(les événements prennent place avant le début de Traces du Passé)

Garnet regarda vers l'horizon, par-dessus une barrière de têtes. Comme à chaque fois qu'il revenait de mission, un petit attroupement de jeunes femmes l'entourait. Elles se le figuraient tel un highlander parti au combat. Avec ses cheveux couleur cuivre, ses taches de rousseur, ainsi que sa carrure longiligne et athlétique, il attirait l'attention du beau sexe, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Son tempérament joueur le poussait à tester ses capacités de séducteur.

Ileana le lui avait d'ailleurs reproché le jour de leur rencontre. Il avait dû l'accompagner sur le terrain, elle et son dimidiam* Vince, alors qu'ils étaient tous de jeunes recrues. Quand elle l'avait vu, elle était restée de marbre. Malgré tous ses efforts, elle était parfaitement immunisée à ses charmes, et l'avait recadré sans la moindre hésitation :

– Tu ne prends donc rien au sérieux ? l'avait-elle sermonné.

C'est à ce moment-là qu'il avait décidé de s'en faire une amie.

Cette petite fée aux cheveux blond cendré marquait les esprits sans même essayer. D’un côté, son caractère bien trempé causait l'effroi de ceux qui provoquaient son courroux. De l’autre, sa nature joyeuse et ses compétences magiques hors du commun suscitaient la sympathie et l'engouement des gens qui croisaient son chemin. Au début, elle l'envisagea avec méfiance : il ne pouvait l'en blâmer après son attitude de tombeur. Quoi qu'il en soit, leur relation se solidifia petit à petit. Et, avec Vince, ils devinrent tous les trois de bons camarades.

– Excusez-moi mesdemoiselles, je suis attendu quelque part !

Garnet s'extirpa de la foule de ses admiratrices déçues par son indifférence. L'air de Roraima* se maintenait à température constante : chaude, mais agréable. Les minutes passaient à toute allure. Il devait se presser s'il voulait être à l'heure pour son rendez-vous. Avant de rentrer chez lui, il s'arrêta chez le fleuriste pour récupérer un bouquet de lys.

Une fois dans son appartement, il posa les fleurs sur la table, puis retira son manteau et son t-shirt. D'habitude, il appréciait le calme, mais avec sa nervosité, il préféra mettre un peu de musique. La dernière chose dont il avait envie était de rester seul avec ses pensées. Il alluma alors son ordinateur pour lancer l'une des playlists favorites de son amie. Face à l'écran, il sourit : elle aimerait cette attention.

Tandis qu'une chanson entraînante tapait dans les baffles de ses enceintes, le jeune homme se dirigea vers la salle de bain. Il fit un brin de toilette. Devant le miroir, il observa sa mine avec un soin particulier. Il avait les traits tirés, ce qui n'était pas du plus bel effet dans sa chemise crème, enfilée pour l'occasion. Contrarié, il passa de l'eau fraîche sur son visage dans le vain espoir d'améliorer son apparence. En s’essuyant, la douceur de la serviette le réconforta jusqu'à ce qu'il revoie son reflet.

Garnet soupira : il ne pourrait pas faire grand-chose de plus. Pourtant, il était déterminé à lui offrir un sourire radieux. Il s'exerça donc pendant un instant, à la recherche de son air le plus convaincant. Il finit par abandonner ; il verrait bien le moment venu.

À défaut de mieux, il saisit une bière dans le frigo pour se donner du courage. Son corps se mit à tortiller sous la nervosité. Sa bouche pâteuse et ses jambes flageolantes le mettaient dans un état d'inconfort insupportable. Il devait y aller ou il deviendrait fou ! Il but d'une traite, avant de sortir, le bouquet en main.

Autour de lui, le monde tournait comme à son habitude, mais son cœur, lui, battait la chamade. Le jeune homme se dirigea vers le parc où des enfants s'amusaient avec le flux des éléments*, sous l’œil attentif des adultes. Les rires qui s'élevaient cognèrent à ses tympans. Il pressa le pas jusqu'à une zone en retrait, calfeutrée, dont les vitraux colorés laissaient passer une luminosité caressante.

Là, parmi les oliviers, une silhouette agenouillée allumait de l'encens au pied de l'un d'entre eux. Garnet s'approcha en douceur. Sur l’autel, il déposa les fleurs de lys avec déférence. Ému, il effleura les lettres gravées dans l'écorce, du bout des doigts.

– Elle aurait aimé ce geste, lui dit une voix ténue.

Ils restèrent un moment en silence, enveloppés par l'odeur apaisante des bâtonnets qui se mêlaient à l'essence du bois. Vince se releva enfin pour lui lancer un regard ; il avait pleuré. Son ami préférait se recueillir seul, mais il avait fini par accepter sa présence. Ça le rassurait : il n'avait pas envie que ce dernier s'isole davantage. Avant de se remettre en route, ils se retournèrent une fois encore vers l'arbre.

– Joyeux anniversaire...

– Joyeux anniversaire, ma petite Ileana !

*dimidiam : âme-sœur magique

*Roraima : cité des élémentaristes en Amérique du Sud

*flux des éléments : base de la magie des élémentaristes