Sur le thème "le monstre caché dans son corps".
Devant le miroir, il fixe son reflet. Malgré les tourments intérieurs qui l’habitent, son visage garde sa beauté. À croire que rien ne peut l’atteindre. Qu’éternellement, il restera ce beau jeune homme attirant tous les regards…
Brusquement, la glace se brise. De longues lézardes s’ouvrent sur le verre. Des morceaux tombent dans la vasque. Suivi de peu par un liquide rouge qui goutte sur les débris. Il ne bouge pas. Le sang dégouline le long de sa main. Dans la plaie, un éclat brille sous la lueur des ampoules.
La douleur qui le lance fait écho à celle de son esprit. Milos admire le spectacle macabre de son essence de vie quittant son corps. Le temps défile, mais il ne bouge pas. Pris par la contemplation de sa blessure, il n’entend même pas la porte s’ouvrir derrière lui, après que quelqu’un y est frappé.
– Monsieur !
Le cri le sort de sa transe. Un linge vient se poser sur sa main. Quelqu’un l’entraîne à sa suite, sans qu’il n’ait son mot à dire.
Attiré vers la chambre, Milos se retrouve assis sur le lit. Son compagnon a disparu, mais revient à toute vitesse, avec sa mallette. Sans une parole, il entreprend de nettoyer la plaie. Les éclats de verre la quittent.
– Désolé…
Un simple mot incapable de résumer la peine qui l’accable en cet instant.
– Que s’est-il passé ?
Bélim, en médecin compétent, est occupé à lui faire un bandage. Sa main disparaît sous une couche de tissu blanc. Une sécurité ? Milos a presque envie de sourire. Ainsi, il ne pourra pas triturer sa blessure. Déjà, il s’imagine s’emparer d’un morceau acéré pour le planter dans sa chair. Tracer des stries sanglantes sur sa peau pour lui donner le même aspect que son âme…
– Je ne sais pas…
Il ne ment pas. Un instant, il s’observait, celui d’après le sang était sur ses doigts.
– Monsieur…
La voix est douce. Le regard est triste. Pourtant, il ne veut pas le blesser… Mais c’est plus fort que lui. Milos ne contrôle pas ses crises. Le mal l’habite. Les souffrances intérieures ne s’arrêtent jamais. Il est coincé dans ce cycle infernal sans pouvoir trouver une sortie ou un exutoire.
– Je me suis regardé. Après le miroir a explosé… Je crois que j’ai frappé dedans…
Il prononce ces mots qu’une voix détachée comme si cela venait d’arriver à un autre que lui.
Bélim le fixe sans savoir quoi dire. Il soigne des corps, pas des âmes. Ce n’est pas sa faute. Pourtant en cet instant, il se sent impuissant. Lui qui voulait guérir l’humain pour le rendre meilleur, il se retrouve coincé avec un être tel que Milos. Condamné à s’occuper de plaies superficielles sans pouvoir atteindre la plus importante. Obligé de prévenir les crises sans pouvoir les arrêter.
Milos a de la peine pour lui. Alors du bout de sa main valide, il effleure le visage de son soignant. Celui-ci se recule vivement. La peur dans ses prunelles. Celle d’un homme qui cache la vérité que cette société ne veut pas accepter.
– L’autre en moi, murmure Milos.
– Pardon ?
– C’est l’autre en moi…
Un moment de silence… Seul le bruit de la pluie qui glisse sur les vitres se fait entendre.
– Le monstre… Le monstre en moi…
Milos baisse la tête.
Pour peu, ses larmes couleraient… Est-ce la rage, de la frustration ou de la tristesse ?
– Monsieur, vous n’êtes pas un monstre…
Sa main se pose sur son bras pour le rassurer. Il ne sait pas… Personne ne sait…
– Ho Bélim… Bélim… J’ai fait tant de mauvaises choses… Si tu savais la vérité, tu fuirais…
Et pourtant, il s’accroche. Ses doigts se resserrent sur sa manche comme s’il craignait que Milos ne disparaisse.
– Vous n’êtes pas un monstre, Monsieur !
Il y a tant de confiance dans sa voix. Milos en est presque choqué. Comment cet homme peut-il lui offrir si aveuglement sa foi ? Un homme si bon que la société a tenté de détruire plusieurs fois et qui pourtant dispense toujours sa bienveillance autour de lui. Est-ce un saint ?
– Parler si cela peut vous soulager…
Une proposition intéressante. Autrefois, il aurait souhaité qu’on l’écoute. À présent, le silence s’est érigé comme un mur entre lui et les autres. Il ne fait que mentir pour donner le change.
– Que dire ? Que je suis un homme mauvais ? Si tu savais ce que j’ai fait, tu me haïrais…
Pourtant Bélim ne bouge pas. Un éclair zèbre le ciel, apportant un peu de luminosité dans la pièce sombre. Le visage du médecin est confiant. Il lui sourit. Alors l’envie prend Milos de lui dire la vérité. De lui jeter ses méfaits à la face pour que lui aussi le déteste. Ainsi, il aura vraiment perdu tout le monde et ça ne sera que justice.
– J’ai tué un homme, j’ai effrayé une femme au point qu’elle pleurait et suppliait pour que je ne lui fasse pas de mal, j’ai séduit un autre homme, et l’ai mené jusqu’à sa perte…
L’autre se régale de ses mots. Il attend avec hâte le moment où Milos sera rejette ainsi il pourra lui dire qu’il est le seul qui veuille bien de lui.
– Monsieur, racontez-moi.
Passé la stupeur, la voix est calme. Le monstre se renfrogne. Milos hésite. Il sait ce qu’il pourrait faire pour être repoussé. Mais il ne le désire pas. Il a envie d’y croire. Envie de voir si Bélim le supportera dans toute la force de son horreur.
Avec patience, Bélim reprend.
– Que s’est-il passé avec cet homme ?
– Je l’ai empoisonné.
– Pour quelle raison ?
Milos se fige. Est-ce que cela peut atténuer ses crimes ?
– Il était mon colocataire de chambre. Il me prenait tout par la force. Alors, j’ai acheté une bouteille de vin que j’ai empoissonné. Bien sûr, il s’en est emparé. Il est mort. En plus, j’ai fait croire que quelqu’un voulait attenter à ma vie pour ne pas être soupçonné.
Le monstre jubile. Mais Bélim ne cille pas.
– Pour la femme, que s’est-il passé ?
La main de Milos se met à trembler. Il ne désire pas repenser à cette scène qui lui a fait plus de mal que de bien.
– C’était… La nuit… Elle est venue dans ma chambre pour parler. Je l’ai jeté sur le lit, j’ai relevé sa chemise de nuit.
J’entendais ses cris et ses larmes…
– Lui avez-vous fait du mal ?
– Pas ce mal-là…
Bélim plonge ses prunelles dans le sien. Il tente de comprendre avant de juger contrairement à d’autres qui l’aurait déjà condamné.
– Que cherchiez-vous à faire ?
Il serre le poing. Sa mâchoire est crispée. Il ne souhaite pas en parler parce que c’est trop douloureux. Sauf que la question provient de Bélim qui l’a toujours soutenu.
– Je voulais qu’elle ait peur… Que la terreur l’enserre… Qu’elle souffre autant que j’avais souffert ! Je ne voulais pas qu’elle me touche !
Ses derniers mots sont un cri.
Il plaque ses paumes contre ses yeux. À nouveau, l’envie de se lacérer le visage le prend. Il lui faut de la douleur. Que son corps saigne pour oublier les tourments de son âme.
– Elle vous a abusé.
Ces mots… Il les entend sans les comprendre.
Une larme lui échappe. Son esprit se perd. Ses dents se plantent dans sa paume. Le sang jaillit. Bélim s’empare de son poignet. Avec beaucoup de délicatesse, il le pose sur son genou, avant de prendre un nouveau bandage pour l’en entourer.
– J’ai quitté la maison… Je ne pouvais plus vivre sous le même toit qu’elle. La voir, chaque jour, m’était intolérable. Je craignais qu’elle ne revienne tant qu’elle n’aurait pas eu ce qu’elle voulait : un enfant… Alors j’ai trouvé un emploi comme secrétaire particulier. Je voyageais en compagnie de mon patron pour prendre ses notes. J’aimais ce que je faisais. Mieux, j’aimais être en sa compagnie. Calme, il m’apaisait. À ses côtés, j’apprenais beaucoup. Une nuit de folie, je l’ai séduit. Cela fut sa perte.
À nouveau, il se recroqueville. Alors Bélim ose faire ce geste qu’il n’a jamais fait. Il le prend ses bras. Il serre contre lui, ce corps froid agitait de tremblement.
– Ce n’était pas votre faute…
Des paroles qu’il a longtemps attendu.
– Étiez-vous amoureux ?
Après un court instant de réflexion, Milos ose parler.
– Sûrement l’étais-je ? Comment peut-on savoir que l’on est amoureux ? Est-ce parce que l’on rêve de passer notre vie avec la personne ? Ou parce qu’on veut être dans ses bras ? Qu’on désire sentir son corps contre le nôtre ? Que son bonheur passe avant le nôtre ?
Ses yeux mouillés de larmes fixent ceux de Bélim.
– Le monde s’en fiche bien… Je ne suis qu’une abomination. Dans notre monde, comme un homme pourrait-il aimer un autre homme sans que ça ne soit le cas ?
Les doigts de Bélim trouvent les siens.
– Je sais ce que c’est, Monsieur.
Il n’en dit pas plus, mais le cœur de Milos explose.
– Vous n’êtes pas un monstre, déclare Bélim. Vous avez seulement cherché à vous défendre.
Le silence se fait.
– N’ayez crainte. À présent, je serai avec vous.
– Tu ne vas pas me quitter, Bélim ?
– Non, Monsieur.
Milos le serre de tous ses forces.
– Alors peut-être que le monstre peut se reposer, à présent.
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