– Et maintenant ? demanda Cyril.
Rien ne s’était passé lorsque le sceau s’était effacé. Pas d’explosion, pas de râle d’agonie, pas d’éruption de flammes, rien. Peut-être avaient-ils vraiment pris la bonne décision. Si seulement il pouvait se défaire de ces doutes qui continuaient de le tarauder !
– Je ne sais pas, on attend, répondit Thomas.
– Et on attend quoi, exactement ?
Rétrospectivement, il restait pas mal de zones d’ombre dans leur plan. Ils avaient longuement discuté du meilleur plan d’attaque et ce qu’ils feraient en cas d’échec. Ils n’avaient pas envisagé ce cas-ci, ou du moins n’avaient pas pensé qu’il se révélerait problématique.
– De savoir si je fais de même pour les autres. Je préfère me montrer prudent quand je manipule des choses que je ne connais pas. Observer et apprendre. Vérifie son pouls, je reste aux aguets.
L’appréhension n’avait pas quitté Cyril. Il devait pourtant se rendre à l’évidence : ils ne pouvaient rien faire tant qu’ils ne savaient pas ce que l’opération avait donné. Ce n’était pas une simple répulsion qu’il sentait en s’approchant du corps de charbon, plutôt une peur instinctive. Ou n’était-ce qu’une autre facette du sort ? Était-ce cela encore qui le faisait douter ? Cyril ragea intérieurement, il n’était plus sûr de rien. Ils auraient peut-être mieux fait de ne pas intervenir. Mais il était trop tard pour cela, maintenant. Alors il tendit le bras et posa deux doigts sur le cou, pile sur le rose d’une cicatrice.
La peau était douce, agréable au toucher. Chaude aussi, beaucoup trop chaude. Mais il ne sentait rien en-dessous, aucune pulsion, aucun pouls. Cet homme était mort.
Cyril se sentit tout à coup étrangement vide. Il aurait voulu réagir. Vomir, frapper quelque chose… N’importe quoi qui fasse sens. C’était absurde. Toute cette situation l’était. Le royaume, délivré de l’emprise d’un Archimage avide de pouvoir et de la terreur qui vivait dans le lac, prospérait enfin. Et voilà que, sous le château même du nouveau monarque, des expériences immondes étaient conduites. De nouvelles vies gâchées dans cette éternelle quête de pouvoir… Cela n’avait aucun sens. Pourquoi n’avait-il pas pu empêcher cela ? Comment avait-il pu ne rien voir ? Cela s’était fait juste sous ses pieds !
Il partageait l’avis de la plupart de ses concitoyens, ces assassins ne méritaient pas de vivre. Mais Furans comprenait mieux que les autres pourquoi Dimitri tenait tant à les défendre. Et puis… Mart n’avait pas tort : c’était Dimitri qui avait le plus souffert de leurs actions, c’était à lui que devait revenir le choix de leur punition. Furans fit signe aux gardes du village qui entouraient la place. Son grade en faisait des subalternes. Plus que le chef politique du village, son rang militaire lui donnait autorité sur eux.
Il frappa la hampe de sa lance par terre. Une fraction de seconde plus tard, ce furent trente autres lances qui heurtèrent le sol à l’unisson. Il répéta ce geste trois fois, et trois fois l’écho magnifié suivit. La foule jusque-là si impétueuse fut comme gelée sur place. Tous les regards s’étaient tournés vers l’extérieur.
– Écartez-vous ! Faites place à la garde ! cria Furans, menant ses hommes vers l’échafaud.
Il était douloureusement conscient du regard méfiant que Mart jetait sur son approche. Restait à espérer que celui-ci lui faisait assez confiance pour le laisser le rejoindre. S’il s’en prenait à lui, ses hommes répliqueraient. Furans ne se faisait pas de soucis pour son ami, celui-ci avait prouvé qu’il saurait s’en sortir, mais les relations déjà tendues entre Arenhie et les Élus éclateraient pour de bon.
– Sécurisez le périmètre, qu’aucun villageois ne s’approche. Ces individus sont dangereux, il faut protéger la populace. Je m’occupe du reste.
Il devait se montrer confiant en donnant ses ordres. S’il montrait ses doutes, ils ne réussiraient jamais. Il devait se montrer fort et confiant devant ses hommes. Et en même temps, s’il ne voulait pas se faire balayer, il devait se montrer comme il était, vulnérable et désireux d’améliorer les choses.
– Tiens-moi ça, dit-il en poussant sa lance dans les mains du soldat à sa droite.
Mart ne l’avait pas lâché des yeux. Son regard était dur, mais il le soutint. Plein de détermination, Furans mit ses mains à plat sur le plancher surélevé et se hissa dessus. Il s’attendait à moitié à se faire éjecter de suite, mais se redressa tout de même. Ce ne fut qu’une fois debout qu’il vit la main que lui tendait Mart. Un sourire s’était dessiné sur le visage de ce dernier.
– Alors, une idée, Capitaine ?
Furans sourit à son tour. Pour une fois, il était certain de faire la bonne chose. Le piteux état des hommes écroulés sur le plancher ne faisait que confirmer ce sentiment. Ils n’avaient tenu debout que par leurs liens et le soutien de leurs matons.
– Oui, mais ce n’est pas la mienne.
– Peu importe, répliqua Mart.
Furans secoua la tête.
– Non, justement, c’est important que ça vienne de lui. Amène Dimitri ici.
– Alors ? demanda Thomas.
Cyril retira sa main et revint vers lui.
– Rien, annonça-t-il, rien du tout. Il est mort, toute cette mission ne servait à rien.
– Les autres respirent encore, peut-être…
Thomas n’eut pas le temps de finir sa phrase. Il put seulement se jeter face contre terre pour échapper au torrent de flammes qui se précipitait sur lui.
Il serra la mâchoire lorsque la chaleur lui roussit le dos. Mais au-delà de la douleur physique, c’était son impuissance qui lui faisait grincer les dents. Il ne comprenait pas. Comment n’avait-il rien senti venir ? Il se trouvait plus loin de la source que Cyril. Impossible que celui-ci ait pu y échapper comme lui. Il devait faire quelque chose, agir, mais il se trouvait là, à plat ventre, à essayer de comprendre ce qui était arrivé.
C’était pourtant évident. S’il n’avait pas pressenti d’attaque magique, c’est parce qu’il n’y en avait pas eu. Il avait fini par rejeter l’option, mais sa première intuition se révélait correcte : ce qui venait de lui brûler le dos n’était rien d’autre que l’élémentaire captif qui fuyait, enfin libéré de la magie qui le retenait dans un corps humain. Les flammes n’avaient rien eu de magique, elles n’étaient que l’évocation d’un être primitif dont le feu était la nature-même.
Il ne comprenait toujours pas comment les mages dissidents avaient réussi l’exploit d’enfermer des élémentaires dans le corps de ces hommes, mais il ne doutait plus. Cyril avait tort ; ils ne sauveraient peut-être pas la vie de ces hommes, mais ils feraient quelque chose de bien plus important. Ils libéreraient ces esprits et poursuivraient ceux qui avaient osé commettre des actes d’une telle atrocité. Enfin, s’ils survivaient à la nuit. Et pour Cyril ça semblait mal parti. Il était temps d’appeler les renforts…
La maison de l’apothicaire était pleine à craquer à présent. Le propriétaire était parti de son propre chef. Il n’avait pas eu le cœur de mettre dehors des souffrants, mais il refusait de résider auprès de criminels et de traîtres. Il n’avait fait que leur prodiguer les premiers soins et indiquer quels onguents seraient les plus à même de les mener à une guérison prompte. Mart sourit en y repensant. Certains hommes, aussi endoctrinés soient-ils, étaient simplement foncièrement bons. Voilà un exemple qui redonnait espoir en des temps si troubles.
Peu après son discours, Dimitri s’était effondré, brûlant de fièvre. Il reposait à présent dans le lit qu’ils avaient installé dans la réserve, à ciel désormais ouvert. Les krondariens gisaient sur des paillasses que la garde avait installées dans la petite maison. Personne ne se trouvait dans le lit de l’apothicaire. L’homme avait des principes ; Mart et Furans avaient tenu à faire preuve de respect envers lui.
Ces derniers se trouvaient sur le porche de la maison. Le soleil se couchait déjà, et malgré tout ce dont ils avaient discuté, il restait tant de choses à dire. Ils s’étaient contentés des détails pratiques et n’avaient pas encore osé aborder le sujet des conséquences que leurs actes auraient. Mart ne savait pas encore quelle portée elles auraient au juste, mais il craignait que cette prise de pouvoir locale ne reste pas anodine. Il laissa son regard glisser vers Furans. Celui-ci, silencieux, avait les yeux rivés sur l’horizon brisé par les montagnes. Comment se sentait-il ? Regrettait-il ses actes ? Le chef de village l’avait accusé de trahison. Plus d’un garde avait douté de la légitimité de ses ordres, mais jusqu’à ce qu’une instance plus gradée prenne le relais, ils suivraient ses ordres.
– Si je suis condamné, laissez-moi, laissa tomber Furans, sans quitter les montagnes iridescentes des yeux.
– Nous ne savons pas encore ce qui sera décidé. Nous verrons alors, répondit Mart.
– Non. On ne contestera pas la décision qui sera prise, quelle qu’elle soit. Pas pour moi. Vous n’êtes pas liés par la juridiction arenhienne, mais moi, je suis un soldat d’Aren. Si je ne respecte pas la volonté de mes supérieurs, je serai réellement un traître.
– Tu n’as pas besoin d’être lié ainsi. Tu n’as pas choisi de naître ici. Qui tu es et qui tu deviens sont ton choix. Mais si telle est ta volonté, je n’interviendrai pas.
– Merci.
Le temps serait long jusqu’à l’arrivée de la délégation diplomatique que Furans avait fait mander l’avant-veille. Il s’écoulerait encore au moins trois jours avant qu’elle arrive, assez de temps pour le faire changer d’avis ou établir un argumentaire convaincant. Il ne laisserait pas les efforts de Dimitri être réduits à néant.
Son visage le démangeait, mais il avait beau essayer, il ne parvenait pas à lever un bras. Il voulait retirer ce qu’il avait sur les yeux. En plus de lui causer des fourmillements, cela l’empêchait de voir. Il voulut se redresser et s’en retrouva également incapable. Cela suffit cependant à réveiller les douleurs à sa hanche. C’est vrai, il s’était fait mal quand il était allé chercher Thomas. Est-ce qu’il était encore en train de se rétablir de cette chute ?
Non. Cyril se souvenait d’être reparti de l’île des mages. Il avait réussi à convaincre Thomas. Et à l’attirer dans un piège mortel… La brume sur le lac, la vague qui les avait déposés de l’autre côté des remparts, les couloirs vides, il s’en souvenait à présent. Ils avaient essayé de sauver l’homme-torche, et échoué. Et puis… Un flash orange, une insupportable chaleur, et plus rien.
Il ne comprenait ni pourquoi ni comment, mais il craignait comprendre ce qui était arrivé. Si seulement il arrivait à bouger pour vérifier…
– Holà, essaie de rester tranquille.
Une voix féminine, douce et tracassée qu’il faillit ne pas reconnaître.
– Nyx… Est-ce que…
Parler lui faisait mal, mais il devait savoir.
– Sssshhh… Ça va aller. Je m’occupe de toi. Dors, je vais te soigner.
Il sentit le liquide s’approcher, lui envelopper la tête, et ne réagit pas. Elle savait ce qu’elle faisait, il devait faire confiance à son expérience.
La fraîcheur calma les démangeaisons, et Cyril sombra à nouveau dans l’inconscience. Un monde empli de flammes et d’humains difformes accueillit son esprit. Dans un étrange moment de lucidité, il espéra que les soins de Nyx seraient plus réparateurs que son sommeil.
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