(les événements prennent place avant la rencontre entre Selën et Alrüs)
Alrüs ouvrit ses paupières lourdes. La pénombre le gênait à peine, grâce à sa vision de gær*. Les effluves autour de lui ne déclenchaient aucun souvenir. Ses côtes, en revanche, lui rappelaient sa folie. Il avait failli mourir, et à présent, il était dans un lit étranger, dans une cabane inconnue. Lorsqu’il tenta de s’extirper des draps, une paire de mains l’immobilisa, trop faible pour lutter :
– Tes blessures n’ont pas entièrement cicatrisé. Ne bouge pas !
Une jeune fille, au visage caché par ses longs cheveux noirs, se tenait à son chevet. Elle épongeait son front, sans le moindre signe de répulsion, face à son apparence de crok’mar*.
– Je t’ai trouvé dans la forêt hier soir ; tu baignais dans ton sang. Pourtant, tu sembles aller beaucoup mieux aujourd’hui…
– J’ai une bonne constitution.
Avec précaution, il tâtonna son torse afin d’évaluer les dégâts. Il sentait ses plaies encore douloureuses et quelques contusions sous ses bandages. Sa sauveuse avait montré un réel talent de soigneuse.
– Il te faut t’hydrater et récupérer des forces, je t’ai fait une soupe.
Elle lui offrit le bol, tête baissée. Une robe trop large recouvrait tout son corps, mais elle n’était pas parvenue à dissimuler les marques difformes de brûlures sur ses paumes. Gênée par le regard insistant du chasseur, elle les enfonça dans les pans de son jupon.
– Je vais te préparer un cataplasme.
Un cognement brutal ébranla la porte en bois de la maisonnette. Après un sursaut, la guérisseuse se dirigea vers la poignée pour accueillir les visiteurs. Ni une, ni deux, Alrüs bondit à son côté. Il se camoufla dans la pénombre de l’ouverture, un doigt sur les lèvres pour lui indiquer de taire sa présence.
– J’t’ai dit de m’faire une potion, j’espère qu’elle est prête !
Deux hommes occupaient l’encablure, pour fouiller des yeux la pièce modeste qu’ils avaient devant eux. Elle acquiesça et se saisit d’une petite fiole qu’elle leur tendit. Le premier lui prit le bras et l’attira vers lui. Il pencha sa tête tenue avec fermeté entre ses mains, dégagea ses cheveux en arrière, puis la dévisagea comme un animal curieux.
– T’es vraiment laide.
Il la relâcha sans ménagement et s’en alla dans un rire gras avec son compagnon. Sans un bruit, elle referma, puis s’affaira à préparer le baume pour son patient. L’odeur distincte de la mandragore vint chatouiller les narines du gær. Ses oreilles lui révélèrent qu’elle était en train de pleurer. Il retourna dans le lit, en la contournant, et attendit patiemment. Les mots de réconfort n’avaient jamais appartenu à son arsenal de chasseur.
Elle s’assit sur le bord des couvertures, puis commença à défaire les pansements. Alors qu’elle passait ses bras autour de lui, il put examiner sa figure avec plus d’attention. La partie gauche était recouverte de cicatrices infligées par un feu très chaud, mais sous cette anomalie, il était facile de deviner des traits agréables.
– Il a tort, tu sais.
Elle l’interrogea avec ses grands yeux gris. Alrüs massa sa nuque, tandis qu’il reculait son visage.
– Je ne trouve pas que tu sois laide.
Elle lui offrit un magnifique sourire en remerciement. Trop mal à l’aise, il but sa soupe d’une traite pour se donner une contenance. En dehors de Chäsgær*, il interagissait peu avec d’autres êtres vivants, et encore moins, des humains. Il s’enfouit sous les draps afin de couper court à la conversation, et se reposer un peu avant de reprendre la route.
Le crok’mar ressentit de l’agitation aux alentours. Il ouvrit un œil alerte pour détecter la présence d’une menace, mais ne découvrit que sa sauveuse dans un état de profond désarroi. Elle faisait un cauchemar. Il s’approcha en tendant la main, puis hésita. Avait-il le droit de lire ses rêves pour la réveiller ? Lorsqu’une larme roula sur sa joue, il s’y résolut. Ce fut là qu’il les éprouva : l’atroce brûlure, le brasier incontrôlable, la peine qui vous arrache le cœur. Elle était sous les corps de ses parents, quand d’autres villageois la retrouvèrent.
Alrüs la prit dans ses bras et l’allongea dans le lit qu’il venait de quitter. Il la borda afin d’apaiser un brin sa douleur, puis récupéra ses affaires laissées sur la table. Il était temps pour lui de s’en aller. Tant qu’il restait au village, il mettait tous ses habitants en danger. Toutefois, il était bien décidé à faire un petit détour chez un certain importun.
– Qu’est-ce que tu m’veux, sale Mutilé* ?
Le gær souleva sa proie comme un fétu de paille, ses griffes autour de sa gorge. Il lui aurait suffi de serrer un peu plus pour retirer toute vie à son hôte. Quelques gouttes de sang perlèrent de sa chair rose et tendre. Dans un grognement, il plongea son regard dans celui de l’homme apeuré.
– Tu ne t’approches plus d’elle. Tu ne lui parles plus. Et tu ne la touches plus.
– Quoi ? La bête de foire ?
Sous l’injure, le chasseur resserra davantage sa prise. Il était des humains plus longs à comprendre que d’autres. La suffocation insuffla du bon sens à sa victime et il tenta d’acquiescer.
– Si toi ou tes amis lui faites encore du mal, je me chargerais de t’arracher la tête à main nue et de manger tes entrailles. On est bien d’accord ?
– D’a-d’accord !
Son poing rencontra l’arcade du couard afin de faire pleine mesure. Alrüs s’amusait de la crédulité des ignorants qui envisageaient les gærs en monstres cruels. Finalement, cela s’avérait utile aujourd’hui.
*gær :humain qui a subi une transformation grâce au sang d’Ethérés
*crok’mar : catégorie d’Ethérés qui s’apparentent à des loups
*Chäsgær : cité où vit les gærs
*Mutilé : insulte des humains à l’encontre des gærs
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