Ce texte est dédié à Diogène, qui m'a soufflé le thème de l'Echo. J'en ai assez vite dévié mais il m'a donné les premières idées de ce récit !
Nina regardait la neige tomber par la fenêtre. Les flocons dansaient comme d'étranges insectes, qui venaient la taquiner en tapotant la vitre avant de repartir jouer dans le ciel. Un ciel de glace, ouateux et investi d’une faible clarté. Ses doigts pâles se posèrent sur le verre givré. La jeune fille se demanda si l’une de ces abeilles blanches allait l’appeler, comme celui qui avait attiré au-dehors le petit Kay dans la Reine des Neiges, le conte d’Andersen.
La maison était bien trop silencieuse, bien trop isolée… Pourquoi avait-elle choisi de passer l’hiver dans cette habitation solitaire, près des grands bois ? La réponse semblait banale : parce qu’il fallait bien quelqu’un pour garder la bâtisse tant que sa grand-tante resterait hospitalisée. Nourrir le chat, arroser les plantes, déblayer la neige devant la porte... Elle pouvait bien le faire !
Personne, cependant, ne lui avait parlé des lueurs qui jouaient à l’orée de la forêt quand venait la nuit… Elle avait cru qu’il pouvait s’agir d’aurores boréales, mais celles-ci se manifestaient haut dans le ciel, pas au niveau de l'horizon !
Pourtant, elle n’éprouvait aucune peur… Juste de la curiosité. Elle menait une vie si ennuyeuse que n’importe quel événement, même potentiellement dangereux, pouvait la passionner. Comme ce flocon qui grandissait un peu plus à chaque retour vers la vitre. Comme dans le conte…
Nina ouvrit la fenêtre et se pencha pour mieux observer cette étrange apparition :
« Flocon ? » murmura-t-elle.
Flocon… répondit un écho lointain. Mi-surprise, mi-amusée, elle vit le flocon reculer, sans sortir malgré tout de son champ de vision. Il avait encore grossi et sa forme devenait irrégulière… comme s'il possédait une tête, deux bras, deux jambes et... des ailes ! Une fée de neige ? Nina sourit, persuadée qu'elle se trouvait dans un merveilleux rêve lucide.
« Qui es-tu ? demanda-t-elle.
- … es-tu… répéta l’écho, même si cette voix ténue ne ressemblait en rien à la sienne.
Fascinée, Nina décida d’immortaliser l’étrange apparition. Elle courut vers la chambre, saisit sa valise et la porta dans le salon, car elle ne voulait pas quitter trop longtemps des yeux la manifestation.
Elle posa son bagage sur le canapé et farfouilla à l'intérieur pour en tirer son appareil photographique. Quand elle retourna vers la fenêtre, la fée de neige avait grandi. Elle atteignait à présent la taille de sa main et sa forme était de plus en plus humaine.
Dans le visage minuscule, deux petits points d’un bleu intense lui rendirent son regard, puis la créature s’approcha de la vitre et y traça des arabesques étincelantes. Nina mit un moment à comprendre qu’elle écrivait en lettres de glace sur le verre embué. Elle plaça l’objectif de son appareil juste en face et appuya sur la détente… puis vérifia l’image. Elle ne distinguait rien, mais peut-être… Le système permettait de modifier directement la prise de vue ; elle la retourna en miroir : celle fois, les caractères apparurent à l’endroit et elle put enfin les déchiffrer.
Sous les rameaux dépouillés
Un beau soir tu vas fouiller
Il se cache en t’attendant,
Supportant le froid mordant
Minuscule mais précieux
Offrande venue des cieux,
Il demeure mystérieux…
Qu’est-ce que la fée avait voulu dire ? Quand la jeune fille tourna de nouveau le regard vers la fenêtre, la petite créature avait disparu. Nina fut tentée de sortir pour partir à sa rencontre, mais quelque chose lui soufflait qu’elle devait d'abord comprendre ces paroles… De quoi parlait l'étrange poème ? D’un trésor ? Cela y ressemblait, d’après ce qu’elle pouvait voir… Malgré tout, elle restait convaincue que quelque chose lui échappait. Elle prit un carnet, un stylo, et recopia avec attention ces quelques lignes.
Nina les relut plusieurs fois, en essayant de leur trouver un sens. De quoi pouvait parler cette fée scintillante ? C’est alors que les premières lettres de chaque vers lui apparurent nettement, ou plutôt les mots qu’elles formaient : «SUIS-MOI ».
Nina lâcha son carnet, le cœur battant. Il fallait qu’elle retrouve la créature, en espérant qu'elle n'avait pas disparu entre temps ! Elle attrapa sa parka bleue ornée de flocons argentés et se rua à l'extérieur, en direction de la cour arrière où donnait la fenêtre.
En refermant ma porte, elle inspira une grande bouffée d'air froid ; les arbres étaient nimbés d’une pellicule de glace qui les faisait étinceler. Une légère brise agitait les branches qui se heurtaient et tintiglaçaient doucement. Elle ne trouvait pas d’autre mot !
La jeune fille s'engagea sur le chemin en jetant des coups d’œil partout autour d’elle. Une aura de magie semblait flotter aux alentours de la maison. Elle se rappela soudain que c’était le solstice d’hiver, que bientôt la nature plongerait dans la pénombre d’une nuit extraordinaire, la plus longue de l’année, et qu’à partir de ce moment le jour regagnerait du terrain. Une fête immémoriale – Yule, comme disait les anciens.
Sans doute était-ce la raison pour laquelle elle n’éprouvait aucune peur. Elle continua à avancer en cherchant du regard la fée des neiges. Elle commençait à désespérer quand elle aperçut le flocon facétieux sous les branches d’un grand pin. Avec un sourire, elle se mit à la poursuivre entre les buissons. Elle aurait dû ressentir de l'inquiétude en s'éloignant ainsi de la maison, mais une confiance inattendue s'était emparée d'elle. Flocon, qui était redevenu une boule blanche un peu plus grosse que les autres, dansait devant elle, se laissant presque toucher pour s’enfuir aussitôt.
Quand Nina, un peu fatiguée, s’arrêta et ôta l’une de ses moufles pour puiser dans sa poche un sachet de biscuits à la cannelle, « Flocon » demeura dans les parages, comme un petit oiseau familier. Quand elle l’appelait, elle répétait ses mots, comme un écho farceur.
Elle déposa quelques miettes sur un rocher ; Flocon reprit sa forme vaguement humaine pour prélever les morceaux de gâteau et s’installa près d’elle pour les grignoter. À cet instant, Nina pouvait avoir une meilleure vision de l’apparence de sa nouvelle amie : même si la créature était encore un peu floue et imprécise, la jeune fille pouvait voir qu’elle possédait de longues mèches étincelantes, comme des cheveux d’ange, et une peau légèrement bleutée. En tout le reste, elle ressemblait à une minuscule forme féminine avec de grandes ailes qui rappelaient une fine dentelle de glace.
Leur goûter terminé, les voyageuses reprirent leur route. Elles arrivaient à présent à l’orée de la forêt, qui parut à Nina profonde et mystérieuse même si l’hiver avait dénudé les branches. Elles progressaient sur des sentiers tortueux qui cheminaient à travers les arbres et où un traîneau n’aurait pas pu passer. La jeune fille avait de plus en plus de mal à avancer dans la neige épaisse qui semblait avaler ses bottes.
Même si tout autour d’elle était comme figée sous une mince couche de givre, elle avait l’impression qu’un doux tintement l’accompagnait, un peu comme les clochettes au cou des rennes du père Noël, dans la chanson qu’elle chantait, enfant, lors de la veillée.
La nuit tombait ; Nina s’étonna que le temps eût passé si vite. En période de solstice, ce n’était guère surprenant… Heureusement, il faisait encore clair ; la lune, haut dans le ciel, ressemblait à un grand luminaire entre les branches de pins sylvestres. Flocon lui faisait toujours signe de la suivre et elle courait presque à présent, pour ne pas perdre de vue la petite fée des neiges. Elle gardait cependant sa confiance envers celle qui la guidait. Des buissons de houx encadraient le sentier, comme pour former des barrières épineuses qui l’empêchaient de dévier de sa route. La végétation se densifiait ; bientôt, elle progressa dans un véritable tunnel. Flocon semblait luire de sa propre lumière, comme une minuscule étoile blanche. Soudain, au bout du chemin, Nina aperçut une lueur dorée, comme un tout petit soleil emprisonné dans la forêt. En la regardant, elle sentit des souvenirs remonter dans son esprit, de repas et de sapin enluminé, de père Noël dans son traîneau, de rues enneigées sous la clarté des réverbères, des dindes rôties et des bûches garnies , et autres images de ces périodes fêtées depuis la nuit des temps, sous divers noms : Yule, Saturnale ou Noël…
Enfin, elle déboucha dans une clairière où les branches entrecroisées, nimbées de glace, formaient comme une voûte fabuleuse. La lumière venait d’un creux dans le sol gelé, comme si une étoile était tombée du ciel, mais avec autant de silence et de légèreté qu’un flocon. Quand elle s’approcha, elle découvrit… une pomme de pin, d’où émanait cette merveilleuse lueur dorée. Elle se pencha pour la ramasser et l’examina. La lumière pulsait en son cœur, filtrant entre les fentes de la surface écailleuse, mais une fine carapace de glace l’entourait. Ce qui s’y trouvait avait été piégé par le givre et voulait en être libéré.
Flocon tournait autour d’elle, comme si elle attendait quelque chose d’elle. Nina fronça les sourcils, réfléchit un peu, puis leva la pomme de pin vers son visage et souffla dessus son haleine chaude pour la dégivrer. Aussitôt, la surface se fendilla et une minuscule pousse en surgit, une brindille couronnée d’épines bleutées. Elle la reposa doucement et recula ; la pousse se mit à grandir, grandir, grandir encore… jusqu’à devenir un arbrisseau, puis un arbre et enfin un sapin majestueux. Flocon dansait tout autour et le parait d’argent et de cristal ; il n’avait pas perdu de sa radiance et illuminait toute la forêt de sa beauté grandiose. Bientôt, d’autres petites fées de neige apparurent et rejoignirent Flocon, tandis que la jeune fille observait ce miracle à la fois si simple et si extraordinaire.
Elle avait participé au renouveau de la nature, sans doute parce qu’elle avait suivi la fée sans crainte à travers les bois. Avec un sourire, elle tira de sa poche les derniers gâteaux à la cannelle et les déposa au pied de l’arbre, à l’attention de Flocon et de ses amies.
Nina ouvrit brutalement les yeux ; elle se tenait toujours derrière la fenêtre et avait dû s’endormir debout… elle secoua la tête pour dissiper les brumes du rêve. La nuit était tombée, mais elle ne trouvait plus la demeure solitaire. Car au-delà de la vitre glacée, dans les profondeurs de la forêt, une douce lueur dorée s’élevait dans la pénombre...
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