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Chacun de mes pas est douloureux. Je suis restée assise bien trop longtemps, mes jambes se sont engourdies. La noirceur de la nuit habille encore cette chambre au confort rudimentaire. Je me poste devant la fenêtre aux barreaux inutiles. S’il m’eusse pris l’envie de sauter, je me serais brisée la nuque au bas de cette tour que j’ai moi-même fait construire. Ils ne servent qu’à gêner ma contemplation des étoiles. Aucun nuage ne vient dissimuler leur étincelle moqueuse. Elles se jouent de mon sort sans le moindre remord. C’est comme si le ciel explosait sous mes yeux cernés dans un camaïeu de bleu et d’indigo. C’est dans ce genre de moment que je rêve d’aller plus loin, d’explorer cet ailleurs pour échapper à mon ici.

Ai-je réellement mérité mon sort, beaucoup le pensent. Ils sont tous confient dans la corruption à laquelle l’âme humaine est si sensible. Être reine ne m’a apporté que le privilège de rencontrer celui qui sera mon vengeur. Le seul digne de m’admirer. Je n’ai jamais eu de l’estime pour moi-même avant de découvrir la félonie de mon époux.

Durant toute mon enfance, j’ai été élevée pour devenir une épouse dévouée et une bonne mère. Mes parents ne m’ont jamais parlé d’amour. Ils ont toujours été froids et distants avec moi, ils ne m’ont jamais montré de l’affection ou même de l’attention en-dehors de mes leçons. Tous cela, je l’ai découvert en le voyant pour la première fois, drapé dans l’assurance que lui conférait son nom. J’étais à l’époque pétrie de naïveté. Arthur s’est révélé être aussi fou qu’Uther, dont il a pourtant toujours rejeté l’héritage.

À défaut d’être heureux, mon mariage a eut le mérite d’être instructif. Il a fait de moi une femme forte, une reine indépendante. Forcée d’assister à de nombreuses injustices, j’ai fini par comprendre que le monde ne serait jamais beau. Que derrière ses yeux bleus, Perceval tuait femmes et enfants. Que sous sa diligence, Bohort enflammait forêts et champs. Et que malgré sa grandeur d’âme, Lancelot serait le meilleur moyen de m’en sortir vivante car il saurait tirer son épée pour ma cause, qu'elle fût juste ou non.

Être emplie de noblesse m’a moins servi qu’écarter les cuisses. L’ambition de mon père a toujours été ridicule comparée à la mienne. Lorsque j’ai compris qu’Arthur ne ferait jamais de moi plus qu’une belle décoration à sa droite, ma bienveillance s’est fanée. Il a fini par être aussi violent dans la chambre que sur le champ de bataille et j’ai cessé de lui chercher des excuses. Son air angélique cachait de moins en moins la noirceur de son âme.

Face à cela, je me suis sentie plus digne de régner que lui. Le peuple me préférait et n’attendait qu’un héritier pour que le roi cède enfin sa place. Il n’est malheureusement jamais venu, suite à deux fausses couches. J’ai fait de Lancelot mon amant. Aucun amour n’a jamais poussé la porte de sa chambre malgré une tendre affection que je n’ai pu empêcher de naître en mon sein. Le pauvre chevalier s’est réellement laissé aller à rêver d’un avenir avec moi. Seule une idée ténue m’a fait faire cela : il était le seul à pouvoir tuer Arthur. Je le pensais avant l’arrivée de Mordred. Plus vertueux que son père. Plus fort également.

Alors que le ciel se teinte lentement de rouge, je sais qu’approche l’heure de ma mort. Car le roi peut se rouler dans tous les lits mais la reine se doit de rester pure. Touchée uniquement par la semence de son admirable époux. Il est de son devoir de porter l’enfant divin qui montera à son tour sur le trône. J’ai été condamnée à mort par le mari qui me viole et m’enferme chaque nuit.

Alors j’attends. Je n’ai pas peur. Les Dieux m’entendent, je sais qu’il marchent à mes côtés. Je sais que je suis digne de mener à bien la quête qui a été confiée à Arthur. Un véritable souverain doit régner par la justice et non la brutalité. Et quitte à tuer tous les Chevaliers, quitte à brûler Camelot, je monterai sur le trône et j’apporterai la Lumière sur le royaume de Logres.

Le jour se lève enfin et je vois le bûcher depuis ma fenêtre. Il l’a fait exprès, peut-être dans le but de me faire peur. Il a échoué mais jamais il ne le saura. Perceval a les gants couverts de sang. Mon père gifle ma mère, qui tente de plaider ma cause. Son gantelet écorche sa joue. Elle pleure en silence. Je méprise sa faiblesse. Je me détourne avant que mon dégoût ne me fasse vomir.

J’enfile une robe noir au col décoré de plumes de corbeau. Je noue mes cheveux en une tresse lâche. Je maquille mes yeux d’un trait de charbon et mes lèvres d’un rouge intense. Je ne compte pas avoir l’air d’une manante. Même à mon exécution, je reste la reine et je veux que tous le voient. Ce n’est pas cet époux sans valeurs qui parviendra à me retirer les miennes.

Je connais chacun de mes actes et je les assume. J’ai empoisonné deux jeunes Chevaliers qui suivaient le chemin sombre d’Arthur, pour sauver leurs âmes. J’ai poussé Bohort à détester mon père pour fragiliser les liens tissés autour de la Table Ronde. J’ai trahi, blessé, tué. Enfin, j’ai séduit Lancelot et j’ai fait en sorte que son affection pour son roi se mue en haine. Mon adultère est bien la dernière raison que le roi pouvait invoquer afin de me tuer. Surtout qu’à présent que Morgause lui a offert un fils, notre mariage n’est plus qu’une gêne.

Je me regarde dans le miroir. Quelques mèches retombent sur mon front. Ma mère m’a toujours sermonné à propos de cela, elle me disait que cela me donnait l’air d’une sauvageonne. Aujourd’hui, je puise dans cette force afin de rester debout. Je ferme les yeux alors qu’un fracas d’acier résonne jusque dans les pierres du château. Une bataille vient d’éclater. J’entends la voix de mon époux. Il hurle des ordres que je ne comprends pas. Il semble se faire déborder. Je bouge avec lenteur vers la porte qui s’ouvre d’un grand coup.

Je lui fais face. Il a le genou à terre et la tête baissée, l’armure ensanglantée et l’épée dans le poing. Lorsqu’il se redresse, mon sourire s’agrandit. Je pose ma main dans la sienne et je sors de cette prison. Il a été mon bras vengeur. Ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’Arthur ne cède sa place à Guenièvre.


Texte publié par Loune, 21 mai 2019 à 12h36
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