie.

***

- Jay, tu m’as fait peur. Et je te signale que je suis arrivée la première j’ai gagné.

- En trichant cependant, rétorqua l’intéressé, tu comptes m’expliquer pour ton saut par-dessus une rue entière ?

- Mais… je n’ai pas fait exprès ! Tu sais très bien que je n’arrive pas à le contrôler… et ne le crie pas si fort on pourrait t’entendre…

- Quand bien même, tu devras tout de même te débrouiller seule ! dit-il en la foudroyant du regard.

Le jeune homme lui faisait face, Bell savait qu’il avait raison. Impossible de tenter de s’échapper.

- Et Cynthia ? Elle n’est même pas encore arrivée, c’est elle qui devrait perdre, je suis quand même arrivé bien avant, plaida la jeune fille.

- Ouais, mais elle ne triche pas au moins, argua son ami. Tiens en parlant d’elle, regarde qui voilà !

Une jeune femme pénétra l’entrée de la cour, et s’invita au petit duo, en tentant tant bien que mal de remettre ses mèches roses en place.

- Eh bien, on dirait que c’est encore moi qui écoperai, souffla-t-elle épuisée.

- Figure toi que non ! Tes efforts n’ont pas été vain, tu n’as pas perdu. Elle, en revanche, a du souci à se faire ! plaisanta Jay en désignant Bell.

L’intéressée, dont la déception et l’angoisse commençaient à se deviner dans ses grands yeux violets, frotta le fin duvet qui recouvraient visage, non sans fusiller son ami du regard.

- Je devine que tu as encore « sauté » demanda Cynthia d’un ton aussi doux que son souffle lui permettait, estime toi heureuse que ta seule punition soit celle que tu récupère en ayant perdu, mais ne va pas penser que l’on te pardonne pour autant !

- Je sais, pas la peine de me le rappeler, maugréa celle-ci, je m’occupe d’aller voir Papy à la boutique, et vous vous allez tranquillement vous reposer c’est ça ?

- Exactement ! acquiescèrent ses deux amis, tout sourires.

Ainsi, après avoir laissé à Bell le chargement, tous deux repartirent en direction des bas-quartiers, soulagés de ne pas être à la place de leur jeune camarade.

***

La vieille porte en bois grinça lorsqu’elle pivota sur ses gonds, faisant tinter une clochette. Bell pénétra dans la boutique avec la prudence d’un aventurier qui aurait pleine connaissance du danger ambiant. Son objectif était l’arrière-boutique, à l’autre bout de l’étage. Maintenant qu’elle était là et qu’elle ne pouvait plus s’échapper, autant faire durer un peu les choses avant d’avoir à l’affronter… Elle divagua plusieurs minutes entre les vitrines et étagères pleines d’objets techniques en tout genre. Ils ne servent qu’à la crème des marins de notre ville lui avait-il dit. Elle prit le temps de regarder la grande carte de Runeterra sur un mur. Comme j’aimerais aller dans tous ces endroits se dit-elle, mais pour le moment j’ai une lourde épreuve à passer. Déterminée, elle serra le sac contre elle, et passa à la pièce lumineuse du fond de la boutique.

***

- Mais regardez donc qui voici dans mon humble arrière-boutique, gronda une voix forte, Mademoiselle Bell me fait enfin l’honneur de rentrer.

La voix semblait provenir de la personne assise au fond, penchée sur un complexe instrument. L’intruse en question s’approcha, les oreilles baissées et les yeux rivés sur ses chaussures.

- Je suis désolée grand-père, s’excusa la jeune fille, on… enfin j’ai rencontré quelques problèmes sur le chemin…

Le vieil homme se redressa soudain, et en posant ses outils, marmonna quelque chose d’inaudible.

- Laisse-moi deviner, gronda celui-ci, tu as « accidentellement » abîmé, voir ruiné, la pièce maîtresse de l’appareil que je suis sensé fournir dans quelques jours n’est-ce pas ? Tu sais au moins que les navires d’exploration ont un besoin crucial d’appareils de navigation ?

- Je sais papy… Je n’ai pas fait exprès… Mais la pièce est encore exploitable tu sais !

- Qu’est-ce que tu en sais toi ? marmonna-t-il, serais-tu devenue une experte ?

- J’ai pris le temps de l’observer et j’ai…

- Assez ! tonna le vieil homme, le client devrait être encore présent sur les quais de la ville principale, tu vas toi-même aller lui dire que tu as brisé cette pièce, et peut-être retardé son départ. Propose-lui de l’aider cet après-midi pour te faire pardonner, cherche son navire, l’Espalier.

- Mais je devais aller…

- Sur les quais, et nulle part d’autre. Ce n’est pas négociable jeune fille.

- Mais… plaida celle-ci.

- Il n’y a pas de « mais » qui tienne, et estime toi heureuse que je ne te fasse pas dépoussiérer tout le magasin en prime, la sermonna son grand-père, ou peut-être souhaites tu le faire en rentrant ? Ton affinité avec ces instruments ne changera rien à la corvée.

Devant le regard dur du vieux bricoleur, Bell ne put que s’incliner et se dirigea vers la porte.

*** ***

Dans l’archipel de la Cité de la Marine, tout le monde peut trouver sa place, personne ne cherchera à connaître votre passé, à moins d’être un proche, ou de vouloir vous dérober quelque chose. Le capitaine Morgan, d’une des flottes d’exploration et d’échanges commerciaux les plus réputées de Bilgewater, faisait partie de ces nombreux hommes ayant trouvé refuge au sein de la cité du crime. D’aucuns parlaient de graves crimes, tandis que d’autres rumeurs tendaient à dire qu’il avait fui la guerre et les massacres Noxiens. En tout cas, ce capitaine reconnu était enfin de retour chez lui, prêt à écumer, après les océans, les tavernes de sa ville.

Cependant le devoir d’un bon capitaine est de guider ses hommes, et les siens sont destinés à la mer, il était donc important de prévoir, et ce malgré son récent retour, son prochain voyage. Ainsi, Morgan se dirigea, en compagnie de Fiddlesticks, son atypique et effrayant second, vers les docks, où l’attendait son armateur.

***

C’est devant un grand entrepôt que Morgan s’arrêta. Imposant bâtiment, cet édifice sert à stocker le butin, prévoir les vivres des prochains voyages. Celui-ci n’appartient à nul autre que l’un des plus imposants et prestigieux arm..

- EH BAH ENFIN MORGAN TE VOILA ! Je me demandais si t’étais pas encore allé te saouler au lieu de m’aider gredin.

Devant l’homme dont la carrure en imposait par… sa largeur surtout, Morgan sourit de toutes ses dents et se précipita lui serrer la main.

- Mais voyons vieux brigand tu me connais, j’honore toujours mes devoirs avec le plus grand sérieux ! dit-il.

- Comme ce jour où tu as « malencontreusement » oublié de partir avec ton équipage et qu’il a fallu affréter une frégate pour te conduire à ton navire ? rétorqua le boniment bonhomme.

- Tout de suite les grands mots, tu sais très bien que l’on ne quitte pas une dame sans lui dire promptement au revoir, plaida le capitaine.

- Mais bien sûr.

Devant le regard dur et terriblement moustachu de son ami, Morgan détourna le regard et observa les denrées entreposées.

- Dis-moi tout Baldassare, quelle est notre prochaine destination, combien de temps dois-je partir, que dois-je ramener ?

- Toujours dans le vif du sujet, plaisanta l’armateur, mais avant, Monsieur Fiddlesticks vous aviez quelque chose dont vous vouliez me faire part si j’ai bonne mémoire.

Sortant de derrière Morgan, une étrange créature, qui semblait être un épouvantail animé par un esprit, se présenta à l’homme, et expliqua de sa voix croassante.

- Notre navigateur, Jäl, a choisi de séparer sa route de la nôtre. Son âge avançant, sa famille devient sa priorité et il a décidé de rester sur la terre ferme, je pense qu’il t’aidera. De ce fait, nous n’avons plus de navigateur, ajouta la créature.

- N’avez-vous pas les moyens d’utiliser les instruments par vous-même ? demanda Baldassare.

- Les appareils sont exploitables par n’importe quel marin, argumenta le capitaine, mais ce dont nous avons besoin c’est d’un navigateur, dit-il en appuyant bien sur le terme.

- Un bon navigateur ne se fie pas qu’aux instruments, ajouta Fiddlesticks, il se doit de se connaître et de connaître ses capacités d’improvisation, d’user de ruse et de suivre son instinct.

L’armateur poussa un profond soupir et acquiesça.

- Je sais je sais… répondit-il, je vais tâcher de vous trouver cela, allez au repos je viendrais vous trouver pour vous informer sur votre prochain départ, mais sachez tout de même que Targon sera la destination.

- Bien Monsieur ! Saluèrent en chœur le capitaine et son second, avant tourner les talons et de se diriger vers leur prochain voyage : la taverne.

*** ***

En quittant la cour, Bell ne put s’empêcher de contempler le ciel bleu de l’archipel. Quelle barbe d’habiter dans la ville de la navigation, et de ne jamais avoir voyagé se plaignit la jeune yordle, au moins cet après-midi pourrait s’avérer amusant !

D’un pas léger, elle descendit les mêmes rues qu’elle avait montées avant son sermon par son grand-père. Quelle tête de mule, il fallait que je tombe sur un vieux marin avec un caractère de cochon…

- Mais au moins il te traite bien ton grand-père, dit Jay, qui venait de surgir d’une ruelle adjacente.

- Quand cessera-tu cette mauvaise habitude de sortir de nulle part et me surprendre ? s’énerva Bell, tu me fais une peur bleue à chaque fois ! Et comment sais-tu à quoi je pense ?

Celui-ci s’amusa à contenir les petits coups de poing que son amie tentait de lui asséner.

- J’ai compris petite furie je ferais attention, rigola celui-ci en la repoussant. Mais vu ta tête le vieux n’a pas dû être tendre avec toi. Tu as les oreilles qui se rabattent comme ça lorsque tu es en colère, mima le garçon.

Vexée par cette caricature, l’intéressée s’éloigna en bougonnant.

- Ah au fait je ne serais pas là aujourd’hui ! lança Bell en se retournant. Je me dois de proposer mon aide sur les quais pour la pièce brisée.

- Aucun problème, on se retrouvera demain !

***

Situés dans le milieu des hauts quartiers, la boutique et la maison de son grand père faisaient faire à Bell un long chemin, les docks se trouvant logiquement dans les quartiers bas, près de la mer. La ville étant sur un archipel montagneux, il n’était pas rare que ses habitants se déplacent plus en altitude qu’autre chose. Bell prenait donc un grand plaisir à descendre par des chemins incongrus, tout en observant le paysage. Cette fois, Bell ne voulut pourtant pas passer n’importe où.

La jeune yordle emprunta des rues marchandes, débordant d’étals colorés, entassés les uns contre les autres, parfois même sur des pontons en bois, suspendu au-dessus du vide. Elle esquivait les nombreux passants venus marchander et glaner denrées et informations. A tout instant, il suffisait de baisser les yeux pour apercevoir le port en contrebas, source de revenu principal des fortunes de Bilgewater. Tout de même ils doivent en avoir de la chance les habitants de la haute ville… soupira Bell en regardant les grandes bâtisses des hauts quartiers. En marchant, elle laissa ses pensées escalader les énormes rochers de l’archipel, et côtoyer le ciel, puis voguer son regard sur l’océan au loin, bravant les vagues bleues qui découpaient l’horizon.

En descendant, on voyait moins le ciel, les montagnes. Mais l’architecture efficace et spéciale de la ville prenait le pas dans les pensées de la jeune fille. Les principaux quartiers étaient généralement composés de la récupération de vieux navires, certains même de ceux ayant servi les premiers arrivants de l’archipel. Ces bateaux ont vécu tellement d’aventures sur les mers, aujourd’hui encore ils nous assistent et vivent leurs aventures sans bouger d’un poil. J’aimerais vivre des aventures moi aussi.

En approchant des Docks, il se dessinait un gracieux ballet : celui des plus grandes flottes, composées des navires les plus robustes que les mers de Runeterra aient connues. Ni ces andouilles noxiennes, ni ces coincés de demaciens ne possèdent de meilleur navire pensa Bell avec un air fier, mais j’aimerais beaucoup voir les bateaux freljordiens.

Bell chercha attentivement parmi les bêtes amarrées aux quais, avant de le trouver, l’Espalier. Un grand navire, sensiblement commercial, au vu de la taille et de l’armement moyen. Il doit certainement avoir besoin d’une escorte se dit Bell, moi je n’aurais pas besoin pensa-t-elle fièrement. Bien, cherchons le capitaine… Elle trouva son homme, un grand gaillard bien habillé, avec un cache-œil. Ringard se dit-elle. Elle s’approcha déterminée. Bien, tâchons de ne pas faire honte a papy !

- Hum… excusez-moi monsieur ! Seriez-vous le capitaine ?

L’homme se tourna vers elle, souriant.

- Oui c’est moi ! Qu’est-ce que je peux faire pour t’aide ma jolie ?

- Eh bien... Je... Je viens de la part de Papy… hasarda la yordle.

- Oh je vois ! Tu dois être sa petite ! s’exclama-t-il le regard éclairé

- C’est exact…

- Dis-moi tout jeune fille tu as l’air soucieuse.

Bell prit son courage à deux mains, et soutint le regard curieux du capitaine.

- J’ai brisé une pièce dont Papy avait l’utilité, pour réparer un de vos instrument. Je suis venu m’excuser et me proposer de vous aider cet après-midi pour me faire pardonner.

- Je vois je vois, dit le marin d’un air pensif. La pièce sera-t-elle prête à temps à ton avis ? Bien que tu n’y connaisses pas grand-chose j’imagine…

- Détrompez-vous, je suis très douée avec les outils de navigation ! s’insurgea la jeune fille. Il devrait pouvoir y arriver en deux jours, la pièce est toujours utilisable…

- A la bonne heure ! s’exclama le marin, et dans le pire des cas, nous avons récemment recruté un navigateur !

- Tout les équipages n’en comptent-ils pas un ? interrogea Bell.

- C’est de navigateurs particuliers dont nous parlons ici jeune fille, s’amusa l’homme, ils sont de ces hommes dont l’instinct est aussi affûté qu’une lame ionienne, aussi précis qu’un tireur de Piltover, et aussi fiable qu’un sage de Shurima !

Curieuse, la jeune fille posa quelques questions sur ces fameux navigateurs, sur leurs capacités, et leurs voyages. Peu de marins comptaient parmi ces hommes, mais ceux qui en avaient la chance étaient souvent ceux dont la beauté des voyages n’avait d’égal que leur dangerosité.

- Très bien petite, j’ai à faire, coupa le capitaine, je te laisse retourner chez toi, remercie ton papy pour son travail, dit-il en souriant.

- Merci à vous, portez-vous bien monsieur !

Heureuse d’avoir appris multitude de choses, Bell reprit la direction de la boutique.

***

En longeant les docks, faisant face aux navires de tous types, Bell choisit de prendre son temps pour se promener, libre. Après tout ce vieux grincheux ne saura pas que j’ai flâné au lieu de rentrer dès ma course auprès de son client terminée se dit-elle.

Elle observa un temps les équipages, s’affairant à des rythmes draconiens à diverses tâches. Nombre d’entre eux partiront dans les prochains jours, en direction des terres les plus reculées de Runeterra, des royaumes les plus dangereux, des mers les plus obscures, pour revenir, et décharger dans les ports Bilgewater tout ce qui fait de cette ville, la plus diversifiée du monde. La capitale maritime inégalée, que ce soit par des moyens traditionnels, ou moins. La piraterie est aussi un métier se dit Bell. Comme j’aimerais être capitaine, avoir sous mon commandement un féroce équipage, braver tempêtes et ennemis divers, voguer vers la richesse. Ou bien être un de ces fiers harponneurs qui se jettent dans la gueule des plus effrayantes des bêtes océaniques. Elle laissait aller ses rêves, en observant la vie portuaire. Les équipages semblaient être très souvent diversifiés, des marins de toutes couleurs, de tous horizons, de toutes espèces. Les Yordles cependant, restaient très peu représentés. Bilgewater n’était pas connue pour être dotée d’une atmosphère similaire à Bandle, leur ville d’origine, peu d’entre eux y vivaient donc, le reste y vient par simple curiosité. Peu de Yordles, mais pas mal enfants tout de même, peut être que j’aurais mes chances se dit la jeune rêveuse.

Au détour d’une ruelle, Bell fut surprise de la foule inhabituelle autour d’une taverne. La Chope n’a pas autant de clients en temps normal, un équipage spécial serait-il arrivé ? Elle tenta de s’approcher de la porte, mais la présence de marins imposants et pas très coopératifs l’en dissuada. Une taverne n’est pas un endroit pour une enfant pensa-t-elle, mais ça ne m’arrêtera pas ! Je suis presque une adulte après tout.

Elle contourna l’entrée principale, et dans une rue juste à l’arrière, elle trouva de petites fenêtres ouvertes, juste en dessous d’une pile de caisses. C’est l’heure de se renseigner ! frissonna-t-elle, impatiente. Elle grimpa agilement et se plaça près de la fenêtre, dévorant la salle du regard, glanant le plus d’informations possible. Pour une fois ses grandes oreilles si spéciales lui seraient utiles.

Dans la taverne à l’atmosphère festive, un attroupement semblait s’être formé autour d’un groupe, au plein centre de la salle. Surement un équipage rentré de voyages de très loin devina Bell. Une femme du groupe, dont l’énorme stature trahissait l’origine probablement Freljordienne, debout à côté d’un vieillard, un pied sur le tabouret en bois, exhortait l’attention de la clientèle, en agitant un peu trop sa pinte. Une braillarde qui doit encore se vanter d’avoir réussi à pêcher le plus gros des poissons soupira la jeune fille. Elle s’apprêtait à descendre de son perchoir lorsqu’elle pensa percevoir quelques mots à propos de leur voyage.

- On est allé dans les fameuses mers du sud, on a vu d’ces bêtes dans les eaux si s’aviez vu ça vous tous.

La femme au pied sur le tabouret, comme Bell l’avait deviné, fraichement revenue d’un long voyage, semblait aimer l’attention que lui portait son auditoire.

- On y a vu une énorme montagne, sûrement la plus grande du continent j’vous dis ! beuglait-elle, sensiblement éméché, pas vrai Nâmis ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la femme ayant sans aucun doute un peu trop d’alcool dans le sang appela le vieil homme par son nom, et non par quelque dénomination dégradante pour une personne de son âge. Que fait un vieillard dans une taverne au milieu de marins bien arrosés ? se demanda Bell. Il doit être important si les autres s’adressent à lui avec respect.

- C’est exact, affirma le vieil homme, mettant fin aux rires amusés de la clientèle, cette montagne est selon les dires la plus grande jamais observée, et l’ascension de son sommet ne serait réservé qu’aux élus et aux suicidaires.

- Hé le vieux tu ne te paierais pas un peu nôtre tête ? lança un homme dans l’auditoire.

- Respecte Nâmis, manant ! répondit la femme. Il est probablement l’homme le plus sage et instruit que tu pourras rencontrer dans ta vie. Moi Anna Wajäard, l’affirme sur mon honneur !

Je ne suis pas habituée à juger sur l’apparence, mais je sens qu’il y a comme une part de vérité en ce vieil homme, pensa Bell, toujours cachée, Mais plus hautes que les montagnes de Demacia ? Cela me semble exagéré. Dans le même temps, la femme continua sur ses descriptions.

- Nous avons rencontré quelques tribus de locaux, affirma l’homme, des Solaris, hein Nâmis ?

- Les Solaris oui, acquiesça celui-ci, que l’on pourrait apparenter aux fidèles de l’ordre du Grand Kraken par chez nous.

- Mais eux vénèrent d’autres divinités, tels des dragons mangeurs d’étoiles ! renchérit-elle.

- Mais oui bien sur un dragon capable de dévorer des étoiles ! s’amusa un des clients, et pourquoi pas des fées aussi !

- Je peux vous assurer que c’est vrai ! s’indigna Anna.

- Bien sûr, lança un autre, et où se cachent ces petites fées, dans ta bière vaillante femme des mers ? rétorqua un homme.

- Tu oserais remettre en cause l’exploration de mon capitaine ? brailla la brave, sensiblement vexée.

- Voyons chers amis, personne n’ira remettre en cause ces dires, car ce ne sont pas de simples rumeurs ! tonna une voix forte à la porte.

Peu d’entre nous, en ce bas monde, étaient capable de faire preuve d’un talent que l’on pourrait appeler le « timing parfait ». Et le manieur le plus habile dudit talent n’était autre que la personne qui venait de passer le pas de la porte.

***

- Camarades enfin, nous venons de rentrer, repris l’homme, ce n’est pas le moment de se disputer pour des broutilles. Tavernier, une pinte ! cria celui-ci.

- Capitaine Morgan, saluèrent Nâmis et Anna, d’une seule voix.

L’homme à la forte stature s’assit aux côtés de ses camarades, précédé par Fiddlesticks, dont la présence provoqua quelques murmures dans l’assemblée.

C’est le fameux capitaine Morgan !

Fameux ? Mais c’est quoi cet épouvantail à ses côtés ?

Il parait qu’il a voyagé sur la plupart des mers répertoriées.

On dit qu’il projette d’aller dans les mers inconnues !

Il est moins impressionnant que prévu…

Il est vraiment capitaine ?

Il est bizarre…

Comme si les voix n’étaient rien, le capitaine à qui on avait servi une bière se redressa pour imposer sa stature, et partit dans un grand éclat de rire.

- Alors messieurs, et mesdames bien sûr, ajouta-t-il en faisant un clin d’œil à de jeunes filles assises plus loin, j’ai cru comprendre que vous ne croyiez pas en les racontars de mon amie ici présent ? Eh bien je peux vous affirmer que, faute d’être précise, ce qu’elle dit est… plus ou moins vrai.

- Je vous l’avais dit les dragons des étoiles ça n’existe pas, souffla un inconnu.

- Que nenni mon brave ! tonna Morgan, les dragons existent bel et bien ! Pour ceux qui ont eu la chance d’avoir vu un des représentants de cette sublime espèce, cela n’a rien de si surprenant. Mais je peux vous affirmer, continua le capitaine, que sur une terre, au bout du désert, est présente une montagne bien plus grande que les rêves de nos plus braves matelots ! Peuplées de tribus ayant des affinités avec la magie bien plus développées que chez nous.

L’assemblée soupira comme d’un seul homme, aspirée par les mots emprunts du charisme du capitaine.

- Nous avons eu l’occasion, Nâmis et moi-même, de discuter avec deux éminents membres du peuple des Solaris. D’après eux, les tribus sont nombreuses, et l’on raconte que certaines maîtrisent un pouvoir curatif aqueux !

- Moi je prends un bain une fois par semaine et je suis toujours vieux ! plaisanta un client.

- Excellente blague vieil homme, mais ces magies dépassent notre entendement. Après tout regardez par chez nous Nagakabouros, ne pourrait-il pas y avoir de telles choses ailleurs ? J’ai ouïe dire que parmi la garde rapprochée de la famille royale de Demacia se trouvait une femme dragon !

Nouveaux soupirs d’admiration dans l’assistance.

- Nâmis ajoutes leurs quelques détails croustillants !

- Eh bien d’après quelques ouvrages que j’ai lu dans ma jeunesse, cette mystérieuse montagne qui s’étend par-delà un empire déchu aurait été le théâtre de conflits entre créatures des étoiles et anciennes magies. Un dragon figurait parmi elles. Seules les personnes que ces divinités ont choisies pour élus ont autorisation de gravir le mont. Le territoire de cette épreuve se nomme Targon.

Alors que le vieux sage faisait imaginer à son public des lieux emprunts de magie, il était une rêveuse qui ne sut pas correctement garder les pieds sur terre. A la surprise générale, ce fut d’une fenêtre dont les gongs lâchèrent que tomba une jeune fille aux cheveux blancs, dans un fracas étourdissant, faisant silence dans l’assemblée.

***

Comme tous, dans la stupeur générale, Morgan observait avec curiosité ce qui venait de tomber dans la salle. Une jeune fille, Yordle à en juger par sa fourrure et ses grandes oreilles. Celle-ci se releva tant bien que mal, en époussetant ses longs cheveux blancs et le duvet de son visage. Le capitaine fut le premier à rompre le silence.

- Tiens donc, que nous vaut la présence d’une si étrange créature ? dit joyeusement celui-ci en se tournant dans la direction de Bell

- Je ne suis pas une créature, je suis une personne, rétorqua l’intruse, et j’ai un nom.

- Eh bien dis-nous ton nom très-chère, et explique-nous ce que t’as fait cette pauvre fenêtre !

- Je m’appelle Bell, dit celle-ci en s’approchant prudemment, et j’écoutais vos récits.

- Enchantée Bell, je suis Morgan, légende vivante de Bilgewater, illustre capitaine du Somua, de la non moins célèbre flotte de Baldassare ! annonça fièrement l’homme

- Etrange, réfléchit Bell, vous êtes célèbre, mais pourtant Papy ne m’a jamais parlé de vous, il devrait vous connaître pourtant

- Attention à ce que tu dis jeune fille je pourrais bien me vexer.

S’approchant de derrière le capitaine, Fiddlesticks tendit un tabouret à la jeune fille qui le regardait bizarrement et croassa :

- Une jeune Yordle, papy… se pourrait-il que tu sois la jeune fille de ce vieil artisan qui confectionne des outils de navigation dans les hauts quartiers ?

- Vous connaissez mon grand-père ? demanda la jeune fille étonnée.

Le vieil homme du nom de Nâmis s’assit aux côtés de la jeune fille et la regarda droit dans les yeux. Celle-ci, lui faisant face, plongea son regard dans le sien.

- Vos yeux semblent avoir vu de très nombreuses choses vieil homme, souffla la jeune fille.

- Ton grand père est comme qui dirait, un incontournable pour tout bon équipage. Lui seul est capable de fournir des instruments de navigations, et parfois même des navigateurs, absolument exceptionnels.

- Attendez comment ce vieux grincheux peut-il avoir pour petite fille une chose si adorable, qui plus est une Yordle ? interrogea Morgan visiblement stupéfait.

- C’est à lui que tu devrais poser la question, rit Fiddlesticks en agitant le crochet au bout de son bras.

- Très bien ! Tavernier apporte quelque chose à notre demoiselle ! cria Morgan, quant à toi, raconte-nous un peu ce que tu faisais à cette fenêtre, dit-il à l’intention de Bell.

- Eh bien, je me promenais et j’ai cru comprendre qu’un équipage était rentré, au vu du nombre plus important de clients qu’à l’accoutumée. La Chope d’Icathia n’est chargée que lors de l’arrivée de capitaines les plus importants.

- Et c’est peu de le dire, s’amusa Morgan, et tu es venue écouter nos récits aventureux !

- C’est qu’elle a bon goût si elle vient nous écouter ! beugla Anna derrière, prenez-en de la graine vous tous ! Vous viendrez nous écouter à notre prochain retour !

- Mais dis-moi jeune fille, renchérit le capitaine en reportant son intérêt sur la jeune invitée, qu’est-ce qui peut bien t’intéresser parmi ce que tu as entendu.

- Eh bien je vous ai entendu parler de ces légendes sur la montagne de Targon, sur les Solaris, sur le dragon Stellaire. Un jour, moi aussi je voyagerais comme vous et je verrais te telles choses ! affirma Bell avec conviction.

Nâmis, le vieux sage, regardait attentivement son interlocutrice. Elle et Morgan sont de la même trempe, mais elle ne possède pas encore son charisme se dit-il, mais nul doute qu’elle saura mener. Mais le plus étrange sont ses yeux. Non pas que la couleur violette soit peu commune dans certaines régions, cependant j’y décèle quelque chose, je ne saurais le définir. Quelques recherches s’imposent il semblerait.

- Ecoute bien jeune fille, intervint calmement Nâmis, notre prochain voyage se fera sûrement sur ces étranges terres que nous n’avons que foulé. Notre but sera très certainement d’interagir avec les locaux pour échanger quelques accords. Ceci fait, il est probable que l’on ramène quelques petites choses pour ton grand père. Il est sûrement la personne la plus apte à analyser les trésors que nous trouverons, peut-être pourra-tu y jeter un œil ?

- Je veux voir ces choses de moi-même, argua la jeune fille, je veux moi aussi trouver des trésors.

- L’aventure est faite pour les légendes, rigola Morgan, la mer n’est pas une place pour les enfants.

- Le monde regorge de danger, ajouta son second de sa voix effrayante, même une enfant de Bilgewater pourrait bien se perdre.

- Je ne suis pas juste une enfant, je deviendrais moi aussi une légende, affirma Bell, vous serez bien forcé de le constater quand j’aurais moi aussi un grand bateau !

- Et comment comptes-tu t’y prendre ? interrogea Anna, redevenue soudainement sérieuse.

- J’en trouverais les moyens, je vous le jure.

- Il n’y a que les menteurs qui jurent, petite légende, intervint Morgan. Pour prouver qu’ils peuvent avoir une parole.

Le capitaine se releva et toisa l’auditoire qui assistait silencieux à l’étrange conversation qui se déroulait dans un bar banal des docks.

- Que tous m’en soient témoins, dit-il d’une voix forte, moi, Morgan, capitaine du Somua, légende en devenir, j’affirme que cette petite a du potentiel.

L’intéressée, désignée du doigt par Morgan, ne comprenait pas grand-chose à ce que le capitaine était en train de faire.

- Avant d’être capitaine, il te faudra faire tes preuves dans la marine petite légende, dit calmement celui-ci tendant sa main à Bell. Si un jour tu as besoin d’aide, reprit-il d’une voix forte, je te prendrais dans mon équipage.

Bell, impressionnée, empoigna la main de Morgan de sa petite patte, et se fit la promesse d’impressionner cet homme qui la respecta comme son égal.

***

Au dehors de la brasserie, le soleil semblait s’être couché depuis une poignée d’heures, la lune, dame de la nuit, éclairant le port devenu calme de son étincelant éclat par les reflets sur les vagues. Bell savait très bien que la nuit, si belle fut elle, restait un danger pour quiconque ne sait pas où il met les pieds. Je dois retourner dans les hauts quartiers Papy doit être mort de peur. Si je rentre entière c’est lui qui me taillera en petits morceaux soupira la jeune fille. Je ne parviendrais pas à traverser la ville pendant ces heures, je ferais mieux de trouver un refuge.

Au lieu de remonter tout de suite dans les hauts quartiers, Bell parcouru plutôt la partie médiane de la ville. Il y a un chemin qui mène à un quartier d’adeptes, ils sont bien moins dangereux que les rues de la ville.

Bell délaissa les ruelles principales pour emprunter des passages plus discrets, moins éclairés. Le noir est moins sécurisant, mais ne pas être remarquée diminue les risques qu’être pris pour cible par des malfrats. Elle grimpa les différents étages de bâtiments qui composaient l’amas des bas quartiers. Elle emprunta diverses échelles, passerelles, en contourna d’autres, avant d’arriver finalement devant un long pont en cordes reliant le flanc de ville à celui des sanctuaires. Je n’aime pas trop les fanatiques, mais je connais quelques cachettes sympathiques. Elle glissa sur la passerelle comme une ombre. Une centaine de mètres plus bas, Bell pouvait apercevoir les docks ou elle était il y a à pleine quelques minutes. Facile de grimper une montagne quand celle-ci est parsemée de maisons rigola la Yordle, et celle de Targon serait bien plus grande ? Je me demande si je pourrais grimper… La brise fraiche secoua ses cheveux, et l’air marin caressa la légère fourrure blanche sur son visage. Face à elle, la dame de la nuit brillait de tout son éclat. On dirait une étoile pensa la jeune fille. Sous ses pieds, la ville dormait, même quelques lumières subsistaient chez les travailleurs tardifs, les bateaux flottaient calmement, au repos dans le port, et l’eau, impassible, ondulait légèrement à la lumière de la lune. Le ciel était parsemé d’une constellation d’étoiles toutes différentes. Si papy voyait cela, il serait sûrement heureux. Je me demande si des gens nous regardent d’ailleurs.

Bell finit de traverser la passerelle qui tanguait trop dangereusement à son gout. Le sanctuaire contrairement à la ville possédait des bâtiments construits à partir de pierres, toutes issues de carrières marines. L’endroit était moins dense en constructions aussi, la nature y avait plus de place, rendant l’enduit encore plus atypique pour un citadin. Elle choisit d’escalader un des bâtiments les plus hauts, surplombé par une imposante statue. Sans le moindre mal, elle grimpa sur le mur d’enceinte, franchit le vide la séparant des terrasses, prit appui sur les aspérités des murs, et atteint finalement son objectif. Rapide, agile, silencieuse, la yordle se lova aux pieds de la statue et entreprit de se reposer quelques heures.

*** ***

Trouve le.

Trouve le sur la montagne.

Parle lui, il te dira comment me trouver, et comment te trouver.

Trouve le Bell.

*** ***

Plusieurs heures passèrent, et la dame de la nuit était encore au plus haut dans le ciel étoilé lorsque Bell reprit conscience. Etrange, j’aurais juré que les étoiles me parlaient. Assez de repos pour le moment, l’heure est au retour à la maison. Elle se leva, s’étira, et attacha ses cheveux blancs derrière elle pour ne pas la gêner. Elle emprunta la même passerelle qu’auparavant, et prit la direction de sa maison. Il est une heure où même le pire des malfrats se permet un peu de repos, c’est donc le moment idéal pour une promenade nocturne. Bell ne prit don même pas la peine de passer par les toitures. Elle avait envie de courir ce soir.

Elle traversa d’abord les pontons des quartiers suspendus, faisait craquer le vieux bois de ses foulées graciles, avant de marteler de ses pas les pavés de rues situées sur le haut des grandes falaises de la ville. La nuit, personne ne pouvait entraver sa course frénétique, la laissant, libre.

Il ne lui fallut qu’une heure pour arriver finalement dans la cour qu’elle avait quitté l’après-midi. Je me suis déjà fait incendier ce matin, je me demande à quelle sauce le vieux me mangera ce soir… Comme elle l’avait prévu, la lumière de l’atelier était encore allumée, nul doute que Papy avait dû veiller pour attendre son retour. Lorsqu’elle tenta d’ouvrir discrètement la porte d’entrée, un soudain bruit de corne la fit sursauter. Bordel le vieux a encore posé une corne d’entrée sur la porte pesta la jeune fille. Les bruits qu’elle entendit les fracas dans l’arrière-boutique il était trop tard pour fuir. Déboulant comme une furie, Papy, dont la moustache semblait avoir mal subi la veillée, et le pseudo sommeil encore moins, s’approcha rapidement de Bell.

- DIS DONC JEUNE FILLE. CE NE SONT PAS DES HEURES POUR RENTRER, tonna le vieil homme

- Je suis désolé Papy… commença Bell.

Elle n’eut pas le loisir de finir sa phrase, son grand père fut sur elle, et lui asséna un énorme câlin plein d’inquiétude.

- J’étais mort de peur ma petite… soupira celui-ci, ne me refais plus jamais un coup comme cela.

- Tu m’étouffes Papy, souffla la jeune fille.

Le grand-père desserra son étreinte, et la contempla.

- Tu sembles… différente. Et si tu m’expliquais ce qu’il s’est passé ?

- Il ne me semble pas que l’heure soit appropriée… tenta Bell

- Je me doute que tu t’es assez reposée, et moi aussi figure-toi, alors il est temps d’avoir une petite conversation.

Papy tira à lui une chaise, et en tendit une à sa petite fille.

- Bon d’accord, mais rapidement, tu dois ouvrir la boutique demain.

- Avec ton aide, fit joyeusement remarquer l’homme, mais je t’en prie raconte-moi.

- Aujourd’hui je suis allée voir ton client comme prévu, commença-t-elle, mais il n’a pas eu besoin de moi. Il était très gentil et m’a parlé des navigateurs, en disant que le leur pourrait dans le pire des cas pallier le retard de la livraison de l’instrument. Ensuite, continua Bell, j’ai fait un tour par les quais pour observer les bateaux…

- Tu es toujours aussi envieuse des marins ? interrogea Papy

- Oui… concéda-t-elle, j’aimerais tant voyager…

- Continue je te prie. La coupa-t-il sèchement.

- Je suis passée peu loin de la Chope d’Icathia, et il y avait pas mal de monde. Un équipage était revenu. J’ai essayé d’écouter par la fenêtre, mais celle-ci a lâchée et je me suis retrouvée à discuter avec l’équipage. D’ailleurs ils disaient te connaître, un certain Nâmis, accompagné de Morgan, un capitaine imposant, une alcoolique et un épouvantail.

- Il me semble savoir de qui il s’agit. Continue.

- Ils revenaient de Targon, et affirmaient vouloir y retourner. En son sein se trouve une montagne dont l’escalade n’est réservée qu’à des élus. Le capitaine m’a aussi dit qu’un jour, si je voulais, je pourrais rejoindre son équipage et devenir comme lui, une légende.

- Cela n’arrivera pas ma petite, tu es trop jeune pour aller sur les mers.

- Mais tout à l’heure, sous les étoiles lorsque je dormais, j’ai entendu une voix… une voix si douce… elle me disait d’aller trouver quelqu’un...

- Ecoute moi bien jeune fille, les murmures de la mer sont traitres, tu restes trop jeune pour partir voir le monde, encore plus un lieu qui n’existe que dans les superstitions de tribus fanatiques.

- Tu connais les Solaris ? s’exclama Bell, et la voix venait des étoiles…

- Assez, l’interrompit son grand père d’une voix dure, j’ai parlé et tout se passera comme je l’ai dit. Va te reposer maintenant, tu as du travail demain, vu que j’ai rangé la boutique sans toi.

Bell n’eut d’autre choix que de se lever et de se diriger vers sa chambre, d’un pas lourd, les oreilles rabattues. Une fois seule, elle se déshabilla, pour plonger dans son lit, et dans un sommeil où elle rêva de dragons, d’étoiles, de voix et de voyages.

***

Le lendemain matin, la lumière fut la seule qui parvint à promptement émerger. Le soleil était déjà bien à son zénith lorsque Bell ouvrit les yeux. Elle s’habilla en trombe, espérant pouvoir arriver à temps et ne pas se faire encore gronder par son grand-père. Hélas, il était bien évidemment trop tard, celui-ci avait déjà ouvert la boutique de longues heures auparavant, les étals brillaient d’ores et déjà sous le soleil de l’archipel, et quelques clients observaient avec attention certains gadgets. Son grand-père discutait avec l’un deux lorsqu’il aperçut sa petite fille.

- Bonjour jeune fille, te sens tu mieux après une bonne nuit de sommeil ? lui demanda celui-ci en souriant.

Etonnée, Bell bégaya une réponse évasive.

- Jay et Cynthia sont passés, ils veulent te voir ils sont sur la placette quelques rues plus loin. Va donc les rejoindre !

- Tout de suite, merci Papy !

Ravie que son grand-père ne l’embarque pas dans quelque tâche contraignante, Bell s’élança hors de la cour, au milieu des passants ayant repris leur vie diurne. Elle déambula jusqu’à une placette marchande un peu délaissée par les foules, plus discrète, où l’attendaient ses amis. Le jeune Jay, assis sur un tas de planches, arborait son habituelle tignasse noire. Appuyée contre un muret, Cynthia resplendissait dans sa robe grise, laissant au vent sa chevelure rose.

- Regardez donc qui voilà ! lança le garçon en voyant Bell arriver, on a du mal à se lever ?

- J’ai passé une journée relativement longue hier, s’excusa la yordle.

- Raconte-nous tout, dit gentiment Cynthia, nous sommes curieux de savoir ce qui a pu faire renoncer Papy à te faire dresser la boutique.

Bell prit place sur le tas de planches aux côtés de Jay, et plongea son regard dans l’horizon.

- Pour tout vous dire j’ai du mal à y croire. J’ai croisé un capitaine et ses camarades, qui a affirmé qu’il me prendrait à son bord si l’envie m’en prenait. Lui et ses amis parlaient d’une terre où l’on peut voir la plus grande des montagnes, où un dragon stellaire résiderait. Une terre peuplée de tribus ayant des affinités avec la magie, l’eau et je ne sais quoi d’autre.

- Des affinités avec l’eau ? interrogea Cynthia, j’en parlerais à ma mère.

Ils restèrent à discuter ainsi un peu plus d’une heure, de voyages et de magie.

- Et que comptes-tu faire ? intervint Jay.

- Je ne sais pas trop, admit Bell, mais je crois que je veux partir.

- Papy ne va pas être content… soupira Jay.

- Mais on te suivra, affirma Cynthia qui souriait, on sera toujours avec toi, pas vrai Jay ?

- Bien sûr !

Bell, émue, détourna le regard en direction du ciel.

- Vous savez, cette nuit une voix m’a dit d’aller trouver quelqu’un, elle venait des étoiles.

Sous le regard interrogateur de ses amis, Bell se leva et avant qu’ils aient pu répondre, elle leur annonça qu’elle allait partir à la recherche du capitaine.

***

Pour retrouver le capitaine, le mieux à faire était très certainement d’aller glaner quelques informations auprès du gérant de la taverne. Sans plus attendre, Bell se mit en route, courant de toutes ses forces, sa vitesse grandissant à mesure qu’elle avançait. Grisée par la liberté, elle rêvait déjà de voyages en mer et de montages étoilées. Elle courait sur les pontons, descendait les toits, avec l’agilité d’un requin dans son élément naturel, sans jamais s’arrêter. Libre.

Une fois arrivée sur les docks, elle se précipita vers La Chope d’Icathia, et entra sans même se poser de questions. Au diable les manières je suis certes jeune mais j’ai un capitaine à retrouver. Une fois à l’intérieur, elle remarqua le grand calme qui régnait. Cela change d’hier pensa Bell. Elle se dirigea vers le comptoir et héla le tavernier.

- Oh bienvenue jeune fille ! Je te sers quelque chose ? ris le tavernier. J’ai beau ne pas servir les enfants je peux toujours trouver une boisson pour notre petite légende.

- Je vous remercie mais je suis pressée…

- Tu cherches le capitaine n’est-ce pas ? le coupa-t-il, il m’a demandé de te transmettre une information, il savait que tu reviendrais.

- Où dois-je aller ? demanda la jeune fille, impatiente.

- « Afin de savoir si tu désires réellement te joindre à nous, je t’invite à te rendre dans le quartier des tisserands, j’ai là-bas un ami qui attendra ta visite. Jäl est notre ancien navigateur, vas à lui. » dicta le tavernier.

- Je m’y rends de ce pas ! cria Bell, déjà en train de repartir. Merci !

Le quartier des tisserands, où diverses familles travaillent le tissu, est plus calme que les autres. Situé dans la partie inférieure des quartiers médians, il est légèrement éloigné du reste de la ville principale, mais reste rapidement accessible aux courageux grâce à tout un réseau de passerelles suspendues. Il était aussi considéré comme le quartier le plus agréable pour finir ses vieux jours. Rien d’étonnant à ce qu’un ancien navigateur y ait une maison, se dit Bell. Elle emprunta les passerelles suspendues au lieu des routes principales, bien plus encombrées, et pénétra le quartier. Il est temps de trouver ce fameux Jäl maintenant. Ce qui n’empêcha pas la jeune Yordle d’observer les habitations. Il y a plus de pierres, la ville est moins dense, et les gens semblent plus se promener que faire des achats. Elle interpela un passant qui avait plus l’air d’un local que d’un visiteur, lui demandant s’il connaissait la maison d’un vieux navigateur récemment rentré de voyage.

- Bien sûr ! lui dit le passant, cherchez autour de la place aux fleurs plus loin, une bâtisse en terrasse, avec des jardins suspendus.

- Merci bien ! répondit Bell en suivant la direction indiquée.

La place en question était en effet sertie d’une étrange variété de fleurs. Uniques et originaires de Bilgewater même, ces fleurs en forme de bol étincelaient d’une couleur rouge sang et aux reflets métalliques. Malgré toutes les tentatives d’export, celles-ci n’ont jamais eu ni d’utilité, ni moyen de se développer ailleurs. Dommage, les sanguinolentes sont magnifiques, surtout cette année observa Bell en passant sur la place.

Elle approcha une maison au bord du précipice. Une petite maison à base en pierre, rare à Bilgewater, témoignant plus de la place sociale de son propriétaire que de sa fortune, avec tout de même une solide architecture basée sur la forme des bateaux du port plus bas. Comme l’avait dit le passant plus tôt, collé a la maison et à la falaise, se trouvait une série de plateformes astucieusement retenues par de complexes systèmes de cordages et de poulies, et formaient un curieux spectacle de jardins suspendus.

Bell fut interrompue dans ses pensées par un homme, dont la carrure ne laissait pas présager le métier de la marine, qui transportait quelques outils.

- Bonjour mademoiselle, que puis-je faire pour vous ? l’interrogea-t-il.

- Oh bonjour, répondit la jeune fille, je m’appelle Bell, je cherche un marin réputé du nom de Jäl, le connaîtriez-vous ?

- Bien sûr que je connais Jäl ! C’est moi-même ! s’amusa l’homme.

- Désolée mais… je vous imaginais lus vieux, et imposant.

- Oh ne t’inquiète pas ma jolie, ces cinquante années passées à écumer les mers se cachent bien, rigola Jäl, mais je t’en prie prends place, dit-il en désignant un banc.

Bell s’assit respectueusement et écouta l’homme.

- Laisse-moi deviner, tu es une jeune fille un peu rebelle en quête d’aventure, qui cherche à fuir la maison, et le métier auquel elle est destinée ? Morgan m’envoie vraiment des cas désespérés…

- Ce n’est pas vraiment cela… disons que, j’ai comme des impressions…

- Tu souhaites prendre la mer sur des impressions ? demanda le vieil homme

- Non... pas exactement. J’ai comme une voix qui m’appelle en moi, une voix que j’ai l’impression de connaître depuis toujours…

- Dis-moi, que pense-tu des étoiles ? le coupa Jäl.

- Les étoiles ? bégaya Bell, étonnée par la question. Eh bien… je pense qu’elles sont, comme une énorme peinture dans le ciel. Mais plus que des peintures, parce qu’elles ne sont pas sur une toile. Comme notre monde, on peut voyager entre elles, et c’est bien plus qu’une simple peinture. J’aimerais savoir ce que cela fait de pouvoir voyager et de changer de point de vue.

Pendant que Bell expliquait ses pensées sur les astres, le vieil homme l’observa attentivement. Cette jeune fille… il émane d’elle quelque chose, lorsqu’elle parle, imagine. Ses yeux sont jeunes, et semblent vouloir voir des tas de choses, mais dans un même temps déjà savoir où ils veulent aller.

- Regarde-moi jeune fille, je voudrais voir tes yeux.

Bell, un peu confuse, s’exécuta, et laissa le navigateur regarder ses yeux. J’ai l’impression que ce ne sont pas mes yeux qu’il regarde se dit la yordle en voyant les yeux fatigués de Jäl dans le siens, il me regarde, moi, enfin « moi », je le sens.

- J’ai déjà croisé des yordles par le passé, dit celui-ci doucement, tous étaient des êtres très curieux comme toi, mais tu sembles tout de même totalement différente. Je pense que c’est cela que Morgan a vu en toi. Bien, continua-t-il, sais-tu ce qu’est un navigateur jeune fille ?

- Cela veut dire que vous allez m’aider à retrouver Morgan ? s’enquit Bell.

- Réponds tout d’abord à ma question petite, gronda Jäl.

- D’accord… soupira celle-ci. Bell récita ce qu’elle avait retenu de sa conversation avec le capitaine de L’Espalier : les navigateurs sont des personnes importantes qui ont les capacités de mener un équipage en mer sans se fier aux instruments, ils font partie de voyages dangereux et magnifiques.

- Tu aurais presque raison… hélas.

- Ce n’est pas cela ?

- Les navigateurs ne sont pas que des connaisseurs des mers. Le devoir d’un équipage de Bilgewater s’étend de toutes les mers, jusqu’aux déserts shurimiens, aux fjords freljordiens, aux plaines noxiennes. Un navigateur ne sait pas que naviguer, contrairement à ce que son nom indique, il est plus un guide, dont l’instinct et les connaissances sont les outils les plus importants.

- Il n’a donc pas besoin d’eux ?

- Bien sûr qu’il les utilise, ils sont comme des chaussures si tu préfères, tu peux te reposer dedans, mais tu n’en as basiquement pas besoin pour marcher. Les meilleurs d’entre nous se repèrent aux étoiles, à l’instinct et à l’observation. Tout ce que tu verras dans ta vie te servira, il faudra donc utiliser ta mémoire et la travailler, car le sort de nombreuses personnes repose parfois sur tes épaules.

- Vous êtes en train de me former ? Chouette ! s’enquit Bell. Mais dites-moi, avez-vous déjà mené des gens…

- Au casse-pipe ? continua Jäl. Bien évidemment, le moins possible, mais j’ai eu… quelques pertes…

- Avez-vous déjà regretté votre métier ?

- Un marin digne ne saurait jamais regretter d’être libre, affirma le vieil homme d’un ton dur. Même si parfois...

Comme s’il savait ce qui arrivait, Jäl ne termina pas sa phrase, ou eût-il été plutôt interrompu.

- JAL MON AMOUR TU AS ENCORE OUBLIE DE FAIRE LA VAISSELLE, retentit une voix de femme, qui sortit de la maison peu après. Oh mais tu ne m’as pas dit que tu avais de la visite ! s’exclama celle-ci. Bonjour adorable petite chose, ajouta-t-elle d’une voix devenue étrangement douce.

- C’est que je n’en ai pas eu le temps…

- Mais bien sûr vas dire ça à la vaisselle, et que ça saute, la réprimanda sa femme.

- Bell, voici ma douce et soyeuse Trisha, ironisa-t-il en désignant cette dernière. Maintenant tu m’excuseras, mais j’ai un combat d’homme libre à mener…

- Et pour le capitaine, comment je fais ? paniqua Bell.

- Ne t’inquiète pas pour lui va, il a tout prévu, rigola l’homme, rentre plutôt chez toi, chaque chose viendra en son temps rassure toi ! Bon vent petite voyageuse !

***

Ne sachant pas encore quoi penser de sa rencontre, Bell ne prit même pas la peine de courir, elle marcha simplement vers la boutique de son grand-père. Elle avait appris tout un tas de choses grâce à Jäl, et se sentait prête à braver l’inconnu, mais n’avait pas appris comment trouver Morgan. C’est donc sans grande motivation qu’elle pénétra dans la cour qui lui était si familière, sans même remarquer les étranges clients qui discutaient dans un coin de celle-ci.

- Mais regardez donc qui voici, dit une forte voix de femme, on revient des quartiers tisserands j’imagine ?

Bell qui sortait à peine de sa rêverie ne put que sourire en reconnaissant Anna. Anna Wajäard saurait comment trouver Morgan ! Elle déchanta rapidement cependant en voyant aux côtés d’Anna et Nâmis, son grand-père, en train de converser avec un homme. Il est énorme comment fait-il pour passer les portes ? Il n’a pas l’air très sympathique… L’homme en question n’était autre que Baldassare, que Bell n’avait bien sûr pas encore rencontré.

- Voici donc la petite légende dont l’équipage nous a tant parlé ! sourit le bonhomme. Enchantée ma jolie, je suis Baldassare, armateur d’une des plus grandes flottes, ami de Morgan et client régulier de ton grand-père !

- Enchantée je m’appelle Bell… marmonna la jeune fille, intimidée.

- Papy et moi discutions justement à ton propos ma petite, indiqua Nâmis qui se tourna vers Papy, qui marmonna à son tour quelque chose l’air renfrogné.

- Et de quoi était-il question ? demanda Bell d’un ton brusque. De ma disparition de la nuit dernière ? Je suis prête à prendre une énième punition.

- Oh c’est qu’elle a du bagou la petite ! J’adore ça ! lança Baldassare en rigolant d’une voix forte.

- N’en rajoute pas, Paptimus, gronda Papy, c’est déjà bien assez compliqué de te la laisser.

- Chouette j’aurais une nouvelle amie ! dit joyeusement Anna en tapant dans ses mains, telle une enfant.

Bell stupéfaite ne parvenait pas à comprendre de quoi parlaient les adultes lui faisant face. Je vais encore devoir proposer de l’aide ? Génial je vais aider à faire partir les bateaux dans lesquels je rêve d’embarquer… C’est cruel. Sa réflexion fut interrompue par son grand-père qui vint s’agenouiller devant elle.

- Papy, pourquoi as-tu l’air triste ? remarqua la jeune fille.

- Ce soir nous aurons une conversation ma grande, mais tout ce que tu dois savoir pour le moment, c’est que de vieux camarades m’ont rappelé une vieille mission que j’ai à accomplir.

- Je... je ne comprends pas Papy… dit Bell qui commençait à se sentir perdue.

Son grand père prit une grande inspiration avant de lui annoncer doucement :

- Je vais te confier à Morgan et à son équipage, tu partiras demain avec eux, tu seras leur navigatrice.

***

La suite de la soirée fut comme un vague souvenir pour Bell. Elle ne sut pas si c’était la douleur de voir Papy pour la première fois être aussi bouleversé, ou le choc de l’annonce de son propre départ. A présent, ses rêves allaient se concrétiser, mais elle n’était pas préparée à voir les choses se dérouler aussi rapidement. Comme absente, la fin de journée se déroula de manière banale, elle aida Papy à ranger la boutique et à préparer le repas pour deux, un gros repas, car ce serait le dernier avant probablement très longtemps.

Tout se déroula dans le silence, sans une parole. Bell, d’ordinaire bavarde, ne décocha pas un mot, de même que son grand-père. A quelques heures du grand départ, la boutique n’eut jamais été aussi triste. Alors qu’il était un sujet qu’elle refusait d’aborder, de peur de porter atteinte au moral de Papy, ce soir, elle s’autorisait à rompre le silence.

- Papy, comment étaient mes parents ?

- …

- Je sais très bien qu’un humain ne peut être parent d’une yordle comme moi… alors j’aimerais savoir qui ils étaient.

- Très bien, soupira le vieil homme, laisse-moi te conter mon histoire.

Le grand-père prit place dans un large fauteuil et se tourna vers sa petite fille.

- Il y a bientôt quarante-cinq ans, j’ai commencé ma carrière dans la marine. J’ai été engagé dans quelques équipages de Bilgewater de moyenne renommée, en alternant les différents postes. Mais celui qui m’a le plus marqué se situait à la navigation. A mes vingt-cinq printemps j’ai pris place comme assistant à la navigation sur un navire du nom d’Etourneau, un magnifique bâtiment. Notre première mission a été de renforcer les liens entre mon armateur et un clan ionien. A mes côtés, un navigateur, dans la fleur de l’âge, m’apprit tout ce que je sais sur les appareils et la navigation, cependant, je ne possédais pas les dons qui avaient fait de lui l’homme d’importance de cet équipage. Au fur et à mesure que l’équipage changeait, j’ai rencontré deux marins qui restèrent mes amis. L’un était harponneur, originaire tout comme moi de Bilgewater, l’autre scribe, shurimien, tu les as rencontrés, il s’agit de Baldassare et Nâmis.

De toutes les histoires que son grand-père lui avait racontées, aucune n’eut l’effet de celle-ci sur Bell. Papy paraissait comme retrouver sa jeunesse depuis qu’il avait retrouvé ses anciens camarades, et semblait revivre ses aventures rien qu’en en parlant.

- Nous avons passés près d’une vingtaine d’années ensemble, continua-t-il, les liens qui nous unissaient étaient plus forts que toutes les épreuves que nous avons traversées. Cependant, il est une chose qui nous a séparé, et ce presque définitivement.

- C’était moi ? demanda tristement Bell.

- En un sens oui, répondit doucement Papy.

- Tu as perdu ta liberté à cause de moi…

- Mais j’y ai gagné un membre important de ma famille, tu es comme une petite fille pour moi. Tu m’as retiré l’opportunité de voyager, mais tu m’as tant offert, souviens-t-en.

Bell, les larmes aux yeux, vint se lover auprès de son grand-père.

- Tes oreilles sont toujours aussi soyeuses, rigola celui-ci en lui caressant la tête. Continuons.

Alors que nous étions aux alentours de Piltover, nous avons rencontré un couple. Deux Yordles, dont nous n’apprîmes jamais les noms, d’après eux cela nous aurait mis en danger. Ils avaient réussi à convaincre de rejoindre une ville en bordure des terres noxiennes, en quête d’un médecin. C’est là-bas que tu es venue au monde. Sur le chemin nous avons noué une étrange amitié, et nous sommes promis de nous revoir un jour. Cependant, ils étaient en danger, poursuivis par quelque chose dont ils n’ont jamais voulu parler, ils t’ont donc rapidement confié à moi. J’ai mis fin à mes voyages, Baldassare est devenu armateur, et Nâmis cherchait tes parents.

- Comment étaient-ils ? s’enquit Bell

- Ta mère était magnifique, une yordle calme et majestueuse, autoritaire, avec de longs cheveux azur, des yeux pleins d’étoiles, qui m’ont toujours épaté, elle avait un don pour la navigation, le plus fort que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Ton père était jeune, amoureux, sûrement autant de ta mère que de ses recherches. Un scientifique, tu poseras des questions à Nâmis.

- Pourquoi ne sont-ils jamais venu me chercher ?

- Nous ne savons pas ce qui leur est arrivé, et leur capacité à rentrer à Bandle a été bloquée, de même pour toi.

- Je ne peux pas revenir dans le pays de mon espèce ? demanda tristement la yordle.

- Pas pour le moment, mais cela ne durera pas éternellement. Ta mère m’a aussi dit une chose avant de te laisser à moi : lorsque les étoiles l’appelleront, envoie-la à Aurelion.

- Qui est cet Aurelion ?

- Je n’en ai aucune idée malheureusement, tu devras le découvrir par toi-même.

- Tu crois qu’ils sont quelque part à m’attendre ? dit-elle en s’approchant de la fenêtre.

Dehors, les étoiles brillaient dans le ciel, aux côtés de la dame de la nuit, veillant sur la ville.

- Sans doute.

***

Le lendemain, l’heure était aux préparatifs. Une malle de vêtements et effets personnels, une malle pour les instruments, cartes, et diverses affaires que pouvait utiliser un navigateur. Bell jeta un dernier coup d’œil à la chambre, la maison, et la boutique, qui l’avaient vu grandir. Elle fit un dernier tour entre les étagères d’antiquités, de babioles et de tout ce que son grand-père pouvait fournir aux marins. Combien de ces objets ai-je réparé, nettoyé et rangé pensa la jeune fille. C’est d’ores et déjà du passé de toute manière. Papy serait déjà dehors ?

Le grand-père en question entra dans la boutique au même moment.

- Bonjour ma petite, as-tu bien dormi ? demanda-t-il, jovial

- Pas trop mal, répondit-celle-ci.

- Ils t’attendent déjà dehors, il faut te dépêcher !

- Bien reçu !

Bell tira une malle avec elle, suivie par Papy et le second chargement. Dans la petite cour, Anna Wajäard et Fiddlesticks attentaient, aux côtés de Jay et Cynthia.

- Tiens bonjour Monsieur Fiddlesticks je ne vous avais pas vu arriver ! héla Papy.

- Bonjour Papy, répondit l’épouvantail de sa voix croassante.

Bell trouva que voir une telle créature prononcer « Papy » était tout de même relativement étrange. Elle prit place aux côtés de ses deux amis, pour leur dire un dernier au revoir.

- Tu vas t’excuser de nous laisser derrière n’est-ce pas ? dit durement le garçon.

- Jay… murmura Cynthia.

- Non Cynthia, on avait dit qu’on prendrait la mer ensemble, vous vous en souvenez ? Vous vous en souvenez n’est-ce pas ? insista-t-il durement.

- Je… suis désolée… marmonna Bell en sentant les larmes lui monter aux yeux.

- Tu n’as pas à l’être, puisque nous venons avec toi de toute manière.

- P…pardon !? bredouilla la jeune fille

Papy s’approcha du petit groupe pour clarifier la situation.

- Cynthia ayant parlé à sa mère des pouvoirs qu’elle partage avec certains locaux que vous allez rencontrer, cette dernière m’a demandé de la laisser t’accompagner. J’ai aussi parlé aux parents de Jay, en compagnie de Baldassare, ils se réjouissent de savoir que leur fils, d’une part accompagnera ses amis, d’une autre sera un marin de Bilgewater. Tous m’ont cependant fait promettre que vous reviendrez régulièrement, et en un seul morceau. Cela vaut pour toi aussi jeune fille, indiqua le vieil homme à l’intention de Bell.

- Je… merci ! cria de joie la yordle en enlaçant son grand-père. Tu vas me manquer…

- Toi aussi ma petite, souffla celui-ci.

Il s’agenouilla et sorti de sa poche un tissu, replié sur un objet.

- Prends la jeune fille, elle te sera plus utile qu’à moi.

L’objet en question était une petite dague courbée. Bell sortit l’arme de son petit fourreau en cuir armé et observa la lame. D’un blanc pur, dentelée à l’intérieur de l’arc qu’elle décrivait, celle-ci semblait comme être dotée d’une certaine attirance.

- Cette lame est un trésor que nous avons trouvé à Demacia avec Nâmis et Baldassare, elle est forgée dans un dérivé plus modeste de pétricite, qui possède des propriétés anti-magiques plus légères, mais utiles tout de même, expliqua Papy, prends en soin.

Anna les rejoint, tendit la main à Bell, et d’une voix forte, annonça leur départ.

- C’est aujourd’hui que commence votre vraie vie les jeunes ! Joli couteau de cuisine au passage !

Le petit groupe fit ses derniers adieux au vieux marchand, Anna et Fiddlesticks promirent une dernière fois de veiller sur leurs protégés, et tous prirent la direction du port.

***

Sur le chemin, Bell laissa voyager son regard sur la mer en contrebas, que bientôt elle rejoindrait. Jay, qui semblait avoir dégoté un sabre, écoutait Anna brailler les détails de la vie en mer, tandis que Cynthia, d’ordinaire plutôt réservée, rigolait avec Fiddlesticks devant. De quoi peut-elle bien s’amuser avec cet effrayant épouvantail. Il est vrai que l’apparence de Fiddlesticks n’était pas des plus attrayantes, des rumeurs assurent qu’il y a très longtemps, l’esprit torturé d’un humain quitta son corps promis à la mort, et prit possession d’un épouvantail non loin. Il serait alors devenu un démon commandant aux corbeaux de sanglants massacres. Très différent de Fiddlesticks actuel en somme analysa Bell, j’en toucherais deux mots à Morgan.

Bell observa une dernière fois cette ville qui l’avait vu grandir, posée à même les pics et falaises de l’archipel, reliés entre eux par des passages naturels ou non. Elle vit une dernière fois les bâtiments de l’ordre du Kraken au loin, et crut apercevoir les jardins de Jäl dans le quartier des tisserands.

- Tout ceci, tu le verras bientôt depuis les eaux, lui lança Anna de devant. Prépare-toi à voir d’aussi beaux trésors lorsque nous passerons aux abords des villes du monde entier.

- Sont-elles toutes aussi belles que Bilgewater ? demanda la jeune fille.

- Bien sûr, mais à leur manière. Elles sont toutes très différentes, expliqua Fiddlesticks.

La troupe parvint au port quelques temps plus tard. Aux quais était amarré, un énorme navire, en bas duquel s’affairait un équipage. Ce doit être le Somua se dit Bell. Le bâtiment flottait tranquillement, comme s’il se reposait avant d’aller affronter les mers et tempêtes. Ses flancs jonchés de canons, dont la proue était sertie d’un plus énorme encore, on l’aurait cru taillée pour la guerre. Mais tout bon marin de Bilgewater sait qu’un bateau sans armes, qu’il soit conçu pour l’exploration, le commerce où le transport, est une cible aisément pillée, même par un congénère. La marine de Bilgewater étant basée sur la piraterie, elle est unique, mais pas unifiée. Mais rares sont ceux qui s’attaqueraient aux navires de Paptimus Baldassare, et encore moins le fleuron de sa flotte, et son capitaine, Morgan.

En s’approchant de l’équipage, Bell reconnu bien sûr quelques têtes qu’elle avait entraperçu à la Chope d’Icathia, mais c’est Morgan qui la marqua le plus. Il était debout sur un tas de caisses à charger, et commandait aux hommes, les exhortant, aux côtés d’un Baldassare plus que joyeux. Tous deux affichèrent un sourire radieux en voyant arriver la petite troupe.

- Ma petite légende rejoint enfin l’orchestre qu’elle mènera à son destin ! cria Morgan, avez-vous pris le temps de dire au revoir à tout le monde ?

- Nous sommes fin prêts capitaine ! affirma Jay.

- Bien jeune homme ! rit Baldassare. Car tu devras veiller sur ta cadette, et la dame qui t’accompagne !

- Je ne pense pas qu’Anna ait besoin d’une quelconque aide, répondit le jeune homme.

Cynthia et Bell étouffèrent un rire, de même pour Fiddlesticks, qui semblait plutôt croasser de rire.

- Ce que tu peux être bête, lui avoua Cynthia.

Anna encore étonnée, regarda Morgan.

- Je rêve ou l’avorton viens de me traiter de dame, lâcha-t-elle, hébétée.

Avant qu’elle ne puisse reprendre ses esprits, Morgan tira à lui les jeunes gens et leur indiqua le navire.

- Voici votre nouvelle maison, déclara-t-il, vous allez la laisser vous accompagner, alors Nâmis se chargera de vous familiariser avec elle. Il est à bord et s’occupe de l’organisation, Fiddlesticks, tu le remplaceras.

- Bien capitaine ! répondirent ceux-ci.

La troupe se dirigea aux flancs du Somua, avant de monter à bord de ce qui sera leur porte vers une nouvelle vie.

*** *** ***


Texte publié par ἀπότε, 29 mai 2019 à 13h05
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