Défi : Liste Whumtober 2018.
Thème : "Bloody hands/mains sanglantes"
Le rouge n’a jamais été sa couleur. Trop riche, trop pesant, trop sombre… quand bien même sa condition de passeur fait de lui un voyageur de l’obscurité.
Dans ce sanctuaire souterrain, tout est rouge. Les lourdes tentures de velours, les murs couverts de toile écarlate où brillent des symboles dorés, les meubles laqués, les tapis lie de vin… L’autel, un simple cube de marbre noir, disparaît presque sous les couches brunies d’une substance à la texture épaisse. L’odeur qui flotte ne laisse aucun doute sur sa nature : ferreuse, douceâtre, elle les submerge dès leurs premiers pas dans la pièce.
Parfois, ils n’arrivent pas à temps. Parfois, la mort a été plus rapide, sous la forme d’un maître de secte dont le poignard a plongé dans le cœur des douze fidèles qui l’ont suivi en toute conscience.
L’homme se dresse face à eux, grand, musculeux, le visage figé en un masque inexpressif.
« Henri, attendez, nous... »
La voix d’Alexandre glisse sur lui ; il entend les mots sans leur donner sens. Le massacre a réveillé dans sa mémoire la vision d’autres existences ravagées, d’autres regards fixes et vitreux… En cet instant, sa légendaire vivacité d’esprit a disparu. Il tire son arme et se rue sur le sorcier autoproclamé, qui pensait se faire ouvrir les portes de l’enfer. Ironie suprême, ce rite a échoué. Les deux agents ne feront face à aucune malédiction, ils arrêteront juste un fou meurtrier.
« Ai… dez... »
Le souffle ténu d’une voix mourante suffit à détourner le journaliste de son but. Il tombe à genoux à côté d’une jeune femme aux longs cheveux pâles, encore ornés de boutons de rose. Il glisse une main sous la nuque de la victime et couvre de l’autre la blessure béante dans sa poitrine.
Il se sent absorbé tout entier dans cette tentative désespérée pour sauver la survivante, même si le passeur en lui comprend que l’âme s’arrache déjà à ce corps pantelant. Le sang gante ses doigts d’écarlate, teint ses manches de pourpre. Malgré tout, la vie s’enfuit inexorablement, emportée par le liquide rouge…
« Henri, attention ! »
Le journaliste a oublié le chef de la secte, qui brandit le couteau qui a déjà ôté onze vies. Il a juste le temps de lever les bras pour se protéger. La lame vient mordre dans sa paume gauche, mais sa main droite agrippe le poignet de l’agresseur. Ses yeux rencontrent un regard sombre, glacé, impitoyable. Le même que celui de ses victimes de jadis… Tout se mélange et se superpose dans sa tête ; c’est son corps qui résiste à la mort, pas son esprit engourdi.
Le meurtrier s’effondre ; derrière lui apparaît Alexandre, le fidèle allié, armé de sa non moins fidèle canne-épée. Il contemple son partenaire avec inquiétude.
La jeune femme est morte. Henri n’a pas réussi à la sauver. C'est tout juste s'il a pu se sauver lui-même. Il examine sa paume entaillée, où son sang se mêle à celui de la défunte, où le rouge recouvre le rouge. Jusqu’à ce qu’Alexandre le prenne par le bras et sorte son mouchoir pour bander sa main blessée. Son vieil ami sait quand le silence est préférable et, plus tard, il trouvera les mots. Pour le moment, une lourde tâche attend Henri : envoyer des âmes sur le chemin de la paix, même celle du meurtrier.
Après, seulement, il se laissera le choix d’être faible. Alors, lentement, il s’agenouille ; indifférent au liquide épais qui imbibe son pantalon, il part à la rencontre des âmes terrifiées.
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