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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

« Mon garçon, il faudrait arrêter de lire des romans-feuilletons ! grommela Clément. Ces affaires ne monteront pas plus haut et personne n’a envie de remuer la fange. Nous avons les coupables, nous avons les mobiles. Et vous croyez que la Préfecture va accepter de confier votre cuillère et votre flacon à un médecin pour repérer je ne sais quelle drogue ? Vous rêvez ! Ah, cette jeunesse, on vous a fait un peu trop étudier, vous avez des idées dans la tête qui sont venues remplacer le bon sens… »

Fornassier avait entendu ce refrain des dizaines de fois durant l’année passée. Il avait appris à en faire abstraction.

« J’ai une autre solution, proposa-t-il. Trouver qui a pu vendre ces ustensiles à mademoiselle Cliquot. Le flacon est tout à fait ordinaire, tandis que la cuillère… »

Fornassier avait observé l’objet sous toutes ses coutures. Il était admirablement travaillé. Au tout début, on ne distinguait qu’un décor floral ajouré, mais en regardant mieux, on apercevait une forme ailée qui lançait à l’utilisateur un sourire inquiétant. Il avait pris soin de ne pas la toucher, en se demandant si on l’avait enduit d’une substance quelconque…

« Vous avez sans doute mieux à faire, mais… »

Son supérieur tira sa pipe de sa poche et le regarda en soupirant :

« Si je ne vous laisse constater par vous-même que c’est un tuyau crevé, vous n’en démordrez pas… alors, faites ce que vous voulez ! Je vous donne trois jours, pas un de plus, pas un de moins ! »

Le jeune homme le remercia vivement avant de filer vers le lieux où tout avait sans doute commencé.

Après avoir parcouru Montmartre en long et en large, Fornassier perdit courage. Il n’avait pas trouvé le fameux brocanteur ; ce n’était pas le genre du quartier. En désespoir de cause, il finit par tourner son regard vers le maquis. Sur les terres non construites au bas de la butte, s’était développée une étrange petite ville de fermettes, baraques, échoppes qui avaient poussé en dehors de toute contrainte et de toute rigueur. Au milieu des modestes habitants de la zone, il distinguait quelques bourgeois, des messieurs en costume bien taillé, des femmes élégantes, qui venaient s’y encanailler.

Il découvrit alors la plus étonnante de boutiques : la devanture disparaissait sous un amoncellement de tableaux, de gravures, de manuscrits… surplombant un bric-à-brac dans lequel fourrageaient quelques curieux. Assis sur un tabouret, un homme arborant une longue barbe touffue, les reins ceints d’un tablier et la tête coiffée d’un chapeau mou à larges bords, les surveillait d’un œil acéré.

Le jeune homme décida de tenter sa chance et s’approcha du brocanteur :

« Je suis désolé de vous déranger… mais est-ce que cet objet vous dit quelque chose ? »

Il sortit de sa poche le mouchoir qui contenait la cuillère à absinthe et le déplia, exposant l’objet. L’homme la contempla, le visage indéchiffrable :

« Peut-être, ou peut-être pas. C’est pourquoi ? »

Le jeune homme réfléchit ; dévoiler son appartenance à la police, en ce lieu, ne serait pas forcément une bonne idée.

« J’en cherche des semblables pour constituer un service. Elle m’a été offerte par une amie… »

Le visage du boutiquier s’anima d’un sourire matois :

« Le genre d’amie à qui on fait habituellement des cadeaux… »

Fornassier se sentait rougir à cette remarque. Ève Cliquot correspondait parfaitement à cette définition, mais il ne représentait certainement pas le type d’homme susceptible d’approcher une demi-mondaine de luxe, même s’il avait pu apercevoir son côté le plus vulnérable et humain.

« Euh… oui.

— Je crains fort que ce soit une pièce unique. J’ai récupéré ça en vidant l’appartement d’une vieille folle…

— Puis-je l’examiner ? » demanda une voix courtoise et éduquée derrière lui.

Il se tourna pour découvrir un personnage étonnant : un homme en fin de cinquantaine ou début de soixantaine, dont les longs cheveux blancs se répandaient sur ses épaules. Il portait des vêtements bien taillés, mais aux couleurs si voyantes qu’ils en blessaient presque les yeux. La redingote vert émeraude exhibait des revers violets, par-dessus un gilet jaune moutarde et une écharpe turquoise, de la même couleur que son haut-de-forme. Son visage affable, très peu ridé, montrait une vivacité presque enfantine.

« Pensez-vous en avoir déjà vu une semblable ? s’enquit Fornassier. Monsieur…

— Alexandre d’Harmont, encyclopédiste de l’étrange, pour vous servir ! répondit l’homme avec panache. Il se trouve que j’ai entraperçu sur cet ustensile des motifs assez particuliers… Je possède une certaine expertise des objets utilisés à des fins occultes. Je peux vous aider si vous le souhaitez ! »

Le jeune homme hésita : d’où sortait cet étrange personnage ? Souhaitait-il réellement l’aider ou avait-il d’autres idées en tête ? Le patron de la boutique releva le bord de son chapeau et maugréa :

« Pas la peine d’avoir cet air effaré, mon gars. Le comte est réglo… »

Le jeune policier faillit rétorquer qu’il n'avait pas peur, mais cela ne l’aurait servi en rien.

« Bien. Je suis à votre disposition, monsieur d’Harmont. »


Texte publié par Beatrix, 30 octobre 2019 à 00h23
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